Israël ne craint pas seulement pour le vin du Golan primé

 

Le Golan, plateau montagneux entre l'Israël d'aujourd'hui et la Syrie, pour lequel l'on s'est déjà battu aux temps bibliques et romains, sera une partie de la «masse des négociations» de la conférence du Proche-Orient. Une visite chez les colons juifs et la population druze laisse supposer que l'on se battra durement pour ce territoire, stratégiquement tellement important.

Si l'on traverse la Cisjordanie dans la direction nord-ouest et qu'on franchit le cours chétif du Jourdain sur les lattes craquelantes du «Pont des filles de Jacob», on se trouve alors devant le Golan - une forteresse en basalte, créée par la nature, 70 kilomètres de large et une profondeur stratégique de 25 kilomètres. Ce haut plateau est stérile et laissé dans son état primitif sur de grandes parties. Les marchands druzes, les agriculteurs juifs, les touristes couverts de poussière et les soldats faisant leur service de réserve dégagent une impression de paresse. Mais le conflit territorial sur le Golan presque oublié est devenu une actualité aiguë par ce qui semblait impossible: la perspective concrète des négociations entre Israël et son ennemi juré, la Syrie.

 

De 1948 à 1967, le Golan n'était qu'un avant-poste militaire pour les Syriens. Ils ont bombardé, avec de l'artillerie lourde, les colonies agronomiques israéliennes, situées en Galilée dans la fertile vallée Huleh, au bord du lac de Génézareth, comme depuis un affût perché. On a laissé un canon syrien à moitié rouillé, il vise le kibboutz de pêche En Gev au bord est du lac. Des constructions en pierre échelonnées, dans lesquelles se trouvaient les blindés syriens, sont maintenant en ruines. Aujourd'hui encore, on peut se faufiler dans certains de ces abris antiaériens. Ce fut Eli Cohen, l'espion israélien qui avait accès aux hautes sphères syriennes et qui fut pendu en public à Damas en 1965, qui aurait suggéré les plantations de grands arbres pour que les soldats puissent être à l'ombre. Les arbres signalaient aux Israéliens où les Syriens se trouvaient.

Les Syriens ont intensifié le bombardement des villages durant la guerre des Six-Jours en 1967. Des soldats israéliens ont escaladé les pentes sous un feu ininterrompu et ont conquis les collines du Golan en 20 heures. Par la suite, les Syriens ont encore une fois effectué un raid durant la guerre du Kippour en 1973, mais ils ont été vaincus durant cette intense bataille. En une semaine, ils ont perdu 1'200 blindés.

L'ancien chef de l'état-major général, le ministre Motta Gur, appartient au parti du travail, lequel préconise la formule «paix contre territoires». Mais, pour des raisons militaires, il est strictement contre la restitution des collines du Golan. Gur commente: «Les Syriens peuvent dominer tout Israël depuis ce promontoire. Depuis la guerre du Golfe, nous savons ce que peuvent faire les armes modernes. S'ils implantent de telles armes sur le Golan, nous serons à leur merci.» Même un retrait partiel jusqu'à une mince bande de sécurité mettrait les troupes israéliennes dans une position intenable, selon le général.

Les Israéliens ont développé le Golan, qui est une partie de l'Erez biblique, aux plans agronomique et industriel. Un mois seulement après la conquête, le premier kibboutz, Merom Hagolan, a été fondé. La région est, du nord au sud, implantée de 32 colonies. Aux environs de la seule petite ville de Katzrin, se trouvent les belles cultures de vigne du Golan. Cette jeune branche professionnelle est déjà couronnée de succès. Les vins du Golan sont les meilleurs du pays et ont été primés au niveau international. Certains Israéliens blaguent amèrement; à l'étranger, on ne comprend pas les raisons stratégiques, mais qu'Israël ne puisse renoncer au vin, cela chacun le comprend.

 

Que le Golan appartienne «pour toujours» à Israël fait, depuis 24 ans, l'inébranlable consensus israélien. A ce sujet, rien n'a changé pour Eli Malka, le président du «Conseil des colonies du Golan». Le paysan barbu de 33 ans explique: «Je me suis établi ici il y a 11 ans - moins pour des raisons idéologiques, mais parce que le Golan est la plus belle région du pays. Maintenant, on parle beaucoup, mais aucun gouvernement israélien ne renoncera au Golan du fait que nous sommes ici à la maison, et surtout pour des raisons de sécurité, d'autant plus que 30 pour cent de l'eau nous parvient d'ici.»

Mais alors, comment faire la paix avec la Syrie? «Les Syriens peuvent avoir la paix, des relations économiques, des frontières ouvertes - mais pourquoi ont-ils besoin du Golan?» Malka et beaucoup d'autres Israéliens du Golan se montrent insouciants; mais justement parce que la région est redevenue un sujet de discussion, le «Conseil des colonies du Golan» a été réactivé en tant que mouvement et groupe de pression politique. Lors de la fête des 14 ans de Katzrin, un choeur de petites filles a chanté en frappant énergiquement des pieds: «Nous resterons ici, sur le Golan! » Les maçons et peintres de la capitale sont occupés plus que jamais: 600 appartements sont en construction, 1'200 autres sont fermement prévus. Quelques centaines de Juifs soviétiques se sont établis sur le Golan. «Ici c'est beau et pas cher», dit un ancien de l'année rouge de Leningrad, qui habite, depuis un an, à Katzrin avec son épouse et son enfant. Il ne se prononce pas sur la problématique politique: «Ceci doit être décidé par le gouvernement, je ne suis que depuis peu dans le pays.»

 

Pendant la guerre du Yom Kippour les Syriens ont perdu 1200 blindés.

Le fantôme de Jamit continue à faire ici son apparition. Jamit était cette colonie juive du Sinaï de laquelle l'armée israélienne fut obligée de déporter de force les habitants suite à la paix avec l'Egypte en 1982. L'un d'eux qui y a perdu son foyer est Chanan Gilman. Aujourd'hui, il travaille dans l'entreprise d'eau minérale Eden dans le quartier industriel de Katzrin. «J'ai déjà vécu ce cauchemar», dit-il sérieusement. «Mais pour une paix réelle je suis prêt à renoncer au Golan. J'y suis déjà préparé moralement.»

A l'instar de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, la souveraineté d'Israël au Golan n'a jamais été reconnue au niveau international. Contrairement à d'autres régions, Israël a annexé formellement en 1981 ce chemin d'altitude, et une Intifada est ici impensable. Ceci est dû en partie à l'infime densité de la population: Avec les 111'000 Juifs vivent ici 16'000 Druzes. Les Druzes sont un peuple arabophone ayant une religion secrète, qui s'était détaché de l'Islam au 11ème siècle. Les quelque 55'000 Druzes israéliens sont loyaux vis-à-vis du pays et servent dans l'armée.

Les Druzes du Golan ont des relations familiales étroites avec les Druzes d'Israël et de Syrie. Ils ont une attitude ambiguë envers les deux pays. Certains ont déchiré démonstrativement les pièces d'identité israéliennes après l'annexion. Ils se rendent presque quotidiennement à la frontière pour parler, à l'aide d'un mégaphone, avec leurs parents de l'autre côté. Mais maintenant que le retour éventuel à la Syrie devient sérieux, pour un grand nombre cette situation s'est envenimée.

Selon le Cheikh Atschi, la «majorité silencieuse» préférait rester avec Israël. Cheikh Atschi est Druze et un ancien délégué du parti libéral israélien Schinui. En tant que «membre fier de l'Etat israélien, du peuple arabe et de la religion druze», il est l'intermédiaire idéal. Il s'était employé à défendre les intérêts israéliens auprès du dirigeant druze libanais, Walid Dchumblat, et pour les Druzes du Golan auprès du Premier ministre israélien Menahem Begin. Ceux-ci ont été désavantagés par les autorités israéliennes, selon Cheikh Atschi: «Pourquoi ne leur a-t-on pas permis des réunions de familles à l'instar des Palestiniens?» Dans les villages druzes, les avis sont partagés. Quatre villages se trouvent sur le Golan, le plus grand s'appelle Midschdal Schams, «tour du soleil». Beaucoup d'hommes gardent leurs coutumes vestimentaires traditionnelles: moustaches épaisses, coiffes blanches et pantalons bouffants noirs.

 

C'est une race d'hommes aimables et bons. L'étranger accueilli reçoit immédiatement leur traditionnel café amer. La place du village reflète une prospérité modeste. L'école moderne, qui fait ici une impression déplacée, la banque israélienne, la caisse maladie et la maison syndicale sont les signes visibles de l'annexion. Les Druzes construisent les maisons pour les colons juifs, à l'instar des Palestiniens en Cisjordanie. L'un de ces ouvriers du bâtiment - qui a, avec ses 24 ans, l'âge de l'annexion - reconnaît tout à fait que pour les Druzes, ça se passe bien en ce qui concerne le travail, l'économie, la santé et l'éducation. Mais il dit: «Malgré tout, nous voulons retourner en Syrie, car là-bas vivent nos parents.» D'autres par contre, estiment que «probablement 90 pour cent» des Druzes veulent rester avec Israël mais n'osent pas le dire. Par exemple, Mehsen Abusaleh, le maire du village Massadi, s'était déclaré pro-israélien, mais il a probablement reçu une douche froide, et on ne peut plus lui en parler. Quelqu'un qui n'a pas froid aux yeux, c'est ce propriétaire d'un restaurant de 60 ans, Selim Schufi. Il est petit, à des moustaches blanches et des sourcils épais.

Non seulement il est fier de ressembler au Premier ministre Shamir, mais il a même mis son portrait au mur, aux côtés du Président Herzog et des insignes de diverses armes. Il a reçu ces insignes de soldats ayant mangé chez lui. «Après 24 ans, nous faisons partie d'Israël», dit-il. «Je ne peux m'imaginer de vivre sous le régime non démocratique et arriéré de la Syrie. » Une tout autre situation apparaît avec les photos étalées dans le salon de Mahmud Safadi, le chef de l'une des deux familles druzes les plus considérées, la plus marquante étant celle du dictateur Gamal Nasser. Le jour du retour des Syriens sera un «jour de fête» pour lui. Il ne sait pas si le niveau de vie baissera. Mais la Syrie est pour lui «le foyer, la mère». Le Druze Safadi et l'Israélien Malka ont un même rêve: pouvoir un jour «boire tranquillement un café ensemble à Damas», que le Golan appartienne à qui que ce soit. (BS)

Nouvelles d'Israël Octobre 1991

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