LA BIBLE AU MICROSCOPE

PSAUME 133

 

par Emile NICOLE

Le chant, de nos jours, a rendu ce psaume très populaire ; son premier vers est même connu en hébreu ! Mais une lecture plus attentive n'est pas inutile, ce texte bref présente quelques difficultés.

v. 1 Cantique des degrés De David.

La mention «de David» manque dans deux manuscrits hébraïques, dans certains manuscrits de la version grecque (LXX), dans la version copte et le Targum. Sans invalider définitivement la leçon du Texte Massorétique, cette défection de plusieurs documents importants laisse planer un certain doute.

Voici, oh ! qu'il est agréable,
qu'il est doux
Pour des frères de
demeurer ensemble

Une première question se pose dont dépend l'interprétation du Psaume dans son ensemble : qui sont les frères ? Le lecteur moderne les identifie spontanément aux croyants, suivant en cela l'usage du Nouveau Testament qui désigne sous le nom de «frères» les membres de la communauté chrétienne. Cette adaptation immédiate du texte se justifie-t-elle ?
Comme dans toutes les langues, mais plus encore en hébreu qu'en français, le mot frère est largement employé et peut s'appliquer à divers types de relation. En son sens propre, qui est le plus utilisé, il exprime le lien de parenté, du plus proche au plus éloigné : membres de la même famille, du même clan, de la même tribu, du même peuple (Ex. 2 11), de peuples apparentés (Nb. 20 14), voire les membres de la race humaine (Gn. 9: 5), ces divers degrés de fraternité ayant tous un fondement généalogique. Au sens figuré, la fraternité trouve sa justification dans l'amitié (2 S. 1 : 26), l'appartenance à une corporation (1 Ch. 16 : 7), etc... le terme appartient aussi au langage diplomatique : il est employé par des alliés de rang égal (1 Rois 9: 13). A la limite, le mot devient une simple formule de politesse que Jacob adresse à des étrangers inconnus: « mes frères, d'où êtes-vous ?» (Gn. 29 : 4).
Cette diversité d'emplois ne facilite guère l'interprétation de notre texte. Certains proposent de maintenir au mot son sens propre : le psaume chanterait le bonheur de la grande famille où tous les frères habitent sous le même toit ; il ne serait pas le seul de son espèce (Ps. 127 et 128). La fin du chant, qui établit en Sion le lien de la bénédiction, nous suggère une lecture plus large dans son acception du mot frères, mais plus précise quant au lieu de leur réunion.
Un second terme mérite aussi notre attention : le verbe « demeurer ». Encore un mot « à géométrie variable » susceptible d'une interprétation maximale

« habiter », ou minimale : « s'asseoir ».

Compte tenu de l'emploi de ces deux termes (frères, s'asseoir/ habiter), diverses interprétations peuvent être proposées :

- cohabitation des frères de sang sous un même toit,
- unité de la nation rassemblée, en contraste avec les divisions du passé,
- collaboration des prêtres et des lévites à Jérusalem,
- rassemblement des fidèles lors des fêtes de pèlerinage à Jérusalem.

C'est à cette dernière solution que va notre préférence. Le mot « frère » y prend déjà un sens très proche de celui que nous lui donnons dans l'Eglise. Il n'a pas seulement un sens national, mais aussi un sens cultuel, comme au Ps. 22, v. 23 où «je publierai ton nom parmi mes frères » est en parallèle avec «je te louerai au milieu de l'assemblée».
Notons pourtant que les termes «frères», «s'asseoir / habiter» ne sont pas encore explicités, c'est la fin du Psaume avec l'allusion à Aaron et à Sion qui va préciser en quel sens il faut entendre cette fraternité.

v. 2 C'est comme l'huile précieuse qui,
répandue sur la tête,
Descend sur la barbe, sur la barbe d'Aaron,
Qui descend sur le bord de ses vêtements.

Litt. : - comme la bonne huile ». L'image encore est générale, rien dans la phrase n'indique qu'il s'agit d'huile sacerdotale (Ex. 30 : 22-33). L'onction d'huile est un acte de la vie courante (Amos 6:6, Ec.9: 8 etc ... ) Si l'auteur avait voulu préciser dès le début, il aurait fait usage d'un adjectif plus significatif : «huile sainte» par exemple.

Le parfum des jours de fête coule de la tête sur la barbe et c'est à ce dernier mot que le psalmiste va accrocher son premier nom propre servant de point de repère : Aaron. Est-ce le mot barbe qui suggère Aaron ? Cela n'est pas sûr; tous les israélites étaient barbus à l'époque. Se raser est un signe de deuil (Jr. 16: 6), être rasé un déshonneur infligé notamment aux prisonniers de guerre. Tout au plus pourrait-on faire valoir un règlement qui précise que la barbe d'un prêtre, moins qu'une autre, ne devait être coupée (Lv.21 : 5, voir Lv. 19 : 27 pour un règlement concernant tous les membres du peuple). Quoi qu'il en soit, il est important de noter que l'auteur a attendu jusque-là pour identifier le personnage.

L'image ensuite se prolonge, l'huile descend encore ; litt. «sur la bouche des vêtements», c'est-à-dire probablement le col. Voir Job 30 : 18 où Job se plaint que son vêtement le serre comme la bouche de sa tunique, vraisemblablement le col (trad. T.O.B.).

v. 3 C'est comme la rosée de l'Hermon,
Qui descend sur les montagnes de Sion ;

Certains interprètes, à vrai dire plus compétents en géographie élémentaire qu'en poésie (et en théologie !), se sont étonnés de cette rosée de l'Hermon qui tombe sur les montagnes de Sion, et ont entrepris bravement de corriger le texte. D'autres voient dans cette rosée inattendue le signe d'une bénédiction surnaturelle, mais ce faisant, ils accordent plus d'importance à l'Hermon qu'à Sion, ce qui ne correspond probablement pas à l'intention de l'auteur. La rosée de l'Hermon est une image riche, mais sans connotation théologique. Comme au vers précédent (l'huile répandue sur la tête et coulant sur la barbe), le mot décisif est cultuel : Sion. C'est ce mot qui va faire l'objet du commentaire qui suit.
Car c'est là que l'Eternel envoie la bénédiction, La vie pour l'éternité.

Le «c'est là» renvoie d'abord à Sion, puis ensuite aux frères réunis. Les termes «envoie » (Segond), « donne » (Colombe) sont trop faibles pour rendre la pensée du psalmiste : «c'est là que l'Eternel a établi la bénédiction». Sion est le lieu de la bénédiction car Dieu l'a choisi à cet effet (Ps. 132 : 13). C'est en Sion que l'évocation généreuse de la fraternité trouve son sens. Le peuple de la Nouvelle Alliance est moins que celui de l'Ancienne relié à un centre géographique (voir Jn. 4 : 21). Le lieu théologique de la fraternité n'en doit pas être moins précis pour autant. Aux évocations poétiques de la fraternité, il convient de joindre les clairs repères de doctrine : Aaron, Sion (pour nous, l'enseignement des apôtres) pour éviter que la fraternité ne se dilue en une fraternelle inconsistance.

Avec la distance qui nous sépare du passé, nous avons peine à mesurer le caractère tranchant d'affirmations comme celles de notre psaume. Dire que c'est en Sion que Dieu a établi la bénédiction revient à exclure les autres modèles religieux élaborés en Israël, celui de Jéroboam par exemple (cf. 1 Rois 14: 26-33). Cet aspect dogmatique du psaume ne devrait pas être négligé.
Reste à commenter les derniers mots

« la vie pour l'éternité ». Faut-il rattacher l'indication temporelle (pour l'éternité) à la décision de Dieu (il a établi pour toujours la vie), ou à la vie elle-même (il a établi la vie-pour-toujours, c'est-à-dire la vie éternelle). Grammaticalement, ni l'une ni l'autre de ces possibilités ne peut être exclue. Nous laisserons donc la question ouverte, constatant que l'auteur n'a pas opté clairement pour l'une ou l'autre. La vie éternelle n'est pas affirmée de façon incontestable, mais avons-nous le droit de l'exclure de la pensée de l'auteur ? Le texte tel qu'il est écrit reste ouvert à cette espérance.

E. N.

© Fac-Réflexion No 6 1981