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 3. Au foyer

 

Souvent appelé au dehors, on l'a vu, Rappard ne négligeait point cependant les intérêts de Chrischona. Il nous faut mentionner ici quelques événements qui ont trait à ses circonstances personnelles.

En mai 1876, il eut la grande joie de voir venir à la petite colonie de Chrischona sa chère mère et ses trois plus jeunes enfants.

Après le départ de son fils Charles pour l'Amérique du Nord, Mme Rappard avait vendu le beau domaine d'Iben, - le Löwenstein avait déjà passé en d'autres mains peu après la mort du père - et s'était retirée à Heiden, où son gendre Arnold était pasteur. Les Arnold étant venus à Bâle, rien ne retenait plus Mme Rappard dans la Suisse orientale, de sorte qu'elle accéda volontiers au désir de son fils aîné de venir s'installer auprès de lui sur la paisible colline de Chrischona. Une pièce de terrain fut acquise à l'est des constructions de l'institut, et bientôt une maison s'y éleva, aménagée avec beaucoup d'amour et de sens pratique par le fils, de façon à répondre aux désirs et aux besoins de sa mère. Son arrivée fut pour la petite communauté un enrichissement spirituel. Chrétienne expérimentée et solidement fondée, elle appréciait d'un jugement clair et sûr aussi bien les bénédictions que le Seigneur aime à accorder aux siens, que les dangers spirituels qui les menacent, et ses conseils et ses prières furent des plus précieux pour son fils bien-aimé. L'hiver béni de 1874 à 1875 lui avait aussi, bien qu'elle connût le Seigneur dès sa première jeunesse, ouvert de nouvelles perspectives sur les trésors de grâce de son Sauveur, et les bénédictions reçues en commun avaient encore resserré les liens étroits qui unissaient mère et fils.

Il y eut aussi vers ce temps-là divers changements dans le personnel enseignant, provenant de ce que les excellents maîtres qui avaient secondé Rappard pendant les années difficiles des débuts avaient été appelés ailleurs. Il se sentit d'ailleurs toujours en parfait accord avec ses collaborateurs anciens et nouveaux. Le fait que les repas se prenaient en commun ne contribuait pas peu à donner aux relations mutuelles un ton familial - les intérêts de la « maison des frères » avaient leur grande place dans les conférences hebdomadaires des maîtres comme dans leurs prières.

 

Nous autres maîtres, écrivait l'inspecteur, nous sentons vivement qu'il s'en faut encore de beaucoup que nous sachions de quelle façon et par quels moyens nous pouvons le mieux faire des jeunes gens qui nous sont confiés des évangélistes capables d'annoncer avec fruit au peuple le salut qui est en Christ.

Il vaut la peine de reproduire ici une belle lettre de l'un de ces collaborateurs.

 

Cher frère en Jésus,

Si mon affection ne sait pas faire de belles phrases, elle n'en est pas moins vivante et elle éprouve le besoin de se manifester au moins de temps en temps, quand l'occasion s'en présente. Or ton anniversaire, le 26 décembre, est une bonne occasion. N'est-il pas significatif qu'il suive de si près celui de Christ, puisque ta vie entière, à l'extérieur et à l'intérieur, travail et repos, action et transaction, foi et amour, ton être entier a pour fondement et pour centre Jésus, le Fils de Dieu ? J'aime à te rendre ce témoignage que c'est bien là l'impression profonde qui m'est restée du temps où j'avais affaire avec toi, et, pour dire plus, du temps où je travaillais jour après jour à tes côtés. C'est sur cette base que se fonde tout amour fraternel véritable ; qu'on sache l'un de l'autre une chose, c'est que Jésus est l'alpha et l'oméga, la raison d'être, le centre, le contenu et le but de la vie. De la sorte, ce que chacun aime en l'autre, c'est le Sauveur.

Qu'en sera-t-il un jour, quand on se verra tous face à face, sans tache, sans « moi », donnant tous toute gloire à la grâce qui aura opéré en tous !

Mes voeux pour toi ? Les mêmes que tu formes, toi aussi. Quel bonheur de nous dire que pour nous tout se trouve en Un seul, et que nous n'avons qu'à le connaître toujours mieux, à puiser toujours davantage dans sa plénitude, pour devenir toujours plus.... altérés !

Mais, comme j'ai à coeur l'avancement du règne de Dieu, je demande au Seigneur de te revêtir en cette année nouvelle de forces nouvelles pour son saint service. Ce voeu jaillit du sentiment reconnaissant de ce qu'il t'a déjà donné et de la tâche considérable qu'il te confie. Qu'il t'emploie encore pour la conversion de milliers ! je me réjouis à la pensée de la puissance de persuasion qu'il a donnée à ton témoignage.

En te saluant et te bénissant avec une affection cordiale, je me recommande encore à ton support et à tes prières, et je reste

Ton ***

 

A la fin de 1877, Rappard éprouva le besoin de modifier son activité littéraire et de cesser la publication du Glaubensweg. Voici ce qu'il écrit entre autres à propos de cette détermination :

Voici trois ans qu'a été lancé le Glaubensweg. Son but était de remettre en lumière une vérité fondamentale, la sanctification par la foi. Dans la modeste mesure de notre pouvoir, ce but a été atteint et, pour continuer à le faire paraître, il eût fallu ou bien répéter les mêmes choses en d'autres termes et avec de nouvelles illustrations, ou bien nous écarter peu à peu de notre but primitif.

Nous ne pouvons passer en revue le travail accompli ainsi pour le Seigneur sans nous sentir profondément humiliés par notre insuffisance et notre indignité. Mais ce qui nous réjouit d'autre part, c'est la conviction demeurée inébranlable jusqu'à cette dernière livraison, que ce travail était bien pour le Seigneur et pour son Église, qu'il y prenait plaisir et qu'il lui a accordé maints témoignages de sa faveur. La parole imprimée dans ces trois volumes demeure et forme un tout complet, et nous ne doutons pas que beaucoup d'isolés n'y trouvent encore à l'avenir instruction et encouragement.

Effectivement, Rappard eut plus d'une fois la joie d'apprendre que Dieu avait béni cette revue pour bien des âmes. C'est ainsi qu'un des premiers numéros, tombé aux mains d'un soldat de la légion étrangère en Algérie, devint le moyen de le ramener du désert du péché et de l'incrédulité à son Sauveur d'abord, puis dans sa patrie. Aujourd'hui encore on ne peut lire ces pages sans être saisi par la puissance qui les anime.

 

Dès janvier 1878, Rappard fit paraître mois après mois le Glaubensbote (Messager de la foi) dans le but de donner fréquemment aux « frères » dispersés et aux autres amis de la Pilgermission à la fois des nouvelles et quelque aliment spirituel encourageant et stimulant. Ce bulletin mensuel remplaçait avantageusement les Mittheilungen (Communications) de la Pilgermission, qui n'étaient qu'une petite feuille bimensuelle, mais n'étant plus que l'organe d'une oeuvre spéciale, il ne pouvait prétendre à un cercle de lecteurs aussi étendu que le Glaubensweg. Il atteignit cependant son but et fournit maintes fois à Rappard l'occasion de faire connaître son avis sur ce qui se passait dans le monde ou dans l'Église, en s'éclairant de son expérience et de la Parole de Dieu.

Ce fut, comme son nom l'indique, un messager parlant de la foi, soutenant la foi, ou, mieux encore, dirigeant les regards de ses lecteurs sur le grand objet de la foi, Jésus-Christ.

En 187 5, avec la précieuse collaboration de M. Gollmer, instituteur, M. et Mme Rappard publièrent un recueil de cantiques pour réunions d'édification (Gemeinschafislieder), recueil utilisé avec bénédiction dans bien des cercles chrétiens.

Rappard et les siens eurent à plus d'une reprise la grande joie d'accueillir sous leur toit leurs bien-aimés parents de Jérusalem; notamment, et pour la dernière fois, en 1878. L'évêque Gobat était alors dans sa quatre-vingtième année ; sa femme, bien plus jeune, était moins bien conservée, et ils disaient tous deux avec le plus gracieux sourire qu'ils étaient venus une fois encore pour prendre congé de tous leurs bien-aimés avant d'être appelés de la Jérusalem terrestre dans la Jérusalem céleste.

Ils ne se trompaient pas. Ils passèrent une bonne partie de l'été à Riehen, dans une maison mise à leur disposition par M. Sarasin ; on pouvait ainsi les voir souvent et jouir de leur douce intimité. L'évêque était encore, spirituellement et physiquement, alerte et vigoureux comme autrefois ; cet été-là, il travailla avec une infatigable assiduité à la correction d'un livre de prières arabe. Mais en automne il eut une légère attaque d'apoplexie. Il s'en remit suffisamment toutefois pour retourner à Jérusalem, selon son désir. Mais les forces ne revinrent pas, et au matin du dimanche 1 1 mai 1879 il s'en allait vers son Seigneur.

Sa veuve chérie le suivit douze semaines plus tard. En attendant la bienheureuse résurrection, les deux pèlerins lassés reposent sous un olivier de Sion.

 

Les premières années de son inspectorat, Rappard avait suivi quelques cours à l'université de Bâle il avait à coeur de se développer à tous égards et d'apprendre toujours mieux comment enseigner. Il avait surtout suivi avec intérêt les leçons de philosophie du professeur Steffensen, et il était entré en contact assez intime avec ce penseur aux larges horizons. Pour donner une idée de cette remarquable personnalité, nous citerons de lui une poésie intitulée : Dernier sonnet. Faisant allusion à une parole de Michel-Ange vieillard: «Peindre ni sculpter ne peuvent donner le repos du coeur, » il dit:

 

Mon esprit est guéri de ses recherches vaines :

Penser et méditer ne brisent point les chaînes....

La grâce est mon recours pour m'en aller en paix.

 

Rappard jouissait particulièrement, dans l'isolement de Chrischona, des visites de frères partageant sa manière de voir. Le Dr Bädeker, entre autres, vint à plus d'une reprise. Peu après leur première rencontre, il se passa un incident décrit comme suit dans la biographie de cet éminent évangéliste:

Bädeker voulut un jour prêcher dans les rues de Bâle, selon l'usage anglais. Mais sa tentative fut accueillie par des huées et des cailloux. Soudain, du milieu du tumulte, il vit se dresser à côté de lui un personnage à la haute stature, prêt à le défendre. C'était l'inspecteur Rappard de Sainte-Chrischona. La présence d'un défenseur inspira du courage à d'autres, et bientôt tout un groupe de chrétiens entouraient l'intrépide prédicateur.

Toutefois Rappard et d'autres frères lui conseillèrent de ne plus s'y prendre de cette façon à Bâle. Plus tard Bädeker tint à plusieurs reprises des réunions bénies dans le « Vereinshaus ».

Le vénérable Georges Müller, de Bristol, fit, aussi plusieurs visites à Chrischona, ainsi qu'Andrew Murray, de Stellenbosch dans l'Afrique du Sud, le prédicateur-écrivain d'une si haute spiritualité. Le Père Hyacinthe Loyson y est venu une fois avec son épouse, alors qu'il était sur le seuil de la foi évangélique. Il ne lui manquait plus que cette expérience personnelle qui, d'un moine d'Erfurt, Martin Luther, a fait un jour un réformateur.


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