«Gardez le 3 novembre à l'esprit» - Ces mots lancés par le ministre des Affaires étrangères Shimon Peres aux journalistes quelques minutes avant une interview télévisée ont en fin de compte permis de découvrir le fait qu'Israël et la Jordanie avaient conclu un traité de paix. Selon la presse israélienne, il semblerait que M. Peres a passé la journée du 3 novembre au palais du roi Hussein à Amman en Jordanie. Les deux hommes sont restés neuf heures ensemble et ont discuté des derniers détails de l'accord. En voici les principaux éléments, tels qu'ils ont été relatés dans la presse:
- Les deux Etats rétablissent des relations normales et échangeront des ambassadeurs.
- Israël transmettra à la souveraineté jordanienne des territoires partiels d'Arava et des bords de la mer Morte. Ces bandes de terre seront ensuite louées à Israël pour une longue période à un prix symbolique. - Les deux Etats collaboreront sur le plan économique, surtout en ce qui concerne le développement des sources d'énergie dans la région de la mer Morte. Par ailleurs, la coopération portera également sur les transports, le tourisme et l'agriculture.
- Israël utilisera son influence sur les USA pour obtenir l'effacement d'une partie de l'énorme dette publique de la Jordanie.
- Israël fournira une protection militaire à la Jordanie et participera à la défense de ce pays en cas d'agression de celui-ci par un tiers.
Selon le plan, ce traité devait être signé à la Maison Blanche à Washington, après une première rencontre officielle entre le roi Hussein et le Premier ministre Yitzhak Rabin. Il semble toutefois que la publication anticipée de la teneur du traité et l'annonce de sa signature probable aient anéanti le plan. Il s'est avéré en effet que certaines puissances du monde arabe, et principalement la Syrie, exerçaient d'énormes pressions sur le souverain jordanien pour que celui-ci renonce à la conclusion de cet accord séparé jusqu'à l'aboutissement des négociations sur l'avenir du Golan et avec les Palestiniens. Ces manoeuvres ont abouti et le roi, qui devait se rendre à Washington en même temps qu'Yitzhak Rabin, a annulé son voyage aux Etats-Unis. La cérémonie de signature a été repoussée et avec elle, les chances d'ouverture d'un nouveau chapitre dans l'histoire des relations entre les deux Etats voisins. L'article suivant indique à quel point les relations commerciales avec la Jordanie sont déjà développées:
Contacts particuliers
Des hôtes royaux de Jordanie se sont rendus en Israël voici quelques jours par le pont Allenby. Le commandant jordanien du poste frontière a simultanément informé son homologue israélien qu'il s'agissait «des beaux-parents du roi» qui, dans leur pays, «reçoivent toujours une escorte royale».
Nagib et Jane Halabi, les parents de la reine Nur (ex-Lisa Halabi de Washington D.C., quatrième épouse du souverain hachémite depuis 1970) n'ont pas eu à se plaindre de la réception israélienne.
Officiellement, les beaux-parents du roi Hussein se rendaient en visite privée en Israël pour y faire un pèlerinage. Ils y ont en effet beaucoup d'amis et de connaissances datant de l'époque où Nagib Halabi occupait un poste important au Pentagone, puis fut président de la Pan Am. Par le passé, il avait déjà rencontré Shimon Peres, l'actuel ministre des Affaires étrangères, et ils avaient envisagé ensemble les possibilités d'aide aux Palestiniens. Aujourd'hui, étant donné que la maison royale jordanienne est sur le point de rétablir des relations avec Israël, il semble logique que M. Halabi manifeste lui aussi un grand intérêt pour la question, au moins aussi grand d'ailleurs que celui d'une série d'hommes d'affaires jordaniens (on prétend que des fonctionnaires de la maison royale étaient du nombre) qui se sont également rendus en Israël en novembre.
Jusqu'à présent, les hôtes de ce pays limitrophe sont restés très discrets. Ils veulent se faire remarquer le moins possible, mais on a toutefois appris que l'un d'entre eux, qui a été qualifié de «multimillionnaire», a manifesté son intérêt pour l'achat de l'une ou l'autre implantation. Il était bien informé et savait qu'à Ariel, Emmanuel et dans d'autres implantations, des logements vides ne parvenaient pas à trouver acquéreur. Il souhaitait les acheter pour les revendre à des Juifs ou à des Arabes après la signature de l'accord. Il serait uniquement intéressé par le profit.
Pour sa part, Nagib Halabi ne s'intéresse pas à l'immobilier, mais plutôt au trafic aérien. Arkia, la filiale d'El AI (liaisons intérieures en Israël et vols charters en provenance et à destination de l'Europe, et bientôt à partir de Zurich), a déjà préparé le terrain et a calculé qu'un vol court de Jérusalem vers Amman ou Damas ne devrait pas coûter plus de 50 dollars. M. Halabi, lui-même ancien pilote, pourrait donc avoir discuté avec Izi Vorowitsch, le directeur général d'Arkia, d'un plan de travail détaillé.
M. Halabi, fils d'un homme d'affaires syrien et d'une Américaine, entretient aujourd'hui encore de bonnes relations à Damas. Il pourrait être le médiateur idéal pour préparer les premiers contrats de trafic aérien civil avec la Jordanie et la Syrie.
Arkia ne songe pas uniquement aux Israéliens qui décollent pour des vols courts, mais également et surtout au tourisme international. De même, le groupe d'hommes d'affaires jordaniens comprend quelques experts en tourisme qui eux aussi envisagent un circuit passant par l'Egypte, Israël et la Jordanie - et qui se vendrait très bien dans le monde entier.
A l'instar de M. Halabi, qui est citoyen américain, les hommes d'affaires originaires d'Amman n'ont eu aucune difficulté à entrer en Israël avec leur passeport jordanien: une preuve supplémentaire du lent rétablissement de relations normales entre les pays voisins. Les experts se sont rendus en Israël, car le gouvernement jordanien en avait décidé ainsi et ils ont été accueillis en Israël, car leur visite s'inscrivait dans le cadre de la politique israélienne.
Israël et la Jordanie sont convenus que le rétablissement de relations économiques concrètes ne devait pas être subordonné à la conclusion solennelle de la paix, et qu'une paix de facto suffisait pour les entamer. Et c'est précisément ce qui est en train de se passer. La circulation des biens et des personnes via les ponts avec la Jordanie s'est ainsi déjà accrue. Prochainement, des banques jordaniennes ouvriront des filiales en Cisjordanie. Même les liaisons téléphoniques directes avec la Cisjordanie vont être bientôt établies. Quiconque dans le réseau israélien réussit à appeler Naplouse et Hébron, devrait bientôt pouvoir joindre facilement Jérusalem, Tel-Aviv et Haïfa.
Nouvelles d'Israël 01 / 1994