L'espoir des juifs 1991

 

- Le coup d'état en URSS vu de Jérusalem

Les événements de la fin août nous ont montré à quel point l'équilibre des forces était précaire dans le plus grand pays du monde (en superficie).

 

Je me retiens d'ironiser sur les déclarations et les prévisions d'experts politiques de tous genres. Dieu merci, les avis et les commentaires des experts en soviétologie ne nous ont pas fait défaut depuis le 19 août avec leur diversité et leurs affirmations souvent contradictoires. Comme toujours en histoire, il est aisé de décrire après coup le cours «rationnel» des événements qui ont eu lieu; quant à ceux qui doivent encore se passer, un proverbe danois délimite dans sa concision sarcastique l'envergure de notre vision prophétique: «il est difficile de prédire, surtout l'avenir»!

 

En fait, malgré les signes annonciateurs de l'orage et les avertissements d'un Chevardnadze, nous avons été surpris à notre réveil, le 19 août, comme nous avons été surpris ensuite par le déroulement des événements et comme nous avons été surpris, ces deux dernières années, par le cortège de coups de théâtre historiques qui a défilé sous nos yeux. Si une chose est devenue claire, c'est que l'histoire est désespérément imprévisible!

La fin de l'année 1989 a surpris l'Etat d'Israël par l'ouverture des frontières de l'URSS et l'arrivée d'un flot d'immigrants juifs en provenance de ce pays. 200 000 sont arrivés en 1990; 125 000 ont suivi de janvier à août cette année. Cette immigration massive n'est pas allée sans ennuis: en plus du choc culturel et de la difficulté d'apprendre l'hébreu, les immigrants russes ont été confrontés aux problèmes du chômage et du manque de logements. Ces difficultés croissantes, décrites en détail dans les lettres souvent amères envoyées d'Israël par des immigrants déçus à leurs familles restées en URSS, ont provoqué un ralentissement sensible de l'immigration, ces derniers mois. Puis vint le choc du 19 août.

Les juifs d'URSS se sont sentis comme pris dans un piège qui venait de se refermer sur eux. Pour eux, c'était la panique; pour tous l'angoisse et l'incertitude. Parallèlement les juifs russes installés en Israël se félicitaient d'être partis à temps et s'inquiétaient du sort de leurs proches restés en terre d'exil. Les quelque 60 000 juifs d'URSS qui avaient déjà reçu leur permis de sortie et leur visa pour Israël se mordaient les doigts d'avoir hésité et retardé leur départ. Et plusieurs, en Israël, avaient des remords d'avoir envoyé des lettres trop négatives aux familles demeurées en Russie et d'avoir peut-être ainsi causé un malheur irréparable.

Le jour même du coup d'Etat, et le jour suivant, un certain nombre de juifs, déjà en possession du visa et des autres documents nécessaires pour émigrer, se sont adressés au consulat israélien de Moscou pour avancer autant que possible la date de leur départ. Des délégués de l'agence juive en URSS rapportent que certains, dans leur désarroi, suppliaient les autorités israéliennes d'organiser une opération de sauvetage semblable à l'opération Salomon, au cours de laquelle près de 15 000 juifs ont été transportés par avion d'Ethiopie en Israël.

En Israël également, on envisageait l'avenir de l'immigration avec une certaine angoisse: les nouveaux maîtres de l'URSS allaient-ils continuer de permettre aux juifs de quitter le pays?

Le ministre de la construction, Ariel Sharon, convoquait le 20 août à une réunion urgente les responsables de divers départements, afin de planifier l'accueil immédiat d'une vague éventuelle de 100 000 immigrants. Par la même occasion, il lançait aux juifs d'URSS un appel dramatique, les exhortant à tout lâcher et à partir sans délai pour Israël.

Entre-temps, la situation évoluait et le consulat israélien de Moscou, ainsi que les responsables de l'agence juive, émettaient des propos rassurants, en tout cas pour l'immédiat. La panique faisait place à une attente tendue parmi les juifs de Russie et le consulat israélien de Moscou ne notait qu'une légère augmentation des demandes de visas et de billets d'avion.

Avec l'avortement de la conjuration des partisans de la ligne dure, un certain nombre de questions se posent aux juifs soviétiques et aux autorités israéliennes.

Et tout d'abord: est-ce que l'Union soviétique est rentrée dans l'ordre, ou bien n'avons-nous assisté qu'au début d'une nouvelle période d'instabilité et de crises? Et qu'en est-il de la liberté d'émigrer: un gouvernement plus libéral voudra-t-il conserver les juifs (qui représentent une bonne partie de l'intelligentsia) afin de développer et peut-être de regagner la faveur des arabes? Ou bien maintiendra-t-il la liberté de mouvement entre nations?

Il est évident que l'URSS d'après la tentative de coup d'Etat n'est plus la même qu'avant. Les espoirs d'amélioration et de progrès se mêlent au spectre de calamités nouvelles.

Paradoxalement, la vague de libéralisation qu'a connue l'URSS ces dernières années a libéré les vieux démons du nationalisme, des préjugés ethniques et de l'antisémitisme. Des pogroms - d'envergure encore limitée (quelques morts seulement en 1990 et quelques dizaines de maisons juives brûlées) - ont poussé des juifs à chercher une sécurité nouvelle sous d'autres cieux et à émigrer (dans d'autres endroits de Russie, en Israël ou dans d'autres pays du monde libre). Pour l'instant, la démocratie semble avoir triomphé en Union soviétique.

Des témoignages de Juifs russes nous parviennent, disant qu'ils veulent rester au pays, afin de le bâtir avec les autres membres des forces progressistes.

D'autres, au contraire, témoignent de leurs inquiétudes face à un avenir incertain, dans un pays en plein marasme économique, en pleine désorganisation, dans lequel l'antisémitisme n'est pas mort; et ils se préparent à émigrer en Israël.

Là encore l'avenir est imprévisible et il est difficile d'établir quelle tendance l'emportera dans le judaïsme russe, au cours des mois qui viennent. Mille choses peuvent encore se passer, ou ne pas se passer! L'impression générale ici est pourtant que le coup d'Etat manqué était une sonnerie d'alarme pour les juifs d'URSS et un appel à se préparer au départ.

Au-delà de tous ces événements, au travers et au dessus de ce bouillonnement de l'histoire, la foi discerne le dessein d'un Dieu souverain qui a décidé de ramener de nos jours le peuple d'Israël dans son pays, après un exil plusieurs fois millénaire.

Si tel est bien le cas, on comprend que ce phénomène du retour, dans ses diverses phases, soit surprenant et imprévisible; il échappe à l'expertise d'une analyse rationnelle et confond l'homme qui ne s'incline pas dans l'adoration d'un Dieu souverain, tandis que la foi proclame: l'Eternel règne!

De Jérusalem, Henri-Léon Vaucher

AVENEMENT Septembre 1991 No 30 / P 7

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