Les circonstances renforcent le pessimisme naturel de Jérémie. La réforme du roi Josias aurait pu rendre vigueur à la vie religieuse et remédier sur ce plan au règne désastreux de Manassé. Hélas! la mort du roi à Megiddo en 609 (2e ROIS, chap. 23, vers. 29) remet tout en question. Et surtout l'imprudence ou la veulerie politique de monarques comme Joakim ou Sédécias détermine les interventions des Babyloniens.
Avec la prise de Jérusalem en 586 et les déportations qui en sont à la fois le prélude et la conséquence, c'est un monde qui disparaît et qu'on ne reverra plus.
Parfois assailli par le découragement
Jérémie l'avait prévu, mais ses mises en garde répétées n'avaient pas retenu l'attention. Et lorsque le gouverneur Godolias sera assassiné (2e ROIS, chap. 25, vers. 25), un certain nombre d'habitants restés sur place s'enfuiront en Égypte, obligeant le prophète trop clairvoyant à les suivre, Il mourra sur les rives du Nil, après une existence dont l'inefficacité apparente pouvait justifier l'hésitation qu'il avait montrée quelque cinquante ans auparavant.
On n'est pas surpris de constater que le découragement l'ait assailli à certaines heures. Il n'était pour le comprendre qu'une demi-douzaine de fonctionnaires de la cour; il n'eut aucun confident sur la terre sauf Baruch, son ami, plus encore que son secrétaire; pas de véritable foyer car sa solitude était un « signe » prophétique: il semble même que sa famille d'Anatoth lui ait été partiellement hostile. Enfin sa libération sur ordre personnel de Nabukodonosor le rendit sûrement suspect à beaucoup de ses compatriotes. Comment.alors expliquer l'influence dont il a joui dans certains cercles juifs de Babylone, et plus encore dans le milieu du judaïsme palestinien après le retour de l'Exil ?
C'est que dans la monotonie de cette longue plainte, un esprit nouveau se fait jour. Sans parler de la rétribution individuelle dont il proclame la nécessité sans en voir encore le mode, il annonce que l'Alliance est d'abord une relation personnelle avec Dieu, jamais remplacée par l'accomplissement de gestes extérieurs. Et par là il manifeste la valeur relative des institutions : la circoncision du coeur est nécessaire, non celle de la chair ; la religion intérieure demeurera toujours possible même quand le Temple sera détruit.
Le Dieu de vie et d'amour
Mais surtout les générations suivantes ont vu dans Jérémie un homme qui traçait la voie : le voir accepter Dieu dans sa vie, accepter d'être saisi par lui au prix d'une rude souffrance, l'entendre se demander un jour si le ciel ne l'avait pas trompé, pour découvrir finalement que ce Dieu était un être vivant et aimant, c'était pour ces Juifs une lumière pour la route. N'en est-elle pas une aussi pour les hommes de notre temps?
J. DHEILLY
Professeur à l'institut catholique de Paris
En ce temps-là, la Bible No 60 page IV.