La ville que les Européens occidentaux appellent encore le plus souvent « Salonique », alors qu'elle a retrouvé son nom antique depuis la fin de la seconde guerre mondiale, vivait déjà d'une activité intense depuis près de deux siècles lorsque Paul la visita pour la première fois au cours de son second voyage missionnaire (ACTES, chap. 17, vers. 1-9). En 146 av. J.-C., les Romains en avaient fait la capitale de la province de Macédoine, lui ménageant ainsi une ère de grande prospérité et après la bataille de Philippes (42 av. J.-C.), ayant pris parti pour Octave et Antoine, les vainqueurs, elle était devenue « cité libre » à ce titre, elle possédait sa propre administration et nommait aussi ses gouverneurs : les « politarques ».
Fondée en 316 av. J.-C. par Cassandre, roi de Macédoine, qui lui avait donné le nom de sa femme, soeur d'Alexandre le Grand, Thessalonique, au fond du golfe Thermaïque (du nom de Thermé, très ancienne ville disparue), assurait vers l'intérieur les relations entre le monde grec et l'Europe Centrale, et se trouvait dotée d'un port de mer très sûr à l'embouchure de l'Axios. Elle assurait en outre la principale étape sur la route impériale de l'Asie à la côte adriatique : la via Égnatia.
Tout l'Olympe y avait naturellement ses autels et les mystères de Dionysos y jouissaient d'une grande faveur; mais les Thessaloniciens avaient rapidement adopté aussi les dieux romains et même accueilli les cultes égyptiens d'Isis et Sérapis. Les Juifs en revanche y possédaient des synagogues (ACTES, chap. 17, vers. 1 ), ce qui explique que Paul ait préféré cette étape à celles d'Amphipolis ou d'Apollonia, par exemple, qui en semblaient dépourvues.
Les destructions successives que subit au cours des siècles cette ville, sans cesse convoitée par des envahisseurs de toutes sortes, font qu'il faut beaucoup d'imagination pour retrouver la Thessalonique que connut l'Apôtre. Les rares vestiges romains de quelque importance aujourd'hui conservés ne datent guère que du IVe siècle de notre ère.
Ainsi, du majestueux arc de triomphe élevé par l'empereur Galère pour commémorer les victoires des armées romaines sur les Perses de Mésopotamie et d'Arménie : quatre registres de bas-reliefs de marbre, sur chacun des deux piliers, illustrent ce souvenir. L'un d'eux, qui représente une scène guerrière, montre des éléphants de combat. Un arc symétrique avait été élevé un peu plus à l'est, et une veste coupole prenait appui sur l'ensemble pour recouvrir ce carrefour de la vie Égnatia et d'une des principales rues de la cité. Y débouchait en outre un vestibule monumental ouvert sur le site du palais et de l'hippodrome.
Mais sans doute Paul put-il voir les fortifications hellénistiques dont subsistent quelques blocs de pierre, notamment au niveau de la porte Eski Délik, dans les remparts du Bas-Empire (IVe siècle également) qui s'étendaient sur 8 kilomètres. La moitié environ demeure, encore fut-elle remaniée à l'époque byzantine, puis par les Turcs.
Les souvenirs byzantins sont assurément beaucoup plus riches. Thessalonique demeura longtemps, après Constantinople, la seconde cité de la péninsule : on la surnommait « l'oeil de l'Europe » et « la parure de l'Hellade ». Mais elle était essentiellement un centre religieux depuis qu'en février 380, l'empereur Théodose y avait rendu officiel le « symbole de Nicée », le credo que proclame toujours l'Église romaine. Les nombreuses églises encore debout témoignent de la vocation particulière de la ville. La plus curieuse est sans doute la rotonde à huit niches qui, à l'origine, abritait le mausolée de l'empereur Galère, reliée par une vole à portiques, avant les transformations qui firent d'elle l'église Saint-Georges, à l'arc de Galère. Le monument primitif avait probablement abrité le mausolée de cet empereur. Mais, il fut dès les environs de l'an 400 consacré au culte chrétien, agrandi et orné de mosaïques à fond d'or.
Bien que récemment reconstruite, et pour la seconde fois, la basilique Saint-Démétrius mérite elle aussi une mention particulière. Autour du tombeau du martyr supplicié en 303, avait été construit au Ve siècle un vaste sanctuaire à cinq nefs et transept. Ruiné au VIII, siècle et réédifié sur un plan très proche du plan primitif, il fut incendié en 1917 et relevé de 1926 à 1948, avec les marbres, chapiteaux et colonnes retrouvés dans les décombres.
Éphémère capitale d'un royaume franc
Protecteur de la cité, saint Démétrius eut beaucoup à faire : si la capitale macédonienne résiste aux assauts des Goths aux Ille et Ve siècles, à ceux des Avers et des Slaves aux VIe et Vlle, elle fut prise pour la première fois en 904 par des envahisseurs arabes Saracènes. Au XIe siècle, les Bulgares tentèrent, sans succès, un nouveau siège. Mais Thessalonique finit par céder aux Normands de Tancrède en 1185, puis aux barons de la 4e croisade, qui en firent la capitale d'un éphémère royaume latin des Francs, de 1205 à 1223.
Menacée en 1307 par les Catalans, quelques années plus tard par les Serbes, elle est achetée en 1423 par les Vénitiens, qui ne surent la défendre contre les Turcs. Ceux-ci en prirent possession en 1430 et la ravagèrent.
Malgré ces vicissitudes, elle avait pourtant gardé jusque-là une belle vitalité : ses foires rassemblaient les négociants de toute l'Europe Centrale et ses écoles avaient grande réputation. Le rayonnement spirituel suscité jadis par saint Paul avait eu grand effet. De Thessalonique partirent, notamment au IXe siècle, les évangélisateurs des Slaves, saint Cyrille et saint Méthode, qui en même temps que l'évangile propagèrent l'alphabet grec : avec ses ajouts de quelques lettres nouvelles, il est encore employé en Bulgarie et en U.R.S.S. par exemple sous le nom d'alphabet cyrillique.
Après la conquête turque, la vie s'arrête. Le commerce périclite, les églises sont à l'abandon, la population s'amenuise. La ville se mourait lorsque, en 1492, un édit de la reine Isabelle la Catholique Chassa d'Espagne vingt mille Juifs qui trouvèrent là refuge. Leur activité et leur esprit d'initiative devaient rendre vie à Thessalonique qui connaîtra au XVIIe siècle une extraordinaire prospérité.
Redevenue grecque en 1913, la ville connut un nouveau désastre pendant la première guerre mondiale : le terrible incendie du 18 août 1917 ravagea le vieux quartier turc étagé sur les pentes du mont Kortish, en même temps que la basilique Saint-Démétrius. Courageusement, les Thessaloniciens surent tirer parti du désastre pour sortir des ruines, sous la direction d'un architecte français, un quartier moderne digne de la métropole du nord de la Grèce actuelle.
M.-C. HALPERN
En ce temps-là, la Bible No 91