L'Evangile selon Matthieu
Le Christ n'avait laissé qu'un souvenir. Il n'avait rien écrit, il n'avait pas non plus explicitement demandé à ses apôtres d'écrire quoi que ce soit, mais de proclamer partout la Bonne Nouvelle du salut. C'est ce qu'ils firent. Mais avec l'expansion de l'Église s'imposa la nécessité de fixer ce qui n'avait été jusqu'alors qu'un enseignement oral, afin que les fondements de la foi chrétienne fussent clairs,fermes et transmissibles sans risque de déformation. Alors apparurent les quatre Évangiles. Les trois premiers forment un ensemble dont se distingue le quatrième, celui de Jean. On les appelle SYNOPTIQUES, d'un mot grec qui implique l'idée d'embrasser l'ensemble d'un coup d'oeil. C'est qu'un peut en effet, ainsi que nous le proposerons à nos lecteurs, disposer leurs contenus en trois colonnes pour suivre du même regard le déroulement parallèle des récits et rapprocher les termes du même propos. Cependant leur similitude n'est pas telle qu'elle exclue toute spécificité et c'est le caractère original de chacun de ces trois ouvrages que permettra d'apprécier leur présentation dans ces pages.
Le premier des Évangiles synoptiques selon l'ordre traditionnel est celui de saint Matthieu.
C'est aussi le premier en date (aux environs de l'an 50) dans sa rédaction araméenne qui précéda la version grecque d'où est issu le texte que nous connaissons. Rappelons qu'il était d'abord destiné aux Juifs de Palestine).
Cet arrière-fond sémitique et palestinien apparaît en maints détails. C'est ainsi qu'il reproduit sans explications des expressions comme « race », c'est-à-dire « tête creuse » (chap. 5, vers. 22) ; « lier et délier » (chap. 16, vers. 19 et chap. 18, vers.. 18) ; le « joug à porter » (chap. 11, vers. 29-30) ; le« royaume des cieux» ( chap. 13, vers. 11, etc.) ; la « condamnation à la géhenne » (chap. 23, vers. 33) ; la « justice » au sens d'aumône (chap. 6, vers. 6 et chap. 6, vers. 1 la « ville sainte » désignant Jérusalem (chap. 4, vers 5) ; la « chair et le sang » (chap. 16, vers. 17); les « ténèbres extérieures » et les « grincements de dents » (chap. 8, vers. 12; chap. 13, vers. 42 et 50; chap. 22, vers. 13; chap. 24, vers. 51 ; chap . 25, vers. 30) ; peut-être aussi faut-il citer le jeu de mots sur Béel-Zébub et le maître de maison (chap. 10, vers. 25). Autant de termes qui ne sont pleinement intelligibles qu'en fonction du vocabulaire du judaïsme tardif, familier à Matthieu et sans doute aux destinataires de son Évangile.
Parmi les coutumes des Juifs palestiniens, Matthieu est le seul à mentionner l'offrande à l'autel (chap. 5, vers. 23), les usages des prêtres le jour du sabbat (chap. 12, vers. 5), la piété ostentatoire de certains (chap. 6, vers. 1 - 6), le port des phylactères (chap. 23, vers. 5), le prosélytisme (chap. 23, vers. 15), la dîme (chap. 23, vers. 23). Selon Matthieu encore, Jésus n'a été envoyé tout d'abord qu'au seul Israël (chap. 15, vers. 24), et c'est vers les cités d'Israël qu'il dirige ses disciples dans leurs premières missions (chap. 10, vers. 5 et 23). Ce « premier évangile » qui donne une impression d'ordre, de sobriété et d'équilibre est beaucoup moins pittoresque que celui de Marc, d'une puissance d'évocation moins délicate que celui de Luc, mais sait faire alterner de manière heureuse les événements, les discours, les synthèses et les analyses. Le sermon sur la montagne et ses longs chapitres sur les paraboles révèlent à eux seuls la perfection de sa composition.
En Matthieu rien n'étonne, rien ne choque. On n'est pas arrêté, non plus, par quelque détail saillant. C'est une sorte de fleuve puissant, majestueux, calme et serein.
On a pu dire qu'on s'y croirait dans un temple tellement tout y respire le sacré. L'auteur semble avoir le secret des maximes (chap. 3, vers. 12; chap. 5, vers. 3-12; chap. 6, vers. 23, etc.) ; des descriptions solennelles (chap. 8, vers . 16-17; chap. 9, vers. 35-38) et des déclarations imposantes (chap. 16, vers. 17-19; chap. 25, vers. 31-46, etc.). Ses citations de l'Écriture sont admirablement choisies. L'art des mots-clefs donne à l'ensemble un air grave, une tonalité de mélopée orientale. D'emblée, son ouvrage porte à la révérence et à la méditation. Peut-être est-ce la raison pour laquelle l'Église jusqu'à la récente réforme - lui avait donné la première place dans sa liturgie.
Moins que Marc et Luc, Matthieu se propose d'écrire une biographie du Christ. Ce qu'il veut donner aux croyants, c'est un témoignage sur le Fils de Dieu, accomplissement des prophéties et fondateur de l'Église. Son témoignage tend inévitablement, sinon à rendre intemporels les événements du passé, du moins à leur conférer une dimension éternelle.
Dom J. GOLDSTAIN 74
En ce temps-là, la Bible No 74