Chaïm Ramon: un nom à retenir. Le monde ne le connaît pas encore; mais en Israël, c'est une vedette depuis le printemps de cette année. Ce jeune politicien de 44 ans à peine, d'apparence agréable et extrêmement doué pour la rhétorique, est en effet parvenu à vaincre l'appareil de son parti et à se placer en tête des candidats envisageables pour la succession d'Yitzhak Rabin au poste de chef du gouvernement.
Voici trois mois encore, Ramon était ministre de la Santé dans le gouvernement Rabin. Bien que ce portefeuille ne soit pas des plus importants, il y jouissait d'une situation particulière puisqu'il était favori et proche conseiller de son chef. Mais il occupait une position contestée au sein du parti, dont le puissant appareil ne l'aimait guère, surtout à cause des réformes qu'il s'efforçait de mettre en oeuvre et qui menaçaient de restreindre sa toute-puissance.
Voici trois mois, Ramon s'est efforcé de faire passer à la Knesset une nouvelle loi sur l'assurance-maladie qui aurait affecté la plus importante mutuelle israélienne. Rabin soutint le projet bien que cette caisse d'assurances soit liée de très près au parti travailliste.
Le «Syndicat des Travailleurs», qui règne sur la mutuelle, y était par contre opposé. Il se trouvait alors à quelques mois de l'échéance électorale, et les membres de sa présidence redoutaient par-dessus tout de voir surgir des bouleversements et des réformes risquant de remettre leur routine en question. La résistance fut telle que même le chef du gouvernement se vit contraint de se distancer du soutien qu'il avait accordé à Ramon, et la loi ne fut pas votée.
Déçu, Ramon entreprit alors une démarche qui, du point de vue politique, paraissait suicidaire: il se retira du gouvernement et abandonna tous ses mandats. Cette décision de tout sacrifier à ses principes lui valut l'approbation de l'opinion publique, ce qui le rendit très populaire, tandis qu'au sein du parti, on s'apitoyait sur son sort en le considérant comme un politicien ayant déjà son avenir derrière lui. C'est alors que vint la surprise: quelques semaines avant les élections syndicales, Ramon, jusqu'alors membre du Parti travailliste, annonça la constitution d'une liste indépendante se présentant contre celle de son parti pour la direction du syndicat. En conséquence, les travaillistes décidèrent de l'exclure de leurs rangs. Mais Ramon ne recula pas. En quelques jours, deux autres représentants travaillistes à la Knesset se joignirent à sa liste, plus deux politiciens issus de deux partis (l'alliance Meretz, laïque et antireligieuse et le Schas ultra-orthodoxe) qui, dans le cadre gouvernemental, n'étaient encore jamais Parvenus à définir un commun dénominateur au niveau national.
Lors des élections, qui se déroulèrent le 10 mai, cette liste a obtenu la majorité des voix, faisant ainsi perdre au Parti travailliste son emprise sur le «Syndicat des travailleurs», emprise qu'il exerçait depuis sa fondation 74 ans plus tôt et qui, depuis de nombreuses années, lui fournissait l'assise de sa puissance politique.
Les résultats ont déclenché un tremblement de terre politique, dans la mesure où le syndicat est une organisation très puissante. En effet, fort de près de deux millions d'adhérents, soit 40% environ des habitants d'Israël, il dispose d'un patrimoine considérable: des industries gigantesques, une très importante banque, des fonds de pension auxquels la majorité des habitants du pays sont assurés et une mutuelle - celle-là même que Ramon avait voulu rafraîchir par sa réforme. Qui domine le syndicat dispose d'un capital de pouvoir pouvant faire office de tremplin vers n'importe quelle fonction politique, y compris celle de futur chef de gouvernement.
La perte de son ascendant sur le syndicat a ébranlé le Parti travailliste. Les jeunes du parti, parmi lesquels se trouvent notamment des amis de Ramon, ont demandé l'exclusion des coupables, c'est-à-dire de ceux qui étaient responsables de l'expulsion de Ramon du parti et de la défaite de celui-ci lors des élections syndicales. Leur revendication a frappé et affaibli jusqu'à la position de Shimon Peres, que l'on avait toujours identifié au syndicat. Et même Rabin, qui n'avait nullement coupé tous les ponts avec Ramon, n'a pas manqué de perdre des plumes dans la débâcle.
Les soubresauts de ce séisme politique ne se sont pas encore apaisés, et nul ne peut dire de quoi l'avenir sera fait. Cependant, tous les commentateurs s'accordent sur deux points:
1. Le Parti travailliste a du plomb dans l'aile. La perte du syndicat a amoindri son pouvoir tout en faisant fondre ses ressources économiques.
2. Chaïm Ramon, que l'on donnait pour politiquement "suicidé" voici trois mois, a su rassembler autour de lui l'ensemble de la mutuelle et a renforcé sa position en tant que personnalité dominante à l'échelle nationale. S'il parvient à mettre les réformes promises en application, il s'assurera une longueur d'avance considérable aux élections de l'an 2000, voire celles de 1996, sur la voie qui mène au siège de chef du gouvernement.
Nouvelles d'Israël 07 / 1994