Le livre de Judith, dont l'autour est inconnu, se situe bien dans la ligne des persécutions contre le peuple juif, et semble bien faire allusion à celle d'Antiochus Épiphane qui mourut en 164 av. J.-C. Cependant beaucoup ont tendance à repousser la date de sa composition à une époque un pou plus récente : vers 150 avant notre ère.
Comment caractériser cette narration? A la différence du livre de Tobie, aucun ange n'y paraît, mais le caractère historique n'en est pas augmenté pour autant, comme certains seraient tentés de la penser, alors que l'intervention divine n'a rien à voir dans ce propos. Mais les invraisemblances fourmillent sur les plans de l'histoire et de la géographie. Nabukodonosor est donné comme roi d'Assyrie alors que l'empire assyrien n'existe plus de son temps. Tantôt l'on se croirait en milieu perse, mais l'instant d'après nous sommes plongés dans les coutumes grecques; enfin Béthulie semblerait être une ville facile à situer en Samarie mais l'ensemble des indications empêche de lui trouver une position bien nette sur une carte. Tout indique qu'on fait la volonté de l'autour, dans cette liberté étonnante, n'est pas de rapporter un fait historique bien déterminé. Il oriente les lecteurs vers la leçon religieuse : Dieu, une fois de plus, a le dernier mot; il est assez puissant pour anéantir ses ennemis et faire triompher ses amis fidèles.
Comme avec le livre de Tobie nous sommes donc ici dans le midrash, le récit qui s'inspire d'un esprit plutôt qu'il ne S'appuie sur des faits bien réels, et dont l'enseignement est à retenir plutôt que le détail des événements dont l'autour le tire. Dans le cas particulier, il faut nuancer cette affirmation : Nabukodonosor n'est pas d'abord « le roi des Assyriens », mais le type des adversaires du peuple choisi, qui voudraient sa destruction. Aussi devra-t-on envisager un élément apocalyptique sous-jacent.
Une «apocalypse » c'est-à-dire une « révélation »
On sait que le genre littéraire dit « apocalyptique » (du verbe grec apocalyptein : « révéler ») apporte Précisément des « révélations ». Elles sont souvent faites dans le cadre de la vie nationale juive et concernent surtout soit la fin de l'homme, soit la fin du monde, dans leurs rapports avec l'établissement du règne de Dieu (ce que les exégètes nomment l'eschatologie; du grec encore : ta eschata, « les dernières choses »). Le but immédiat des auteurs inspirés est de consoler ceux à qui ils s'adressent dans les épreuves présentes, en montrant que Dieu aura le dernier mot dans l'avenir, comme il l'a toujours eu dans le passé.
Judith a été rédigé en hébreu ou en araméen, mais le texte original est perdu. Les traductions grecques qui nous sont parvenues sont différentes l'une de l'autre. Quant à la Vulgate, elle s'écarte notablement de ces dernières : sans doute saint Jérôme disposait-il d'une traduction latin@ qui existait avant lui : la « vieille latine », et l'a-t-il jugée incorrecte; on pense qu'il l'a corrigée en utilisant effectivement une paraphrase araméenne qu'il estimait sans doute assez proche de l'original disparu.
Précisons que l'action de la courageuse veuve de Béthulie, vue à travers le texte qu'on va lire, ne saurait être jugée d'après les normes de la morale chrétienne, inconnue de l'époque. Le risque pour la vertu de cette femme était grand, et l'adaptation récente du livret à l'écran n'a pas manqué de faire succomber l'héroïne. A vrai dire la pointe du récit est ailleurs : jeûne, prière, pureté légale sont des moyens excellents de servir Dieu et d'obtenir son appui. Le christianisme verra dans ce récit une annonce lointaine de l'état de la femme veuve dans l' Église.
J. DHEILLY
Professeur à l'Institut catholique de Paris
En ce temps-là, la BibleNo 36 page IV.