Le jeudi 28 février fut un jour de joie dont l'aspect était double pour les citoyens de l'Etat d'Israël: le jour du cessez-le-feu dans le golfe Persique et la fête de Pourim que les Juifs dans le monde entier fêtent depuis plus de 2000 ans.
On ne peut passer sous silence la valeur symbolique de la coïncidence de ces événements. La fête de Pourim revêt un caractère historique: C'est par un miracle que les Juifs de l'antiquité, et surtout ceux de Perse, ont été sauvés, in extremis, de la destruction. Le méchant Haman, premier conseiller du roi Assuérus - souverain de ce pays - avait fomenté cette destruction. Pour les Juifs d'aujourd'hui et du monde entier, la version moderne de ce méchant Haman est Saddam Hussein, qui ne cacha point du tout son intention d'éliminer la nation entière d'Israël. Son échec militaire est à mettre en parallèle avec la fin du méchant Haman - d'après le récit du livre d'Esther, il fut pendu à un arbre sur ordre du roi ...
Il ne fut donc pas étonnant qu'en ce jour férié, des milliers de personnes descendirent dans la rue pour faire la fête. Tous portaient des masques - mais cette fois-ci ce n'étaient pas des masques à gaz, mais de joyeux masques de Pourim que l'on porte d'habitude pour l'occasion. Une fois le carnaval et la première euphorie passés, Israël commença à évaluer d'une manière rationnelle les conséquences de la guerre sur le plan économique, militaire et diplomatique.
L'analyse du secteur économique devrait être la plus facile. Selon différentes estimations, l'Etat d'Israël et son économie politique ont perdu à cause de la guerre environ 3,5 milliards de dollars: la réparation des dommages causés par les missiles Scud s'élèverait à 120 millions de dollars. Le secteur du tourisme qui, depuis l'annexion du Koweït par l'Irak, était déjà quasiment paralysé, a subi une perte d'environ 600 millions de dollars. A ces pertes s'ajoutent les dépenses énormes consenties pour la défense: Le renforcement du service des réservistes et des milliers d'heures de vol d'une aviation qui était 24 heures sur 24 en alerte ont conduit à des dépenses supplémentaires qui s'élèvent à des centaines de millions de dollars.
Enfin, il ne faut pas oublier les pertes indirectes causées par la paralysie de l'économie israélienne pendant les six semaines de la guerre.
Etablir un bilan au niveau militaire est déjà moins évident. Dans notre dernier numéro, nous avions évoqué le débat mené par les militaires et les politiques et parmi la population israélienne autour de la question d'une riposte par les armes aux missiles irakiens. Israël s'est donc soumis à la pression américaine et n'a réagi à aucun des 39 missiles irakiens lancés sur le territoire israélien. Ceux qui étaient partisans d'une réplique militaire musclée sans concession prétendent aujourd'hui que la retenue israélienne a été interprétée du côté arabe comme l'expression de la faiblesse d'lsraël.
D'après eux, la politique de retenue a considérablement, voire irrémédiablement porté atteinte à la politique israélienne de dissuasion qui était jusqu'alors un facteur essentiel de la défense nationale. Les défenseurs de la retenue, par contre, sont d'avis que sa capacité de dissuasion n'a pas été considérablement entamée alors que la sécurité de l'Etat hébreu s'est trouvée, au contraire, grandement renforcée par la guerre et la destruction de l'infrastructure militaire irakienne. De plus, la retenue intelligente et raisonnable du gouvernement Shamir face aux provocations de Saddam Hussein a intensifié la collaboration militaire entre les Etats-Unis et Israël. Israël a eu accès aux informations militaires par les satellites et a reçu des missiles anti-missiles Patriot ainsi que d'autres équipements militaires. Mais, toujours d'après les défenseurs de la politique de retenue israélienne, ce qui est presque plus important encore, c'est la sympathie et le soutien moral dont Israël a bénéficié de cette manière et qui a considérablement amélioré l'opinion mondiale à son endroit.
Un bilan au niveau politique et diplomatique serait, à l'heure actuelle, prématuré. Toutefois, une chose est certaine: La guerre a fortement porté préjudice au représentant de l'OLP, Yasser Arafat, voire à toute l'OLP et aux Palestiniens. La prise de position d'Arafat en faveur de Saddam Hussein fut, de sa part, une grave erreur stratégique qui a fait de lui une «persona non grata» non seulement dans le monde occidental, mais également en Arabie Saoudite et en Egypte - deux pays qui soutenaient Arafat et l'OLP avant la guerre tant politiquement que financièrement. La participation des Palestiniens aux pillages et à la destruction du Koweït a fait d'eux un sujet de haine dans le monde arabe. C'est la raison pour laquelle on entend de plus en plus de gens en Cisjordanie réclamer un changement à la direction de l'OLP et la démission d'Arafat. Cela représente évidemment une évolution importante pour Israël; reste à savoir, si changement il y a, quand il se fera et qui succédera à Arafat. En même temps et parallèlement à cette évolution, on a l'impression que l'étranglement politique d'Israël se fait de plus en plus sentir. Dès la fin de la guerre du Golfe, en Europe et aux Etats-Unis, des voix se sont fait entendre réclamant un nouvel ordre de paix stable dans la région du Proche-Orient. Sur cette trame, le secrétaire d'Etat américain, James Baker, est parti en voyage au Proche-Orient. Les détails d'un tel ordre de paix doivent encore être négociés et font partie d'un long processus. Cependant, il semble déjà évident qu'en fin de compte, Israël se trouvera sous une pression énorme, qu'il devra accepter des concessions territoriales, voire même la création d'un Etat palestinien. Dans cette confrontation diplomatique et politique, Israël va être seul face à une coalition arabo-américano-européenne qui a déjà fait ses preuves pendant la guerre du Golfe et qui va utiliser, pour la circonstance, sa victoire militaire sur le plan diplomatique. Cette confrontation prévisible s'annonce difficile, d'autant plus que cette fois-ci le lobby juif à Washington ne pourra pas protéger Israël contre le président Bush, ce dernier jouissant actuellement d'une si grande popularité qu'il n'a même pas besoin des voix juives pour sa réélection en tant que président. Le premier ministre Shamir a bien saisi la situation politique. Déjà au début du mois de mars, au cours de plusieurs discours prononcés en public, il a pris position face à la confrontation attendue avec Washington et il a fait remarquer qu'Israël aurait besoin de beaucoup de force intérieure s'il voulait garder pour l'avenir les territoires libérés.
Nouvelles d'Israël 05 Mai 1991