La Vulgate: ce chef-d'oeuvre

 

« Nous avons le bonheur de posséder dans la Vulgate une traduction des Livres saints qui est un monument poétique, que je ne suis pas loin de considérer personnellement comme le chef-d'oeuvre de la langue latine. S'il n'est pas inspiré au sens théologique, il est certainement inspiré au sens littéraire... Il y a tout de même une preuve du pain qui est de nourrir, une preuve du remède qui est de guérir, une preuve de la vie qui est de vivifier. C'est cette preuve qu'a donnée d'elle-même la Vulgate depuis le temps qu'elle est pour les pécheurs et pour les saints une source inépuisable d'enseignement, d'enthousiasme, de consolation et d'illumination... le langage même de notre entretien avec Dieu. » Ces lignes de Paul Claudel suffiraient à justifier pleinement le choix que nous avons fait en présentant pour l'essentiel à nos lecteurs cette version du texte sacré. Edouard Dhorme, de l'Institut, disait dans son introduction à la Bible de la Pléiade : « Tous ceux qui ont confronté le texte de Jérôme avec l'original(1)hébreu rendent hommage à la fidélité et à la vigueur de cette traduction, qui cherche à sauvegarder en latin la physionomie de la langue hébraïque. »

 

Le mot Vulgate vient du latin vulgata qui veut dire : répandue, courante. Qualificatif qui s'applique bien à la traduction latine de la Bible : une traduction « courante ». Mais le terme a finalement été employé comme substantif, et l'on a dit :

« La Vulgate » pour désigner la traduction reconnue comme officielle dans l'Eglise en 1546 par le concile de Trente, et qui a pour auteur saint Jérôme. Il faut cependant préciser la portée exacte du travail ainsi accompli.

La langue originale de la majorité des textes de l'Ancien Testament est, on le sait, l'hébreu; quelques-uns cependant ont été rédigés en grec (2e livre des Maccabées, Sagesse), et l'araméen apparaît dans quelques fragments des livres d'Esdras et de Daniel. Dés le IIIe s. av. J.-C. une traduction : celle des Septante, permettait de lire en grec tout l'Ancien Testament. Quant aux livres du Nouveau Testament, ils ont tous été écrits en grec.

Mais le latin devint la langue « courante »

Au moment où l'Eglise occidentale parle grec, elle lit donc l'Ancien Testament dans la version des Septante, puisque celle-ci est grecque, et le Nouveau Testament dans le texte original. Il en sera ainsi jusqu'à la fin du IIe s., à Rome en particulier.

Mais en Afrique et dans la Haute-Italie on parlait latin avant que l'Eglise romaine fût passée à cette langue; d'où les traductions latines qui virent le jour, soit en Afrique, soit en Europe.

Elles étaient très divergentes.

Au temps de saint Jérôme ces divergences heurtaient les esprits avertis et l'on souhaitait une certaine harmonisation.

Mais simultanément l'habitude de la lecture liturgique et du chant (notamment des Psaumes ) rendaient la tâche particulièrement difficile et préparait à celui qui la tenterait des oppositions violentes et tenaces.

 

On comprend dés lors que le jour où le pape Damase a demandé au prêtre Jérôme un travail sur la Bible, il n'a d'abord parlé que de révision, et cela dans un domaine modeste : il s'agissait de partir de la traduction latine des évangiles, telle que l'utilisait l'Eglise romaine, et de la corriger pour se rapprocher au maximum de l'original grec : supprimer ici des mots, voire une phrase, ajoutés indûment, déceler là une tendance harmonisante entre le texte de Matthieu et celui de Luc. En fait Jérôme tenta de donner au texte plus d'exactitude et plus d'élégance; il n'a jamais entendu taira une nouvelle traduction. On évalue à 3500 le nombre des corrections ainsi réalisées dans les évangiles.

A Bethléem, Jérôme poursuivit ce travail sur les livres sapientiaux : Job, Proverbes, Ecclésiaste, Cantique des cantiques, et sur les Chroniques. Mais là encore son oeuvre nous échappe en grande partie.

De plus, il travaillait sur la Septante qui est déjà elle-même une traduction! Et parfois sur des textes incomplets. Ce qu'il fallait, c'était une traduction à partir de l'original.

Une traduction latine d'après le texte hébreu II l'accomplit par un travail d'arrache-pied, de 391 à 405, lisant directement le texte hébreu, le « contrôlant » par les différentes versions grecques qu'il avait sous la main, et dictant la traduction latine qui lui venait aux lèvres. C'est ce qui a donné la plus grosse part de la Vulgate officialisée par le concile de Trente. Mais il importe de souligner que la version ainsi approuvée comporte, pour l'Ancien Testament, des Livres qui ne sont pas les traductions originales de saint Jérôme, mais seulement les premiers textes par lui révisés, comme c'est le cas pour les Psaumes, et aussi quelques Livres des traductions latines qu'il n'a pas même revues (Sagesse, Ecclésiastique, Baruch et Maccabées). Dans le Nouveau Testament, sa marque se sent surtout d'une manière évidente dans les Evangiles.

Quoi qu'il en soit, au XVle siècle déjà, lorsque fut publiée cette première édition officielle de la Vulgate(2), le texte latin adopté en occident par l'Eglise s'était en plusieurs endroits, à travers la multitude des copies, écarté même des originaux de saint Jérôme primitivement retenus.

C'est seulement au début du XXe siècle qu'une édition critique fut entreprise par les Bénédictins de l'abbaye romaine de Saint-Jérôme. Le premier volume parut en 1926. Certes tout n'est pas parfait dans la Vulgate: un travail critique en équipe a des avantages assurés.

Cette oeuvre gigantesque, réalisée autour du travail d'un homme, quels qu'aient été sa compétence et son merveilleux talent, devait fatalement comporter çà et là quelques contresens, traductions trop littérales ou interprétations personnelles empreintes d'influences du milieu et du temps où vivait le traducteur. Certains passages, par exemple forcent sans doute des oracles obscurs de l'Ancien Testament dans un sens messianique: à la suite d'ailleurs de la traduction grecque des Septante; et il sera bon de relever les plus caractéristiques.

Mais saint Jérôme, auteur principal, sinon unique, de ce« chef-d'oeuvre » a pétri en quelque sorte la langue latine pour lui faire exprimer des rythmes inhabituels, pour lui donner une harmonie et parfois une majesté inattendues, contribuant ainsi à la création de ce« latin d'Eglise » que la liturgie catholique a utilisé pendant près de dix-huit siècles.

J. DHEILLY

Notes

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(1). Il s'agit ici, bien entendu, de la langue d'origine, et non des manuscrits originaux dont nous ne possédons, nous l'avons déjà dit, que des copies de copies.

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(2)Le pape Clément VIII fit éditer ce texte en 1592 Précisons que ce n'est pas sur cette édition dite « clémentine » que travaille actuellement l'équipe de « EN CE TEMPS-LA - LA BIBLE », mais sur la plus moderne des éditions de la Vulgate.

publiée tout récemment à Stuttgart, et qui tient compte des travaux les plus sûrs II s'agit d'une « recension scientifiquement établie à partir des manuscrits et à l'aide des grandes éditions critique. »

En ce temps-là, la BibleNo 10 page II.

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