Shamir tiendra-t-il ses promesses?

 

Du Dr Roland Gradwohl (IW)

Shlomo Hillel, président de la Knesseth, a ouvert la séance du parlement ayant pour but la prestation de serment des membres du nouveau gouvernement d'Yitzhak Shamir (Likoud) auquel, par 82 voix contre 17, et seulement trois abstentions, une évidente majorité a témoigné sa confiance. La formation du cabinet reste à peu près identique à celle du gouvernement unitaire dont Shimon Peres (Maarach) a assuré la présidence pendant 25 mois, soit la première partie de la période d'activité. «A peu près», car Mordechaï Gur, jusqu'ici ministre de la Santé, a démissionné et sera remplacé par Schoschana Arbeli-Almoslino (Maarach). Elle sera - après Golda Meir, Shulamit Aloni et Sara Doron - la quatrième femme appartenant à un cabinet en Israël. D'origine irakienne, elle immigra en Israël en 1945, jouant dès lors un rôle au sein du syndicat de l'Histadrut et de l'organisation féminine Naamat. En soutenant pleinement la politique d'implantation dans la Judée, la Samarie et la bande de Gaza, et après avoir voté contre l'acceptation de l'accord de paix de Camp David, on la considère comme un faucon politique. Sewulun Hammer du parti religieux national est aussi nouveau au sein du gouvernement, bien que, dans les derniers jours du cabinet de Peres, il ait déjà fait ses débuts en qualité de successeur du Dr Joseph Burg démissionnaire.

Dans tous les cas, et malgré l'opposition dans ses propres rangs, Peres a tenu parole en remplissant la principale condition du contrat de coalition, établi il y a deux ans entre le Maarach et le Likoud, exigeant la formation d'un gouvernement national étendu. Peres est un homme droit. «Les contrats doivent être suivis», souligna-t-il. C'est ce qu'il fit. En dépit des tiraillements provenant de quelques petits détails avant la formation du nouveau cabinet, les choses ont évolué normalement. La rotation est faite. Shamir est Premier ministre. Les rôles sont changés, et dès à présent, Peres occupe la place de vice-Premier ministre et de ministre des Affaires étrangères.

Il va de soi que l'esquisse du programme gouvernemental que Shamir présente au parlement est basée sur le contrat de coalition: Tenir en échec l'inflation, et stimuler la croissance économique. Le nouveau Premier ministre sera aussi confronté aux restrictions du budget de l'Etat, et à la réforme fiscale (les Israéliens paient les impôts les plus élevés du monde). Seule différence: Un léger déplacement des accents. Shamir propose une «politique économique sioniste» selon le critère «sioniste» en précisant qu'il ne favorisera ni l'un ni l'autre des partis du pays. Il y a un seul PEUPLE d'Israël, comme il y a un seul PAYS d'Israël. Tout un chacun sait que Shamir s'engage à une politique d'implantation renforcée dans toutes les régions. A ce propos, les applaudissements de l'extrême droite ne manquent pas. Geula Cohen de la Techia, et l'ancien chef d'état major Raphaël (Raful) Etan rient sous cape. Il est vrai que Shamir ne précise pas où il prendra l'argent pour cette politique d'implantation expansive. Les USA ont déjà signalé leur désapprobation. Le ministre des Affaires étrangères Shultz déclare que la politique d'implantation ne doit pas être changée.

Les principales orientations de la politique extérieure ont aussi subi un changement. Peres nourrissait l'idée de négociations de paix israélo-jordano-palestiniennes, sous «couvert international» (mot conventionnel pour une conférence internationale au Proche-Orient). Seulement, aucun système sémantique n'a fait bouger le roi Hussein de Jordanie. C'est pourquoi Shamir, refusant tout encadrement international, affirme sans détour l'intention d'Israël de dialoguer directement avec les pays concernés. Il ajoute que, à cause de l'hostilité des Arabes, une discussion au sujet de la raison d'être d'une telle conférence ne restait que théorie. Peres n'avait pas non plus cherché à remplacer les discussions directes par des négociations internationales. il pensait plutôt à une ouverture de grande envergure, afin d'offrir au roi Hussein un passage doré. Shamir reconnaît la nécessité d'améliorer les conditions de vie des Arabes dans les régions respectives. L'accord de paix de Camp-David entre Israël et l'Egypte prévoit l'autonomie de la population. Shamir a l'intention d'atteindre cet objectif tombé dans l'oubli. Or, les Arabes marcheront-ils? La nomination récente de quatre maires arabes - approuvée par Amman - démontre un effort du côté arabe en faveur d'une politique réaliste.

Yitzhak Shamir maintiendra aussi les entretiens avec les pays de l'Est et l'Afrique noire, et renouera les relations diplomatiques interrompues. A l'instar de Peres, il exige de Moscou une révision de la politique soviétique à l'égard des Juifs. Il réclame la liberté d'émigration et de pratique religieuse pour les citoyens juifs de l'Union soviétique.

En deux ans, Shimon Peres, en sa qualité de Premier ministre, est arrivé à réhausser le prestige d'Israël. A présent, ses excellentes relations avec l'administration américaine, sa rencontre à lfrane avec le roi marocain Hassan 11, son sommet avec le président d'Etat égyptien Hosni Moubarak, la possibilité de gagner du terrain en Afrique noire, ainsi que ses rencontres soviéto-israéliennes (la dernière à New York entre Peres et le ministre des Affaires étrangères soviétique Eduard Schewardnadse) exigent la consolidation et la continuité. Shamir a la possibilité de donner suite à ces faits. Et bien que son tempérament soit différent, et que son style de gouvernement se distinguera de celui de son prédécesseur - on s'y habituera difficilement - on espère deux nouvelles bonnes années. Shamir bénéficie d'un crédit considérable, à lui d'en faire pleinement usage. Le pays ne peut se permettre une stagnation dans la politique extérieure. Shimon Peres était sans cesse à la recherche de nouvelles options. Il ne se contenta jamais d'une seule réussite. Il gardera ces tendances aussi en tant que ministre des Affaires étrangères. Il faut espérer que Shamir ne le retiendra pas. De nombreux Israéliens restent sceptiques. Ils craignent une diminution du prestige international d'Israël, et une paralysie des efforts de paix - particulièrement de ceux tentant de gagner Hussein pour des négociations de paix. Ils craignent un affaiblissement dans la coopération effectivement améliorée entre l'administration israélienne et les Arabes de la région, et en contrepartie, un investissement financier disproportionné en faveur d'une idéologie d'implantation.

A Shamir de prouver qu'il n'est pas chef du Likoud, mais chef du cabinet d'unité nationale. Sinon, ses jours en tant que Premier ministre seront comptés, et de nouvelles élections parlementaires seront inévitables. Shamir doit faire preuve d'une juste mise en valeur du crédit que lui accorde la grande majorité de la Knesseth.

Nouvelles d'Israël février 1987

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