Et pour eux même ? rien ! Acte des Apôtres XVI; 16 à 40
Napoléon ROUSSEL
Nous avons déjà remarqué que les miracles du Nouveau Testament portent dans leur utilité un signe révélateur de la divine origine du livre qui les proclame ; mais une trace de divinité, peut-être encore plus profonde, c'est que cette utilité ne tourne jamais au profit de celui qui opère ces miracles. Pour le montrer, considérons ceux dont il est ici question.
Depuis plusieurs jours, une femme possédée poursuit Paul de ses cris sur la voie publique ; Paul chasse le démon ; et cette servante guérie profite du miracle qui conduit l'Apôtre en prison.
Dans le fond de leur cachot que feront Paul et Silas ? Appellerons-ils le feu pour en entr'ouvrir les voûtes et s'enfuir ? Non ; résignés dans leur épreuve, ils chantent les louanges de Dieu et prient en faveur des autres prisonniers ; et en réponse à leurs prières, la terre s'ébranle, les murailles croulent, et le miracle jette la foi dans le coeur du geôlier ; tandis que les instruments du prodige n'en profitent pas même pour recouvrer la liberté.
Enfin suivons les deux apôtres dans la demeure du geôlier. Par leurs prières, ils ont obtenu un miracle qui convertit cet homme et sa famille ; mais qu'obtiennent-ils de Dieu pour eux-mêmes ? Rien ! pas même la guérison de ces membres endoloris par le contact de leurs fers ; il faut qu'un simple homme, par un moyen tout ordinaire, leur apporte un léger soulagement en lavant leurs plaies !
Ainsi ceux qui disposaient en quelque sorte de la puissance divine, ceux dont une parole chassait les démons, dont les prières ébranlaient la terre et faisaient descendre l'Esprit-Saint dans les coeurs, ces hommes, armés de la force de Dieu, n'en profitent pas même pour s'épargner la flagellation, le cachot et la douleur.
Eh bien, si l'on y réfléchit un instant, il devait en être ainsi. Oui, Dieu devait faire des miracles, non dans l'intérêt d'un seul être, mais pour la conversion du genre humain ; non pour soulager un corps malade, mais pour sauver une âme perdue. En faire pour moins, c'eût été prostituer sa puissance ; une âme vaut un miracle, mais une vie de quatre jours ne le mérite pas, surtout quand, conservée ou perdue, cette vie est suivie d'une bienheureuse éternité.
Mais il y a plus ici qu'une convenance parfaite entre les moyens que Dieu emploie et les buts qu'Il poursuit. Dans cette circonstance, que les Apôtres ne profitent pas eux-mêmes des miracles qu'ils opèrent, brille le dévouement à leurs frères et l'oubli d'eux-mêmes qui ne peuvent s'expliquer que par une influence divine sur leurs coeurs. Sans doute les Apôtres ne pouvaient raisonnablement se persuader que la puissance d'opérer des prodiges leur fût mise entre les mains, comme un jouet d'enfant, pour en user selon leur caprice. Mais ne pouvaient-ils concevoir le désir d'en profiter dans leurs nécessités ?
Cependant nous ne voyons rien de semblable : Paul ne demande de miracles, ni pour faire tomber les chaînes qui le blessent, ni pour rétablir Onésime malade dont-il à besoin, ni pour fortifier la poitrine délicate de Timothée, qui, guéri, pourrait mieux le seconder, ni pour se garantir lui-même du froid qu'occasionne l'oubli d'un simple manteau, ni pour suppléer sa mémoire, que ne nourrissent plus ses parchemins. En tout, Paul consent à être traité comme le plus faible et le plus obscur des chrétiens.
Si vous ne sentez pas encore ce qu'il y là de beau, de sublime, de divin, supposez un moment que la puissance d'opérer des prodiges vous soit accordée à vous même. Pensez-vous que vous songeassiez d'abord à d'autres avant vous ? Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que vous et moi, tout à coup enrichis d'un pareil don, nous resterions un moment incertains sur le choix des biens que nous devrions appeler, et que nos voeux, parcourant la terre au lieu de s'élever au ciel, reviendraient sur nous-mêmes, loin de se répandre sur nos frères.
Tout cela n'est que trop probable, et cette réflexion fait mieux ressortir l'influence divine exercée sur les coeurs de Paul et de Silas, armés du miracle et n'en profitant pas, guérissant les autres et vivant eux-mêmes dans la maladie, passant par les fers et mourrant sous la hache ou sur le bûcher !