(du 8-11 octobre 1985)
A midi exactement, l'appareil militaire allemand 02 à la croix noire s'arrêta près du tapis rouge - la visite d'Etat du président de la République, le baron Richard von Weizsäcker, vient de commencer. Le président de l'Etat israélien Chaïm Herzog et le Premier ministre Shimon Peres, accompagnés de 21 coups de canon, saluent leur hôte. Les soldats israéliens jouent l'hymne national allemand. Au milieu des drapeaux bleu-blanc israéliens, le pavillon noir-rouge-or de l'Allemagne fait contraste. Un nombre inattendu de journalistes se sont réunis pour accompagner le président de la République en Israël. Quelques-uns ont avoué n'être venus «que pour expérimenter la différence entre cette visite et celle du chancelier Kohl». Le président de l'Etat Herzog souligna, dans son allocution d'accueil, que «le passé ne pouvait être oublié, mais qu'il ne fallait pas perdre de vue l'avenir». Il rejoint ainsi les déclarations du président de la République, qu'il qualifie «d'ami d'Israël véritable et éprouvé».
Au jardin des roses, en face de la Knesseth, les grands rabbins de Jérusalem souhaitent, selon «l'ordre de Melchisédek», la bienvenue aux hôtes allemands, en leur offrant «le vin, le pain et le sel». Dans cette atmosphère qui rappelle celle de la «Sainte Cène», on donne d'abord, en signe de bénédiction, la coupe et le pain au maire de Jérusalem Kollek, ensuite au président von Weizsäcker, au président Herzog, à la baronne von Weizsäcker, à Madame Herzog, au ministre des Affaires étrangères Genscher, à Madame Kollek, au Premier Peres, à Madame Genscher, au ministre Arens et à son épouse.
A l'entrée du musée de Yad Vashem, lieu commémoratif à Jérusalem de l'holocauste, 50 manifestants, quelques-uns vêtus d'habits des camps de concentration, portent, en plus de «l'étoile juive de couleur jaune», des pancartes rappelant Bittburg et le trafic d'armes entre l'Allemagne et les Saoudiens. Un vétéran du camp de concentration remarque: «On envoie le ,bon Allemand' en Israël, mais les armes allemandes aux ennemis d'Israël». En Israël, on considère Weizsäcker parmi les «bons» depuis son «grand discours» le 8 mai, où il reconnut que l'holocauste «était un crime effectué sur des Juifs en Allemagne par des Allemands». On sait cependant, que son père avait été, pendant le «Troisième Reich», de 1938-1943, secrétaire d'Etat au ministère de l'Extérieur de Hitler, et ensuite, ambassadeur de l'empire nazi au Vatican. Ainsi, le président de la République et son épouse sollicitèrent, avant la cérémonie officielle, un «temps de réflexion» afin de se souvenir, recueillis dans la prière silencieuse, des victimes de l'holocauste. Après avoir déposé la couronne près de la «flamme éternelle», Richard von Weizsäcker écrivit, en tant que représentant et président de la République Fédérale d'Allemagne, une parole biblique de grande portée dans le livre d'or: «Celui qui vous touche touche la prunelle de son oeil» (Za. 2, 8).
Le premier entretien avec Peres fut l'occasion de tester l'authenticité d'une telle confession, aussi le trafic d'armes avec les Arabes fut-il l'un des sujets de conversation. En présence du ministre de l'Extérieur Genscher, le chef du gouvernement israélien signala l'énorme danger lié à des livraisons d'armes aux ennemis d'Israël, effectuées par les Etats occidentaux qui, y compris la «nouvelle Allemagne», seraient prêts à construire des fabriques de munitions en Arabie Saoudite. Ces arguments ne déclenchèrent aucune réaction du côté des hâtes allemands, après quoi un Israélien déclara:
«Il y a 45 ans, l'Allemagne a manifesté, aux yeux de toutes les nations, un certain courage' civil dans le rejet public et massif des Juifs. Aujourd'hui, l'Allemagne devrait aussi montrer ce courage' civil et prendre franchement position pour Israël, en refusant le trafic d'armes.
Au cours du dîner de gala dans la résidence du président israélien, von Weizsäcker loua la liberté et la démocratie indépendante d'Israël' face aux épreuves et aux menaces. Le désert est changé en pays fertile. Les succès culturels et scientifiques sont reconnus mondialement. La langue biblique, devenue le signe de l'ancienne et de la nouvelle identité, a repris vie parmi le peuple ... La foi des Juifs est devenue une partie de notre foi. Celui qui veut être chrétien sans tenir compte du Dieu des Juifs échouera ... »
Devant la Knesseth, le pavillon allemand fut arboré sous le roulement de tambour, et une couronne aux rubans noir-rouge-or fut déposée. Le président de la République passa la revue de la garde d'honneur - instants légitimes, semble-t-il et, cependant si peu sûrs encore.
La République allemande ne reconnaît pas Jérusalem-Est comme territoire et capitale d'Israël, aussi la visite du président allemand dans la vieille ville de Jérusalem fut-elle publiée comme «visite privée». Comme autrefois l'empereur Guillaume 11, il passa par la porte de Jaffa pour pénétrer dans la Ville Sainte et se rendre à l'église luthérienne allemande «Erlöserkirche». Au bras du Grand Mufti de Jérusalem, il traversa le quartier juif et visita la place du Temple. Avant d'entrer dans la Mosquée d'Omar, il ôta aussi ses chaussures, ce qui plut visiblement au Grand Mufti. Des groupes de touristes allemands formaient partout des haies en criant: «Vive, vive le président», ou d'autres slogans. Au moment où von Weizsäcker se rendait près du Mur des Lamentations pour glisser un papier dans une fente du mur, un Juif orthodoxe s'écria: «Dehors, allemand d'Auschwitz»! et: «Disparais, Amalek»! Mais, en dépit de ce dérangement, une vieille femme juive orientale s'approcha du président et lui dit: «Que la paix soit avec toi»! Et, en montrant le ciel, elle ajouta: «Pense que là-haut il y a un Dieu»! Emmanuel, le prieur de l'église catholique allemande de la Dormition sur le mont Sion, le guida et lui expliqua, se référant à la Bible, les Lieux Saints de Jérusalem.
Le maire de Jérusalem, Teddy Kollek, remit au président une petite reproduction, sculptée dans de la pierre de Jérusalem, de la tour Phasael qui se trouve dans la citadelle de David. En exprimant sa reconnaissance, von Weizsäcker souligna combien la multiplicité des citoyens de Jérusalem l'avait impressionné. Kollek ajouta que «Jérusalem était un seul corps que l'on ne pouvait diviser en plusieurs membres, et qu'il valait mieux vivre ensemble avec des problèmes que d'être à nouveau séparés».
A l'université hébraïque de Jérusalem, le président visita la «salle Martin Buber» et reçut du professeur Amnon Pazy, «au nom de l'université hébraïque de Jérusalem», une copie personnelle de la traduction du livre d'Esaïe de Martin Buber. Le président von Weizsäcker estima hautement ce geste et dit:«... on m'a témoigné de façon authentique et persuasive que j'étais un hôte apprécié à l'université hébraïque». La réception au théâtre de Jérusalem fut, pour un millier d'invités environ, le point culminant de cette visite d'Etat. La «Junge Deutsche Philharmonie» joua des oeuvres de Zimmermann, Tal, Haydn et Mozart.
A Haïfa, le président fut invité à visiter les vestiges de la colonie des Templiers de Souabe, puisque son grand-père, Carl von Weizsäcker, en tant que Premier et ministre de l'Extérieur avant la Première Guerre mondiale, avait fortement soutenu la colonisation des Templiers de Souabe en Eretz Israël. A peine deux heures après sa visite à Haïfa, le président déposa pour la seconde fois à Sde Boker (Negev), une couronne sur la tombe du fondateur de l'Etat d'Israël, David Ben Gourion, en présence du Premier ministre Peres. Richard von Weizsäcker avait déjà représenté la fraction CDU du Bundestag allemand en 1973, lors de l'ensevelissement de Ben Gourion. Lors de sa visite au kiboutz Ben Gourion, on parlait aussi de sa fille Marianne et de son fils Fritz qui, tous les deux, avaient travaillé dans des kibboutzim et avaient ainsi découvert de façon pratique la vie en Israël. Richard von Weizsäcker, qui visita Israël pour la quatrième fois, désira cette fois une rencontre avec la jeunesse israélienne. L'occasion lui fut donnée à l'institut Van-Leer à Jérusalem. Les jeunes lui demandèrent, entre autres: «De quoi les jeunes Allemands peuvent-ils être fiers»? Le président approuva cette question, mais il expliqua en même temps qu'il n'était pas possible de tirer des comparaisons entre deux peuples. «La jeune génération allemande a construit, sur les ruines du nazisme, une vie au standard élevé. Toutefois, la jeunesse allemande est à la recherche de nouvelles idées».
A Tel Aviv, le président de la République allemande reçut de la main du maire Lahat une Bible, ainsi qu'une «mesusa» créée par Jacov Agam. En outre, il visita le musée de la diaspora et l'université où il fut reçu par le professeur Mani. A l'institut des sciences Weizmann à Rehovot, von Weizsäcker reçut le titre de docteur honoris causa. Pendant la cérémonie, un choeur chantait des extraits de «Judas Macchabée» de Haendel - connu en Allemagne sous le nom de «Tochter Zion freue dich ... » (Fille de Sion, réjouis-toi). Les anciens présidents israéliens Katzir et Navon saluèrent la fidèle amitié du président von Weizsäcker pour Israël et sa motivation fondamentale.
L'homme de la villa Hammerschmidt à Bonn est un véritable ami pour Israël - seulement, la politique ne s'effectue pas de là-bas, mais à la chancellerie et au ministère des Affaires étrangères. Cependant peut-être - ainsi le souhaite Israël - l'exemple de reconnaissance de Richard von Weizsäcker excitera-t-il le peuple et les politiciens allemands à l'imitation. Néanmoins, tout un chacun sait que «amitié pour Israël» ne signifie nullement hostilité envers les Arabes. Le président de la République en a donné la preuve en visitant la Jordanie. Toutefois, en prenant congé de lui, beaucoup d'israéliens éprouvaient un certain malaise. ils avaient entendu des paroles encourageantes, alors que l'ennemi reçoit des armes qui seront dirigées contre Israël - la «nouvelle Allemagne» est-elle vraiment une réalité? - Richard von Weizsäcker dit OUI!
Nouvelles d'Israël Janvier 1986