Michaël Gurdus, un Israélien de 45 ans, est là assis dans une petite pièce de 10 m2, au centre de Tel-Aviv; pratiquement chaque jour, il prouve l'exactitude de la théorie du soi-disant «prophète des sciences de communications» - Marshall MacLohan - théorie selon laquelle les médias modernes ont transformé notre monde en un «village global» où chacun sait tout sur les autres.
Gurdus, marié et père de deux enfants, est un radio-amateur qui a fait de son hobby sa profession. Il écoute d'innombrables émissions tant par la radio que par la télévision ainsi que des messages adressés par des pilotes d'avions aux tours de contrôle et ceux d'autres stations émettrices militaires et civiles partout dans le monde. Cet homme est un vrai pro, le no 1 dans son domaine. Nous n'en voulons pour preuve que l'attitude des sociétés pétrolières japonaises et américaines ainsi que celle des grandes stations de radio et de télévision; elles lui paient chaque mois plusieurs milliers de dollars pour qu'il les tienne informées de ce qui se passe réellement ici-bas. Sa pièce de travail est toute remplie d'appareils de radio et de télévision, de postes récepteurs, d'enregistreurs-vidéos, tous reliés à des antennes extérieures.
A l'aide de ces instruments, il peut suivre les événements dans le monde entier. L'Inde, la Chine, l'Afrique, l'Amérique du Sud, le Proche-Orient et récemment le golfe Persique ... pratiquement tout ce qui est émis dans ces endroits - même par des postes secrets - est capté et déchiffré dans cette petite chambre. Depuis vingt ans, il écoute attentivement ses appareils; il ne quitte cette pièce que rarement. Les informations et les messages constituent son univers.
C'est en 1974 que son nom s'est fait connaître au plan international quand le président de Chypre de l'époque, l'archevêque Makarios, fut déposé et disparut. Alors que Makarios était déjà considéré comme mort, Gurdus reçut, quelques jours seulement après ce coup d'Etat, un appel au secours lancé par un bref message radio depuis un petit village situé dans le sud de l'île de Chypre où l'archevêque se tenait caché. Après que Gurdus eut transmis cet appel sur les ondes de «Kol Israël», les Britanniques volèrent au secours de Makarios et le rétablirent dans ses fonctions. Et ce dernier de dire: «Gurdus a sauvé mon poste et peut-être même ma vie.» Plusieurs pensent pouvoir affirmer que le chef d'Etat chypriote, pourtant connu pour son antagonisme à l'égard d'Israël, n'a jamais oublié le geste de Gurdus. Pour cette seule raison, il n'a pas rompu les relations diplomatiques entre son pays et Israël.
Il est arrivé aussi que Gurdus ait provoqué des incidents diplomatiques par ses révélations spectaculaires. En octobre 1977, il informa la télévision israélienne de l'intention* d'un commando allemand de s'emparer de l'avion de la Lufthansa qui avait été détourné à Mogadiscio, la capitale de la Somalie. A l'aide d'instruments spéciaux, cet expert en radio réussit à se mettre à l'écoute du réseau secret de communications des Allemands ainsi que des pirates de l'air. Il put ainsi suivre les pourparlers avec ces derniers et entendre les ordres de l'unité allemande de sauvetage. La publication de ces informations conduisit presque à l'interruption de l'intervention; les Allemands ne manquèrent pas, par la suite, de protester auprès du gouvernement israélien.
Les USA marquèrent également leur désapprobation auprès des Israéliens après que Gurdus, en avril 1980, eut fait connaître la nouvelle de l'assaut raté de l'ambassade américaine en Iran. Gurdus, qui s'était mis à l'écoute du réseau d'informations des avions US, fut le premier à porter à la connaissance du monde que l'action de libération des otages américains en Iran, ordonnée par le Président Carter, avait échoué.
Grâce à son aptitude à écouter les émetteurs d'avions étrangers, Gurdus put, en 1970, révéler l'existence d'un pont aérien soviétique transportant des armes et de l'équipement militaire dans l'Egypte du Président Nasser. Il fut aussi le premier à découvrir le détournement d'un avion de la compagnie El AI par les terroristes de Laïla Halad. Depuis lors, il se spécialise dans les détournements d'avions. En 1985, il apporta, depuis sa pièce de travail, l'information concernant celui d'un avion koweïtien vers Téhéran. Les pirates de l'air tuèrent un des otages et se mirent à torturer les autres. Gurdus put tout entendre. «Assis ici, j'entendais les cris des malheureux. Je tremblais en attendant un coup de feu. C'était terrible. Je ne pouvais rien faire si ce n'est le crier au monde. J'ai au moins réussi à éveiller la conscience publique à ce phénomène», pense Gurdus.
De même aujourd'hui, il entend tout ce qui se passe dans le golfe Persique. Dans sa chambre, les téléphones n'arrêtent pas de sonner. A l'autre bout des lignes se trouvent des responsables des médias américains, japonais, australiens, sud-américains, etc., qui ont soif d'informations que seul Gurdus peut leur fournir. Comme dans toutes les crises des vingt dernières années, il est la principale source de renseignements sur les événements concernant le Koweït occupé où les journalistes ne peuvent plus entrer. Nul ne doute qu'il fut le premier au monde à mentionner des mouvements de troupes autour du golfe Persique. Comment s'y prend-il? «En écoutant des canaux spéciaux», explique-t-il. Lesquels? C'est là un secret professionnel qu'il ne tient pas à révéler.
Il ne dort que très peu depuis le début de la crise du Golfe. Dans les premières semaines, il dut se contenter de deux à trois heures de sommeil par nuit. A la question de savoir si cela ne lui pèse pas, il répondit:
«Au contraire; cela me permet de goûter vraiment à la vie. La chose me stimule; j'aime cela.» Il n'a plus vu un film au cinéma depuis plusieurs années; il n'a plus pris de vacances non plus. C'est à la maison devant ses appareils que cet homme, qui a déjà souvent fait l'histoire, se sent le mieux. La langue hébraïque se chargera de maintenir le souvenir du passage de Gurdus sur la terre; en effet, en son honneur, un nouveau mot a été créé: «capteur».
Nouvelles d'Israël 03 / 1991