L'Etat d'Israël a-t-il toujours raison ?

 

L'ATTITUDE DE L'ARMEE FACE À L'INTIFADA, LE REFUS DU GOUVERNEMENT ISRAÉLIEN DE PARTICIPER A UNE CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR LE PROBLEME PALESTINIEN, LA POLITIQUE D'IMPLANTATION DANS LES TERRITOIRES: FAUT-IL APPROUVER ISRAEL DANS TOUT CE QU'IL FAIT ?

 

L'Etat d'Israël a-t-il toujours raison ?

Cette question est stupide, évidemment, et cela pour plusieurs raisons: aucune instance humaine ne peut prétendre à l'infaillibilité, et malheur à celui qui met à la place de Dieu, seul sage et omniscient, un homme ou une collectivité humaine ou une idéologie, comme idéal absolu de sa vie et comme directeur absolu de ses actions.

Tôt ou tard viendra la déception amère; et posée ainsi, la question exige une réponse négative. L'absurdité de la question ressort aussi du fait que l'Etat d'Israël n'est pas une entité monolithique mais une mosaïque d'opinions et d'intérêts différents. Il faudrait plutôt demander: tel homme d'Etat israélien a-t-il pris la décision juste, dans tel ou tel contexte précis?

Mais la question a une autre origine: elle est posée en général comme une réaction irritée aux amis d'Israël qui essaient d'expliquer quels sont les facteurs et les motifs des décisions prises par les dirigeants israéliens - et cela face au feu nourri des critiques à l'encontre de l'Etat hébreu. Elle exprime peut-être aussi une autre préoccupation: comment évaluer, sur le plan éthique, la politique d'Israël au cours des 40 années écoulées, depuis son apparition comme Etat moderne sur la scène de l'histoire? Je renonce d'avance à la tentative présomptueuse de vouloir mettre des notes à l'Etat d'Israël; simplement, cette question m'inspire les remarques suivantes.

L'Etat d'Israël se trouve pris dans un grand plan historique à long terme que Dieu a conçu pour le peuple juif et pour l'humanité, et dont l'aboutissement sera l'établissement du Royaume de Dieu et de Christ sur la terre. Le retour des Juifs en terre promise et la création d'une entité politique qui leur est propre ne sont pas un but en soi, mais une étape seulement du grand plan de rédemption de Dieu pour le peuple d'Israël, pour le Proche-Orient et pour la terre entière. Nous discernons dans la Bible les grandes phases de ce plan divin: retour de tous les Juifs dans leur pays, retour au peuple juif de toutes les terres qui lui ont été promises, «du fleuve de l'Egypte au grand fleuve Euphrate, d'une mer à l'autre», selon les termes de l'Ecriture Sainte; retour du Messie à Israël, retour d'Israël à son Dieu et à son Messie, retour de la «Gloire» et du Saint-Esprit au peuple juif, retour du peuple juif à un ministère divin - sacerdotal et royal - exercé envers toutes les nations de la terre.

L'Etat d'Israël se trouve également plongé en pleine bataille spirituelle entre des forces sataniques qui aimeraient le détruire physiquement et lui voler son âme, et Dieu, qui est en train de réaliser ses plans de salut envers lui.

La nation israélienne se trouve encore en plein processus de création, d'invention, d'improvisation, de structuration, de formation d'identité, et cela au milieu de difficultés inouïes: menaces militaires extérieures et intérieures (terrorisme), immigration massive, crise économique endémique, crise politique, elle-même occasionnée par la profonde hétérogénéité de la population israélienne et par les clivages sociaux, culturels, idéologiques et religieux qui en découlent. Aucune nation au monde ne s'est trouvée dans une telle situation. Et pourtant Israël vit, et se développe; ses enfants grandissent, réussissent et de nouvelles générations ont pris la place des pères fondateurs et des pionniers.

Quelle note mettre aux Israéliens, maintenant? Quels territoires doivent-ils rendre et quels territoires doivent-ils conquérir? Quels agitateurs arabes doivent-ils expulser ou emprisonner, et lesquels doivent-ils laisser en liberté? Comment doivent-ils agir dans la guerre des pierres? Doivent-ils tirer dans le tas, faire usage de gaz lacrymogènes, de bâtons? Se replier, laisser les émeutiers arabes attaquer les quartiers juifs, comme c'était souvent le cas du temps du mandat britannique? Comment peuvent-ils assurer le plus grand respect des droits de l'homme aux Arabes tout en maintenant l'ordre et en protégeant les Arabes eux-mêmes contre les tueurs de l'O.L.P.?

Qui peut répondre à toutes ces questions, et à mille autres encore, qui se posent quotidiennement dans la réalité israélienne? Certainement pas ceux qui nourrissent les médias d'une information partielle et d'une critique à bon marché sur l'Etat juif: que de jugements rapides ont été passés sur Israël! On comprend aujourd'hui ce qu'on avait vivement critiqué dans le passé: le bombardement par Israël de la centrale nucléaire irakienne en 1981. Peut-être louera-t-on un jour l'attitude d'Israël face aux organisations terroristes arabes. Peut-être! Mais en attendant, quelle note donner à Israël aujourd'hui?

Israël n'est pas parfait? Soit. Mais je propose que nous nous gardions bien de nous ériger en censeurs moraux, confortablement installés dans notre bien-être occidental, tandis que les Israéliens se battent à tous les niveaux pour leur survie - et pour l'accomplissement de plans divins dont ils ne sont souvent pas eux-mêmes conscients. S'il fallait tout de même émettre un jugement éthique, je dirais que les Israéliens ne s'en tirent pas mal dans tous les domaines. Quel pays a jamais assuré une pareille liberté à une population en partie en révolte, à ses dirigeants et à ses chefs religieux (dont l'essentiel du message est l'avènement de l'islam et la destruction d'Israël)? Quel pays a donné une aussi grande liberté de mouvement aux journalistes étrangers venus pour «rendre compte» de ses problèmes, dans un esprit bien souvent critique? Quel peuple s'est autant auto-critiqué aux yeux du monde entier, sans la moindre censure dans le domaine de la propagande? Et je renonce à poser encore un certain nombre de questions qui seraient autant de cris de protestation contre une exécution médiatique d'Israël de la part de quelqu'un qui vit au milieu de ce peuple et participe à ses problèmes et à ses luttes.

Henri-Léon Vaucher à Jérusalem

AVENEMENT Mars 1991 No 24 / P 20

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