Les prophètes bibliques entrent souvent en conflit avec ceux qu'ils estiment être de faux prophètes : menteurs, fanfarons, hommes sans foi (SOPHONIE, chap. 3, vers. 4), parfois adultères ou ivrognes (JÉRÉMIE, chap. 23, vers. 14, chap. 29, vers. 23; ISAIE, chap. 28, vers. 7), ou encore hommes d'argent qui brandissent la menace de guerre si on ne les paie pas (MICHÉE, chap. 3, vers. 5-11 ), courtisans adulateurs du roi ou du peuple (ISAIE, chap. 30, vers. 10, JÉRÉMIE, chap. 5, vers. 31 ; MICHÉE, chap. 2, vers. 11 ). Par leurs fallacieux oracles ces imposteurs endurcissent les méchants dans leur perversité (JÉRÉMIE, chap. 23, vers. 14; ÉZÉCHIEL, chap. 13, vers. 22); ils les entraînent à oublier le nom de Dieu (JÉRÉMIE, chap. 23, vers, 27); ils égarent le peuple (JÉRÉMIE, chap. 23, vers. 22; chap. 29, vers. 8; ÉZÉCHIEL, chap. 13, vers. 10). Il valait donc de se garder de tels messages... et d'abord de ceux qui las portaient.
Sauf le cas très exceptionnel où un « mauvais » fut, comme Balaam par exemple (Nombres, chap. 23-24), contraint de transmettre la Parole de Dieu, l'orthodoxie de l'enseignement habituel constituait en Israël le critère majeur permettant de discerner ce qui venait vraiment d'En-Haut. Les principes déjà énoncés dans le Deutéronome (chap. 13) restent par ailleurs significatifs : entre le prodige annoncé ou réalisé et le contenu du message, le plus important est le contenu du message. Si ce dernier incite le peuple à aller vers d'autres dieux, c'est qu'en dépit de tout « prodige » le « prophète » est un imposteur.
Les "bons" sont souvent des prophètes de malheur"
Ceux qui, se donnant à tort ou à raison pour inspirés, eurent à se prononcer sur des crises au développement incertain, se sont tout naturellement divisés en deux classes : les uns annonçaient un dénouement heureux, les autres un dénouement tragique.
A peu d'exceptions près, la Bible identifie les faux prophètes avec les prophètes des bonnes surprises. et les vrais avec ceux qui prophétisent le malheur. Les premiers ont beau jeu de faire leur cour aux rois et de rassurer la foule en présentant la paix et le bonheur comme conséquences nécessaires de l'Alliance avec Yahvé (Michée, chap. 3, vers. 11 ; cf. Jérémie, chap. 23, vers. 17; chap. 28, vers. 2 et suivants) : ils oublient, ou feignent d'oublier, que celle-ci exige une fidélité réciproque entre « alliés », et le respect du code moral dont elle fut assortie au Sinaï. Les seconds rappellent ces exigences et, dès lors, il devient inévitable qu'ils aient à avertir du pire le peuple infidèle s'il ne se convertit.
Discerner la vraie de la fausse prophétie fut certainement un des problèmes les plus ardus qui se posèrent aux Juifs des VIlle au Ve siècles avant notre ère, car les prophètes étaient légion, comme il y paraît dans les textes bibliques.
Peut-être peut-on tirer du livre de Jérémie de quoi éclairer quelque peu le jugement sur ce point. Mais les signes proposés sont au premier abord assez déroutants.
Ainsi le chapitre 28 met en scène Hananias. A priori rien ne permet de douter de la sincérité de ce prophète de cour qui s'emploie à soutenir « le moral » de ses contemporains et particulièrement du roi. Toutefois la tradition héritée du passé veut que le prophète de paix soit « un menteur en sursis ». Il n'est Pas difficile de regarder, et de faire admettre, ce qui est agréable comme venant de Dieu : la victoire, la paix et la prospérité. mais avoir à tenir comme permises par lui, et à faire accepter comme telles, la défaite et la captivité, par exemple,demande au contraire un bien pénible effort et s'avère déchirant car le ministère prophétique ne désolidarise pas les inspirés de leur peuple et de ses intérêts.
« Les prophètes qui furent avant moi et avant toi, dit Jérémie à Hananias, ont prophétisé la guerre,la souffrance, la famine... » En effet, Nathan, Élie, Amos, Osée, Isaïe, Michée, Hulda, ont plus souvent annoncé des châtiments que des réjouissances et les « délivrances » qu'ils font entrevoir se situent au terme des épreuves. Jérémie s'inscrit dans cette lignée en soulignant que si la prophétie de malheur porte sa justification en elle-même, car nul ne trouve intérêt personnel à la proférer, ni joie à l'entendre, celle du bonheur doit être vérifiée par les faits : « Le prophète qui prédit la paix, c'est lorsque sa prédiction s'accomplit qu'on le tient pour un prophète véritablement envoyé par Yahvé. »
Le prophète qui prédit le douloureux passage de la justice de Dieu, au contraire, trouverait le plein succès de sa mission si le fait qu'il prophétise n'arrivait pas : écarté par le repentir de ceux qui auraient entendu la Parole.
Hélas, tout à l'inverse, le « message joyeux » mais mensonger, tel celui d'Hananias, a pour effet d'anesthésier la conscience des coupables et de leur ôter ainsi toute chance d'éviter leur perte.
Jérémie, lui, souhaiterait ardemment que le Ciel ait Pu changer ses desseins quoi qu'il lui ait fait dire d'abord.
Il parle spontanément, en son propre nom, lorsqu'il répond à Hananias Amen 1 « Ainsi fasse Yahvé que les objets de la maison de Yahvé reviennent ici et tous les déportés 1 » Mais c'est au nom de celui qui l'envoie qu'il confirmera ses sombres oracles et déclarera à l'imposteur, d ailleurs condamné pour son mensonge : Toi, « Yahvé ne t'a pas envoyé! » (chap. 28, vers. 13)
Le bavard est suspect
L'autre critère de la prophétie véritable suggéré par Jérémie est celui de la modération dans les paroles. La prophétie bavarde est suspecte. Le vrai prophète est silencieux de nature; sans doute sa mission même implique-t-elle la parole, mais celle-ci doit demeurer sobre. C'est ce qui résulte du chapitre 23 (vers. 16-32), sorte de traité sur la loquacité révélatrice de l'imposture. Les faux prophètes sont des orateurs incontinents. Faute d'inspiration, ils volent la prophétie à d'autres. Leurs paroles ont la légèreté de la paille, par opposition à la vraie Parole qui a le poids et la densité du grain.
Le vrai prophète est celui qui sait attendre, interroger dans le recueillement, et se taire jusqu'à ce qu'il ait reçu la réponse. Ce dont Jérémie donna l'exemple après qu'Hananias ait brisé le joug qu'il portait (chap. 28, v. 11 et suivants).
Peut-être faut-il retenir que plus la révélation progresse, plus les moyens de distinguer le message et le messager authentiques du mensonge et des menteurs s'affinent; l'orientation même du propos, comme la personnalité et la moralité de celui qui le tient ont seules une véritable valeur, et non les signes extraordinaires qui pourraient être fournis par le prophète.
Celui-ci n'est pas un magicien, et pas non plus un devin : beaucoup plus sûrement qu'il ne « prédit » l'avenir, il témoigne de la Parole de Dieu.
Dom J. GOLDSTAIN
En ce temps-là, la Bible No 62 pages III-IV