En 1977, Menachem Begin a été élu chef du gouvernement israélien maintenant Il à démissionné
Qui est Menachem Begin? A première vue cette question semble absurde. Ces dernières années, peu de politiciens ont été aussi souvent mentionnés dans la presse que le Premier d'Israël. Généralement, les «portraits de Begin» sont une reproduction de clichés qui ne montrent que peu de chose de la personne, et du politicien qui se cache au fond. D'aucuns le considèrent comme un homme d'Etat et d'honneur, d'autres comme un fanatique de l'Ancien Testament (on ne pourrait trouver meilleure expression pour déterminer le Juif, mais aussi pour faire connaître celui qui en parle); on le qualifie encore de terroriste et de fasciste.
il est significatif de voir la caractéristique que Begin se donne lui-même: «Juif intègre.» Aucun - Juif né en Israël n'aurait l'idée de s'attribuer ce titre, car - le judaïsme est évident dans ce pays.
Cette autodétermination de «Juif intègre» fait ressortir un trait du caractère et de la politique de Menachem Begin: La diaspora, cause profonde de la souffrance des Juifs, entraîne forcément une concentration au niveau spirituel, religieux et souvent mystique. Au changement de siècle, lorsque les idées du rationalisme et du nationalisme commençaient à prendre pied aussi parmi les Juifs sous l'empire du Tsar, la fierté d'appartenir non seulement à la communauté religieuse juive, mais aussi au peuple juif, se manifesta.
Ce n'est pas par hasard que le feuilletoniste viennois Théodore Herzl, fondateur du nationalisme juif moderne c'est-à-dire du sionisme politique avait trouvé le plus grand nombre de ses adeptes non au milieu de ses semblables, des Juifs émancipés de l'Europe centrale et occidentale dont on présumait qu'ils étaient acceptés par la société, mais parmi les Juifs religieux discriminés de l'Europe occidentale. Seew Dow Begin, secrétaire de la communauté juive dans la petite ville de Brest-Litowsk était l'un des, fervents adeptes des idées de Herzl, au point de donner ce nom à son fils premier-né. Seew Begin était pauvre, raison pour laquelle il insistait sur les valeurs spirituelles dans l'éducation de ses trois enfants. Il leur inculquait l'intégrité et leur apprenait à être fiers d'appartenir au judaïsme - il subsumait les valeurs religieuses et nationales et il leur donnait une culture générale. Son troisième fils Menachem (nom hébreu qui signifie «consolateur»), s'est laissé guider pendant toute sa vie par ces critères. Ils l'ont aidé à comprendre son rôle de discriminé, d'abord comme Juif en Pologne, plus tard comme combattant du mouvement clandestin en Palestine et, finalement, comme outsider politique dans un Israël socialiste sous la direction de David Ben Gourion.
En outre, il bénéficiait d'un précieux héritage que sa mère Hasia lui avait laissé: Une patience presque illimitée. Le rôle d'outsider et le fait d'être sans cesse défavorisé en tant que Juif, ont certainement chargé ce jeune homme fragile aux traits sensibles et aux lunettes épaisses. Cependant, bientôt une possibilité d'épanouissement s'offrait à lui - le public juif. A 13 ans, il fit sa première allocution dans la communauté juive. On lui reconnut immédiatement le talent d'orateur. Peu de temps après, il entra dans l'organisation de jeunesse Betar.
Betar était le fruit de Wladimir Jabotinsky, qui avait été l'initiateur de la «légion juive» combattant aux côtés des Anglais pour la conquête de la Palestine. Elle fut la première troupe juive depuis près de 2000 ans.
A cause des tensions croissantes et des conflits entre Juifs et Arabes en Palestine depuis 1918, Jabotinsky voyait la nécessité de réviser le sionisme romantique de Théodore Herzl, qui n'avait pas prévu le problème de cohabitation entre Juifs et Arabes. Par contre, Jabotinsky affirma qu'il ne pouvait y avoir de possibilité de fonder un Etat juif en Palestine que si la communauté juive était en mesure d'assurer aussi son existence.
A partir de ce moment seulement, on pourrait envisager des négociations avec les Arabes. Bien que pendant les années vingt les chefs du Jischuw (communauté juive de la Palestine), reconnaissaient de plus en plus que Jabotinsky avait raison dans ce domaine, ils refusaient ses idées pour des motifs tactiques et par peur de l'opinion publique. Jabotinsky restait outsider parmi la Jischuw.
C'était différent du côté des Juifs de l'Europe orientale. Son attitude sérieuse et sa capacité d'orateur, ainsi que ses brillants articles, ont suscité beaucoup d'adhérents enthousiasmés, parmi lesquels le jeune Menachem Begin. Sa carrière fut sans précédent. Il fut bientôt le plus apprécié des orateurs dans cette organisation de jeunesse en Pologne. Cependant, dans cette phase couronnée de succès pour Begin, apparut un phénomène tragique qui, jusqu'à ce jour et peut-être jusqu'à la fin de sa vie, l'accompagnera: Son rejet par une partie de la communauté juive, pour laquelle il s'est engagé dès son jeune âge et dont la sauvegarde lui tenait à coeur.
Bien que Begin ait toujours favorisé les intérêts du groupe Betar, il ne rencontrait que de la réserve auprès de son «maître» Jabotinsky, qu'il admirait. Toutefois, l'escalade de Begin vers le sommet du Betar était ininterrompue. A 26 ans, en 1939, il fut nommé chef du Betar dans sa patrie. Au cours des années précédentes, Begin s'était acquis une caractéristique qui le marque encore aujourd'hui. A l'université de Varsovie,- il étudia le droit pendant un an. Cela expliqua la prédilection de Begin pour des actions logistiques et des accords bien déterminés qui, souvent, s'opposent à des résultats de négociations précipités.
Avant même que Begin eut l'occasion d'exercer sa profession ou de former le Betar comme bon lui semblait, la deuxième guerre mondiale éclata. Begin s'enfuit en Lithuanie où il tomba, l'année suivante, entre les mains des Soviétiques qui occupaient - le pays. A cause de ses activités sionistes, il fut condamné à huit ans de travaux forcés et exilé en Sibérie. Conformément à l'accord avec le gouvernement d'exil du général Sikorski, il fut intégré deux ans plus tard dans l'armée polonaise de l'exil qui combattait aux côtés des forces armées britanniques, puis il fut transféré en Palestine. Entre-temps, ses parents et son frère Herzl furent assassinés par les SS.
L'holocauste avait laissé de profondes cicatrices dans son âme. Il n'arrivait pas à pardonner aux nazis le meurtre de son peuple. Pas plus qu'aux Britanniques, engagés dans le combat avec Hitler, de refuser aux Juifs opprimés un asile, même dans le pays de leurs pères en Palestine.
Aussitôt arrivé en Palestine il s'affilia à Ezel (Akronymos pour lrgun Zwai Leumi: armée nationale de libération). Le prestige que Begin s'était acquis comme chef de Betar en Pologne, ainsi que sa personnalité inflexible, l'ont prédestiné à devenir chef de ce mouvement clandestin. En 1943, ce mouvement n'était guère plus qu'un maigre rassemblent d'activistes antibritanniques, d'extrémistes et de membres du Betar. En quelques mois, Begin réussit à transformer cette troupe en un mouvement clandestin bien organisé. Il s'opposa cependant avec véhémence aux instances de ses hommes de frapper immédiatement. Le juriste Begin exigeait un déroulement correct des actions: D'abord imposer aux Britanniques un ultimatum pour l'immigration des Juifs en Palestine. Alors que rien ne se passait, l'Irgun qui, à l'époque, ne comptait pas mille hommes, déclara sans détour la guerre à l'armée britannique en Palestine. Les soldats de sa Majesté n'étaient plus d'humeur à rire de cette soi-disant plaisanterie. La lutte clandestine de l'Irgun avait tellement de succès que les Britanniques en voyaient trente-six chandelles. Toutefois, d'ici à qualifier Begin et sa troupe de terroristes, est preuve d'ignorance. L'Ezel n'avait pour but d'attaque que les objectifs militaires. L'hôtel King David que l'Irgun avait fait exploser - non sans avoir donné des avertissements - était le quartier général de l'armée d'occupation britannique. Begin lui-même n'avait pas de fonction militaire et n'occupait aucun rang dans la hiérarchie stricte de l'Ezel. Il passait plutôt pour être le guide idéologique et «le père» de la troupe. En effet, avec ses 30 ans, il était l'un des plus âgés de l'Irgun.
Begin fit preuve de froideur et de dureté lorsque la Hagana (en hébreu: défense - l'armée clandestine dirigée par les sociaux-démocrates), sur l'ordre de Ben Gourion, livra aux Anglais les quartiers et les personnes de l'Ezel, dans le but d'évincer toute concurrence à la fin de la deuxième guerre mondiale et d'attirer les faveurs de l'opinion publique de la Grande Bretagne et des USA. Mais le chef de l'Ezel interdit toute pensée de vengeance dont se nourrissait bon nombre de ses gens.
Il garda cette même attitude lorsque les Anglais quittèrent enfin la Palestine en mai 1948, et que Ben Gourion fit couler, près de la côté de Tel Aviv, un bateau de l'Irgun qui transportait des volontaires et de la munition vers Israël pour la guerre d'indépendance. Bien des jeunes gens moururent ou furent blessés, mais Begin, qui se trouvait aussi sur le bateau, refusa toute résistance. Dans un discours à la radio, il affirma en versant des larmes que jamais, dans l'Etat juif, on ne devait provoquer une guerre civile. Le groupe Ezel fut dissous sans aucune opposition et les 3000 combattants intégrés dans la nouvelle armée du ministre de la défense Ben Gourion.
Avec ses adeptes, Begin fonda le parti Hérouth (liberté) qui, lors des premières élections, était devenu troisième en force. Ben Gourion haïssait Begin et cherchait à l'écarter du système politique, ainsi que son parti. Il s'opposait à toute coalition avec l'Hérouth et refusait de parler avec Begin, en le comparant souvent à Hitler.
Pendant bien des années, Ben Gourion réussissait à faire de l'Hérouth et de Begin des «outsiders». Cependant, c'est justement cela qui contribua à leur triomphe plus tard. L'Hérouth enregistrait toujours plus d'adhérents parmi les désavantagés de l'Etat juif, notamment parmi les immigrants des pays arabes, qui ne savaient que faire du socialisme hébreu. Grâce à son talent rhétorique et, avant tout, à sa faculté de s'exprimer de manière simple pour être compris de chacun, Begin contribua au fait que l'Hérouth accrût le nombre des voix à chaque élection.
Toutefois, ce n'est que 19 ans après la création de l'Etat, à la veille de la guerre de six jours en 1967, que Begin réussit à percer. Lorsque, angoissé, le peuple réclamait un chef de gouvernement affermi dans son autorité, Begin proposa son rival Ben Gourion pour ce ministère. Cependant, le parti travailliste s'y opposa. Begin parvint néanmoins à faire passer Moshe Dayan adepte de Ben Gourion - comme ministre de la défense. Lui-même se contentait du rang de ministre sans portefeuille au cabinet de coalition de l'unité nationale. Il n'y avait plus de tabou et bientôt, au sein du cabinet et parmi la population, on considérait Begin comme le politicien le plus populaire après Golda Meïr. Pourtant, après que l'Hérouth eut quitté la coalition de gouvernement en 1970, il fallut encore sept ans avant que le Likoud (association de l'Hérouth avec les libéraux) parti le plus fort - perçat et que Begin fut élu Premier ministre.
Begin faisait preuve d'autorité non seulement dans son propre pays, mais aussi dans le monde arabe; c'est ce que soulignait le président égyptien Anouar el Sadate lorsqu'il se rendit à Jérusalem, quelques mois seulement après l'installation de Begin, et, par là, amorça le processus de paix de Camp David. D'autre part, Begin n'était nullement l'homme intransigeant selon ce que certains disaient de lui, mais il faisait preuve du contraire: A la suite de l'accord de paix, Israël s'est complètement retiré de la péninsule du Sinaï. Menachem Begin n'est pas un homme de haine. il a prouvé qu'il ne haïssait ni ses compatriotes, ni les Britanniques et moins encore les Arabes - ni les Allemands, bien qu'on le lui reproche. il est vrai que sa relation avec les Allemands reste tendue. Certes, l'attitude de l'ancien chancelier allemand Helmut Schmidt qui, pendant des années s'était refusé à visiter Israël et qui avait permis à l'Arabie-Saoudite d'espérer la livraison de chars de combat modernes allemands du type Leopard-2, a contribué à la réserve de Begin. Mais ce dernier témoignait de sa bonne volonté de réconciliation avec les Allemands, en réitérant l'invitation pour une visite officielle en Israël du chancelier Helmut Kohl. Tous ceux qui connaissaient Menachem Begin attendaient de cette rencontre avec Helmut Kohl qui appartient à la nouvelle génération allemande d'après-guerre, une nette amélioration de sa relation avec l'Allemagne, et par là une contribution à la réconciliation entre les deux peuples.
Qu'est-ce qui a décidé Menachem Begin à donner sa démission? Ces dernières années, Menachem Begin a dû subir un lot d'épreuves qui l'ont certainement poussé à la limite de sa force morale. Il y a, par exemple, la guerre du Liban qui, au départ, n'était destinée qu'à détruire l'infrastructure de l'OLP dans un temps d'opération militaire relativement court et qui, cependant, s'est traînée en longueur en provoquant plus de 500 morts et des milliers de blessés. A cela s'ajoute la mort de sa femme, l'assassinat du président d'Etat égyptien Anouar el Sadate avec lequel il avait signé le traité de paix de Camp David et, pour finir, la disparition du président d'Etat Beschir Gemayel, qui était pour la paix avec Israël. Ce sont là des raisons qui pouvaient décider Begin à se démettre de ses fonctions de Premier ministre. Toutefois, il n'est pas brisé. Sa piété et sa conscience de «Juif intègre» le soutiennent certainement.
R. Seligmann
Nouvelles d'Israël 12 / 1983