Dans la dernière édition de «NDI» nous avons publié un entretien avec Teddy Kollek. Aujourd'hui, celui qui est resté maire de Jérusalem pendant de nombreuses années reprend la parole et explique comment il voit l'avenir de la ville. Teddy Kollek, qui a fait plus que n'importe qui pour Jérusalem depuis trente ans, parle de la cité avec le tact et la sagesse dont il a fait montre pendant qu'il exerçait sa fonction de maire. CM
Jérusalem est le foyer de tensions politiques, religieuses, culturelles et sociales, qui règnent non seulement sur le plan interne, mais aussi entre nous et les Palestiniens, les pays arabes et tout le reste du monde, y compris nos amis les Etats-Unis. Cette situation exige que notre capitale mène une politique équilibrée et responsable, contrairement à la conception qui prévaut actuellement.
Je sais qu'au vu des attentats terroristes, des décisions hostiles prises au sein des instances internationales et des déclarations choquantes émanant du monde arabe, il est difficile de cultiver la patience et la retenue, qui sont souvent prises pour des signes de faiblesse. Mais mon expérience m'amène à croire que ce sont précisément l'honnêteté, la logique et l'action réfléchie qui, dans le cadre de normes démocratiques et d'un esprit tolérant dans tous les contacts avec la population arabe, nous permettront d'étayer nos droits historiques sur la ville et son statut en tant que capitale. Les actes provocateurs ou impulsifs ne serviront pas nos intérêts. Au contraire, ils battront en brèche toute tentative d'atteindre des objectifs nationaux.
Pour les dirigeants palestiniens et les Arabes de Jérusalem, qui représentent près de 30% de la population, la domination d'Israël est celle d'un occupant. Depuis 1967, les Arabes de Jérusalem ont évité de participer activement à la gestion de peur que cette participation ne soit interprétée comme une approbation, dans leur chef, de la nouvelle réalité géopolitique et de la souveraineté israélienne.
Juste après la réunification de la ville, j'ai invité les dix membres arabes du conseil municipal, qui avaient été en fonction sous la domination jordanienne, à rejoindre un nouveau conseil de la ville réunifiée. Ils ont repoussé cette invitation.
Mes années d'expérience en tant que maire de Jérusalem m'ont appris que beaucoup d'Arabes de Jérusalem étaient convaincus que l'attitude qu'ils adoptaient était dommageable pour leur propre secteur. Beaucoup estimaient que le fait de participer à l'administration de la ville aurait amélioré leur situation et leur qualité de vie.
Leur absence de l'administration de la ville a contribué aux difficultés actuelles du secteur arabe, du moins en ce qui concerne le développement socio-économique, le bâtiment, les normes et l'étendue des services municipaux dont ils bénéficient. Cette situation résulte également de la politique mal équilibrée des gouvernements israéliens, qu'ils soient de droite ou de gauche.
Nous devons accepter le fait que les Arabes de Jérusalem font partie intégrante de la ville - de droit et non pas pour leur complaire - et qu'ils sont déterminés à vivre ici, parce que c'est leur ville natale.
Une politique de pression axée sur la volonté de nuire, d'imposer des restrictions ou de repousser les Arabes de Jérusalem hors des limites de la ville est non seulement injustifiée du point de vue moral et humain, mais sa mise en oeuvre va à l'encontre des intérêts tant nationaux que locaux.
Concrètement, aucune des attitudes inadéquates par rapport à ce thème n'a diminué l'importance de la population arabe. Au contraire, les pressions et les menaces constantes n'ont fait que fournir une puissante motivation nationaliste à la croissance naturelle de la population arabe.
Le préjudice infligé par la colonisation israélienne à des quartiers clairement arabes (comme par exemple le quartier musulman de la vieille ville ou de Silwan, Ras el-Amud et la Porte des Fleurs) est le plus grave. La population arabe de la ville le ressent comme une menace pour sa survie. Il suscite haine et amertume, étaie la position des groupes extrémistes, encourage la construction sauvage et empêche la communauté internationale de nous accorder sa confiance.
La survie de cette ville taraudée par les problèmes exige une coexistence dans le respect mutuel et l'éviction des conflits. L'intrusion de petits groupes extrémistes est contraire à toute logique, comme si des Juifs non-religieux imposaient leur présence dans le quartier ultra-orthodoxe de Meah She'arim ou qu'un groupe ultra-orthodoxe faisait irruption dans une communauté exclusivement laïque.
Dans une ville comme Jérusalem, les actes de ce genre déclenchent les feux de l'intolérance. Ils constituent une source permanente de conflits et d'infinies explosions de violence, et nuisent à toutes les tentatives visant à garantir la paix, pré-requis impératif pour le bien de la ville et de ses habitants, pour attirer les nouveaux immigrants et les investisseurs et favoriser le développement du tourisme.
Nous devrions tous être irrités de voir que grâce à d'importantes sommes d'argent et à l'instigation de certains riches dont les quartiers sont bien éloignés de notre ville, il se perpétue un processus qui est en contradiction avec toute politique responsable. Un processus qui oblige l'Etat à des dépenses massives, le met dans des situations politiques intolérables, et manipule la ville dans un labyrinthe de tensions.
Si ces efforts et ces moyens étaient injectés dans des placements raisonnables, on aurait pu construire à Jérusalem des centaines de logements pour des jeunes couples, et faire ainsi progresser notre objectif national.
Ce que je sais du processus qui est actuellement en marche dans le secteur arabe me persuade qu'il existe là un souhait fort, tout comme c'est le cas parmi les juifs, de faire les démarches permettant d'améliorer la qualité de la vie et de veiller à la protection de l'environnement. C'est le motif qui m'a poussé à instituer des administrations locales dans toute la ville, y compris à Jérusalem-Est. Ces administrations locales réduisent le fossé qui sépare l'establishment du citoyen et renforcent l'engagement des personnes dans leur vie quotidienne.
Les connaissances et expériences que les dirigeants des municipalités ont accumulées en poursuivant leurs intérêts quotidiens - que ce soit dans le secteur ou arabe contribueront elles aussi à l'apaisement des tensions politiques.
Durant les 31 années qui se sont écoulées depuis la réunification de Jérusalem, la ville a connu un développement très spectaculaire qui reflète le consensus israélien pour que la Jérusalem réunifiée, sous la souveraineté israélienne, soit la capitale d'Israël. je veux croire que cela est immuable... tant que nous nous comporterons intelligemment.
En vertu de ce fait, nous sommes en mesure - et même dans l'obligation de nous préoccuper de manière beaucoup plus éclairée et juste des besoins quotidiens de la population arabe. Si Jérusalem est la capitale d'Israël, elle doit également être un foyer tant pour les Israéliens que pour les Palestiniens.
TEDDY KOLLEK
Nouvelles d'Israël 11/ 1998