Yigael Carmon, un expert en terrorisme international

 

Yigael Carmon, général de réserve, passe son temps à se pencher sur le terrorisme et sur le monde arabe. La plus grande partie de sa vie, il a travaillé pour les services secrets de l'armée. Après sa sortie de cette fonction, il a été nommé conseillé du Premier ministre dans cette branche (le terrorisme), où il a été en activité pendant cinq ans. Il a travaillé pour les Premiers Yitzhak Shamir et Yitzhak Rabin. Aujourd'hui, Carmon dirige l'Institut MEMRI, qui s'occupe de recherches sur les médias arabes. Cet organisme vit de dons et révèle ce qu'il découvre dans lesdits médias et dans les couches d'intellectuels arabes surtout en matière de phénomènes antisémites et de propagande incendiaire contre les juifs.

L'entretien avec Yigael Carmon s'est déroulé sur fond des nombreuses attaques terroristes islamiques de ces derniers mois: les explosions au Kenya et en Tanzanie, les attentats visant les colons ...

 

Question: Monsieur Carmon, dans quelle mesure le terrorisme menace-t-il l'existence de l'Etat d'Israël?

Réponse: Normalement, le terrorisme n'est pas une menace pour l'existence elle-même. Mais il existe des situations critiques qui peuvent devenir réellement dangereuses dans certains pays et dans des circonstances bien déterminées: quand le terrorisme coïncide avec d'autres événements.

 

Qu'en est-il en Israël? S'agit-il ici d'une menace existentielle?

Non. En Israël, c'est la sécurité de l'individu qui est menacée. Contrairement aux autres régions du monde, nous, en Israël, nous y sommes habitués. Cela fait partie de notre histoire. Depuis la fondation de l'Etat, Israël vit avec la terreur et la violence. Mais il ne s'agit pas d'une menace pour notre existence. Après 50 années, nous souhaitons le repos et la paix. Malheureusement, la sécurité personnelle des citoyens n'est toujours pas une évidence.

Bien sûr, le terrorisme en Israël pourrait devenir une menace existentielle. Après l'accord d'Oslo et l'installation des forces de police palestiniennes avec armes et munitions et la présence de tous ceux qui détiennent des armes sans autorisation, Israël doit tenir compte de la réalité, dans son arrière-pays, d'un facteur qui, en cas de guerre globale, pourrait peser contre Israël. Les Arabes eux-mêmes le disent.

Cependant, ces groupements, par eux-mêmes, ne constituent pas une menace. Ce n'est que dans des circonstances bien précises qu'ils peuvent peser négativement sur l'équilibre des forces entre Israël et les armées arabes et s'avérer déterminants. L'équilibre au Proche-Orient est fort précaire. En soi, ces groupes ne sont pas d'une importance décisive. Mais associé à d'autres forces, un tel corps intérieur peut peser de tout son poids en cas de guerre. Les troupes au sol israéliennes doivent s'arranger avec elles avant de devoir s'engager sur d'autres fronts. Dans tous les conflits précédents, le grand nombre des fronts a été un véritable problème pour Israël. C'est pourquoi la chose pourrait devenir un problème d'existence.

 

Il semble presque que l'OLP et ses troupes restent pour vous une organisation terroriste!? Pourtant, cette organisation fait partie d'une forme d'Etat légitime reconnue par Israël.

C'est évident. L'OLP est une organisation terroriste. Elle s'aligne sur un Etat, mais le terrorisme n'est qu'une question de procédé. Le tragique est que l'OLP, à côté de ses activités politiques, se manifeste également par la violence. Ses buts sont de caractère politique, mais elle ne s'en tient pas toujours à cette ligne. Toutes les organisations, palestiniennes travaillent de cette manière. Le Djihad islamique («Guerre sainte») peut constituer une exception. Le Hamas, non plus, n'est pas différent. Il poursuit des buts politiques de manière violente.

De ce point de vue, l'OLP est assurément une organisation terroriste. Elle l'est également selon la loi israélienne. je pense aux ordonnances énoncées pour combattre le terrorisme. Cette loi concerne l'OLP, car il existe suffisamment de preuves idéologiques et de fait pour justifier cette loi. Arafat lui-même passe en fraude, à bord de son hélicoptère, des personnes recherchées et des armes. Les preuves sont là aussi sous l'angle idéologique: les Palestiniens n'ont pas modifié leur Charte. Ils continuent à réclamer la destruction d'Israël. Certes, ils ont commencé à changer ce document. Mais la transformation de leur Charte est loin d'être achevée. De plus, des informations courent concernant un accord entre le Hamas et l'OLP. Selon cet accord, le Hamas peut recourir à la violence, à condition que cela ne se fasse pas sur le sol palestinien.

 

Comment Israël réagit-il?

De tous les pays occidentaux, c'est nous qui réagissons le mieux. Rien ne nous détournera de notre ligne de conduite. Nous nous occupons du terrorisme avec des gants de velours en comparaison avec les autres nations confrontées à de tels problèmes. Prenons l'Allemagne à l'époque du groupe Baader-Meinhof, qui, en 1977, assassina Hans-Martin Schleyer. La liberté des Allemands fut alors fortement restreinte: des mesures draconiennes furent prises. Ce n'était presque plus de la démocratie. On n'a même pas introduit une loi spéciale pour combattre le terrorisme, mais on a tout simplement ajouté quelques articles secondaires à la loi existante: un paragraphe qui s'occupe de la lutte contre la terreur.

En France et en Italie, on s'est comporté de la même manière en période d'activité terroriste.

En Israël, les ordonnances dans ce domaine diminuent d'année en année. Les dispositions se réduisent sans cesse, et cela pourtant en un temps où le terrorisme, contrairement à l'Europe, ne diminue pas, mais augmente.

 

Sait-on s'il y a eu des contacts entre les organisations terroristes en Israël et Oussama ben Laden, le responsable des explosions visant les ambassades US au Kenya et en Tanzanie.

Non.

 

Existe-t-il des liens internationaux entre les groupes terroristes?

Cela commence au niveau de la lutte contre le terrorisme. Avant la coupe du monde de football, la police européenne a travaillé en collaboration. Elle visait les fondamentalistes musulmans. Cette action internationale s'est manifestée dans le passé sur bon nombre de points. Prenons, par exemple, le Hezbollah. jadis, il était une organisation chiite active au Liban. Aujourd'hui, c'est une organisation terroriste internationale qui compte des adeptes sur tous les continents, à la seule exception de l'Australie. Dernièrement, on a pincé des membres du Hezbollah, alors qu'ils tentaient de passer en fraude des armes et des explosifs dans un navire ancré à Barcelone. 300 kilos d'explosifs ont pu être saisis; ils se trouvaient dans des boîtes de conserves et devaient être stockés dans un entrepôt européen.

 

Peut-on parler d'un réseau terroriste musulman international?

Il existe quelques communautés musulmanes extrémistes qui soutiennent le terrorisme. Elles disposent d'une centrale active en Europe. jadis, il s'agissait de la Bosnie; maintenant, c'est le Kosovo. Il y a aussi d'autres groupements. Il y a dans le monde entier de nombreuses organisations qui soutiennent les musulmans. Elles ne disposent pas d'une hiérarchie de commandement, car il en va différemment dans l'islam fondamentaliste. Selon l'islam, le Djihad est un devoir pour chaque individu et non pour une communauté. L'individu doit observer ce commandement, même si la communauté ne le fait pas.

 

La force motrice d'Oussama ben Laden se situait-elle là?

Oui. C'était là la source et la légitimation de ce qu'il a fait. Nombreux sont ceux à être actifs dans ce domaine. On peut citer ici quelques pays surtout qui soutiennent le terrorisme. Le Soudan et l'Iran par exemple.

L'Arabie Saoudite soutient et finance le Hamas. Mais tout cela n'est quand même pas encore un réseau international. Il y manque une direction unique. Le monde islamique est profondément divisé entre sunnites et chiites.

 

L'ordre du Djihad est-il une partie intégrante de l'islam?

Non. L'islam compte de nombreuses facettes. Comme toute religion, il connaît des périodes sombres et d'autres lumineuses. Ainsi, par exemple, il y a eu dans l'islam le sultan Soliman le Magnifique (1494-1566), qui régna de 1520 à 1566; il était ouvert au monde. Il accueillit des juifs qui avaient été chassés d'Espagne. De son temps, des colonies juives se développèrent fortement dans le pays d'Israël. Il y a deux tendances dans l'islam. On ne peut mettre tous les islamistes dans le même sac. L'islam peut s'interpréter différemment.

Le problème est qu'à une époque éclairée et humaniste où le monde tend vers des valeurs supérieures, l'islam est plongé dans des ténèbres par certaines forces. Malheureusement, il manque là une résistance intérieure. Les cercles éclairés ne veulent pas prendre position sur les conceptions et les interprétations religieuses; ils ne désirent pas les condamner. Problématique!

Par exemple, je ne comprends pas pourquoi personne ne condamne l'appel à la «guerre sainte» (Djihad) et ne la déclare pas illégale, qu'il s'agisse d'un commandement religieux ou pas. S'il y avait au Mexique une loi exigeant les sacrifices humains comme au temps des Mayas, continuerions-nous à pratiquer ces sacrifices? Certainement pas! Nous nous insurgerions et refuserions, puisque c'est criminel. Le Djihad n'est rien d'autre. C'est au fond une incitation à commettre des actes criminels. Les Arabes libéraux craignent la menace et la violence.

Nouvelles d'Israël Décembre 1998

© Nouvelles d'Israël