Israël et le Maroc

 

A la mi-décembre de l'an passé, une sombre affaire historique liée à l'immigration des Juifs marocains en Israël a connu un dénouement tragique. Lors d'une cérémonie nationale de taille modeste, les dépouilles mortelles de 22 Juifs marocains ont été ensevelies en terre israélienne. Jusqu'à aujourd'hui, ces Juifs étaient restés enterrés au Maroc après avoir perdu la vie en tentant de rejoindre Israël.

Les défunts faisaient partie d'un groupe de 43 émigrants qui avaient embarqué dans le nuit du 10 janvier 1961 sur le navire «Egoz» (mot hébreu signifiant «noisette»). Le petit navire conduit par un équipage espagnol avait été affrété par le Mossad pour passer en fraude des Juifs marocains en Israël. Quelques heures après son départ, l'«Egoz» a coulé avec tous ses passagers, y compris les représentants du Mossad. Les seuls survivants furent le capitaine et le machiniste, qui avaient abandonné le navire en détresse avec tous ses passagers. Quelques heures après l'accident, la mer rejeta les corps de 22 des passagers sur les côtes du Maroc. Ils furent enterrés dans le cimetière proche de la localité de «El Huseima», mais sans avoir été identifiés. Immédiatement après avoir appris la catastrophe, les familles se sont mises à la recherche des corps de leurs défunts. Ceux-ci devaient être transportés en Israël pour pouvoir au moins y reposer en paix. Pour les Juifs croyants, l'inhumation en terre d'Israël est une obligation religieuse. Cette tradition est attribuée à la dernière volonté de Joseph, le bras droit du pharaon égyptien, comme nous pouvons le lire à la fin de la Genèse: «Joseph fit jurer les fils d'Israël, en disant: Dieu vous visitera, et vous ferez remonter mes os d'ici» (Gen. 50, 25).

La recherche des corps des naufragés a duré près de 20 ans. Lorsqu'ils ont enfin été retrouvés, des contacts officiels et diplomatiques secrets ont été noués afin de permettre un transfert des ossements; vers Israël. De nombreuses personnalités ont participé à ces contacts, qui ont duré plus de 9 années, notamment l'ancien secrétaire général de l'ONU, Perez de Cuellar, le Premier ministre français Jacques Chirac, la Croix-Rouge internationale, le Congrès mondial juif et des membres du Congrès américain. Pendant longtemps, le roi Hassan du Maroc a refusé de satisfaire les nombreuses demandes qui lui étaient adressées. Fin 1986, il a donné l'impression de marquer son accord, mais l'a retiré alors que les préparatifs liés au transfert des corps avaient déjà commencé.

 

Dernièrement, le Premier ministre Yitzhak Rabin a réitéré la demande. Cette fois, le roi Hassan a acquiescé, pour des raisons humanitaires. Il a cependant demandé de garder le secret sur cette affaire jusqu'à ce que les ossements atteignent Israël. L'Etat hébreu a accepté cette condition ainsi que d'autres exigences du souverain marocain. Début décembre, l'opinion publique israélienne a eu la surprise d'apprendre que les dépouilles mortelles des 22 naufragés étaient arrivées en Israël. Durant deux semaines, on a tenté d'identifier les ossements, mais sans résultat. C'est pourquoi il a été décidé d'enterrer ces ossements dans une fosse commune, dans le cadre d'une cérémonie modeste, au cours de laquelle on a qualifié de miracle l'entreprise de grande envergure qu'a constitué l'immigration des Juifs marocains vers Israël.

Le naufrage du navire «Egoz» a marqué un tournant dans les relations secrètes entre Israël et le Maroc, ainsi que dans les opérations de transfert des Juifs marocains en Israël. En 1956, le Maroc a obtenu de la France son indépendance et a interdit à ses Juifs d'émigrer en Israël. Les Israéliens ont alors craint pour la sécurité des 180.000 Juifs marocains. C'est pourquoi ils ont décidé une action à deux volets: l'organisation de l'autodéfense dans les communautés ainsi que l'émigration illégale vers Israël. Les Juifs étaient passés en fraude vers Israël par la mer, mais aussi par la route, dans des caravanes qui tentaient d'atteindre l'enclave espagnole au Maroc ainsi que la ville de Tanger, qui jouissait d'un statut spécial international. C'est ainsi qu'environ 25.000 Juifs ont pu être amenés en Israël.

La tragédie de l'«Egoz» a attiré l'attention du monde entier. De nombreux pays ont alors fait pression sur le roi Hassan pour qu'il permette aux Juifs de son pays d'émigrer. Ces pressions ont été couronnées de succès puisque le roi a finalement décidé de changer sa politique. L'accord signé avec lui prévoyait que les Juifs marocains ne pouvaient pas émigrer directement vers Israël, mais qu'ils devaient d'abord passer par la France. Israël a également été prié d'arrêter ses activités illégales et de verser une indemnité au Maroc pour l'exode des Juifs. Israël a rempli toutes les conditions. Cet accord a permis a environ 80.000 Juifs d'émigrer du Maroc en Israël, lors de ce qu'on a appelé «l'action Yachin».

 

Les négociations avec le roi Hassan furent entreprises par le Mossad. Le chef du Mossad de l'époque, Isser Harel, a déjà laissé entendre dans ses livres que des hommes du Mossad ont entretenu des contacts avec les conseillers les plus proches du souverain marocain. D'après des publications internationales, la figure-clé des contacts avec le Mossad fut le général Mohammed Ufakir, ministre de l'Intérieur et chef des services secrets du Maroc. La presse internationale a également révélé que les relations entre les deux pays ne se sont pas limitées à l'émigration des Juifs. Le roi Hassan a aussi demandé l'aide d'Israël afin de protéger son régime menacé par des éléments radicaux du monde arabe. Le président égyptien de l'époque, Gamal Abdel Nasser, faisait partie des milieux ayant un intérêt à renverser le souverain marocain. D'après ces publications, l'acceptation par le roi Hassan de l'exode des Juifs marocains faisait partie d'un accord global, obligeant Israël à soutenir son régime. C'est dans ce contexte que le roi a invité des experts du Mossad et des services secrets israéliens. Ces experts l'ont aidé, lui et le général Ufakir, à organiser des services secrets modernes ainsi qu'une unité spéciale chargée de protéger la vie du roi.

 

La presse internationale affirme en outre que les hommes du Mossad ont aidé le roi Hassan et le général Ufakir lors de l'attentat perpétré sur le dirigeant de l'opposition, Mahdi Bin-Barka. Celui-ci a été assassiné fin octobre 1965 à Paris. Le général Ufakir l'aurait tué de ses propres mains, avec l'aide d'un agent du Mossad. A l'époque, l'affaire avait ébranlé l'opinion internationale et déclenché de vives discussions à la tête du Mossad. La presse internationale rapporte en outre que le roi Hassan a permis au Mossad d'opérer à partir du Maroc et d'obtenir des informations sur les Etats arabes et sur les organisations palestiniennes. En 1976, Yitzhak Rabin, qui occupait alors le poste de Premier ministre, s'est rendu en visite secrète au Maroc. Il a porté une perruque pour ne pas être reconnu. Après Rabin, le ministre des Affaires étrangères du gouvernement Begin, Moshe Dayan, est également allé dans le pays. Dayan, qui s'était aussi déguisé, a rencontré le roi Hassan, qui jouait alors le rôle de médiateur lors des premiers contacts entre Israël et l'Egypte, lesquels ont conduit à la visite de Sadate à Jérusalem. Shimon Peres s'est également rendu au Maroc en qualité de ministre des Affaires étrangères d'un gouvernement israélien. Mais cette visite était tout à fait officielle. Les nombreux journalistes qui accompagnaient Peres n'ont pas manqué d'immortaliser sa rencontre avec le souverain marocain.

 

Le Maroc est le seul Etat arabe en dehors de l'Egypte à accepter que des touristes israéliens circulent sur son territoire. (ZL)

Nouvelles d'Israël 02 / 1993

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