Rapport d'un témoin oculaire
Comme la plupart des citoyens de mon âge en Israël, j'ai été appelé à l'armée de réserve pour un mois. Cette fois, j'ai achevé mon service depuis mi-mai à mi-juin dans un camp de prisonniers politiques à Ansar au Sud-Liban. Après avoir passé un mois dans ce camp, je me vois obligé, en tant que citoyen soucieux (Concerned Citizen), de décrire mes expériences personnelles et celles d'autres soldats.
Vu de l'extérieur, Ansar n'est en rien différent de la plupart des camps de prisonniers. Cependant, à l'intérieur du camp les choses changent. L'armée cherche à s'occuper aussi bien que possible de la santé de ses pensionnaires et prend soin de leur état physique. Tous les jours, les réservoirs sont remplis d'eau fraîche. Les eaux d'égout sont éliminées au moins deux fois par jour. Les prisonniers ont leur propre cuisine et se préparent des plats à leur goût. Tous les jours, on leur fournit de la nourriture fraîche dont des fruits de première qualité, des légumes, des oeufs et du pain. Alors qu'ils mangeaient de la viande fraîche, nous autres devions nous contenter de viande en conserve. Lors d'événements particuliers, ils réclament des spécialités et l'armée leur accorde ce qu'ils demandent. L'armée met à disposition un centre médical ambulant où chaque jour les prisonniers peuvent aller se faire soigner.
Comme dans tous les camps de ce genre il est inévitable de trouver le temps long. Afin de surmonter ce problème, Israël a dépensé de grosses sommes pour des jeux à l'intention des jeunes prisonniers, et pour des outils que l'on distribua aux plus âgés. Malheureusement, les prisonniers ont démonté les trousses à outils pour en faire des armes. En outre, ils ont arraché des piquets de tente et les ont transformés en armes en utilisant leurs cuisinières comme appareils à soudure. L'armée s'occupe des installations sportives, soit pour le volley-ball, soit pour le football. Les prisonniers peuvent faire du sport quand ils le veulent.
Un certain nombre de prisonniers fait partie de la souche universitaire. Plusieurs ont fréquenté des universités israéliennes. Dans les conversations on choisit les thèmes qui intéressent le prisonnier. Nous restons calmes même lorsqu'on nous fait des réflexions anti-israéliennes. Ils nous insultent, nous crachent dessus. Nous ne réagissons pas.
Toutes les nuits ils font un vacarme assourdissant en braillant et en tambourinant sur des casseroles avec des boites en fer, etc. Nous ne réagissons pas.
Tous les soirs, l'armée israélienne diffuse de la musique arabe, ainsi que les informations arabes à 19.30 h.
Des prisonniers libérés reviennent
J'ai entendu dire qu'un grand nombre de prisonniers, après avoir été libérés, revenaient volontairement au camp. Il y a plusieurs raisons à cela. D'abord, leurs familles qui. ont de la haine pour l'OLP ne veulent plus les recevoir D'autres familles craignent la vengeance des chrétiens et des phalangistes lorsque ceux-ci découvrent qu'un membre de famille a été avec l'OLP. Ensuite, certains prisonniers se sont liés d'amitié avec d'autres au camp et se sentent désarmés tout seuls.
Je me souviens d'un incident. Les prisonniers de l'un des blocs avaient incendié quarante tentes et refusé de se faire compter. Nos soldats encerclèrent la région et l'incroyable se produisit:Les prisonniers lançaient de grosses pierres et des morceaux de rochers contre les soldats dont quatre furent blessés. Il a fallu sept points de suture pour fermer la plaie au front d'un soldat de mon unité. Pas un seul des nôtres n'a tiré pour se défendre. Aucun n'a condamné tout haut les adversaires et personne n'a perdu son sang-froid. Aucun d'eux n'a crié: «Il y a des limites.» Nul n'en a appelé «aux soldats pour faire respecter le silence».
Pourquoi? Parce que ce sont là les vrais soldats d'Israël, capables de rester inébranlables et d'avoir l'esprit humanitaire à tel point qu'ils peuvent éviter des victimes du côté même du camp ennemi, malgré les blocs de rochers et les pierres lancés contre eux, et malgré la folie des prisonniers.
Terrorisme barbare de l'OLP
Pourquoi la folie? Pendant la deuxième semaine du mois de mai, un Arabe libanais se présenta devant l'une de nos barrières routières. Il se jeta aux pieds des soldats et supplia: «Aidez-moi à quitter ce pays. Ils ont massacré mon fils!» L'OLP supposait qu'il avait travaillé pour les Israéliens, aussi ont-ils enlevé son jeune fils auquel ils ont arraché les bras et les jambes et jeté le cadavre mutilé devant la porte des parents. C'est arrivé en mai 1983. Ce n'est qu'un exemple des horribles crimes commis par ces barbares qui appartiennent à l'OLP. Au camp, on est témoins oculaires de cas semblables, et beaucoup de prisonniers ont commis de ces actes sanguinaires pendant les huit années de terrorisme au Liban - huit ans de terrorisme qui n'a rien à voir avec la Palestine et sa libération. Tous les matins, la police militaire compte les prisonniers. Environ six policiers pénètrent sans armes dans les blocs. C'est inimaginable de voir ces soldats israéliens non armés entrer dans ces blocs où se trouvent des pensionnaires qui, après un an d'internement, ont sans doute grande envie de se jeter sur ces soldats. Ces policiers m'ont décrit l'atmosphère extrêmement tendue. Toutefois, grâce au sang-froid et à l'intelligence supérieure du commandant du camp, les pensionnaires pouvaient se rendre compte peu à peu que l'armée israélienne n'a pas l'intention de les maltraiter ou de les intimider.
Je ne retourne pas à Ansar
Après avoir passé 21 jours dans le camp, j'ai pu rentrer à la maison pour un congé. Par égard pour ma famille je ne suis pas retourné au Liban le lendemain matin. L'attitude rebutante de mon propre peuple, qui vit maintenant en sécurité en Israël et qui utilise les victimes de guerre comme «balle de ping-pong» pour sa politique, me démoralise. Un mois de séjour au milieu des prisonniers à Ansar m'a suffi pour me rendre compte que bon nombre parmi eux retourneront bien vite dans l'OLP. C'est pour cette raison que je m'adresse à tous les manifestants qui réclament un retrait immédiat de nos soldats du Liban. Il faut qu'ils sachent que la présence de nos soldats là-bas est nécessaire jusqu'à ce que notre frontière et nos implantations au nord de notre pays soient en sûreté. Toute action irréfléchie permettrait à l'OLP et peut-être aussi aux Syriens, de retourner dans les régions abandonnées par l'armée israélienne. Il faudrait alors déclencher une nouvelle campagne, plus sanglante encore, pour les faire repartir.
Michaël Ben Meir
Nouvelles d'Israël 02 / 1984