GUERRE DU LIBAN: REFLEXIONS

 

Bien des choses dont parlent les journaux et les revues au sujet de la guerre au Liban, et davantage encore ce qui est montré à la télévision de la capitale, Beyrouth, et des zones de combat, ne correspondent pas du tout à la réalité !

Martin Peretz, rédacteur en chef du magazine américain «The New Republic», enseigne la science politique à l'université de Harvard. Il s'est rendu sur place au Liban pour voir les effets de la guerre là-bas. Son reportage a été publié dans «WELT AM SONNTAG».

Washington

Remarquablement peu de ce qui a été reproché à Israël à cause de son action au Liban correspond aux réalités dans les affirmations publiques. Je le sais car il y étais!

Environ 10 jours après le début de la guerre, «The New Republic» écrivait dans un éditorial qu'il y avait «énormément de victimes civiles... une terrible cruauté israélienne». A ce moment-là, les média affichaient deux chiffres avec une précision que notre siècle d'ordinateur exige. Un communiqué souvent cité avait chiffré les morts à 10 122; un autre à 9583. Le chiffre resté gravé dans la mémoire publique fut celui de 10 000 victimes tout rond, auquel on ajouta entre 16 000 et 40 000 blessés, et pas moins de 600 000 réfugiés. (Un autre chiffre publié récemment se montait à 700 000.) Il n'est nullement possible d'être agréablement surpris lorsqu'on voyage depuis la ville endormie de Nahariya, le long des côtes méditerranéennes d'Israël, jusque dans le nord libanais. Les routes au bord de l'eau ont été bombardées, les arbres déracinés, les voitures démolies et les toits des maisons épars le long de la côte, arrachés par les explosions d'artillerie de l'OLP, squelette d'une illusion auto-destructive, enlaidissant le paysage.

Les agences de I'UNIFIL - ces redoutes grotesques, sont témoins de l'incapacité des autorités internationales françaises, népalaises, hollandaises et des Iles Fidji à tenir la promesse donnée à Israël en 1968, que les terroristes palestiniens n'attaqueraient plus jamais ses implantations - sont intactes. Ici, au Sud-Liban, les combats furent de courte durée et - selon l'expression aseptique des membres de l'armée - «légers». Personne ne prétend qu'au sud de Tyr, beaucoup de civils si vraiment il y en a eu - aient souffert de quelque préjudice.

A Tyr commence le conflit au sujet des victimes civiles. A Sidon, il prend fin. Les morts de Beyrouth-Ouest, qui sont imputables à l'OLP, n'ont jamais été comptés dans les évaluations qui, de prime abord, avaient provoqué de l'indignation. Tyr et Sidon sont tombées entre les mains des Israéliens après 48 heures de lourds combats. Les villes avaient été bombardées par les avions, prises sous le feu des grenades depuis la mer et attaquées de terre.

Ce ne furent pas des «attaques de manucure», selon l'expression d'un commandant israélien affligé.

 

Cependant, elles n'étaient ni hasardeuses ni générales. Ce n'était pas une guerre contre une population civile, ni la libanaise, ni la palestinienne. Je pouvais m'adresser à n'importe quel interlocuteur dans la rue - et ils sont nombreux à vouloir parler, des chrétiens et des musulmans, en français, en anglais ou en arabe - tous faisaient allusion au fait que les Israéliens n'avaient attaqué que des objectifs militaires. Un ami aux USA objecta plus tard que cette observation était une accusation indirecte contre l'OLP, parce qu'elle avait fait opposition à l'invasion. Mais c'est loin d'être le cas! Cela signifie que l'OLP manifesta son opposition comme elle l'a manifestée dans le passé par ses attaques contre les civils libanais et palestiniens. Avec une âpre ténacité, les chefs de l'OLP semblaient avoir préféré les cours d'école comme base pour leur batterie de défense aérienne, l'environnement des hôpitaux et des immeubles d'habitation comme base pour leurs chars et leur artillerie. Le plus simple pour eux - et pourtant particulièrement dévastateur pour leurs familles - furent les couloirs en labyrinthes des camps de réfugiés, Rashidiye à Tyr, et Ain el Hilwe à Sidon. L'OLP n'est pas seule à transformer les régions civiles en zones de guerre. Le Dr Naji Kannan à Jezzin me raconta qu'il avait déplacé ses patients d'un hôpital dans sa maison, parce que les Syriens s'étaient installés dans les hôpitaux et refusaient de repartir.

Qui, selon les règles de la convention de Genève, a perpétré des meurtres d'innocents, qui est responsable des pertes civiles des populations denses de ces régions? Les Israéliens ont-ils - ce fut ma question - mitraillé des endroits d'où l'on ne tirait pas? Personne, pas même le jeune et hargneux employé de banque de Tyr, ne prétendait que cela avait été le cas. L'accès vers Sidon et vers le centre de la ville ont été dévastés. C'est exactement là, me racontaient les habitants, que les armes et les combattants de l'OLP étaient le plus concentrés. Les ruines bombardées, squelettiques de l'infrastructure militaire en étaient la preuve. Dans ce quartier principalement musulman, l'OLP avait installé son quartier général, exactement entre l'hôpital Shabb et celui de I'EL-Fatah.

Malgré tout, il était notoire que les forces israéliennes s'étaient efforcées de ne pas endommager de tels bâtiments, dans lesquels pouvaient aussi se trouver des civils. Même dans des régions lourdement touchées, beaucoup de mosquées et d'autres installations publiques semblent avoir survécu miraculeusement aux attaques.

Vous avez pu voir à la télévision les endroits démolis. Mais vous n'avez certainement pas vu les régions d'alentour,'ou celles qui se trouvent à cinq ou dix minutes de là.

Dans les montagnes derrière Tyr et Sidon, à l'intérieur du pays, le paysage n'a été touché d'aucune manière. On aperçoit, ici et là, juste quelques traces de tir de grenades. Les habitants les estiment à environ cinq ou six ans. La presse a ignoré systématiquement qu'une grande partie des démolitions dans les villes et autres endroits comme Damour, qu'elle décrit ou télévise, est le résultat des terribles combats de sept ans auparavant.

Sur les deux villes de la côte, on a lancé, des heures avant l'attaque israélienne, des tracts invitant les habitants à fuir vers la côte, les Israéliens garantissant qu'ils considéraient cette région comme ouverte et libre de tout combat. Les villes auraient pu être des zones de combat, si l'OLP s'était retranchée dans les montagnes et non dans les endroits habités.

A Sidon, me raconta un commerçant, l'OLP, pour souligner sa provocation, avait persuadé une rue entière de commerçants de ne pas quitter la ville. Le Dr Pinhas Harris, médecin général adjoint d'Israël, né en Ecosse et revenu du «Walter-Reed-Hospital» de Washington pour surveiller l'opération de secours médical au Sud-Liban, évalua que plus de 100 000 personnes, peut-être 150 000, ont cherché refuge sur les plages au nord et au sud de Sidon. Deux semaines après les combats, j'ai pu voir qu'il y avait eu là un grand campement.

Au Liban, les chiffres ont toujours été un problème: Depuis plus d'une génération, il n'y a plus eu de recensement de la population. Les vieilles personnes ne meurent pas forcément dans les camps de réfugiés. Leurs rations de nourriture continuent. On dit qu'il y a environ trois millions d'habitants. Cela fait ressortir l'absurdité du nombre annoncé de 600 000 nouveaux réfugiés au sud, car c'est, grosso modo, le nombre total de tous les habitants de la zone de guerre, de la Méditerranée à l'ouest, jusqu'au front syrien à l'est. Même le nombre de 300 000 réfugiés défie toute logique et considération personnelle.

La population de Beyrouth-Ouest ne semble jamais changer dans son effectif. Bien que certains correspondants aient décrit pendant des semaines les files interminables de voitures chargées d'êtres humains et de leurs hardes quittant la région occupée par l'OLP, et bien que je les aie vues moi-même, il reste toujours 500 000 personnes. Cependant, l'évaluation israélienne se limite à 200 000-250 000.

Vu l'impossibilité de compter avec exactitude le nombre des vivants, il n'est pas étonnant que ce soit la négligence et la propagande qui décident de la quantité des morts. En réalité, bien que souvent mentionnées - ce ne sont pas la Croix-Rouge ou une quelconque administration des Nations Unies qui diffusèrent ces chiffres, mais plutôt le Croissant Rouge palestinien, dont le président est le frère de Yasser Arafat.

L'hiver dernier, on enregistra deux accidents d'avions, resp. à Washington et à Boston. Il a fallu plus d'une semaine pour déterminer le nombre exact des morts. Mais au cours du mois dernier, nous avons journellement accepté des chiffres précis du Liban. Le chancelier d'Autriche, Bruno Kreisky, fit chorus avec la litanie sur les 10 000 morts, et affirma que l'UNICEF en était la source. Mais à Genève, un porte-parole de l'UNICEF expliqua que jamais ils n'avaient publié des chiffres concernant des tués. Un appel téléphonique au quartier général de l'UNICEF à New York provoqua un démenti plus fort encore.

Il reste donc la Croix-Rouge internationale qui, elle aussi, nie être l'auteur de ces chiffres.

Francesco Noseda, chef de la mission de la Croix-Rouge au Liban, assura: «Nous n'avons jamais mentionné même l'approximation de 10 000 morts ici.» Il affirma n'avoir parlé que de 47 morts et 247 blessés à Tyr - des chiffres qui, chose curieuse, sont inférieurs à ceux que publièrent les autorités israéliennes.

Selon une évaluation du Dr El Khalil, entre 57 et 63 personnes auraient été tuées, y compris les civils des camps de réfugiés. Le Dr Harris me disait: «Israël n'évalue pas les morts. Nous les comptons. C'est pourquoi nous ne pouvons pas publier les chiffres aussi rapidement que les gens de Beyrouth. Nous n'avions aucune précision avant d'avoir fait des recherches dans les bâtiments effondrés.»

Les évaluations quant aux réfugiés avaient aussi fait sensation. Mais beaucoup de réfugiés étaient en réalité de ceux qui revenaient dans leurs maisons au sud, qu'ils avaient quittées au moment des attaques de l'OLP en 1976. Il est un fait que l'invasion a apporté une solution et résolu le problème des réfugiés même si, simultanément, un autre est créé ou prolongé.

Il n'y a aucune comparaison entre ces faits et les événements des semaines écoulées. Cette fois, des Libanais de toute confession et de toute origine ont exprimé leur reconnaissance d'être libérés de l'OLP, Je l'ai entendu de mes propres oreilles, de nombreuses fois.

Les vociférations impitoyables de l'OLP et de ses adeptes concernant les victimes civiles atteignent deux groupes d'auditeurs: L'élite de l'Ouest où l'OLP semble avoir gagné un tour, et l'opinion publique d'Israël.

Bien des soldats israéliens avec lesquels j'ai parlé, étaient inconsolables des suites de ce qu'ils considéraient comme un acte nécessaire. Ils n'avaient pas besoin de ces chiffres exagérés, parlant de «milliers de victimes», pour éprouver du chagrin quant à ce qu'ils ont fait. «Nous devons être capables de pleurer aussi sur les victimes d'une guerre équitable», disait Yuval, un chasseur-parachutiste de 19 ans, dans la «Golani-Brigade>,.

Un grand nombre des soldats sont, comme la plupart des Israéliens que je connais, de la gauche. Tous des critiques du gouvernement, et parmi eux, ceux qui critiquent cette guerre.

Udi en est un. Je le connais depuis trois ans.

L'automne dernier, je m'envolais de Boston à Jérusalem pour participer à son mariage. Udi est réserviste, soldat de reconnaissance dans le corps blindé - ensemble de chars d'assaut qui ne laissent aucune chance de vie à ceux qui sont touchés. Dans la vie privée, Udi est l'un d'entre eux. C'est un jeune étudiant en médecine. «Ce fut le moment le plus épouvantable de la guerre lorsque, avec mes jumelles, je cherchais l'endroit d'où on lançait des grenades par le moyen de matière fusante contre nos chars, et que je découvrais des visages d'enfants de 12 à 13 ans. Que fallait-il faire ? »

Lorsque les combats eurent cessé, il se ravisa en disant que ces jeunes pouvaient être un peu plus âgés. Mais il n'en est probablement pas ainsi: Des documents de l'OLP confisqués révèlent clairement, au sujet du recrutement de ses soldats, que «ne sont pas admis des candidats en dessous de douze ans» (New York Times du 11 juillet). Ces enfants étaient-ils alors des victimes civiles? Un ami d'Udi lutta corps à corps dans un camp de réfugiés.

Le feu semblait venir de partout. Mais même lors de la poursuite de terroristes, il n'aurait pas lancé de grenade à main dans les locaux dans lesquels ils pouvaient être cachés. La phrase telle que «ne faites pas de prisonniers», lui serait incompréhensible. Pour quelle raison Israël a-t-il donc fait 5000 à 6000 prisonniers de l'OLP lors de son opération au Liban? Dans l'un des camps, le combat rapproché dura six jours. Combien d'Israéliens ont dû laisser leur vie? N'y en aurait-il pas eu moins si les Israéliens avaient opéré davantage par des bombardements?

Contrairement à ce qui se passe dans un grand nombre d'armées, les divergences politiques sont réglées dans l'armée israélienne dans des colloques et des assemblées organisés périodiquement - même au front. De telles délibérations font partie de la vie de l'armée.

La seule grande manifestation de tout le Proche-Orient contre la guerre au Liban a eu lieu à Tel-Aviv, organisée par un mouvement du nom «Paix maintenant», qui avait été fondé par des officiers de l'armée. Mais - ainsi nous le rappelle le romancier israélien Amos Oz, une «colombe convaincue» - «pas un seul membre de ,Paix maintenant' n'a fait objection à l'ordre de marche... Quelques-uns sont morts dans le combat.» Le premier soir que j'ai passé en Israël, j'ai rencontré un jeune réserviste qui fait partie de «Paix maintenant», et qui, sans avoir été appelé, s'était annoncé comme volontaire pour le combat: «Mon unité y va, j'irai aussi.»

En réalité, personne ne se montre défavorable à une élimination de la menace palestinienne au nord. Mais quelques-uns crurent que les coûts étaient trop élevés, ou que le but ne serait jamais atteint. Une étude de l'université Bar-llan, publiée pendant mon séjour en Israël montre que, proportionnellement, davantage d'anciens membres du mouvement de jeunesse de l'extrême gauche d'Israël - le Hashomer Hatza'ir - entraient dans les rangs de l'armée que ceux de n'importe quel autre groupe sioniste. Ce sont précisément ces soldats, dont les divergences politiques avec le gouvernement sont les plus flagrants, qui s'indignent contre le fait que l'on accuse Israël de brutalité ou de cruauté envers les victimes civiles.

Le souci existentiel des Libanais était de savoir leur vie exposée à la merci de l'OLP, qui avait fait du Sud-Liban la cible du militaire israélien. Il s'est avéré que l'OLP n'était pas une armée de guérilleros qui s'apitoyaient sur des innocents.

Khalil, un musulman de 25 ans qui venait de quitter Beyrouth-Ouest, me raconta que son frère avait été tué par un tireur d'élite depuis un refuge palestinien. Jaber, un peu plus jeune, expliqua que la voiture de sa famille avait été confisquée par un groupe de l'OLP. Hussein révéla que sa soeur était sans cesse la cible d'accusations d'être agente israélienne.

«Mais, ce n'était pas vrai. Elle refusait simplement les propositions de quelques Palestiniens.» Ahmet raconta: «Ils ont obtenu ce qu'ils voulaient en montrant leurs pistolets ou leurs kalaschnikows.»

Toufek - son frère l'appelait Tommy - disait:

«Ici, c'était notre pays, et l'OLP le dominait comme si c'était le sien.» Je pouvais entendre ce genre de plaintes des douzaines de fois.

Je suis à l'abri en écrivant. La radio parle des nombreuses victimes à Beyrouth, dans les deux parties de la ville. De nouveau, la mort des innocents. Beyrouth-Ouest est «le plus grand avion capturé de l'histoire», sa population: L'otage d'une armée vaincue qui n'avait même pas été invitée à capituler, mais simplement à quitter un pays étranger, avec son drapeau, ses chants et ses armes à mains, et à aller ailleurs, peut-être dans les pays qui lui fourniraient chaque année les moyens d'opérer depuis le pauvre Liban.

La liberté du Liban dépend du départ de l'OLP.

C'est aussi uniquement le départ de l'OLP qui libérera les Palestiniens au Liban et en Cisjordanie du cynisme empoisonnant et mortel de l'OLP. Voilà de quoi il s'agit à Beyrouth.

Les prochains événements à Beyrouth révéleront si les Palestiniens seront capables de voir la réalité en face à long terme. Les Israéliens ont remporté leur victoire militaire; c'est certainement une condition pour la paix. Mais ce n'est pas la seule. Il en reste d'autres, celles d'ordre politique. Il faut attendre de voir si le gouvernement israélien actuel est en mesure de faire quelque chose pour les réaliser.

Nouvelles d'Israël 11 / 1982

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