PREMIERE RENCONTRE À WASHINGTON
C'est le président Clinton en personne qui a annoncé la nouvelle: «Israël et la Syrie vont reprendre les négociations. Les deux parties, le Premier ministre israélien Ehud Barak et le ministre syrien des Affaires étrangères Farouk al-Shara, doivent se rencontrer la semaine prochaine à Washington.»
Rendu public à la mi-décembre, alors que Madeleine Albright se trouvait justement au Proche-Orient, ce communiqué a fait l'effet d'un coup de tonnerre. Quand Clinton a révélé l'information, la ministre américaine des Affaires étrangères séjournait précisément à Jérusalem dans le cadre d'entretiens avec Ehud Barak.
.Accords et dissensions
La rencontre officielle entre Ehud Barak et Farouk al-Shara à Washington n'était qu'un premier temps fort couronnant des contacts prolongés et difficiles, mais aussi intensifs, organisés en secret sous l'égide des Américains. Ces contacts avaient déjà permis de négocier une série d'accords à défaut desquels jamais une telle rencontre n'aurait pu avoir lieu. Selon les commentateurs politiques spécialisés dans le Proche-Orient, ces accords porteraient déjà sur les problématiques suivantes: la distribution de l'eau, le retrait israélien du Golan, la présence israélienne sur le Mont Hermon, les dispositions de paix, la garantie du respect des traités, l'aide économique américaine à la Syrie et le soutien américain en matière de sécurité à Israël.
En dépit de ces accords, des points litigieux persistent bien entendu entre les deux parties, notamment au sujet du tracé définitif de la frontière, du calendrier du retrait israélien, ainsi que de nombreux autres aspects relatifs à la sécurité que Barak veut obtenir de la part d'el-Assad.
Accords
D'après les spécialistes du Proche-Orient, voici les accords qui auraient déjà été conclus avant la première rencontre à haut niveau:
- Problématique de l'eau: le président el-Assad a décidé de «se montrer conciliant envers Israël» concernant le problème de l'eau. A Jérusalem, de hauts fonctionnaires affirment que le contrôle des ressources aquifères resterait du ressort exclusif d'Israël. Les Syriens n'obtiendraient aucun accès au lac de Génézareth ni aux ressources du Nord, comme la rivière Bania et ses sources.
- Retrait: Israël a accepté un retrait généralisé du plateau du Golan moyennant une «légère modification de la frontière».
- Mesures de sécurité: le président el-Assad a laissé entendre qu'il se montrerait aussi conciliant en ce qui concerne la présence israélienne sur la base stratégique du mont Hermon.
- Dispositions de paix: ce thème avait déjà été abordé sous un angle pratique lors des négociations israélo-syriennes de Wye Plantation en mars 1996. A l'époque, les chefs de délégation avaient établi une liste de 60 points pour une normalisation des relations entre les deux pays. Cette liste prévoyait notamment l'ouverture des frontières, l'échange d'ambassadeurs, une coopération économique, le développement du tourisme, etc.
- Une paix extensive: Assad a signifié très clairement à Israël que la signature d'un traité de paix avec la Syrie impliquait la même démarche envers le Liban. La Syrie travaillera à la reconnaissance de l'Etat d'Israël dans le monde arabe, surtout en Arabie Saoudite et dans les Emirats arabes.
- Présence syrienne au Liban: les deux parties ont accepté les bases d'un accord prévoyant que le traité de paix ne remettrait pas en question la souveraineté syrienne au Liban et garantissant un statu quo de la présence syrienne sur place.
- Aide américaine: le président Clinton s'est engagé à fournir des mesures d'aide aux deux pays. Les Syriens seront rayés de la liste des pays soutenant le terrorisme, obtiendront une reconnaissance internationale et une aide financière s'élevant à plusieurs milliards de dollars, ainsi qu'une assistance militaire et un soutien à leurs exportations internationales.
Israël se verra également crédité d'une aide importante: systèmes d'alerte avancés, avions de reconnaissance, engagement à poursuivre le développement de la norme supérieure IDF et assentiment sur les revendications d'ordre militaire, y compris une collaboration stratégique plus étroite. A ce sujet, la question de la présence d'une force de paix internationale incluant éventuellement une unité américaine sur le plateau du Golan reste ouverte.
Points litigieux
Nonobstant plusieurs accords fondamentaux, certains secteurs capitaux font encore l'objet de dissensions. Ces thèmes devront être abordés par les interlocuteurs au cours des prochaines semaines:
- Tracé de la frontière: en dépit d'un accord prévoyant le retrait israélien généralisé du plateau du Golan, la question du tracé précis et définitif de la frontière n'est pas résolue. Le litige porte sur la définition de la «frontière historique et internationale» entre les deux pays. La Syrie demande qu'Israël se retire sur la frontière du 4 juin 1967, autrement dit d'avant la guerre des Six jours. Israël, en revanche, se base sur la frontière internationale négociée entre les Anglais et les Français en 1923, soit avant la constitution de l'Etat d'Israël.
- Calendrier: Les Syriens revendiquent un retrait rapide du Golan dans les 9 à 12 mois. Israël demande une période plus longue s'étendant sur quatre à six ans. Les experts estiment que la première phase du retrait devrait suivre immédiatement la signature du traité. Mais auparavant, il faudra que celui-ci ait été ratifié par la Knesset et ait fait l'objet d'un référendum. Un retrait généralisé pourrait alors s'étaler sur une période de deux ans.
- Mesures de sécurité: pour le Premier ministre israélien Ehud Barak, ce point est l'un des plus importants. L'Etat d'Israël demandera une présence (informelle) sur le point d'appui du mont Hermon. En outre, Israël continuera à revendiquer les points suivants: retrait de toutes les forces militaires du Golan, dégraissage des unités syriennes stationnées entre le Golan et Damas, coupure entre ces unités et les magasins d'approvisionnement afin d'empêcher tout réarmement rapide et soudain. Pour s'assurer du respect de ces points, des patrouilles communes devront être organisées ainsi que, dans la mesure du possible, la possibilité de procéder à des coups de sonde impromptus.
Pour les Israéliens, les mesures de sécurité incluent également la mise sur pied d'une force internationale sur le plateau du Golan ainsi que l'installation de systèmes d'alerte avancée américains ultramodernes. Ces derniers devront également intégrer des retransmissions par satellite mises immédiatement à la disposition d'Israël et permettant de suivre avec précision tout mouvement de troupes syriennes.
La lutte pour le Golan
Personne, en Israël, n'a le moindre doute: les négociations avec la Syrie tournent autour de l'avenir du plateau du Golan.
Ce combat, qui se livre sur le terrain diplomatique de l'Etat d'Israël, bat déjà son plein. Après la dramatique communication du président US, 24 heures ne s'étaient pas encore écoulées que tous s'étaient mobilisés.
Cette lutte est menée parallèlement sur deux fronts: au plan politique et en public. Sur chacun de ces fronts, une décision claire doit tomber concernant le plateau du Golan: le garder ou le rendre.
Au plan politique, chaque traité nécessite une ratification par la Knesset. L'accord du parlement israélien est indispensable, et cela parce qu'il s'agit du Golan, un territoire non occupé, contrairement à la Judée, à la Samarie et à Gaza. Le plateau du Golan a été déclaré territoire annexé par Israël par une loi votée par la Knesset en 1981. Sa restitution aux Syriens exige un processus législatif particulier, par lequel la loi existante peut être abrogée; ou autre possibilité: la Knesset, en posant un précédent, déclare renoncer à des territoires de l'Etat d'Israël. Les deux options ne sont nullement faciles à réaliser; elles sont actuellement étudiées par des juristes, par le gouvernement ainsi que par l'opposition.
Le front public de ce combat joue un rôle tout aussi important. Il y aura ici une consultation populaire. Ainsi donc, pour la première fois dans l'histoire d'Israël, la décision quant à l'avenir du Golan est dans les mains de chaque citoyen et de chaque citoyenne de ce pays. Chacun(e) pourra, après de mûres réflexions, décider d'une question spécifique et capitale: se retirer du Golan ou pas.
Pour les colons installés sur le Golan, ce combat est, dans le vrai sens du terme, une lutte pour leurs habitations. Ils sont déjà aguerris, parce que forts de leurs premières expériences, lorsque Rabin a entamé des négociations avec les Syriens. Ils étaient ainsi organisés et prêts, avant même que Barak ne s'envole pour les USA en vue de rencontrer pour la première fois le ministre des Affaires étrangères syrien, Farouk el-Shara. Le Golan fut inondé d'affiches portant des phrases comme: «Nous ne partirons pas du Golan» ou «Le Golan: inséparable de l'Etat d'Israël» parallèlement à cela, le Conseil des colons du Golan a commencé à organiser des tournées dans la région. De cette manière, le plus possible d'Israéliens auront devant les yeux la situation existant là-bas, de sorte qu'ils seront fondamentalement informés quand on en viendra à une consultation populaire, et qu'ils approuveront les colons pour des raisons de sécurité.
De son côté, le gouvernement israélien essaiera naturellement de faire comprendre aux citoyens quels seront les avantages d'une paix avec la Syrie. Il est certain qu'un accent particulier sera mis sur l'importance des frontières ouvertes et sur cet autre point qui, actuellement, semble comme un rêve pour les Israéliens: pouvoir aller dans son auto personnelle, par exemple, de Tel-Aviv, via le Liban et la Syrie, en Turquie et de là continuer son voyage vers l'Europe. Sur base de ces considérations, il est très difficile de prévoir quelle sera l'issue d'une consultation populaire. Des sondages d'opinion, effectués immédiatement après la communication annonçant l'ouverture des négociations, ont montré que la population israélienne était divisée: 46% affirmèrent vouloir soutenir un retrait, 46% également se prononçant carrément contre. Cette attitude du public correspond exactement à la scission existant avant l'ouverture de la lutte et de la campagne publique des habitants du Golan. D'autres sondages d'opinion, qui eurent lieu en décembre, ont indiqué qu'une bonne partie des Israéliens ne se laissent influencer par aucune circonstance et maintiennent leur point de vue. Ainsi, par exemple, il s'est avéré que la grande majorité des immigrés russes, qui représentent actuellement 15% environ de la population israélienne, est contre un retrait du Golan. Cela s'explique, d'une part, par les sentiments de haine et de méfiance à l'égard des Arabes et, d'autre part, par l'impression qu'Israël, même sans perte stratégique par un retrait, est une petite tache qui ne peut être davantage diminuée. Mais le poids en pourcentage des voix russes est sensiblement contrebalancé par celui des Israéliens arabes. Selon des estimations, ils voteront pour un retrait. Mais les sondages d'opinion ont aussi fait apparaître que quelque 20% de tous les Israéliens n'ont pas d'avis ferme concernant le Golan; ils sont donc tout à fait influençables. Ce pourcentage des indécis représentera vraisemblablement le contingent qui fera pencher la balance ou rester sur le Golan, ou partir.
Guerre civile?
La perspective que le plateau du Golan sera peut-être bientôt rendu aux Syriens a éveillé, chez tous les esprits depuis longtemps assoupis, la peur d'une guerre civile et d'une profonde division de la société israélienne.
En Israël, on ne se souvient que trop bien de la douloureuse expérience de l'évacuation de la presqu'île du Sinaï et de la dissolution des colonies juives de l'endroit, quand cette partie d'Eretz Israël fut rendue aux Egyptiens. Agir de la même manière pour les colonies du plateau du Golan sera deux ou trois fois plus pénible, tous le savent.
Même si un référendum se déclare pour l'abandon du Golan, il y aura toujours suffisamment de gens qui refuseront d'accepter une telle décision sous la direction de Barak et qui pourraient, éventuellement, aller jusqu'à vouloir faire la loi eux-mêmes.
L'estimation selon laquelle l'évacuation du Golan pourrait conduire à des violences et peut-être même à une guerre civile, ne repose nullement sur des informations secrètes des services de renseignements. Elle se base sur plusieurs annonces et discours publics, que les responsables des colons du Golan ont prononcés. Quelqu'un qui, ces derniers temps, s'est mis tout particulièrement à l'avant sur cette question est Avi Sa'ira, membre du Conseil des colons du Golan, dont il était encore le président voici peu de temps. Dans une interview accordée au journal «Ha Aretz», Sa'ira a fait des déclarations nettes concernant un refus, par la violence, de l'évacuation du Golan, même si la décision populaire va dans le sens du retrait. «Si, lors d'un référendum, nous ne remportons pas la victoire, nous devrons avoir recours à la violence. Cela signifie que le gouvernement emploiera la force contre nous; nous réagirons donc par la violence. L'occupation des rues et des mesures semblables... Le minage ciblé de territoires... Tout est prêt et tous sont prêts: nous ferons sauter des ponts, des véhicules de l'armée... »
Ces déclarations de Sa'ira reflètent tout à fait l'atmosphère qui règne chez une partie des habitants du Golan. Il y a là de nombreux jeunes, nés dans cette région et qui y ont passé leur vie. Une lycéenne, habitante du Golan, a affirmé au président de la Knesset, lors d'une visite qu'il effectuait là-bas: «Pour moi, les feux rouges s'allument. C'est ma frontière. Je suis prête à mourir plutôt que d'abandonner ma maison.»
Mais il n'y a pas que des jeunes à réagir ainsi. Ce n'est pas nouveau que, de temps en temps, sont publiés des communiqués selon lesquels certaines colonies du Golan sont qualifiées d'«extrémistes». Quelques-unes ont même commencé à préparer des armes et à mobiliser des combattants pour le «jour de la décision», au cas où celle-ci tomberait dans le sens du retrait du Golan. Evacuer le Golan ne sera certainement pas chose facile.
La situation en Syrie
La disposition de la Syrie à ouvrir actuellement des négociations avec Israël a surpris bon nombre d'experts non seulement en Israël, mais aussi à l'étranger. Des informations des services de renseignements ont, ces derniers temps, fait état d'une détérioration de la santé du président syrien et d'une certaine instabilité au plan de la politique intérieure. Peu de semaines seulement avant la publication de l'ouverture des négociations, des communiqués ont fait mention, dans le monde occidental, du mauvais état de santé du président el-Assad. Il paraît qu'il peut à peine s'occuper des affaires normales de l'Etat, sa capacité de concentration s'étant fortement réduite; on affirme qu'il peut encore travailler à peine plus de trois à quatre heures par jour. Ces communiqués ont été confirmés lors de la visite du ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine, à Damas. On a ensuite appris ceci: «Les jours du président Hafez el-Assad sont comptés.»
Sur fond de ces nouvelles, de plus en plus de communiqués ont paru dans la presse occidentale relativement à une opposition syrienne de plus en plus forte. El-Assad prépare, depuis des années, son fils Bashar à sa succession au pouvoir. Bashar, médecin de profession, éprouve encore manifestement des difficultés à marcher sur les traces laissées par son père, traces non négligeables d'un vrai potentat. On a appris, à l'Ouest, que le frère d'el-Assad, Rifat, a repris ses activités, tout en essayant d'améliorer sa propre position de départ en vue de la fonction de dirigeant. La presse informe que dans un port syrien, centre de la contrebande de la drogue, et sous contrôle de Rifat el-Assad, des graves combats ont éclaté. Plusieurs hommes de Rifat y ont laissé leur vie. Selon des experts, ces luttes marquent le début de querelles violentes pour la succession du président. Ces faits sont considérés comme une faiblesse du gouvernement centriste de Damas. Des spécialistes pensent qu'il faudrait à el-Assad un bon moment pour remettre de «l'ordre» et pour préparer son fils pour la prise en charge définitive du pouvoir.
La rencontre avec la Syrie
Les Israéliens l'ont toujours su: la Syrie n'est pas du tout un partenaire de négociation affable.
Cette fois non plus, Farouk el-Shara n'hésita pas à troubler, à Washington, l'atmosphère pourtant tout à fait bienveillante, et à donner une «gifle en pleine figure» des personnes présentes. Tout d'abord, il refusa obstinément de serrer la main du Premier ministre israélien, Ehud Barak. Mais son comportement ne fut pas tel au début de la rencontre seulement, alors que les positions des deux clans n'étaient pas encore nettement définies. Il maintint son attitude bien au-delà du moment où il apparut clairement que les pourparlers étaient entamés. Farouk el-Shara ne refusa pas seulement de serrer la main du Premier ministre israélien, il évita aussi tout geste de rapprochement.
Et il n'en resta pas là. Lors de son allocution du début de la réunion, il mit publiquement l'accent sur l'attitude intransigeante qui serait celle des Syriens. Bien qu'ayant convenu avec les Américains de s'en tenir à quelques courtes phrases introductives seulement, il prononça un discours qui peut être qualifié d'extrêmement anti-israélien. A plusieurs reprises, il accusa l'Etat hébreu d'être le véritable agresseur dans le conflit entre Israël et la Syrie. Manifestement, le président US fut très irrité par cette attitude d'el-Shara, qui ignora sciemment la convention passée de s'en tenir à une brève allocution. Clinton alla même jusqu'à glisser dans l'oreille du ministre syrien que ce n'était ni le lieu ni le moment d'avancer de telles affirmations. Mais el-Shara n'en tint aucun compte: il continua à lire son discours préparé et à faire honneur à la réputation d'homme inflexible, qui l'avait précédé.
En raison de l'attitude intransigeante des Syriens et du fossé existant entre les exigences des deux clans, les Américains décidèrent de s'écarter de leur plan initial et de ne pas donner aux deux délégations la possibilité de négocier seules, voulant ainsi éviter tout risque d'éclatement des négociations.
Ces entretiens de deux journées s'étant achevés à Washington, il était clair que cette rencontre ne s'était pas déroulée sur un mode amical, mais qu'elle n'était pas non plus un échec total. Une évidence pour tous les participants: Israël et la Syrie ont certaines choses à considérer ensemble. Les deux clans étaient d'accord pour poursuivre les conversations. Ils se rencontreront une nouvelle fois aux USA, en un lieu retiré, loin des caméras de télévision et des reporters, afin de poursuivre les négociations et de convenir de quelques principes, qui permettront plus tard de rédiger et de signer un traité de paix israélo-syrien.
Nouvelles d'Israël Janvier 2000