James Baker n'en finit pas de préparer la conférence de paix en multipliant les promesses aux uns et aux autres
PRÉVUE POUR LE MOIS D'OCTOBRE, LA CONFÉRENCE DE PAIX SUR LE PROCHE-ORIENT SERA SANS DOUTE REPORTÉE . CE NOUVEAU DÉLAI, DU ESSENTIELLEMENT AUX CHANGEMENTS EN URSS, PERMET AUSSI AU SECRÉTAIRE D'ETAT AMÉRICAIN, JAMES BAKER, D'AFFINER LA PRÉPARATION DE CETTE RÉUNION ENCORE FLOUE.
Il y a quelques mois, dans la rue piétonne de Ben Yehouda, les badauds de Jérusalem s'extasiaient, ébahis, devant les tours de passe-passe d'un prestidigitateur britannique. Il était vraiment impressionnant: des feuilles de papier se transformaient, entre ses mains, en foulards desquels sortait une bougie allumée; des cerceaux se crochaient mystérieusement entre eux. Ebahi devant tant de numéros stupéfiants, je commençai à me demander si je n'avais pas, en face de moi, un authentique sorcier doué de pouvoirs occultes, lorsque le prestidigitateur décida de nous révéler une partie de ses trucs: il enleva sa veste, descendit ses pantalons pour nous montrer tout un système d'anneaux, de lanières, de boucles, de cordons et de pinces qui couvraient son corps des mollets jusqu'aux poignets, à l'aide desquels il faisait ses tours! Nous étions rassurés: rien d'occulte, tout n'est qu'illusion, nous avons affaire à un professionnel particulièrement doué de la prestidigitation. Nous ne pouvons qu'admirer son adresse et sa dextérité acquises au cours de nombreuses heures de travail.
Sur la scène internationale, un acteur intelligent, habile, infatigable dans ses efforts, nous offre un spectacle encore plus étonnant. Des dizaines de millions d'individus applaudissent à ses tours. Il concilie l'inconciliable. Le Secrétaire d'Etat américain, James Baker puisque c'est de lui qu'il s'agit - semble, avec aisance, réaliser la quadrature du cercle. Tel un pickpocket de cirque, il dépossède avec habileté un certain nombre de cobayes des objets - ou des sujets! - qui leur sont les plus chers. Avec dextérité. Mais aussi avec toute la force de persuasion - ou de dissuasion! - d'un aimable lion de cirque ou d'un ours dressé qui, au dire de son maître, ne fait de mal à personne et dont on ne doit pas avoir peur. Légère crainte cependant chez les sujets d'expérience: vont-ils retrouver leurs biens subtilisés lorsque le spectacle sera terminé?
Quels sont ces biens dont les propriétaires peuvent craindre la subtilisation?
Pour Israël: c'est le droit à des négociations de paix directes avec ses voisins, sans l'intervention «médiatrice» d'un tiers (grandes puissances ou instance internationale);
le droit de refuser de parler avec une organisation terroriste dont le programme officiel, encore aujourd'hui, est la destruction de I'Etat d'Israël (voir la charte palestinienne);
le droit d'habiter et de vivre en paix dans des provinces constituant le coeur même de la patrie israélite historique (Judée, Samarie);
le droit d'accès à tous les quartiers de Jérusalem, capitale trois fois millénaire du peuple juif;
le droit de développer et de peupler les zones inhabitées de la terre d'Israël historique (sans porter ainsi préjudice à quelque autre population que ce soit, puisqu'il est question de zones inhabitées et non cultivées);
le droit à des frontières sûres, assurant un minimum de profondeur stratégique;
le droit à un traité de paix en bonne et due forme avec ses voisins, stipulant que les frontières doivent être ouvertes à la libre circulation dans les deux sens pour les transports de biens et de personnes, ainsi que pour les échanges commerciaux, touristiques et culturels.
Et, pour les gouvernements arabes et leurs mouvements terroristes, quels sont les sujets chers dont ils risquent d'être dépossédés? Dans les grandes lignes, c'est le droit de dénier à Israël tous les droits qui viennent d'être mentionnés.
James Baker semble réussir le tour de force d'unir les contraires et de réduire les oppositions logiques, distribuant à l'entour des apparences de promesses pour le moins difficilement conciliables. Nous nous limiterons à l'examen de quelques points seulement, dans le cadre limité de cet article.
JERUSALEM
Cette ville est incontestablement au coeur du conflit israélo-arabe. Les Palestiniens la réclament tout entière comme capitale d'un nouvel Etat arabe, quitte à autoriser un nombre limité de Juifs à demeurer (dans quelles conditions de sécurité?) dans certains quartiers. Nous avons déjà vu la position israélienne. Face à ces deux antithèses, quelle synthèse Baker a-t-il imaginé? Un nouveau partage de la ville, inacceptable pour les deux partenaires en présence? Une internationalisation de la ville: quel Etat a jamais accepté que sa capitale soit «internationalisée»?
Quelle promesse Baker a-t-il faite? Aux Arabes: que la question de Jérusalem, capitale unie d'Israël, est encore négociable. Aux Israéliens: qu'un nouveau partage de la ville est invraisemblable. Arabes et Israéliens se méfient: que faut-il croire? Par ailleurs Baker exerce une pression constante sur Israël pour amener ce dernier à accepter une délégation palestinienne comprenant au moins un délégué des quartiers arabes de Jérusalem.
LA PARTICIPATION DE L'OLP
Pendant des années, les Etats-Unis ont accepté la position israélienne selon laquelle on ne négocie pas avec une organisation terroriste qui ne vise pas moins que la destruction de votre Etat. Mais il y a plus de deux ans déjà que les Américains ont abandonné cette position et entretiennent un dialogue intermittent avec Yasser Arafat et ses gens. Durant ses visites à Jérusalem, Baker a eu de longues heures d'entretien avec Faiçal Husseini et d'autres personnalités palestiniennes, ouvertement considérées comme les hommes de main d'Arafat. D'autre part aucun Arabe palestinien n'osera risquer sa vie et négocier avec Israël au nom du «peuple palestinien» sans l'autorisation express des représentants locaux de l'OLP (on meurt vite dans ce coin du monde, à la suite d'un léger faux pas . . . ). Comment Baker envisage-t-il l'ouverture de pourparlers entre Israël et les représentants, aussi indirects soient-ils, d'une organisation qui prône la liquidation de l'Etat d'Israël? Quel peut être le moyen terme entre deux pôles si opposés pour Israël: être ou ne pas être?
Le lecteur de ces lignes s'étonnera peut-être: est-ce vraiment là le programme de l'OLP? Les Palestiniens ne parlent-ils pas simplement de la création d'un nouvel Etat - un petit Etat - dans les «territoires», aux côtés d'Israël? Pour évaluer aussi justement que possible la situation, il faut savoir que l'OLP parle un double langage; face au monde, elle adopte un style modéré pour des revendications limitées: la Cisjordanie avec Jérusalem (tout entière ou en partie); dans les déclarations et les textes rédigés en arabe et à usage interne, le programme du début n'a pas changé d'un iota: tout le territoire d'Israël est convoité, et la création éventuelle d'un mini-Etat palestinien est clairement conçue et décrite comme une première phase dans la lutte du peuple palestinien pour la «libération» de toute «sa terre». Nous pouvons conseiller la lecture de la «charte palestinienne» qui existe dans une traduction française.
LA SYRIE
A quoi Israël et la Syrie ont-ils dit «oui» dans leurs réponses à James Baker? Israël a dit «oui» à des négociations directes menant à un traité de paix avec son voisin du nord. La Syrie a dit «oui» à des négociations aussi indirectes que possible aboutissant à une récupération du Golan et à une démilitarisation de la Galilée - et cela dans le cadre d'un «accord général» qu'on se garde bien d'appeler «accord de paix» et qui n'oblige pas la Syrie à entretenir de relations diplomatiques avec Israël ni à ouvrir sa frontière sud. D'ores et déjà, la Syrie a fait savoir qu'elle ne participerait pas à la conférence sur les problèmes hydrologiques du Proche-Orient, qui aura lieu en novembre en Turquie, si Israël y est invité également ...
Et l'on pourrait multiplier les exemples d'opposition irréductible entre les exigences minimales d'Israël et les exigences minimales de ses voisins arabes: avenir de la Judée-Samarie et des Juifs qui y habitent; interprétation des résolutions 242 et 338 de l'ONU; conception de la «paix», etc.
Le problème, en fait, se trouve ailleurs: aucun dirigeant arabe et musulman ne peut, au nom de l'Islam, accepter l'existence d'un Etat juif dans une zone considérée comme faisant partie du «dar al-islam», du monde islamique. Même le plus laïc parmi les dirigeants arabes se sent moralement lié au principe de l'expansion de l'Islam: il est impensable et inacceptable, dans la pensée islamique, qu'un territoire qui a été, une fois, soumis à la religion du prophète, sorte du domaine de cette religion et retourne au «dar alharb», au domaine de la guerre.
James Baker a certainement, parmi ses conseillers, des orientalistes spécialistes en matière d'Islam. et de culture arabe; mais comprend-il bien leurs analyses? Saisit-il réellement de quel monde il s'agit? Tout nous pousse à en douter. Que reste-t-il donc à faire au Secrétaire d'Etat américain - un homme intelligent, infatigable et investi d'une redoutable autorité, homme d'Etat équipé de tous les anneaux, de toutes les lanières, de toutes les boucles, de toutes les pinces et de tous les cordons cachés de la diplomatie d'une nation puissante?
Il lui reste à continuer son jeu de prestidigitateur, à prolonger un spectacle dont Israël risque malheureusement de payer la plus grande part. Le drame, c'est que le spectacle n'est pas drôle du tout, que la plupart des spectateurs connaissent l'attirail sous les habits du magicien, que tout Le monde - ou presque - est conscient du bluff. Mais l'illusionniste est puissant, il faut le respecter, même si l'on sait pertinemment que les papiers ne se changent pas en foulards et que le lapin n'est pas réellement sorti du chapeau.
Jusqu'à quand durera le spectacle? Dieu seul le sait, Lui qui peut faire qu'un anneau se détache soudainement et qu'un cordon se rompe et paralyse ainsi l'attirail sophistiqué du grand illusionniste.
De Jérusalem, Henri-Léon Vaucher
AVENEMENT Septembre 1991 No 30 / P 10