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 2. « Dieu le prit. »

 

Il passa la nuit et une douce matinée de dimanche à Francfort, chez ses chers enfants Simon, et se trouva à Giessen ponctuellement à l'heure annoncée. C'était la fête des récoltes, et la salle du Vereinshaus était toute parée de fleurs et de fruits. Bientôt il gravit les degrés de la chaire, enguirlandée d'épis mûrs et de pampres verdoyants, et ouvrit le service d'actions de grâces par l'antique psaume, toujours jeune, du chantre royal: « Mon âme, bénis l'Éternel, et que tout ce qui est en moi bénisse son saint nom ! »

Voici quelques notes que nous avons reçues, sous ce titre:

Miettes des dernières allocutions de notre cher inspecteur défunt, recueillies par quelques auditeurs reconnaissants :

Mon âme, bénis l'Éternel, et n'oublie aucun de ses bienfaits.

En ce jour de fête, nous remercions notre Père céleste, pour les grands bienfaits qu'il nous a accordés encore cette année. Il pense aussi aux besoins de nos corps. Nous ne devons pas être insouciants, mais insoucieux. C'est Jésus qui porte nos soucis ; sa Parole ne nous dit-elle pas : Déchargez-vous sur Lui de tous vos soucis ; Il a soin de vous ? Regardez un peu cette table chargée de fruits ! Tous ces raisins, ces épis mûrs sont autant de témoignages de la puissance et de la bonté de Dieu et doivent faire jaillir la louange de nos coeurs.

Mais Dieu nous a donné plus et mieux. « Mon âme, bénis l'Éternel, qui le pardonne tous tes péchés. » Qu'est-ce que l'homme sans le pardon ? Un roseau agité par le vent, le jouet des esprits malins. Le don céleste du pardon nous remplit de vie et de bonheur. La vie avec Jésus nous donne des preuves toujours nouvelles de sa grâce immense. Voilà plus de soixante-dix ans qu'Il prend soin de moi. Et il y en a bientôt cinquante qu'il m'a appelé à proclamer l'Évangile de sa grâce. Si je regarde en arrière, je me glorifierai le plus volontiers de ma faiblesse, car tout est grâce, pure grâce.

« Il te pardonne tous tes péchés, » dit le psalmiste. Que j'aime ce mot « tous » ! Qui peut savoir combien souvent il lui arrive de manquer ? « Pardonne-moi aussi les fautes que j'ignore. » (Ps. 19, 13 .) Plus j'avance en âge, plus je découvre combien je suis misérable, et combien il est insensé de s'enorgueillir. Les orgueilleux ne se connaissent pas eux-mêmes. Mais le Seigneur nous connaît. « Il sait de quoi nous sommes formés, il se souvient que nous sommes poussière. » Et dans notre dénuement il nous donne, en Jésus-Christ, notre Sauveur, cette grâce que tous nos péchés sont jetés au fond de la mer, que notre dette ne peut plus nous condamner ni nous séparer de notre Père céleste.

Il te fait rajeunir comme l'aigle, est-il écrit, v. 5. Moi aussi je désire rester jeune de coeur, et demeurer au service de mon Sauveur jusqu'à mon dernier souffle. Quand on demande à quelqu'un combien d'années il a déjà vécu ici-bas, il répond habituellement : je suis âgé de trente ans, quarante ans, ou davantage. Moi, je ne voudrais pas me dire âgé de soixante-douze ans, mais jeune de soixante-douze ans.

Au v. 20, David parle des anges de Dieu. Les peintres aiment à les représenter comme de tout petits enfants. Ce n'est pas exact. Les anges de Dieu sont des héros puissants, qui exécutent les ordres divins. Ils sont « envoyés pour exercer un ministère en faveur de ceux qui doivent hériter du salut ». je crois que non seulement les enfants, mais nous aussi, les adultes, nous avons nos anges qui nous accompagnent et nous gardent toute notre vie. je me propose, lorsque je passerai au-delà du voile, de m'informer de l'ange qui s'est tenu à mon côté et m'a si fidèlement protégé pendant les soixante-douze ans de mon pèlerinage, et de le remercier cordialement pour ses fidèles services.

 

Rappard prêcha encore le dimanche soir, en prenant pour texte la parole de Jésus : « je suis la lumière du monde.» (Jean 8, 12.)

La nuit qui suivit ne fut pas bonne, et le lendemain matin il descendit plus tard que de coutume. Il écrivait à sa femme:

Cette nuit j'ai beaucoup souffert, dans la région du coeur, de cette oppression que j'avais déjà ressentie jadis. J'ai eu recours à mon divin Médecin, et il a dissipé la douleur. Mais j'en sens encore la menace. J'ai cette confiance dans le Seigneur qu'il déploiera sa puissance dans ma faiblesse.

Puis il la charge de diverses commissions, lui fait part de ses projets pour les semaines suivantes, et conclut en ces termes « Tout cela, si le Seigneur le veut et si je vis

Comme c'était surtout une lettre d'affaires et qu'elle était longue, il l'avait dictée à M. Herrmann. Mais quand celui-ci voulut y mettre aussi l'adresse, Rappard s'écria vivement: « Oh ! non, ça ferait peur à ma femme! » et ainsi cette lettre parvint à Mme Rappard avec l'adresse écrite de la main de son mari, alors qu'elle savait déjà qu'elle ne le reverrait plus...

Il se sentait bien d'ailleurs, ce lundi-là il examina les locaux de la librairie nouvellement fondée, s'intéressant à tout et déversant encore inconsciemment des trésors d'amour autour de lui.

Les « frères » auraient voulu photographier leur vieil inspecteur dans sa chaire décorée de verdure. Mais il ne put s'y résoudre. « Cela ne convient pas quand on ne prêche pas », disait-il, et, montrant l'inscription placée au-dessus de la chaire: « Aimons-Le, car Il nous a aimés le premier », il ajouta: « je ne veux pas cacher ce qui parle de l'amour de Jésus. » C'est ainsi que cette dernière photographie le montre devant la chaire au milieu de la famille de l'évangéliste et entouré des riches bénédictions de la récolte.

A huit heures du soir, il y eut encore une réunion. L'un des participants en a dit: « L'éclat de l'éternité l'illuminait. » Il avait pris pour texte Rom. 8, ce cantique sublime de la foi. On croirait respirer l'air du ciel jusque dans les notes qu'on en a prises.

A l'entrée de ce glorieux chapitre, disait-il, se lisent ces mots bienfaisants « Il n'y a point de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ », et à la fin l'hymne triomphal : « Qui nous séparera de l'amour de Dieu ? » Point de condamnation, et point de séparation ! Notre glorieux Sauveur nous a enlacés de cordages d'amour. Nous sommes cachés pour le temps et pour l'éternité en Jésus-Christ.

Il est souvent question du Saint-Esprit dans ce chapitre : Il habite en nous (v. 9, 11) ; il nous fait agir, nous conduit, nous domine (v. 13, 14) ; il rend témoignage de notre adoption et nous apprend à dire « Abba, Père » (v. 15, 16) ; il nous aide dans notre faiblesse, nous enseigne à prier, intercède lui-même avec nous par des soupirs inexprimables (V. 26).

Il y a de la faiblesse parfois dans la vie des enfants de Dieu, et nous pouvons nous trouver dans telle situation où nous ne savons pas ce que nous devons demander. Mais si le Saint-Esprit nous enseigne à prier, nous ne demanderons rien de déraisonnable, comme feraient des enfants qui ne sauraient pas ce qui leur est bon. Le Saint-Esprit comprend ces soupirs que nous ne pouvons exprimer, et il les apporte à Dieu. Nous apprenons toujours mieux à ne demander que ce qui est agréable à Dieu. Le cours de notre vie est arrangé par la main de Dieu; tout ce qu'il nous envoie est bon ; de quelque façon qu'il nous mène, c'est bien.

Il y a un certain nombre d'années, mon fils Auguste était gravement malade. je demandai au Seigneur : « Est-ce que nous pouvons prier pour sa guérison ? » Ah ! il n'est pas facile de s'avancer, dans ces sombres heures d'angoisse, sur un chemin qui paraît contre nature. Nous soupirions : « Que faire, Seigneur? que demander ? »

- « Remets-le moi ! » nous dit-il, et son faible enfant répondit : « Oui, Seigneur, je te le remets, et je me remets aussi entre tes mains ! »

Alors s'apaisa la tempête, alors les vagues se calmèrent, et la paix de Dieu vint remplir le coeur. Dieu m'a repris mon fils. Ses voies sont saintes.

Le but qu'il poursuit à notre égard, c'est de nous rendre semblables à l'image de son Fils (V. 29). Cela dépasse notre entendement, mais notre foi se réjouit avec adoration de ce que Dieu a pour nous un idéal aussi glorieux, un but aussi grandiose. Oh ! mes bien-aimés, que pourrait-il y avoir de plus glorieux que d'être semblables au Fils de Dieu ?

Que sera-ce un jour, devant le trône de Dieu ? Là, plus d'infirmités ! La grande foule des enfants de Dieu formera l'Épouse parfaite, qui, dans sa parure céleste, se tiendra devant l'Agneau de Dieu ! Il est écrit : « Il y avait une grande foule que personne ne pouvait compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple, de toute langue ; ils se tenaient devant le trône et devant l'Agneau, revêtus de robes blanches, et des palmes dans leurs mains, et ils criaient d'une voix forte, en disant: Le salut est à notre Dieu qui est assis sur le trône et à l'Agneau »

Puissions-nous tous faire partie de cette grande foule

L'inspecteur avait l'air dispos et plein d'entrain lorsqu'il se retira, vers dix heures. Toutefois, quand on le questionna, il répondit qu'il se sentait un peu d'oppression à la poitrine, mais que le Sauveur le soutiendrait.

Le lendemain matin, il ne parut pas au déjeuner. On se réjouissait déjà de ce qu'il prenait un peu de repos. Mais comme l'attente se prolongeait, et que M. Herrmann heurtait à sa porte et, toujours plus inquiet, l'appelait sans obtenir de réponse, il entra dans la chambre silencieuse et trouva son cher inspecteur paisiblement endormi de son dernier sommeil. Pas une ride de souffrance sur son beau visage ! Il avait dû entrer dans la vie sans avoir vu la mort. Dieu l'avait pris à lui.

C'était le 21 septembre 1909.

Le plan de sa dernière allocution se retrouva sur un petit morceau de papier. Il se terminait par ces mots

« IL DONNE LA VICTOIRE! IL MENE A LA GLOIRE! »


Table des matières

Précédent:1. Le reflet de l'éternité

Suivant:3. Derniers échos

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