Prudence de l'épiscopat français devant le succès de la nouvelle Bible Bayard -

 

Une réécriture de la Bible en français littéraire moderne voit le jour aux Editions Bayard, après six ans d'efforts. Succès de librairie immédiat. Prudence de l'épiscopat.

 

Objectivité du devenir. Le monde ne cesse de changer et si l'humanité n'y prend pas sa part, cette évolution ne pourra jamais se faire que contre elle. Comment ce monument religieux et littéraire qu'est la Bible est-il touché par ce mouvement ? La Bible, on le sait, concerne de nombreuses religions, donc de nombreuses civilisations. Sa lecture, bien entendu, n'est pas réservée aux seuls croyants. C'est pourquoi il a semblé bon à l'auteur de ces lignes, d'éclairer les tenants et les aboutissants du long et difficile chantier pour lequel les Editions Bayard, à Paris, et Médiaspaul, au Québec, se sont associés afin de donner à lire une Bible (1) qui revendique ouvertement d'être " de notre temps ", c'est-à-dire de ne pas se laisser sacraliser une fois pour toutes.

Le judaïsme, le christianisme et l'islam sont considérés comme trois religions du Livre " parce que la parole d'un Dieu unique y est communiquée par écrit ". Toutefois, le rapport au texte fondateur diffère selon les cultures et les époques. Il s'agit d'" écritures " normatives qui disent à la fois ce que nous " faisons " sur terre (ce que la Genèse implique, par exemple) et ce qu'il faudra y faire, à travers des mythes, des fables, des récits, des principes, etc. Pour les juifs, la Bible révèle traditionnellement un projet divin dont la tonalité globale est celle des Tables de la Loi remises à Moïse. Pour les chrétiens, la Bible est l'unité contradictoire de deux Testaments profondément différents dans leur esprit : l'" ancien ", plein des colères de Dieu, et le " nouveau " qui fait état de la venue du Messie annoncé : le Christ. Toutefois, la Bible ne se réduit pas à des témoignages ou " testaments ", elle comprend aussi des hymnes à Dieu, des visions d'apocalypse et des poèmes d'amour comme, par exemple, le fameux Cantique des cantiques. Le terme plus totalisant d'" Alliance ", entre Dieu et son peuple, et aussi entre l'ancien et le nouveau, a été choisi par les concepteurs catholiques de cette bible, de préférence à celui de testament. Quant au Coran qui est bien plus récent (812-832), il aurait été transmis en arabe par l'archange Gabriel au prophète Mahomet. Et, bien entendu, il n'en est pas question dans cet ouvrage. Mais dans les trois cas, il s'agit de la " parole de Dieu ", davantage proposée à l'interprétation individuelle qu'imposée par la contrainte du dogme. La foi n'est vérité qu'aux yeux de celui ou celle qui la pratique. C'est pourquoi, souvent, les auteurs-traducteurs s'inspirent légitimement du texte plutôt qu'ils ne le prennent au pied de la lettre, ce qui, de toute évidence, prend à contre-pied le fameux processus dit de " canonisation " des Ecritures.

 

La traduction novatrice de la Bible que viennent de faire paraître Bayard et Médiaspaul devrait au moins inspirer le respect par l'ampleur du travail fourni : six ans pour la réaliser, cinquante personnes mobilisées, des centaines d'affiches dans le métro, etc. L'épais volume de 3 186 pages restera dans l'histoire de l'édition comme la " bible des écrivains ". En effet, l'écrivain Frédéric Boyer qui en est, avec le père Marc Sevin, l'architecte, ne cache pas son irritation initiale devant le fait que les nombreuses traductions du XXe siècle ne prennent pas en compte l'évolution littéraire de la langue. Trop de discours académiques ou scolaires, affadissement de la dimension poétique, sous-estimation de la valeur des métaphores. La nouvelle bible, résultat de cette critique, fait événement éditorial et littéraire, au-delà du succès de librairie obtenu dès sa sortie.

Dès les premières lignes de la Genèse, le lecteur ne manquera pas d'être surpris. La musique des six premiers jours de la création sort des sentiers battus. Après avoir dit : " Lumière ", " voûte céleste ", " rassemblement des eaux ", " mers ", " terre ", " tout ce qui pousse ", " semence ", " herbe ", " fleurs ", " fruits ", Dieu aurait dit : " Faisons un Adam/à notre image... Il les crée mâle et femelle/et leur dit/A vous d'être féconds et multiples ". Enfin, " Dieu bénit le septième jour/et le met à part ". Ce travail de réécriture plus que de traduction a été accompli par d'étranges binômes : à chaque poète, à chaque écrivain est adjoint un exégète, comme si la crainte que chaque traduction fut trahie par sa modernisation avait initialement présidé à l'esprit du projet. Le tour de force de l'éditeur consiste sans aucun doute en la constitution de ces couples formés chaque fois de quelques bons écrivains et poètes français, croyants ou non, hommes ou femmes, chrétiens ou juifs, familiers ou non des Ecritures, et d'experts, tous attachés à la fidélité aux langues d'origine que sont l'hébreu, l'araméen et le grec. On conçoit que, face à cette alliance d'un genre nouveau, l'épiscopat français ait préféré à un anathème global et risqué, l'indifférence du " nihil obstat " (rien ne s'y oppose). La commission doctrinale des évêques de France " se donne " le temps nécessaire pour vérifier la réception de cette nouvelle version par les catholiques et pour apprécier sa fidélité profonde à la révélation divine ". Les Ecritures saintes ayant toujours été l'objet d'expressions culturelles en musique ou dans les arts plastiques, on peut s'interroger sur la signification de cette prudence particulière pour la chose littéraire.

L'erreur serait de croire que cet exercice littéraire de traduction vise à supplanter les précédentes éditions de la bible. Il s'agit bien plutôt de la réappropriation d'un patrimoine dans les formes modernes que propose la fin du XXe siècle, et donc d'un travail sur l'écriture éminemment créatif. Sauf à soupçonner des écrivains aussi talentueux que Florence Delay, Marie Ndiaye - signe des temps, pour la première fois des femmes participent à l'écriture - Jacques Roubaud, Valère Novarina, François Bon ou Jean Echenoz d'avoir prêté leur plume à une entreprise seulement iconoclaste, force est de reconnaître la séduction opérée sur le lecteur par certains textes dont la richesse est hélas aujourd'hui enfouie sous les séquelles de la vulgate catéchiste et dont la modernité est ici restaurée. L'érudition est renvoyée avec un certain bonheur en fin de volume. Notes, glossaires, index, tableaux et cartes, n'encombrent les pages que sur demande exprès du lecteur et c'est bien ainsi.

Les contradictions ne se situent d'ailleurs pas toutes entre le texte initial et sa traduction en langue française littéraire du troisième millénaire. Elles sont parfois internes aux Ecritures elles-mêmes. Même mise en langue moderne, la présence de l'Ecclésiaste (celui qui prend la parole dans une assemblée) - livre qui fait l'impasse sur la révélation, rejette Dieu dans l'inconnaissable et pour lequel la mort est la seule certitude ultime - reste de l'ordre de l'intrusion inexplicable. " Vanité des vanités, tout est vanité ", devient, sous les plumes conjuguées de Marie Borel, Jacques Roubaud et Jean L'Hour : " Vanité (...) tout est vain ". Tirer vanité de richesses matérielles est une posture vide de sens. De même le livre de Job, homme juste frappé par le malheur, devient, selon Pierre Alferi et Jean-Pierre Prévost, le livre du " héros qui boit l'ironie comme une eau/c'est le compagnon de route des créateurs de néant ". Du fond de sa souffrance, Job est celui qui découvre la foi comme remède à la détresse humaine. Job précurseur de Marx en somme ! Excessif, peut-être, mais c'est dire combien est stimulante pour l'esprit critique et désacralisant, la lecture de ce livre nouveau, vieux de près de 3 000 ans.

ARNAUD SPIRE

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(1) La Bible, nouvelle traduction. Editions Bayard (Paris) - Médiaspaul (Québec). 3 186 pages, 295 francs (44,97 euros).

(L'Humanité) ajouté le 26/10/2001

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