Yitzhak Rabin: cap à gauche

 

Le parcours d' Yitzhak Rabin

 


Les Israéliens sanctionnent la gestion du Likoud

 

APRES LES ÉLECTIONS DU 23 JUIN, YITZHAK RABIN DEVIENT PREMIER MINISTRE D'ISRAEL. LE BLOC DE GAUCHE ATTEINT EN EFFET LA MAJORITÉ (61 SIEGES) AU PARLEMENT ISRAÉLIEN AVEC LES TRAVAILLISTES, EMMENÉS PAR RABIN (44 SIEGES, + 5), MERETS, LE PARTI UNIFIÉ DE LA GAUCHE MILITANTE (12, +2), LES COMMUNISTES (3) ET UN PARTI ARABE D'EXTREME-GAUCHE (2). LE BLOC DE DROITE EST RÉDUIT À 59 SIEGES, LE LIKOUD (LE PARTI D'YITZHAK SHAMIR) AYANT PERDU UN CINQUIEME DE SES VOIX, PASSANT DE 40 À 32 REPRÉSENTANTS.

 

Au lendemain de ces élections, toutes les options sont ouvertes pour la future coalition et aucune n'est sans problème. Yitzhak Rabin ne veut pas asseoir son gouvernement sur le soutien des communistes et l'autre parti arabe d'extrême-gauche, la Liste démocratique Daraousché. Il veut aussi équilibrer les positions souvent dures et extrémistes de la gauche unifiée (Merets). Comme alliés éventuels, on cite les 2 partis ultra-orthodoxes et non sionistes (Schass, Yahadoute Hatorah) et même le parti de droite Tsomet, qui, pour plaire à la gauche, a deux qualités: il n'est pas «Likoud», et il est profondément anti-religieux!

Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce changement radical de la scène politique. Ces dernières années, le Likoud a été déchiré par des luttes internes violentes, opposant les clans de David Lévy, d'Ariel Sharon, de Moshe Arens et d'Yitzhak Modaï (lequel finit par quitter le Likoud pour fonder un nouveau parti qui ne passa pas la barre électorale). Les médias ont largement rapporté les conflits, notamment les attaques incisives et amères de David Lévy, à la télévision, contre Sharon, Arens et Shamir. Il était simple, pour le parti travailliste, de puiser dans les archives des actualités télévisées et de rediffuser ces scènes extrêmement pénibles pour le Likoud. Courageux, tenace, d'une humeur toujours égale, Yitzhak Shamir a sans doute fait de son mieux pour tenir la barre du parti dans les tempêtes, mais d'une part il n'a plus 20 ans (plus exactement 77 ans) et sa marge de manoeuvre était réduite à peu de choses, tant par les rivalités qui dressaient ses seconds l'un contre l'autre que par les pressions et l'hostilité généralisée des diplomates occidentaux: ceux-ci ne voyaient dans sa ténacité qu'un entêtement borné et une absence d'imagination politique. La pression internationale et les menaces économiques des pays occidentaux ont apparemment impressionné une partie de l'électorat israélien.

 

Mais ce sont surtout les problèmes sociaux et économiques du pays qui ont porté un coup à la popularité du Likoud. Devant l'obligation d'intégrer 400 000 nouveaux immigrants en l'espace de 30 mois, le gouvernement Shamir a mis en train un gigantesque programme de construction qui a créé un nombre impressionnant d'emplois, pas au point, cependant, d'assurer un gagne-pain à tous les nouveaux immigrants et à tous les jeunes en fin de service militaire, ni d'assurer un logement bon marché à tous les nouveaux couples. La récession économique qui prévaut au niveau mondial, le refus du gouvernement américain d'accorder des garanties de prêts et la réserve des Etats européens en ce domaine n'ont pas facilité la vie aux Israéliens. La course aux armements des voisins hostiles d'Israël et la poursuite du terrorisme et de l'Intifada n'ont pas permis au gouvernement de réduire substantiellement les dépenses militaires. Malgré un taux d'imposition parmi les plus élevés du monde, les contribuables israéliens n'ont pas pu permettre à leurs dirigeants de dresser un budget prévoyant les sommes nécessaires au bon fonctionnement des services sociaux, des services de santé, de l'instruction publique, les moyens manquent également pour maintenir et moderniser le réseau routier.

Le gouvernement Shamir a été perçu par une partie croissante de l'électorat comme incapable de relever les défis de l'heure, comme inefficace, comme coupé de la réalité et les stratèges de gauche ont eu une tâche aisée pour convaincre un certain nombre de citoyens confrontés aux difficultés de la vie du pays. A titre d'exemple, les 400 000 nouveaux immigrants de l'ex-URSS, qui, en décembre dernier encore, soutenaient massivement le Likoud, sont devenus une proie facile pour les partis qui leur promettent emploi et logement. Un nouvel immigrant russe déclarait récemment: «je voterai pour le parti du travail (travailliste) parce qu'il veut nous donner du travail ... ».

Les travaillistes et Merets, opposés, pour des raisons doctrinales, aux implantations dans les territoires de l'ex-Cisjordanie et dans la bande de Gaza, ont également dénoncé les «milliards» investis dans les territoires et promis qu'ils «mettraient à sec» les implantations (selon le mot de Dedie Tsuker, l'un des responsables de Merets), faisant miroiter les avantages que le pays pourraient tirer d'une telle économie. L'argument a porté, même si des voix se sont élevées pour expliquer que les investissements de l'Etat dans les implantations contestées ne constituaient que 1% du budget national, que la construction dans les territoires était meilleure marché que dans la banlieue de Tel-Aviv et que la qualité de la vie, à un prix largement inférieur, était bien meilleure que dans les villes surpeuplées de la côte méditerranéenne.

Le morcellement des partis non-socialistes et de l'extrême-droite a également été un facteur d'affaiblissement du centre-droit. De nombreux partis, souvent très pittoresques, n'ont pas dépassé la barre électorale et les voix qui leur ont été attribuées ont été perdues. Deux éléments ont encore contribué à la victoire de la gauche. Obéissant aux consignes du chef de l'OLP, Yasser Arafat, beaucoup d'Arabes israéliens sont allés, cette fois-ci, voter, contribuant à octroyer 3 sièges aux travaillistes et un à Merets. Enfin la personnalité même d'Yitzhak Rabin, qui a succédé au malheureux Shimon Pères à la tête du Ma'arakh (parti travailliste) a contribué pour une bonne part au succès de son parti. Moins loquace que son prédécesseur, moins agressif, plus timide, plus réservé, Yitzhak Rabin a été perçu par une partie des électeurs comme plus honnête, plus authentique et plus fiable que Shimon Pères.

Les conséquences de ce bouleversement Politique sont encore difficiles à prévoir. Les 120 000 juifs résidant dans les territoires ne masquent pas leur inquiétude; les habitants des nouveaux quartiers de Jérusalem, la majorité des Jérusalémites, sont, pour leur part, moins soucieux: le parti travailliste comme Merets se sont engagés à ne pas rediviser

Jérusalem. Il est raisonnable de penser que le changement de gouvernement améliorera les relations d'Israël avec les Etats-Unis et avec la Communauté européenne, et que des prêts importants seront octroyés à l'Etat hébreu. On redoute une escalade du terrorisme du côté des organisations palestiniennes, les Arabes pouvant constater que la violence et le chantage payent. Les nouveaux dirigeants réussiront-ils le tour de force de trouver l'argent nécessaire (que le Likoud, lui, n'a pas pu trouver) pour résoudre les problèmes sociaux et économiques, pour améliorer le réseau routier, pour réformer l'enseignement public, pour renflouer les universités endettées, pour assurer travail et logement aux jeunes et aux nouveaux immigrants? Les mois prochains le montreront.

De Jérusalem, Henri-Léon Vaucher

 

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Le parcours d' Yitzhak Rabin

Né le 1er mars 1922 à Jérusalem, Yitzhak Rabin fit des études d'agriculture et se destinait à être ingénieur-biologiste quand l'insécurité en Palestine britannique l'orienta vers une carrière militaire. Il joignit les troupes de choc juives du Palmach en 1940. Ayant participé à des actions clandestines contre les Anglais, il est arrêté le 29 juin 1946 et emprisonné pendant six mois. En 1948, lors de la guerre d'indépendance, il est nommé commandant en chef de la brigade Harel et participe aux violents combats visant à ouvrir la route de Jérusalem aux troupes de la Haganah, la jeune armée juive. Avec Ygal Allon, il participe aux opérations qui mèneront à la conquête de Lod et de Ramleh. Nommé chef de l'Etat-major général de l'armée israélienne en 1964, c'est lui qui prépara l'armée et la conduisit à la victoire, en juin 1967, lors de la guerre des Six jours. Nommé ambassadeur d'Israël aux Etats-Unis en 1968, il occupa ce poste jusqu'en 1974. Suite au désastre de la guerre du Kippour (octobre 1973) et à la tempête politique qui s'ensuivit, en juin 1974, Rabin remplaça Golda Meïr au poste de Premier Ministre. En 1977, l'arrivée du Likoud au pouvoir exclut Yitzhak Rabin de la scène politique. Cette défaite lui fut imputée et il dut confier la responsabilité du parti travailliste à Shimon Pères avec lequel il entretient encore une animosité de longue date. Pendant les 6 années de gouvernement d'union nationale (le «gouvernement à 2 têtes», avec Shimon Pères et Yitzhak Shamir) imposé par le résultat incertain des élections de 1984 et de 1988, Yitzhak Rabin occupa le poste de ministre de la défense. Au début de l'Intifada, il dirigea la répression d'une main énergique, mais après quelques mois de luttes, il arriva à la conclusion que la «guerre des pierres» ne pouvait être réprimée par la force seulement et qu'une solution politique devait être trouvée au problème palestinien. Suite à l'échec de Pères de former un gouvernement socialiste au printemps 1990, la rivalité entre celui-ci et Rabin se raviva et le parti travailliste s'en trouva à nouveau déchiré. Au début de cette année 1992, c'est Rabin qui fut élu président du parti travailliste et Shimon Pères dut s'incliner.

AVENEMENT Juillet 1992 No 49 / P 8

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