Urnes et paix

 

De passage à Genève, le chef de l'opposition en Israël: Shimon Peres, qui fut Premier Ministre d'un cabinet de coalition de 1984 à 1987. Le leader travailliste s'est expliqué sur ses espoirs de revenir au pouvoir alors que se poursuivent les négociations de paix qui doivent modifier la physionomie de la région.

Les Israéliens sont appelés à des élections législatives anticipées qui auront lieu le 23 juin. La Knesset (le parlement) a été dissoute le 4 février. Cette péripétie politique bouscule les principaux partis israéliens. Ainsi, au sein du Likoud, l'actuel Premier ministre Yitzhak Shamir et son dauphin Moshe Arens doivent affronter la contestation de David Lévy (ministre des Affaires étrangères), d'une part, et d'Ariel Sharon (ministre de l'Habitat), d'autre part. Ces querelles de personnes révèlent des divergences idéologiques. Hostile aux concessions territoriales, Ariel Sharon est pour la poursuite de l'implantation des colonies, quitte à mécontenter les Etats-Unis. A l'inverse, David Lévy veut préserver les chances de paix et éviter toute crise avec Washington. Entre les deux, M. Shamir essaie de maintenir une ligne équilibrée.

Dans l'opposition, chez les travaillistes, Shimon Peres croit en ses chances de revenir au pouvoir malgré des sondages défavorables. Il l'a réaffirmé lors d'un passage à Genève, le mois dernier. Pour L'AVENEMENT, Humberto Salgado a recueilli ses déclarations.

 

Shimon Peres: Je me demande parfois, si les gens ont une vue exacte de la situation politique en Israël. Aux dernières élections, sur un parlement de 120 députés, les travaillistes et leurs alliés ont eu 56 sièges. Le Likoud, et ses alliés, qui dirige actuellement le gouvernement, ont remporté 47 sièges. Au milieu, 17 sièges se répartissent entre différents partis religieux qui font la balance du pouvoir; ce problème vient du système électoral étrange et unique en Israël: il privilégie les petits partis et élimine les grands. Mais aux prochaines élections, 2 grands groupes joueront un rôle important et, pratiquement, décideront: d'abord les émigrants, en particulier ceux d'Union soviétique qui pourront élire 7 ou 8 députés et les Arabes israéliens qui disposent de 12 sièges. Les sondages vont et viennent et je crois que nous pouvons gagner ces élections. Mais, à mon avis, le problème n'est pas seulement de savoir comment gagner les élections, mais de savoir que faire après une victoire.

L'AVENEMENT: En quoi votre programme diffère-t-il de celui du Likoud?

Shimon Peres: D'abord, pour aboutir à un Moyen-Orient «nouveau», il faut arriver à la paix. Je ne crois pas que nous pouvons achever la paix sans un compromis territorial. Le Likoud est contre le compromis territorial, il veut garder tous les territoires sous contrôle israélien et c'est une différence profonde. En ce qui me concerne, je pense que la meilleure solution est une confédération jordano-palestinienne, presque comme en Suisse, avec des cantons démilitarisés: un canton à Gaza, les autres cantons en Cisjordanie et où le Jourdain serait la frontière de sécurité, Jérusalem la capitale d'Israël, unifiée sous la souveraineté israélienne... Telles sont les grandes lignes de notre solution.

 

L'AVENEMENT: Et le Golan?

Shimon Peres: Le Golan est compris dans le compromis territorial.

 

L'AVENEMENT.- Un nouveau gouvernement d'union nationale est-il envisageable?

Shimon Peres: Le problème, ça n'est pas nécessairement la composition du gouvernement, mais la direction politique. Et pour le moment nous sommes divisés sur le problème de la paix qui est peut-être le plus important qui existe chez nous.

 

L'AVENEMENT: Actuellement, n'est-il pas plus «confortable» de rester dans l'opposition?

Shimon Peres: Nous ne cherchons pas le confort, nous cherchons le destin.

 

L'AVENEMENT: Comment voyez-vous, le processus de paix?

Shimon Peres: Il y a 3 étapes. la première est une solution interne, c'est à dire l'autonomie; la seconde c'est la solution permanente; la troisième c'est la construction de la région. Pour l'autonomie, je pense qu'on peut conclure un accord assez rapidement. L'autonomie elle-même durerait 5 ans. Le changement important, à mon avis, est dans l'ordre des choses; autrefois, c'était: solution interne, solution permanente puis problème régional. Aujourd'hui tout le monde est prêt à introduire le changement régional entre la solution interne et la solution permanente, parce que d'abord on n'a pas «le temps régional», si je puis dire, et aussi parce que la solution régionale soutiendra la solution permanente. Les conflits au Moyen-Orient ne sont pas seulement des conflits de frontières, mais aussi, plus hauts, des problèmes d'horizon...

 

L'AVENEMENT: Votre position par rapport aux Palestiniens a-t-elle changé?

Shimon Peres: Oui, je pense qu'on a tous compris que nous n'avons pas le temps, qu'il faut faire les choses plus vite et aussi que les palestiniens ne sont pas les seuls partenaires: on ne peut pas imposer les choses. Quand je parle d'un compromis territorial, c'est un compromis qui est offert aux 2 côtés, pas seulement à un seul.

 

L'AVENEMENT: Actuellement les Etats-Unis exercent des pressions sur Israël. Où donc votre pays peut-il trouver des appuis?

Shimon Peres: Il n'y a pas de pressions contre Israël, il y a des pressions pour la paix, ce n'est pas contre Israël. Les Etats-Unis ne se sont pas réveillés tout à coup comme un pays hostile à Israël; les responsables qui veulent faire avancer le processus de paix et ont pris ces positions, c'est autre chose! Quant aux appuis, on a des sympathies très profondes aux Etats-Unis comme en Europe.

AVENEMENT Mars 1992 No 40 / P 16

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