Parmi les lieux saints de Palestine où affluent les pèlerins, il en est un particulièrement cher au coeur des chrétiens : le Saint-Sépulcre, qui garde non seulement le souvenir de l'ensevelissement du Christ, mais surtout celui de sa mort sur la croix et de sa résurrection. Le site même fut discuté il ne l'est plus guère, même si aucun historien ni archéologue sérieux n'ose garantir le détail : localisations données au mètre près ou même au centimètre, traces bien précises dans la roche.
En fait, il connut bien des vicissitudes avant que des monuments chrétiens n'y soient édifiés... et bien d'autres depuis.
Tout ce que les évangiles laissent soupçonner du lieu appelé Golgotha (en araméen : « le crâne ») tient en quelques mots : il s'agit d'une petite colline, probablement arrondie comme le nom l'indique, et qui se dressait en dehors de Jérusalem à proximité d'une porte. Or, certains contestaient que l'église traditionnelle du Saint-Sépulcre soit localisée à l'extérieur du tracé de la deuxième enceinte construite par Hérode pour protéger sa ville. Pourtant les découvertes relativement récentes de vestiges ayant appartenu sûrement à cette muraille confirment que le sanctuaire était bien situé en dehors de la cité d'alors.
Le texte évangélique encore s'accorde avec le plan des architectes : à quelques dizaines de mètres de la butte désolée du supplice devait se trouver le tombeau où Jésus fut enseveli. De fait, on imagine très bien une zone de terrains vagues, domestiquée çà et là par quelques jardins; le roc affleurant alentour se prêtait à l'aménagement de chambres sépulcrales : parmi elles, la tombe appartenant à Joseph d'Arimathie, précédée d'une antichambre et fermée par une porte de pierre.
Nul doute que les premiers chrétiens aient gardé le culte des lieux. Assez pour que les persécuteurs s'en irritent et décidant de les vouer à l'oubli en effaçant tout ce qui pouvait rappeler la Passion du Christ.
Au IIe siècle de notre ère, l'empereur romain Hadrien fit en effet construire sur le site du Golgotha un forum , nivelant le sol par de considérables travaux de remblaiement; il y planta des bosquets et l'orna de statues païennes. A cette époque, Juifs et Judéo-chrétiens furent de plus expulsés de Jérusalem, elle-même rebaptisée Aelia-Capitolina et dotée, à la place naguère occupée par le sanctuaire du vrai Dieu, d'un temple à Jupiter Capitolin. Mais subsistait une communauté chrétienne issue de la société païenne épargnée par les mesures. Et grâce à elle, la tradition topographique, finalement entretenue plutôt que desservie par la terrasse bien apparente d'Hadrien, se maintint. Au IVe siècle Hélène, mère de l'empereur Constantin, en visite à Jérusalem, identifia donc immédiatement le Golgotha : en un lieu qui semblait pourtant contre-indiqué, puisque situé, comme aujourd'hui, en pleine ville, car celle-ci s'était déplacée dans cette direction. Ce serait même sous la construction du IIe Siècle que l'impératrice aurait découvert la croix de Jésus et celles des deux larrons suppliciés avec lui; la résurrection d'un cadavre mis en contact avec ses reliques aurait désigné celle de Jésus.
Un ensemble disparate mais qui témoigne de 15 siècles de foi
Golgotha et Sépulcre ayant été ainsi « inventés » par Hélène (du latin « invenire », « découvrir »), Constantin donna l'ordre de délivrer le site de tout ouvrage païen, et d'édifier là un sanctuaire « avec une magnificence digne de son opulence et de sa couronne ». On excisa largement le rocher du Sépulcre afin d'isoler la tombe qui devint alors elle-même un édicule, orné de colonnes. Au-dessus, fut élevée la superbe rotonde à coupole de l'Anastasis (« Résurrection »). A l'Est, un atrium, cour à portiques, donnait accès au Calvaire où l'on parvenait en escaladant une butte de quatre mètres de hauteur. Au-delà, on édifia une splendide basilique à cinq nefs, terminée par une abside qui recouvrait la crypte de Sainte-Hélène et la caverne de « l'Invention » de la Croix. L'église s'ouvrait par un triple portail sur un second atrium, entrée monumentale de ce somptueux ensemble architectural, vers lequel les pèlerins affluaient déjà au IVe siècle.
En 614, les édifices furent à demi détruits par l'incendie qu'y allumèrent les Perses. Le patriarche Modeste attacha son nom à la restauration de l'Anastasis. C'est alors que le « Golgotha » ou « Calvaire » fui en partie recouvert par une église qui en surmontait elle-même une autre, souterraine : cette dernière commémorait le « tombeau d'Adam », qu'on voulait à l'endroit même où le « Nouvel Adam » avait racheté l'humanité perdue par le premier.
Quatre siècles plus tard, une deuxième vague destructrice s'abat sur le Saint-Sépulcre : en 1009, le calife Hâkem s'acharne à ravager tout ce qu'il y trouve. Ce n'est qu'une quarantaine d'années après, en 1048, que le roi chrétien de Byzance, Constantin Monomaque, obtint l'autorisation de restaurer ce qui tenait le plus à coeur aux chrétiens. La tombe de Jésus, détruite par les pioches des musulmans fanatiques, fut alors reconstituée « en maçonnerie » et recouverte d'une construction massive.
Un demi-siècle encore s'écoula avant que les Croisés, en 1099, pénètrent dans Jérusalem et décident d'aménager plus dignement les lieux qu'ils découvrent en bien piteux état. Le saint tombeau et le Golgotha furent alors réunis dans un même ensemble architectural, dont le plan général est à peu près celui que le pèlerin moderne contemple encore aujourd'hui. La rotonde constantinienne fut conservée, mais on y accola à l'est une église romane, constituée simplement d'un choeur à déambulatoire et d'un transept sans nef. Depuis le déambulatoire sud, un petit escalier donnait accès à la chapelle abritant le Calvaire, ornée de mosaïques. Un autre permettait de descendre à la chapelle de Sainte-Hélène, très simple et émouvante crypte. Un double portail enfin assurait désormais l'entrée principale, au sud, non loin de la rotonde.
Depuis huit siècles, le gros couvre de l'église des Croisés s'est maintenu, mais un sort funeste semble s'être acharné sur le sanctuaire : en 1545, il est ravagé par un tremblement de terre; en 1808, un incendie le dévaste, et c'est alors que l'on reconstruit, sur l'emplacement du Sépulcre, le prétentieux petit kiosque qui actuellement le protège. Enfin, en 1927 et 1937, de nouveaux séismes endommagèrent l'édifice qui avait déjà trop souffert de restaurations successives et hétéroclites.
On s'efforce aujourd'hui de consolider ce qui mérite d'être sauvé et de débarrasser le reste des diverses adjonctions qui le déparent. Mais le monument spirituel de vingt siècles de foi autour de ce haut lieu de l'univers chrétien commémorant le triomphe du Christ sur le mal et la mort n'importe-t-il pas davantage que l'amoncellement des pierres et les ouvrages d'artistes? Jésus lui-même invectivait ceux qui prodiguaient à des sépulcres moins sacrés que celui-ci des soins de pure forme : « Malheur à vous, hypocrites, qui bâtissez des tombeaux aux prophètes et ornez les monuments des justes!. » (MATTHIEU, chap. 23, vers. 29).
M.-C. HALPERN
En ce temps-là, la Bible No 77