Israël et le Vatican essaient de normaliser leurs relations
Pierre pesante pour les nations, que ce soit en tant que peuple ou en tant que pays, Israël a toujours suscité des passions. Passions liées à la race ou à la religion, ou les deux à la fois, confusément. Aussi, lorsqu'il y a rivalité entre le judaïsme et une autre religion ou une autre société aux principes religieux exclusifs, on assiste à un antisémitisme d'inspiration religieuse. Ce fut ainsi le cas pour la chrétienté et pour l'islam. Mais, pour la religion chrétienne, et pour le catholicisme en particulier, l'antisémitisme théologique a été, dès l'origine, une tentation. Chez les Pères de l'Eglise, comme plus tard chez certains réformateurs, le refus du judaïsme s'est transformé en antisémitisme. Très tôt, l'argument du «déicide» (meurtre de Dieu) a été avancé: Méliton de Sardes (Ile siècle) apostrophe le peuple juif, le jour de Pâques: «Tu as mis à mort le Seigneur, le jour de la Grande Fête ... » Grégoire de Nysse (IVe siècle) met en forme cette accusation de «déicide»: «les Juifs sont les déicides, les meurtriers des prophètes, ceux qui se battent contre Dieu et qui le haïssent, transgresseurs de la loi, ennemis de la grâce etc.» de cette accusation à la malédiction perpétuelle, il n'y a qu'un pas que franchit Saint Jérôme (IVe siècle): cette malédiction demeure jusqu'à ce jour sur les juifs et le sang du Seigneur n'est pas ôté d'eux. C'est pourquoi il est dit en Esaïe: "vos mains sont pleines de sang"; voilà l'excellent héritage que les juifs laissent à leurs fils en prononçant cette parole: "que son sang soit sur nous et sur nos enfants"». La chrétienté a maintenu les juifs dans cette situation diminuée et de mépris. Le concile de Latran, en 1434, décrète, par exemple, l'obligation, pour les juifs, de porter la rouelle ou un habit spécial.
Luther qui, en 1523, énonçait dans un traité que «Jésus est un juif de naissance», écrivit à la fin de sa vie, en 1542: «nous, chrétiens, qu'avons-nous à faire avec le peuple juif rejeté et damné?... qu'on mette le feu à leurs synagogues et à leurs écoles».
Pour «convertir» les juifs, on exerça des pressions (légales ou spontanées) jusqu'à la violence parfois sanglante. Ce fut notamment le cas pendant les Croisades. Outre l'accusation de «déicide», les pires calomnies étaient propagées: la plus fréquente était celle de profanation d'hosties.
Même les juifs «convertis» ne furent pas à l'abri des bûchers de l'Inquisition. Souvent, c'était même l'expulsion: d'Angleterre (1290), de France (1394), d'Espagne (1492), etc. En 1791, la Révolution française mit fin à ce statut d'infériorité. Mais l'antisémitisme n'en disparut pas pour autant: souvenons-nous de l'affaire Dreyfus.
Ces précisions historico-théologiques expliquent, pour une part importante, les relations difficiles qui ont caractérisé, l'Etat d'Israël, depuis sa naissance, et le Vatican.
Et si, depuis le concile de Vatican II, de nombreux documents émanant du Saint-Siège attestaient qu'aucun obstacle théologique ne s'opposaient plus, en théorie du moins, à l'instauration de relations diplomatiques avec Israël, des pressions, depuis longtemps, et au sein même de l'Eglise catholique, se faisaient pour que le Vatican transforme sa reconnaissance de facto d'Israël en une reconnaissance de jure.
Le statut de Jérusalem (l'internationalisation de la Ville sainte), un traité de paix entre Israël et ses voisins, délimitant des frontières reconnues Internationalement, la création d'un «foyer» pour les Palestiniens - autrement dit: un Etat - constituaient les principaux obstacles officiels à cette reconnaissance. La crainte de représailles contre les minorités chrétiennes dans les pays arabes pesait également lourd dans la balance, même s'il est manifeste que, indépendamment des relations entre le Vatican et Israël, la situation de ces catholiques ne peut aller en s'améliorant avec la montée de l'intégrisme musulman.
L'incompréhension entre le Vatican et Israël ne fit que croître lorsque le pape Jean-Paul Il reçut Yasser Arafat en un moment où le processus de paix était loin d'être aussi engage qu'aujourd'hui. Cette reconnaissance quasi-officielle du principal ennemi de l'Etat hébreu ne facilita pas des relations déjà difficiles.
Aussi la nomination récente d'une Commission mixte chargée des relations Israël / Vatican, favorisée par le dialogue israélo-arabe engagé il y a un an à Madrid, fit-elle l'effet d'un baume sur une plaie à vif. Selon Avi Pazner, le nouvel ambassadeur d'Israël à Rome, «on peut désormais espérer qu'une ère nouvelle s'ouvre dans l'histoire des relations entre Israël et le Vatican». Cette commission, qui avait tenu ses premiers entretiens en juillet, se réunira de nouveau en novembre, à Jérusalem. Comme les commissions mixtes qui ont préparé la reconnaissance de la Pologne ou d'autres Etats de l'Europe orientale, les problèmes bilatéraux précis seront abordés, y compris celui de l'échange d'ambassadeurs.
Les quatre dignitaires religieux de Jérusalem, membres de la communauté arabe chrétienne-musulmane (le patriarche latin Michel Sabbah, l'archevêque grec catholique Lufti Laham et l'évêque anglican Samir Kafity ainsi que le mufti Sa'ad e-Din el Alami) se sont déclarés «profondément inquiets» de ce rapprochement (voir «Repères», dans L'AVENEMENT n° 52 d'octobre): cette réaction confirme les relations parfois difficiles des 3 religions monothéistes en Israël. Si les rapports tendus avec l'islam se comprennent de prime abord, la situation vécue par les Arabes chrétiens est plus complexe. Les sentiments souvent anti-israéliens, parfois proches de l'antisémitisme, de nombreux Arabes chrétiens montrent que la reconnaissance de jure d'Israël ne réglera pas tout, loin s'en faut. Un numéro spécial d'un magazine évangélique français était d'ailleurs récemment consacré aux relations difficiles entre Israéliens et Palestiniens chrétiens et désignait un coupable principal: Israël! Autres temps, autres arguments.
Si les chrétiens doivent se garder d'un sentimentalisme «biblico-religieux» teinté parfois d'un racisme anti-arabe tout aussi coupable et en dehors de toute objectivité (Israël est toujours le «bon» et les autres sont les «méchants»), ils auraient tort de négliger le plan particulier qu'Israël a joué dans l'histoire de l'humanité et jouera encore pour la fin des temps.
Daniel Rivaud
AVENEMENT Novembre 1992 No 53 / P 16