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Le signe de Jonas

 

Auteur d'une étude d'ensemble sur les « figures de la résurrection » du Christ, dans l'écriture, le Cardinal Daniélou a bien voulu proposer ici à nos lecteurs le fruit de ses réflexions sur le fameux « signe » réclamé à Jésus par quelques-uns des scribes et des Pharisiens qui, sincèrement ou non, se montraient désireux de tenir de lui une preuve de sa mission divine (Évangile de Matthieu, chap. 12, vers. 38-40).

Génération mauvaise et adultère qui réclame un signe !

Il ne lui sera pas donné d'autre signe que celui du Prophète Jonas. De même que Jonas demeura dans le ventre du poisson trois jours et trois nuits, de même le Fils de l'homme demeurera trois jours et trois nuits dans le sein de la terre. » Telle est la réponse du Christ lui-même à ceux qui l'interrogent.

L'auteur du livre prophétique de l'Ancien Testament met sur les lèvres de Jonas, alors qu'il se trouve en quelque sorte enseveli « dans le ventre » du grand poisson, un psaume qui rappelle les. plus beaux du psautier, et qui est l'expression de la supplication que l'homme fait monter du fond de l'abîme de la mort pour implorer sa délivrance :

« Les eaux m'ont pressé de toutes parts, à m'ôter la vie ! L'abîme s'est creusé autour de moi, les flots recouvraient ma tête.

Je suis descendu jusqu'aux racines des montagnes, les verrous de la terre se sont fermés sur moi pour toujours, mais tu relèveras ma vie de la corruption, Yahvé mon Dieu ! » (Jonas, chap. 2, vers. 6-7).

Le poisson devient ici le dragon de la mer, le monstre mythique, qui est dans la Bible l'un des symboles de la mort : « Du ventre de shéol, j'ai crié. »

Le Christ est descendu lui aussi dans les eaux de la mort. Sur lui aussi les verrous infernaux se sont fermés. C'est le mystère de la descente aux enfers. Au soir du vendredi saint, il semblerait que la mort le tienne définitivement en son pouvoir. Car nul jamais n'est remonté de la fosse. C'est le domaine où le Prince de ce monde détient en son pouvoir toute l'humanité captive depuis Adam, Mais le troisième jour, au matin de Pâques, le Christ brise les verrous d'airain et les serrures de fer et sort vainqueur, ayant désormais détruit le pouvoir de la mort pour tous ceux qui croiront en lui, entraînant dans sa montée tous les justes de l'Alliance cosmique et de l'Alliance mosaïque, le roi de Ninive qui avait fait pénitence et Jonas qui lui avait prêché la pénitence.

Ainsi l'épisode de Jonas perdu et sauvé prend-il une autre dimension.

Il avait d'abord servi à exprimer la souveraine liberté avec laquelle Dieu dispose de ses créatures pour l'accomplissement de ses desseins et plie les volontés rétives à son oeuvre miséricordieuse. Mais il trouve ici une signification nouvelle. Il semblerait que le sujet du livre soit un instant suspendu, et qu'une lumière prophétique fasse entrevoir à l'auteur, dans Jonas dévoré par le poisson et rejeté par lui, un mystère qui le dépasse infiniment. Ce sont les trois jours qui vont de la passion à la résurrection qui sont ainsi désignés avec une intensité presque insoutenable. Et ce texte est sûrement l'un de ceux que le Christ a commentés aux disciples d'Emmaüs, quand il leur explique, en parcourant « tous les prophètes » (LUC, chap. 24, vers. 27), ce qui le concernait; c'est-à-dire qu'il devait mourir pour entrer dans sa gloire.

Et cependant c'est le même thème fondamental qui reparaît encore, celui de la liberté souveraine avec laquelle le Dieu à qui toutes choses obéissent conduit victorieusement son dessein d'amour. Cette liberté éclatait d'abord dans la manière dont il dispose de toute sa création. Elle éclatait déjà, quand il réclamait le droit de s'intéresser à tous les hommes, qui sont ses créatures. Ici ce pouvoir souverain s'étend jusqu'aux plus profonds abîmes, quand il va arracher à la mort même la proie dont elle s'était emparée.

A la manière des donateurs des tableaux flamands, Jonas apparaît comme le spectateur un peu dépassé par ces mystères, plus étonné encore d'être mêlé à leur accomplissement, mais à qui son manque d'imagination confère ce caractère indubitable d'un témoin authentique des merveilles de l'amour divin.

Cardinal Daniélou

En ce temps-là, la Bible No 7 1 page II.

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