Une recherche de forme encore très appréciée en Orient:

LE POEME ALPHABETIQUE

 

Encore que quelques-uns de nos grands poètes aient parfois démontré leur maîtrise de la langue et l'alacrité de leur talent par de tels exercices, l'acrostiche n'a jamais été chez nous un genre particulièrement prisé dans les oeuvres poétiques de style noble. Il en fut autrement dans les littératures antiques, surtout en orient où l'on rencontre des poèmes de ce type un akkadien, la plus ancienne langue sémitique connue, et certainement très antérieure au Vlle siècle av. J.-C. Nombre d'auteurs arabes ou syriaques d'époques relativement récentes se sont d'ailleurs encore plu è composer des chants d'inspiration fort élevée en commençant eux aussi chaque vers ou chaque strophe par une lettre imposée.

Depuis toujours la poésie s'exprime selon des règles qui servent d'abord la mélodie et le rythme mais tendent également, avec plus ou moins de rigueur, à rendre l'oeuvre plus précieuse en lui donnant une forme plus recherchée, plus digne, plus riche que celle du langage banal.

Dans la tradition d'Israël, l'alphabet en lui-même, la lettre en elle-même, sont considérés très justement comme une richesse qu'ont exploitée sages et docteurs aussi bien que les conteurs ou les artistes, ainsi que le montre encore par exemple la planche qui figure sur la page ci-contre. Rien de plus naturel que de mettre ce trésor au service de la poésie sacrée.

Il arrive donc que les vingt-deux lettres de l'alphabet hébraïque, dans leur ordre habituel, commencent chacune, dans le texte hébreu bien sûr, un verset, un demi-verset ou une strophe d'un poème biblique, dit alors « alphabétique ». Ainsi en va-t-il notamment des psaumes 24, 33 et 144 (c'est-à-dire 25, 34 et 145 selon la numérotation de l'hébreu) où chaque verset débute par une lettre différente. C'est même chaque demi-verset qui se trouve ainsi traité dans les psaumes 110 et 11, (11, et 112 de l'hébreu).

Certains autres, tels les psaumes 9 (9-10 de l'hébreu; dont le texte est altéré) et 37 (36 de l'hébreu) n'ont plus qu'un groupe de quelques versets dotés de l'acrostiche alphabétique. Mais de tous, le plus célèbre sans doute est le psaume 118 (119 de l'hébreu) où les huit versets de chacune des vingt-deux strophes commencent tous par la même lettre.

On ne peut qu'admirer l'ingéniosité du procédé, même si la difficulté dont l'auteur tient à faire hommage au sujet qu'il traite met parfois la pensée à l'étroit. On discerne assez bien cette gêne dans le psaume 118, précisément, qui amène répétitions ou synonymes.

Ainsi tous les versets de la strophe vouée à la lettre waw, qui signifie et, débutent par cette conjonction. La préposition dans, à une exception près, s'offre dans les mêmes conditions aux versets de la strophe bâth. Et vers, rendu par lamed, à plusieurs versets de la strophe correspondante. D'autres strophes, sans avoir recours à une telle simplification, appellent un mot « majoritaire » : c'est le cas pour celles dont les versets commencent par la lettre daieth, qui amène le mot derek, « chemin », « voie », ou par la lettre têth, un des deux T hébreux, qui amène le mot Tov, « bon ».

De telles recherches peuvent nous paraître bizarres, et le résultat bien artificiel. Voilà qui facilitait pourtant à coup sûr l'effort de mémoire à ceux qui chantaient ces textes sans avoir nécessairement le « rouleau » sous les yeux, et qui finalement servait l'enchantement où introduit la psalmodie.

Remarquons que l'Ancien Testament contient, ailleurs que dans le livre des psaumes, quelques autres poèmes alphabétiques. Citons les quatre premières « Lamentations », dites de Jérémie (les lettres hébraïques elles-mêmes en étaient psalmodiées en un rythme musical grégorien, durant l'office de nuit de la semaine sainte dans la liturgie romaine), tel passage de l'Ecclésiastique (chap. 51, vers. 13-30) et le chapitre 31 des Proverbes, à partir du verset 10. Il est même probable que les livres anciens comportaient beaucoup d'autres textes de ce genre, auxquels les transcriptions successives ont fait perdre ce caractère original.

L'importance accordée aux lettres a fortement influencé certains courants de la tradition juive, spécialement chez les cabalistes, sans qu'il soit toujours possible de discerner dans les travaux de ces derniers la part de la science, celle des connaissances traditionnelles antiques et celle de la fantaisie.

Dom J. GOLDSTAIN

En ce temps-là, la Bible No 47 pages II-III.

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