Un témoignage de l'amitié

 

Au III ème siècle, Origène écrivait : « Bien qu'il y ait quatre évangiles, j'estime quant à moi que les prémices de l'Évangile (entendons « la fine fleur»), c'est celui de Jean... Le sens de cet évangile, nul ne peut le percevoir s'il n'a reposé sur la poitrine de Jésus, reçu de Jésus Marie pour mère. Pour le comprendre il faut devenir en quelque sorte un autre Jean, au point de mériter d'être pour Marie un Jésus de remplacement. »

Il est difficile d'exprimer en termes plus saisissants comment l'ouvrage du « disciple bien-aimé », jailli d'une expérience intime et des profondeurs de 1 amitié, n'est perceptible dans toute sa densité qu'au sein d'une expérience analogue. L'amitié permet une connaissance de l'ami, non seulement en raison des confidences dont elle le fait bénéficier, mais plus encore en raison d'une connaissance intuitive due à certaines affinités.

Dans le coup de lance donné par le centurion au Christ déjà mort sur la croix, Jean (chap. 19, vers, 37) voit la réalisation de la prophétie de Zacharie (chap. 12, vers. 10) : « Ils regarderont celui qu'ils auront transpercé. » L'évangile de Jean permet de regarder le Christ comme de l'intérieur. Cependant, parmi les faits et gestes du Christ, l'auteur a fait un choix; il le précisera lui-même au dernier verset du dernier chapitre : « Il y a encore beaucoup d'autres actions que Jésus a accomplies. » Et ce choix est établi en fonction de ce que Jean veut mettre en lumière dans la personnalité de son Maître.

Ainsi les miracles de Jésus sont-ils choisis et placés sous une dénomination très caractéristique : ce sont des « signes ». Pour Jean, ils appartiennent moins au « merveilleux » qu'au « signifiant ». Si le Christ guérit l'aveuglé-né, c'est qu'il est « la Lumière du monde ». S'il ressuscite Lazare, c'est qu'il est « la résurrection et la vie ». S'il multiplie les pains, c'est qu'il s'offre lui-même comme le vrai « pain de vie », descendu du ciel. S'il guérit le paralytique même le jour du sabbat, c'est que, Verbe créateur, à l'instar du Père, il ne cesse d'agir partout et en tout, pour conserver toute créature dans l'existence qu'il lui a conférée. S'il chasse les vendeurs du Temple, c'est qu'en son corps sacré existe plus que le Temple (chap. 2, vers. 19-21), et que c'est désormais sur le Fils de l'homme qu'on verra les cieux ouverts (chap. 1 , vers. 51).

A travers tous ces signes, ce que cherche à déchiffrer l'évangéliste, c'est le « Moi » du Christ. Ce « Moi » si fortement proclamé dans les affirmations les plus solennelles de Jésus ; « Je suis la Lumière », « la Voie », « la Vie ».

Le Christ de Jean est le Christ aux richesses insoupçonnées : la Samaritaine ne pense tout d'abord qu'à sa cruche qu'il faut remplir à nouveau chaque jour; et les foules du bord du lac de Tibériade, à ce pain quotidien pour lequel il faut ordinairement oeuvrer dur. Cependant Jésus ne vient pas dispenser les humains des servitudes humaines, ni gaver les foules de pain et de jeux, comme les empereurs romains; mais ce qu'il propose, c'est ce que nul avant lui n'a jamais pu procurer : un assouvissement et une plénitude aux aspirations illimitées du coeur et de l'esprit des hommes. Celui qui boit de l'eau du puits aura encore soif, et celui qui mange le pain le plus succulent aura encore faim (chap. 4, vers. 13; chap. 6, vers. 35) ; celui qui boit l'eau que Jésus procure n'aura plus jamais soif, et celui qui mange du pain de sa table n'aura plus jamais faim.

Et même lorsque tout semble terminé, lorsque la pierre du sépulcre est roulée depuis quatre jours et que le mort « sent déjà » (chap. 11. vers. 39), lorsque paraît vaine la plainte des soeurs de Lazare - « Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort » - alors le Christ s'affirme comme l'au-delà des désespoirs : « Celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra; et quiconque vit et croit en moi, ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » Ce sont les « certitudes du Christ » dont témoigne Jean, et en énonçant chacune d'elles, il pose à nouveau à chacun la question de Jésus à Marthe : « Crois-tu cela? »

Dom J. GOLDSTAIN

En ce temps-là, la Bible No 82

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