LA FEMME COURONNEE D'ETOILES

 

Voir aussi: Marie et Rome

 

Le « grand signe » décrit dès le premier verset du chapitre 12 de l'Apocalypse, qu'on va lire, est un des plus surprenants de ceux qui surgissent dans la vision de l'inspiré. Saint Bernard la commente ainsi dans un sermon sur l'Assomption de la Vierge : « La femme (couronnés d'étoiles) entre le soleil et la lune, c'est Marie située entre le Christ et l'Église. » A vrai dire, il s'agit là d'une accommodation tardive d'un passage qui doit beaucoup à la tradition issue de l'Ancien Testament; le Nouveau le prolonge et le parachève.

La parturiente que contemple le visionnaire de Patmos est la Sion idéale des prophètes, qui donne le Messie au monde. L'image de la « nation de Yahvé » en travail d'enfantement n'est pas étrangère à l'Écriture, ainsi dans Isaïe : chap. 26, vers. 17 ou chap. 66, vers. 8. Que la tradition chrétienne ait ici reconnu la mère du Sauveur alors qu'il s'agit de l'histoire du salut n'a pas de quoi surprendre non plus. N'est-ce pas tout le mystère du Christ, tragique et glorieux, qui se dégage de l'estompe intemporelle des textes prophétiques?

De même que les douleurs précèdent l'enfantement, la Passion prélude à la Résurrection; et, au pied de la Croix, la Vierge personnifie cette « Fille de Sion » qui vit en son coeur cet enfantement douloureux. Il est évident que, dans cette perspective, ce n'est pas le mystère joyeux de Bethléem qui se trouve évoqué.

Plus directe est l'interprétation qui rapproche la vision du chapitre 12 de l'Apocalypse de ce que les spécialistes appellent le « Protévangile » (GENÈSE, chap. 15, vers. 3), la « bonne nouvelle » annoncée par la Parole de Dieu promettant à la femme une victoire sur le démon : sa descendance un jour écrasera le serpent.

Dès sa naissance le nouveau-né est sauvé auprès du trône de Dieu (vers. 5), et la même force divine qui a enlevé l'enfant au ciel précipite à terre l'adversaire (vers. 9). Déçu, celui-ci s'acharne cette fois sur la mère et se met à la poursuivre (vers. 13); elle est alors protégée par toutes sortes de secours surnaturels (vers. 14) : l'Église-Sion, comme Marie, se trouve ainsi hors d'atteinte. Mais l'hostilité séculaire entre le serpent et la lignée de la femme (vers. 17) - entre le démon et l'Église militante - demeure jusqu'à la fin des temps, et, terrassé, le dragon cherche encore à mordre « la femme » au talon. L'Apocalypse reflète l'histoire de cette agression.

La récente découverte des HYMNES d'action de grâces, parmi les manuscrits de la mer Morte, confirme qu'elle le fait dans le langage dont usaient les mystiques de la tradition juive un peu avant ou un peu après Jésus-Christ : « J'ai été dans l'angoisse comme une femme à l'enfantement de ses prémices... Dans les tourments du Shéol, s'agitera, à la sortie du creuset de la femme enceinte, le merveilleux conseiller, avec sa puissance, en sorte que l'homme soit délivré de ses déchirures... Pendant sa gestation, tous les flots se sont précipités... » Et ailleurs : « A l'accouchement, une grande angoisse saisira le premier-né de la grossesse... Les portes (du Shéol) s'ouvriront pour les oeuvres de néant... »

Le thème de l'enfantement douloureux se retrouve souvent, nous l'avons dit, à travers les prédictions prophétiques, L'auteur de Qumran compare à son tour les épreuves de la maternité à celles qui s'abattent sur lui et qui seront sans doute la rançon de la vie nouvelle qu'il veut donner à sa communauté. Dans le discours d'après la Cène, le Christ lui-même annonce aux apôtres des afflictions qu'il compare à celles d'une femme en travail (JEAN, chap. 16, vers. 21-22), et saint Paul, par exemple, évoque cette même souffrance dans son apostolat auprès des Galates « jusqu'à ce que le Christ soit formé en eux » (GALATES, chap. 4, vers. 19). Ainsi en est-il de l'ascète de la mer Morte et de « la femme » qu'il met en cause, symbole de « l'assemblée des saints », dont parlent constamment ces documents, et qui est en butte à la persécution des impies.

Cette femme est présentée comme la mère de « l'admirable conseiller » et aussi de « l'homme de douleurs » d'Isaïe (chap. 9, vers. 6; chap. 53, vers. 3). La communauté de Qumran se proposait de servir les espérances messianiques; dans l'esprit de son « Maître de justice », il est normal qu'elle se voie attribuer les principaux qualificatifs qui désignent le Messie. Un destin tragique l'attend elle aussi, comme tout ce qui coopère ici-bas au dessein de Dieu et à l'avènement de son règne.

Dans ces Hymnes apparaît en outre une seconde femme, « enceinte de l'Aspic ». Comment ne pas songer au serpent de la Genèse, à Satan, ou Bélial, pour employer le vocabulaire de ces chants ? Cet être infernal déchaîne « les flots de l'abîme », venus du monde souterrain et qui entraînent à la perdition. Nous les retrouverons dans l'Apocalypse (chap. 12, vers. 15), jaillis de la gueule du dragon. Dans l'un et l'autre texte, ils représentent l'ensemble des manoeuvres diaboliques destinées à anéantir l'oeuvre du salut.

En dépit de nombreuses divergences que mettrait en lumière une étude détaillée, les deux ouvrages s'alimentent bien aux mêmes sources bibliques, et veulent finalement évoquer un même affrontement autour de la naissance du monde nouveau.

par Dom Jacques GOLDSTAIN

En ce temps-là, la Bible No 95

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