EN ISRAEL, L'ANNÉE 5752 VIENT DE S'ACHEVER. LA LECTURE ET L'ARRANGEMENT DES LETTRES, SELON L'ALPHABET HÉBREU, PERMETTAIT D'Y DÉCELER LE MOT «SOUFFLE». LA NOUVELLE COALITION AU POUVOIR A EFFECTIVEMENT DONNÉ UN NOUVEAU SOUFFLE À UN PROCESSUS DE PAIX DONT L'ORGANISATION ELLE-MEME, AU COURS DE L'ANNÉE ÉCOULÉE, A COUPÉ LE «SOUFFLE» AU MONDE ENTIER. QU'EN EST-IL, UN AN APRES?
En une année, le président Bush et son infatigable Secrétaire d'Etat, James Baker, peuvent se flatter d'avoir obtenu une série de succès diplomatiques dans la région du Moyen-Orient. Ni les Israéliens, ni leurs interlocuteurs arabes n'ont pu rester sur leurs positions; au son de la fanfare américaine, ils ont dû entrer dans le cirque des négociations de paix et se produire en une série de représentations communes. Le charme envoûtant du cirque, c'est de rendre, pour quelques instants, l'impossible possible, et le fantastique réel. Pourtant, une fois le spectacle passé, personne, dans le public, ne s'avisera de rentrer chez soi en marchant en équilibre sur un fil électrique! C'est pourtant, semble-t-il, ce que l'on exige de certains habitants du Proche-Orient: chrétiens du Liban sous le joug syrien et chiite, Arabes palestiniens terrorisés par les hommes de l'OLP, du FPLP ou du Hamas et Israéliens luttant pour la survie physique de leur Etat et pour leur sécurité personnelle.
Les succès de la diplomatie américaine sont pourtant indéniables: champions du «front du refus», les Syriens et les Palestiniens négocient avec Israël depuis près d'une année. Leurs délégués siègent avec des délégués israéliens et - ô miracle - se donnent la main, échangent parfois chocolats et sucreries et se souhaitent bon voyage en se séparant.
Quelles raisons expliquent cette réussite? La principale est sans doute l'effondrement de l'empire soviétique qui a laissé les ennemis d'Israël sans soutien économique, politique et militaire, laissant les Etats-Unis seuls sur la scène internationale. La guerre du Golfe a renforcé le poids de cette unique grande puissance, prouvant au monde, et en particulier aux Arabes, que le dernier mot en matière politique, appartenait aux Américains et que se les concilier valait mieux que se les aliéner.
Le tournant pris par l'administration américaine par rapport à une attitude traditionnellement pro-israélienne a également facilité le «processus de paix». Cessant d'exiger des Syriens, des Jordaniens et des Palestiniens une reconnaissance préalable d'Israël, et la fin d'un état de guerre avec celui-ci, les dirigeants américains ont choisi d'exercer leurs pressions sur le partenaire le plus faible sur le plan diplomatique: Israël, isolé dans un Proche-Orient hostile, désespérément dépendant de l'aide économique et militaire américaine et des relations commerciales avec l'Occident. Les pressions américaines, associées à des considérations internes, ont favorisé l'éviction du Likoud du pouvoir et la victoire des forces de gauche. Alors que le monde entier, ou presque, se détache du communisme et des thèses marxistes, Israël est dirigé, actuellement, par le gouvernement le plus «rouge», le plus pacifiste et le moins sioniste de son histoire, Yitzhak Rabin étant encore l'un des éléments les plus conservateurs et les plus modérateurs de la coalition au pouvoir.
Avant même que les partenaires arabes aient fait à Israël la moindre concession sur le fond, le gouvernement Rabin a pris une série de mesures draconiennes dans le cadre du «gel des implantations dans les territoires»: à part une parcelle au sud de Bethléhem, la construction de routes en Judée-Samarie a été stoppée, même là où des travaux avaient déjà été engagés, toute construction publique qui n'avait pas dépassé un certain stade a été arrêtée; la construction privée fait elle-même l'objet d'une série de restrictions et de tracasseries administratives; les prêts avantageux ont été annulés, ainsi que les réductions d'impôts accordées aux Israéliens des territoires; à Jérusalem même, des commissaires de la municipalité soumettent les juifs qui ont acheté des maisons dans les quartiers arabes à des procédures de contrôle: la plupart sont pourtant d'anciennes propriétés de juifs chassés par les pogroms de 1936/1939.
En plus de ces mesures sévères, le Premier ministre israélien a fait libérer 800 prisonniers de la «guerre des pierres» qui avaient déjà purgé au moins les deux tiers de leur peine. Il a également fait savoir aux Syriens qu'il était prêt à envisager un retrait partiel des hauteurs du Golan dans le cadre d'un accord intermédiaire avec la Syrie. Il a promis l'autonomie administrative aux Arabes palestiniens d'ici six à neuf mois. Ces atouts importants que le cabinet Shamir avait gardés en réserve pour une phase ultérieure des négociations, ont été joués dès la reprise de la partie.
Quels avantages le gouvernement d'Yitzhak Rabin en a-t-il retiré?
L'image d'Israël s'est améliorée dans les médias internationaux. Les relations avec les Etats-Unis connaissent un nouveau printemps, encore qu'il ne faille rien exagérer à ce sujet: de graves points d'interrogation subsistent, comme nous allons le voir. Les garanties de prêts, promises à nouveau par le président Bush pourraient être accordées avant les élections américaines de novembre. Cela étant, la diplomatie américaine n'a pas renoncé à l'usage de la pression et des menaces à l'encontre d'Israël.
Dans une conférence, tenue à Jérusalem le 2 septembre devant un public de fonctionnaires gouvernementaux et de diplomates, l'ambassadeur des Etats-Unis en Israël a déclaré que «le sujet de la discrimination des Arabes israéliens serait remis à l'ordre du jour et mis en exergue dans un avenir proche dans le cadre des relations israélo-américaines». Cette phrase a frappé les assistants de consternation: «J'ai tout simplement cru qu'il déraillait» a déclaré un haut fonctionnaire israélien. Quand on connaît le tact et le respect avec lesquels Israël traite ses citoyens arabes, et la manière dont les Etats arabes traitent leurs minorités (Druzes, Kurdes, coptes, chrétiens, juifs), on ne peut que s'indigner de l'hypocrisie d'une telle déclaration.
Les positions arabes sont encore plus décevantes. Elles oscillent entre: «ce que fait Rabin est bien, mais insuffisant; il faut encore qu'il prouve sa bonne volonté par des concessions supplémentaires» et: «rien n'a changé avec Rabin qui poursuit simplement la politique de son prédécesseur dans un style nouveau». L'embargo arabe contre Israël dont la levée était liée au gel des implantations, se poursuit comme auparavant. Les diplomates arabes exigent maintenant l'évacuation de la population juive des territoires avant de mettre fin au boycottage. Ils déclarent en outre que seules les nations arabes ayant fait la paix avec Israël pourront lever l'embargo, si elles le veulent: quant aux autres, elles devront décider de la fin de l'embargo dans le cadre de la Ligue arabe, et une décision positive générale ne sera imposée à aucun Etat arabe, chacun étant souverain pour adopter lui-même l'attitude qui lui convient envers Israël!
Les négociations avec les diverses délégations (syriennes, jordano-palestiniennes, libanaises) connaissent des hauts et des bas. Il y a des progrès dans «l'atmosphère», le «ton» et, parfois, dans les détails de procédures. On trouve les nouvelles propositions d'Israël intéressantes, plus ouvertes, tout en maintenant les vieilles positions arabes et leurs exigences absolues: retrait israélien total des hauteurs du Golan, autonomie totale des Palestiniens comme une première étape en vue d'un Etat palestinien. Il y a échange verbal, il y a dialogue entre délégations arabes et israéliennes, mais les seuls «progrès» enregistrés sont les concessions israéliennes, sans contreparties autres que verbales.
Pendant ce temps, le terrorisme arabe se poursuit, de l'extérieur et de l'intérieur. Le Hezbollah, le FPLP, le Front islamique et d'autres poursuivent leurs attaques depuis le Liban ou, parfois, la Jordanie et l'Egypte. La «guerre des pierres», l'Intifada, ne cesse guère et chaque semaine apporte son lot de victimes.
Y aura-t-il un jour la paix dans la région?
Des experts israéliens prévoient le scénario suivant: sous la pression des Américains et des Européens, les Israéliens seront entraînés de concessions en concessions, au terme desquelles une série d'accords temporaires pourront être signés avec les Palestiniens, les Jordaniens, les Libanais et les Syriens. Les activités terroristes iront probablement en diminuant, mais sans cesser totalement. La menace militaire syrienne subsistera avec, toutefois, des garanties internationales (dont l'affaire «yougoslave» nous permet d'apprécier la valeur) accordées à Israël. Et puis, au terme de la période fixée par les accords provisoires, on se retrouvera au point de départ_ D'autres scénarios, plus catastrophiques, sont également envisagés. Mais Israël met sa confiance dans ce Dieu souverain qui l'a conduit et gardé tout au long de son histoire.
De Jérusalem, Henri-Léon Vaucher
AVENEMENT Octobre 1992 No 52 / P 18
© L'Avènement - Tous droits réservés pour tous pays