«Ivan le terrible» devant ses juges en Israël

 

«Le train était composé de 60 wagons de marchandises fermés, chargés d'hommes et de femmes, de jeunes et de vieillards, d'enfants et de bébés. Les portes des wagons étaient verrouillées de l'extérieur et les bouches d'aération obstruées par des barbelés. Lorsque, à Treblinka, les Allemands firent descendre les prisonniers des wagons, une image d'horreur, fantomatique, se présenta à nos yeux. Des centaines de corps s'entassaient dehors et des hommes, des femmes, des enfants s'écroulaient, couverts de sang. L'air s'emplissait de cris et de pleurs. Le chemin qui conduisait aux chambres à gaz était bordé des deux côtés d'Allemands, accompagnés de chiens dressés spécialement pour attaquer les gens. Lorsqu'ils sautaient sur un homme, ils s'en prenaient aux parties génitales; aux femmes ils déchiraient les seins. Les Allemands criaient aux victimes qui couraient: 'Plus vite, plus vite, l'eau se refroidit et d'autres doivent encore passer sous la douche'!

Afin d'échapper aux coups et aux chiens, les victimes couraient aussi vite que possible jusqu'aux chambres à gaz à l'entrée desquelles se trouvaient les deux Ukrainiens, Ivan Demjanjuk et Nicolaï. L'un était armé d'une barre de fer, l'autre d'une épée. 'Ivan le terrible' - c'est ainsi que l'on avait surnommé Demjanjuk - se faisait un plaisir d'arracher les bébés aux mères et de les piétiner ou de les partager en deux. Il tirait les belles jeunes femmes derrière le mur, abusait d'elles pour ensuite les poignarder ou les jeter encore vivantes dans la fosse d'incinération. Aussitôt que les chambres étaient pleines, les Ukrainiens fermaient les portes et faisaient démarrer les machines à gaz. Ensemble avec les SS, ils regardaient à travers les fenêtres et les portes. Lorsqu'ils pouvaient se rendre compte que l'asphyxie avait fait son oeuvre et que tous étaient morts, des prisonniers juifs devaient ouvrir les portes et sortir les corps. Comme les chambres à gaz étaient toujours surchargées et que les victimes se cramponnaient les unes aux autres, ils restaient tous debout et donnaient l'impression d'un seul bloc de chair ... »

Ce sont des souvenirs du passé déjà pâlissants qui reviennent violemment à la surface. Ivan - John Demjanjuk, l'homme qui est soupçonné d'avoir tué en masse, l'homme connu sous le surnom 'Ivan le terrible', est actuellement devant les juges en Israël. Vingt-quatre ans après le procès d'Eichmann, la justice israélienne s'occupe pour la deuxième fois d'un criminel nazi. L'Etat d'Israël, héritage officiel du peuple juif (selon la loi du 1.8.1950), a obtenu des Etats-Unis la remise d'Ivan Demjanjuk qui, depuis sa nationalisation aux USA, s'appelle John.

Lorsque, le 28 février à 11 heures, la machine 747-004 d'EL-AL atterrissait à LOD, John Demjanjuk (66 ans), en descendant de l'avion, donna l'impression d'un homme détendu et sûr de son innocence. Ses voisins le décrivent comme étant un homme très sympathique. Rien ne semblait l'ébranler, ni la présence des nombreux policiers, ni le grand nombre des reporters. Il désirait même embrasser le sol de la Terre Sainte. Lorsqu'il fut interrogé à ce sujet, il répondit: «Un bon chrétien le fait». Depuis, «Ivan le terrible» est enfermé dans la prison d'Ayalon (Ramle), dans une cellule mesurant 3 m sur 3,5m, où il attend son procès. il est surveillé jour et nuit par des gardiens juifs, chrétiens et druzes. L'accusation contre Ivan Demjanjuk, né le 13.4.1920 à Dub Macharenzi, en Ukraine, porte sur le fait qu'il aurait été l'un des principaux bourreaux au camp de concentration de Treblinka.

Au cours des 15 mois d'activité de ce camp (100 km au nord-est de Varsovie), plus de 870 000 Juifs ont été exécutés. Contrairement au camp d'Auschwitz, Treblinka était une véritable usine de la mort, car ceux qui arrivaient là-bas étaient tués immédiatement. Environ trente SS et 120 Ukrainiens, dont Demjanjuk, aidés par 700 ouvriers de force, s'occupaient des exécutions. De plus d'un million de prisonniers du camp de Treblinka, seules 70 personnes ont survécu à cet enfer. Douze d'entre elles ont pu identifier en John Demjanjuk «Ivan le terrible». Un ancien prisonnier de Treblinka, âgé de 85 ans et vivant en Espagne, fit savoir que «Ivan le terrible» avait été tué lors de l'insurrection du camp en 1943. Entre-temps, cette affirmation fut démentie et considérée comme une erreur. Le bourreau exécuté le 11.8.43 n'était pas «Ivan le terrible», mais Max Biala. John Demjanjuk continue cependant à clamer son innocence, prétendant n'avoir jamais été à Treblinka et n'avoir jamais servi les nazis. Les photos et documents qui lui sont présentés sont pour lui des falsifications du KGB russe.

Selon les indications américaines, Demjanjuk se serait réfugié en Allemagne en 1945, pensant que la poignée de survivants ne représenterait aucun danger pour lui. En 1952, il déménagea aux USA où il fut naturalisé, en 1958, à Cleveland. Un complémentaire précieux dans ce procès de Demjanjuk fut révélé par le fait que, depuis septembre 1942, l'Amérique recevait continuellement des informations de témoins oculaires (par exemple de cheminots) au sujet des meurtres en masse dans les camps de concentration. Cependant, la presse du monde libre rejetait ces communications en tant que «propagande d'horreur» - seule la presse illégale aurait fourni des informations exactes sur Treblinka, etc.

En Israël, on est partagé quant à la réalisation d'un procès aussi gigantesque 40 ans après les faits. Cependant, ceux qui désirent le procès trouvent «qu'après Adolf Eichmann, qui avait ordonné les meurtres depuis son bureau, le tour serait au bourreau exécutant ... ». Ils soulignent l'importance d'un tel procès, qui devrait servir de leçon d'éducation à la génération née en Israël après la guerre. D'autre part, il serait nécessaire de rappeler à la mémoire, dans un monde où l'on commence à nier les horreurs de l'holocauste, les réalités du passé qui ne doivent pas se reproduire. Entre-temps, on a aussi appris que les USA, le Canada, la Grande-Bretagne et d'autres Etats, ont accueilli des milliers de criminels nazis dont ils ont fait disparaître les pièces à conviction. Mais à présent, après un délai de 40 ans, l'accès est libre aux dossiers des criminels de guerre. Ainsi, Klaus Barbie a dû paraître devant les juges en France. L'archevêque orthodoxe romain, Valerian Trifa, le «boucher» cruel au service de la «garde de fer», s'est d'abord caché aux USA. Aujourd'hui, il vit au Portugal. Les pays de l'Est aussi ont accueilli des nazis. Ainsi, Hermann Klenner s'est créé une situation en tant que chef des représentants Est-allemands de la commission des droits de l'homme de l'ONU à Genève.

La découverte d'un passé nazi du Dr Kurt Waldheim (68 ans), a fait grand bruit ces derniers temps. Lui aussi qualifie les documents et les photos qui lui ont été présentés de faux (même si, depuis, il reconnaît que son père l'avait fait, à son insu, membre de la SA). Les documentations montrent que Kurt Waldheim était devenu membre de la SA le 11.11.1938 et qu'il avait travaillé ensuite aux côtés du général Alexander Löhr (exécuté en 1947 en tant que criminel de guerre), comme interprète aux Balkans. Aujourd'hui, l'ancien interprète et confident de Löhr, le Dr Waldheim, ne veut pas se souvenir de la destruction des villages yougoslaves et de la déportation à Auschwitz des 43 500 Juifs de Salonique.

Sans tenir compte de ces faits, Waldheim poursuit sa course à la présidence et profite de la campagne électorale pour lancer des slogans comme: «FRANC, CLAIR, CATEGORIQUE - LE MONDE LUI FAIT CONFIANCE»! C'est pourtant lui qui, en tant que secrétaire général de l'ONU (1972-1982), avait sévèrement gardé sous clé les 42 000 documents des criminels de guerre. C'est sous sa direction que l'assemblée plénière de l'ONU mit le «sionisme» au même niveau que le «racisme». Par là, on avait accordé la prééminence aux Etats arabes, ennemis d'Israël.

En Israël, on est moins bouleversé par le sombre passé nazi de Kurt Waldheim que par le fait qu'aussitôt après la mise à jour de ce passé macabre, la popularité de Waldheim grimpa de 38% à 42%. Il semble que l'antisémitisme soit de nouveau à la mode. Il vaudrait peut-être mieux laisser tomber le procès de Demjanjuk, ou alors trouver une preuve qu'il n'est pas «Ivan le terrible». «Quoi qu'Israël fasse, il sera toujours l'insensé. Qu'il se fasse conduire à l'abattoir ou qu'il se défende, le monde condamnera toujours Israël», commente un quotidien israélien.

Il faut ajouter que, jusqu'à l'impression de ce numéro, on n'avait encore aucune preuve de ce que Demjanjuk soit effectivement «Ivan le terrible». On sait, cependant, que la justice d'Israël va au fond des choses. D'autre part, selon la Bible, tout crime - aussi loin qu'il puisse remonter - retombera toujours sur le malfaiteur! L'Ecriture est claire à ce sujet: Le pécheur ne peut échapper au jugement - encore moins s'il a touché à la prunelle de l'oeil de Dieu!

Nouvelles d'Israël juillet 1986

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