LES FONDEMENTS EN RUINES1

PREMIER DISCOURS

1849

LA POSITION

 

SERMONS

par

ADOLPHE MONOD

 

TROISIEME ÉDITION

TROISIEME SÉRIE

 

G. FISCHBACHER, ÉDITEUR 33, RUE DE SEINE, 33

1881

septembre 1999

 


« Quand les fondements sont ruinés, le juste, que ferait-il ? » (PSAUME XI, V. 3.)

 

PSAUME XI

« Je me suis retiré vers l'Éternel; comment donc dites-vous à mon âme : Fuyez en votre montagne, comme l'oiseau ? Car, voici, les méchants bandent l'arc, ils ont ajusté leur flèche sur la corde, pour tirer, dans l'ombre, sur ceux qui ont le coeur droit. Quand les fondements sont ruinés, le juste, que ferait-il ? »

 

« L'Éternel est dans le palais de sa sainteté ; l'Éternel a son trône dans les cieux. Ses yeux contemplent, ses paupières sondent les fils des hommes. L'Éternel sonde le juste, mais le méchant et l'ami de la violence sont odieux à son âme. 11 fera pleuvoir sur les méchants des filets; le feu, et le soufre, et le vent embrasé, telle est la portion de leur breuvage. Car l'Éternel de justice aime le juste; sa face contemple l'homme droit. »

 

David, réservé de Dieu au trône d'Israël et déjà sacre roi par la main de Samuel, ne parvient à la gloire promise qu'à travers une persécution perfide autant que sanguinaire. Le jaloux Saül, poussé par des courtisans plus méchants que lui-même, conspire contre l'oint de l'Éternel, tantôt avec une ruse qui ne rougit d'aucune bassesse, tantôt avec une violence qui ne recule devant aucun forfait. La vie de David est mise, jour après jour, à la pointe de l'épée; et avec elle, l'ordre publie, la sécurité de l'État, tout l'avenir d'Israël, la justice humaine, et la fidélité même de Dieu, engagée envers le peuple au sein duquel le Messie doit naître, et envers le prophète-roi dont il doit sortir. C'est alors que des amis bienveillants, mais de petite foi, pressent David de renoncer à ses espérances, et de ne songer plus qu'à se soustraire au péril par une prompte retraite, comme l'oiseau timide, effrayé du cri du chasseur impitoyable ou redoutant les pièges du traître oiseleur.. va, loin du mouvement et du bruit de la plaine. cacher ses jours menacés sur des montagnes inaccessibles et dans les fourrés impénétrables des bois. À quoi bon tenter une résistance inutile, dans une lutte inégale? Déjà « les méchants bandent leur arc; » déjà « ils ont ajusté leur flèche sur la corde, pour tirer, dans l'ombre, contre ceux qui ont le coeur droit. Quand les fondements sont ruinés, le juste, que ferait-il? »

 

David répond à ces conseils d'une amitié charnelle et d'une lâche prudence, parle cantique que je viens de vous lire, et dont le premier verset résume toute sa pensée : « Je me suis retiré vers l'Éternel; comment donc dites-vous à mon âme. Fuyez en votre montagne, comme l'oiseau ? » Nous y découvrons à la fois le principe sur lequel il s'appuie : il se confie en l'Éternel; et la ligne de conduite que ce principe lui trace : il se gardera bien d'une fuite indigne. Il voit la position en Dieu : voilà ce qui le soutient; loin de fuir, il restera donc et il agira voilà ce qu'il est résolu de faire.

 

C'est un des caractères de la Parole sainte, qu'étant prise au point de vue de Dieu et donnée par l'esprit de prophétie, elle s'applique à tous les temps. On peut dire même qu'elle s'adapte de mieux en mieux, pour le fond de la pensée, aux siècles qui se déroulent, parce que les germes féconds de vérité qu'elle contient se développent avec l'histoire humaine et le plan divin. Tandis que les autres livres vont vieillissant, la Bible seule semble rajeunir, parce que les vérités éternelles qu'elle présente également à toutes les phases successives de l'humanité, revêtent, d'âge en âge, un aspect toujours nouveau et toujours plus spirituel: on dirait un corps identique qui ne ferait que changer d'habit pour être en rapport avec chaque génération naissante, ou plutôt, un esprit toujours le même, mais qu'un accroissement sans terme maintiendrait constamment au pas, disons mieux, en avant du genre humain. Qui ne voit, par exemple, que ce mot d'Habacuc : « Le juste vivra par la foi, » n'a fait que gagner d'à-propos et de profondeur, en passant d'Habacuc à saint Paul; et de saint Paul à Luther? Eh bien ! qui de vous aussi n'a senti, quand j'ai lu mon texte, combien il s'adapte divinement, c'est ici le mot exact, aux temps où nous vivons? A quelle époque la sagesse humaine a-t-elle eu plus de raison que depuis un demi-siècle, que dis-je ? que depuis un an, de s'écrier : « Quand les fondements sont ruinés, le juste, que ferait-il? »

 

Quels fondements ne menacent ruine ? Fondements politiques. Il n'y a ni puissance si bien assise, ni institution si bien enracinée, qui soit à l'abri d'un coup d'État, d'un coup de fusil, d'un coup de poignard, d'un coup de tête, j'ai presque dit d'un coup de vent. Les plus antiques monarchies chancellent comme un homme ivre, tombent, se relèvent pour tomber encore peut-être, et semblent parfois n'aboutir par tous leurs efforts pour se remettre de leurs secousses, qu'à provoquer des secousses Nouvelles plus redoutables que les premières, comme les flots de la mer, dans une tempête, accroissent leur bouleversement Par les mouvements mêmes qu'elles se donnent pour retrouver leur niveau.

Fondements sociaux. Ces bases antiques et vénérées, qui sont à l'ordre de la société ce que le sol de la terre est aux édifices qu'elle porte, ces axiomes du droit et de la morale que l'Évangile, que dis-je? que la loi de Moïse trouva déjà reçues dans toutes les nations, la propriété, l'hérédité, la prescription, la famille, oui, la famille elle-même, sont contestées, pour la première fois, et livrées à l'âpre contradiction de la multitude; et l'on discute froidement aujourd'hui si l'on doit ou non donner le nom de progrès du siècle à ce qu'on appelait hier sans hésitation du nom de crime. Fondements ecclésiastiques. L'Église chrétienne, à laquelle Dieu avait confié le dépôt des maximes qui préservent les peuples, comme elles sauvent les individus, participe au malaise général. On sent confusément que les établissements religieux qui existent ne répondent plus complètement aux besoins de l'époque. Une communion chrétienne, qui a mis une infaillibilité prétendue à à l'abri d'une immutabilité trop réelle, s'étonne de voir se séparer, dans la personne de son chef spirituel, des pouvoirs qu'elle s'était montrée, depuis plus de dix siècles, si jalouse de réunir. Nos églises agitent, avec une ardeur croissante, les questions de l'institution civile et de l'indépendance religieuse. À la controverse naturelle de ceux qui adorent Jésus comme leur Dieu-Sauveur avec ceux qui ont inventé un autre évangile, s'ajoutent de fâcheux dissentiments entre ceux-là mêmes qui sont unis sur le fondement de la foi. Confusion étrange, où l'on ne prévoit guère de stabilité que dans quelque forme d'église toute nouvelle, et qui est encore à concevoir. Enfin, fondements spirituels. Si du moins les croyances et les obligations individuelles étaient nettement saisies et maintenues énergiquement, on trouverait, au dedans des coeurs, le remède le plus efficace contre les agitations du dehors l'ébranlement universel a pénétré jusque dans le sanctuaire de la vie intérieure. Les principes essentiels de la foi chrétienne et de la morale chrétienne sont remués d'une main profane et curieuse. La philosophie du jour remet en question Dieu, la vie future, le jugement, la distinction du bien et du mal.

 

Les hommes croyants eux-mêmes éprouvent le besoin de revoir les bases de leur foi, et d'en refaire le symbole. On ne parle pas seulement de forme nouvelle pour l'Église, ou parle de formule nouvelle pour l'expression de la doctrine; et la seule chose stable qui soit au monde, la Parole de Dieu est menacée de contracter un caractère d'instabilité dans l'opinion, par la variété des interprétations et des systèmes. Quel chaos! quel mouvement ! quels orages ! et que l'on conçoit bien qu'ils arrachent à l'âme timorée cette exclamation des faibles amis de David - « Quand les fondements sont ruinés, le juste que ferait-il ? » Ses efforts, impuissants pour la société, ne sauraient aboutir qu'à le compromettre lui-même. Qu'il se réserve pour des jours meilleurs; qu'il se réfugie, en les attendant, ou dans quelque contrée lointaine où le mal de l'époque ne soit pas encore parvenu, ou dans une vie isolée et silencieuse; et qu'il laisse couler l'eau comme il peut., puisqu'il ne possède après tout aucun moyen d'en suspendre ou d'en détourner le cours.

 

C'est à cette tentation du moment que je veux répondre, et répondre dans l'esprit de David. Que celui (lui est prêt à perdre courage et à tout abandonner au hasard des événements, « se retire vers « l'Éternel, » et contemple la position en Dieu. Il n'en faut pas davantage pour qu'il reconnaisse dans cette position des motifs, non de fuir, mais de rester et de mettre la main à l'oeuvre. Ce point de vue chrétien de la position sera l'objet de ce discours; et cette action chrétienne dans la position nous en fournira un second sur le même texte, s'il plaît à Dieu.

 

Je dis, un point de vue chrétien, une action chrétienne; car c'est pour le chrétien que je parle : j'ai besoin de m'expliquer nettement là-dessus, avant d'aller plus loin. La question de mon texte porte sur le juste, c'est-à-dire, dans l'acception biblique du mot, sur l'homme qui fait le bien, mais qui le fait par un principe religieux. Pour l'époque de David, le juste, c'était le vrai israélite; pour nous, c'est le vrai chrétien.

 

C'est donc au vrai chrétien que je m'adresse. Au reste, c'est à lui que nous nous adressons chaque fois que nous vous traçons les devoirs de la vie chrétienne; car lui seul peut les accomplir, lui seul sait les comprendre. Que si nos discours paraissent dépasser alors la portée spirituelle de nos auditeurs, la faute en est, non à nous, mais au désordre de nos églises, composées trop souvent par la naissance plus que par la foi. Ceux qui sont dans la communion de l'Église ne sauraient trouver mauvais que, prenant au sérieux leur profession, nous attendions d'eux les sentiments qui conviennent à ses membres; et s'il en est qui sont étrangers à sa foi, la première chose qu'ils aient à faire, c'est de se mettre d'accord avec elle, et avec eux-mêmes, en répondant à cette voix d'en haut qui leur crie : « Convertissez-vous, et vous verrez la différence qui est entre le juste et le pécheur (*2). » Eh ! quelle plus puissante raison pour se convertir que d'avoir à se dire qu'ils ne valent rien, tels qu'ils sont, pour le service de Dieu, et qu'ils ne peuvent entrer dans ses vues qu'à la condition de s'enrôler dans cette sainte milice des vrais chrétiens, sur laquelle seule il compte pour faire son oeuvre, dans les jours mauvais comme dans les bons ! Car, où prendra son point d'appui, pour agir dans des temps tels que ceux-ci, l'homme étranger au vrai christianisme et imbu des maximes du monde? Engagé qu'il est dans le présent siècle, il est aussi nécessairement ébranlé quand le siècle s'ébranle, que le navigateur surpris par la tempête est inévitablement entraîné par le mouvement aveugle des flots; tandis que le vrai chrétien, sur le roc qui les domine et au pied duquel ils se brisent en frémissant, peut seul chanter avec le psalmiste le cantique de la sainte cité : « Nous ne craignons point, quand la terre se remue, et que les montagnes se balancent dans le coeur des mers. Que leurs eaux grondent et qu'elles écument, et que les montagnes soient ébranlées par leur superbe courroux, les ruisseaux du fleuve réjouissent la cité de Dieu, sanctuaire de l'habitation du Très-Haut; Dieu est au milieu d'elle, elle ne sera point ébranlée (*3). » Le vrai chrétien est l'homme qui est vraiment de Christ. Christ, annoncé dès le commencement au monde, est apparu dans le monde, comme le Sauveur du monde. En lui, notre Emmanuel, « Dieu manifesté en chair, » nous sont présentés.

- 238 - sous la seule condition de cette foi sincère qui met en rapport avec lui, le pardon., la paix., la vérité, la sainteté, Dieu et tous les dons de Dieu. Quiconque se tient en dehors de Christ se prive de tout cela, non seulement par un juste jugement de Dieu, pour avoir « mieux aimé les ténèbres que la lumière (*4) » mais encore par la nécessité même des choses. comme un homme qui se tiendrait obstinément caché dans une caverne obscure se priverait de la lumière du jour. Le vrai chrétien est celui qui sort de sa caverne, de la caverne ténébreuse du monde. et de la caverne non moins ténébreuse de son propre coeur, pour s'approcher de Christ, et pour se réjouir dans la clarté de sa lumière et dans la chaleur de sa vie. Le vrai chrétien. c'est l'homme qui saisit Jésus-Christ comme son tout en toutes choses, et qui s'attache à lui, comme un. naufragé s'attache à la corde qui doit le tirer sur le rivage. Le vrai chrétien, c'est l'homme qui prend en Jésus-Christ seul toute sa justice, et qui ne trouve de garant contre le jugement éternel qu'à se voir tout enveloppé de ses mérites et tout couvert de son sang. Le vrai chrétien c'est l'homme qui « ne vit plus lui-même, mais Jésus-Christ en lui, » et qui estime qu'il ne vaut plus la peine de vivre que « pour celui qui est mort et ressuscité pour lui. » Le vrai chrétien enfin, c'est l'homme qui dit à Jésus-Christ dans son coeur: Seigneur, tu es à moi, et je suis à toi! Sans toi j'étais aveugle, sans toi misérable, sans toi perdu ! Me voici, pour marcher en toi, vivre pour toi, mourir à toi, et ressusciter avec toi ! - Tel est l'homme pour lequel on demande s'il a quelque chose à faire quand les fondements sont ruinés, et pour lequel je réponds qu'il trouvera, comme David, plus que jamais à faire alors, pourvu que, comme David, il contemple la position en Dieu.

 

Au lieu de fixer sa vue, comme le font ses amis émus, sur ces fondements ruinés, David a commencé par « se retirer vers l'Éternel. » Il s'est élevé à lui, réfugié vers lui., établi en lui; et une fois là, que voit-il? un ordre parfait, un plan merveilleux, un spectacle de fermeté et d'immutabilité sur lequel ses regards se reposent avec complaisance. C'est qu'au travers, et au-dessous de ces fondements ruinés qu'on lui montre avec effroi... David vient de reconnaître, mis à découvert par leur chute même, d'autres fondements plus antiques et plus profonds que les agitations de la surface ne sauraient atteindre, ou qu'elles enfoncent plus avant dans le sol, comme ces mouvements de la cime d'un arbre qui enracinent son pied plus fortement dans la terre :

L'Éternel est dans le palais de sa sainteté l'Éternel a son trône dans les cieux. Ses yeux contemplent, sondent les fils des hommes, L'Éternel sonde le juste, mais le méchant et l'ami de la violence sont odieux à son âme. Il fera pleuvoir sur les méchants des filets; le feu, et le soufre, et le vent embrasé, telle est la portion de leur breuvage. Car l'Éternel de justice aime le juste; sa face contemple l'homme droit. »

 

Prenez exemple de lui. « Ne dites point, conjuration, toutes les fois que ce peuple dit, conjuration; ne craignez point ce qu'il craint, et ne vous en épouvantez point (*5). » Retirez-vous seulement vers Christ « avec qui votre vie est cachée en Dieu. » Puis, une fois assis et affermis en lui, redescendez, de ces hauteurs de la foi, à ce spectacle d'ici-bas qui vous troublait : le voyant alors avec d'autres yeux, vous le verrez sous un autre aspect, et dans cette paix de Dieu qui est la première condition de toute action forte et persévérante. Car enfin, que sont autre chose tous les bouleversements du siècle, que des dispensations qui ont leur place marquée dans les plans de Dieu, et qui préparent, à leur manière, la victoire finale de Jésus-Christ, et l'établissement de son règne sur la terre ?

 

David a vu l'Éternel assis dans son palais, sur son trône, en monarque suprême : c'en est assez pour lui mettre l'esprit en repos. Voilà de quoi nous donner à nous aussi une pleine paix : Dieu règne. Ce Dieu, notre Père, qui nous a tant aimés que de « n'épargner point son Fils unique, mais de le livrer pour nous tous (*6) » est aussi le Roi des rois, qui dispose de tous les événements, et que « toutes choses servent » à l'envi (*7). Sans lui, ni un monde ne disparaît de sa place, ni un soleil ne s'éteint, ni un trône ne s'écroule, ni une administration ne se renouvelle, ni un homme ne meurt, ni un cheveu ne tombe de notre tête, ni un passereau ne s'abat en terre. Rien ne gêne sa puissance, non, rien, pas même la liberté de ses créatures responsables.. cette liberté qu'il respecte toujours, mais qu'il possède le secret impénétrable de contrôler, sans la contraindre; à peu près comme cette boussole qu'on a su, par une ingénieuse combinaison d'équilibres, isoler de telle sorte que son mouvement propre s'accomplit sans obstacle au sein du mouvement général du navire, qui la porte de lieu en lieu ainsi qu'il lui plaît, et lui commande en ne paraissant que lui obéir. Ainsi, la volonté divine, tout en laissant, dans son vaste sein, un libre jeu à la volonté humaine, l'oblige, sans violence, à la servir, ou par son obéissance., si elle consent, ou, si elle résiste, par sa désobéissance elle-même; et il n'y aura pas jusqu'à un Judas vendant le Seigneur, à un Sanhédrin le condamnant, à un Pilate le livrant pour être crucifié, qui n'accomplissent, chacun sous sa responsabilité tout entière, « les choses que la main et le conseil de Dieu avaient auparavant déterminé devoir être faites. (*8) »

 

Pensez-vous qu'ils aient moins servi les desseins de Dieu, naguère, ou ce coup de tonnerre qui éclata sur nos têtes, il y a un an, ou ces contre-coups qui lui ont répondu de tous les points de notre vieille Europe'? Pensez-vous qu'ils les servent moins, aujourd'hui, ou ce flux qui enveloppe telle puissance, ou ce reflux qui en dégage telle autre, ou ce flux et ce reflux successifs qui en tiennent une troisième comme suspendue, depuis des mois entre la vie et la mort ? Pensez-vous qu'ils les doivent servir moins, demain, ces bouleversements nouveaux que nous demandons à Dieu de nous épargner, s'il est possible, mais qui peuvent survenir encore, ou parmi nous ou ailleurs, et pour lesquels le passé nous a trop avertis de nous tenir prêts ? Dieu est là, vous dis-je, et tout le reste n'est là que par lui et pour lui. Derrière cette main visible, tantôt des peuples et tantôt des princes, qui asseoit un trône ou l'abat, qui bâtit une ville ou y met le feu, qui fonde une industrie ou la ruine, 'qui nourrit le commerce ou l'affame, qui élève une fortune ou la renverse, la foi contemple une main invisible, et cette main, celle de notre Père céleste, qui remue à son gré tous ces grands ressorts de miséricorde et de colère, - comme des décorations de théâtre, paraissant et disparaissant, chacune à son tour, dans ce drame séculaire qui part de la création pour ne se terminer qu'au serment de l'ange de l'Apocalypse: « Il n'y aura plus de temps. (*9) »

 

Apprenez donc de l'Écriture, et surtout de ses prophéties, à sortir du cercle étroit de l'histoire nationale ou de la génération contemporaine, pour entrer dans le plan divin qui embrasse l'humanité tout entière. C'est ici l'oeuvre, non de la nation, mais du monde; non de la génération, mais de la race; non du siècle, mais des siècles. « Cette bataille est à l'Éternel des armées: » il en est le capitaine, nous n'en sommes que les soldats. Le soldat, n'ayant pas le plan de l'action, en juge mal l'ensemble, parce qu'il ne tient compte que de sa position personnelle; et s'il entre dans les vues de ses chefs de sacrifier, pour sauver l'armée, le corps dont il fait partie, il pourra s'écrier : Tout est perdu ! au moment où un coup d'oeil plus étendu sur la plaine lui ferait connaître que tout est gagné. Le moi, l'actuel nous aveugle. Moïse ne passera pas le Jourdain : qu'importe si le peuple de Dieu doit entrer sans lui sur la terre de Canaan ? David ne bâtira pas le temple : qu'importe encore, s'il est réservé à Salomon de le bâtir à sa place? Ce n'est pas de nous qu'il s'agit, c'est de Dieu et de son peuple - or, les desseins de Dieu sur son peuple s'accompliront infailliblement.

 

Encore une fois, cela devrait nous suffire : si Dieu règne, nous pouvons bien nous en rapporter à lui pour régner d'une manière digne de Dieu. Mais il daigne lever pour nous un coin du voile qui cache les plans de son administration, pour nous découvrir le terme où elle tend, et que David n'a fait qu'entrevoir. Si c'est notre Père qui conduit les affaires de ce monde, il les fait tourner au triomphe de notre Sauveur Car Dieu, qui « avait donné la terre aux enfants des hommes (*10), l'a donnée, par une convention nouvelle, à ce Fils de l'homme, en qui seul l'homme est relevé de sa chute et rétabli dans sa gloire première (*11). Le Père a donné au Fils les nations pour son héritage et les bouts de la terre pour sa possession (*12). » Il est vrai que « nous ne voyons pas encore que toutes choses lui soient assujetties (*13); mais c'est à l'accomplissement de la promesse du Père au Fils que tous les plans de Dieu aboutissent (*14), et que travaille, sans le savoir, l'histoire entière de l'humanité. Si quatre grandes monarchies se succèdent dans l'empire du globe, c'est pour préparer les voies à un cinquième royaume., d'un caractère tout nouveau, qui doit s'élever sur leurs ruines et remplir à jamais la terre entière (*15) . Nous étions touchés tantôt de penser que les choses (le ce monde sont toutes administrées par notre Père céleste : combien est-il plus touchant encore de se dire qu'elles sont remises entre les mains de notre Sauveur (*16), et que celui qui s'est donné pour nous sur la croix est aussi celui qui s'est acquis tous les peuples. par son amer sacrifice, et qui fait conspirer tous les développements de l'histoire à l'établissement de son bienheureux empire! Quelle impression de tendresse répandue jusque sur les bouleversements les plus cruels, par la pensée que tout cela concourt à la gloire, au triomphe de notre Sauveur bien-aimé qui s'est si chèrement acquis le droit de voir dans la terre entière son Hakeldama(*17) et, en même temps, quelle fermeté communiquée à notre espérance pour l'avenir, par la pensée que la parole du Père est engagée envers le Fils, et que tout ce que nous pourrions souhaiter de conquêtes à l'Évangile. n'est désormais qu'un titre d'héritage que notre Rédempteur a conquis en Golgotha (*18) !

 

Si les riches plaines de la Lombardie sont couvertes de deuil, si l'espérance de la terre est détruite. si les sources de la prospérité publique sont taries, si la joie est bannie du foyer domestique, si la vie des hommes est tranchée comme la fleur des champs, je me dis: La Lombardie a été donnée à mon Sauveur; et tous ces malheurs entrent dans le plan conçu pour l'assujettissement de cette belle province à son règne paisible et bienfaisant. Si la fière Hongrie est devenue tout à coup le théâtre d'une guerre impitoyable, si les forteresses sont tour à tour prises et reprises, si les villes jadis paisibles sont réduites en cendres, si les classes de la société, sont excitées les unes contre les autres, si des ruisseaux de sang coulent sur la terre épouvantée, je me dis: La Hongrie a été donnée à mon Sauveur ; et de tout cet enfantement douloureux doit sortir le jour de joie où l'on verra « ses champs s'égayer avec tout ce qui est en eux, ses fleuves battre des mains, et les arbres de ses forêts chanter d'allégresse, » au devant de ce vainqueur miséricordieux qui « vient juger le monde en justice et les peuples en équité. (*19) » Si l'infortunée Otahiti a vu son indépendance succomber à une protection oppressive, si l'heureux argument qu'elle fournissait aux missions évangéliques leur a été lâchement envié et violemment ravi, si le fruit de quarante ans de pieux travaux a été jeté aux vents, les vallées fertiles converties en champs de bataille, et un peuple naissant à la civilisation replongé dans la barbarie, au nom de la politique européenne et de la religion de Jésus-Christ, je me dis : Otahiti a été donnée à mon Sauveur; et le temps viendra où fleurira dans son sein une civilisation plus pure et une mission plus glorieuse, sans qu'il y ait personne pour l'étouffer. Et si notre chère et belle France devait, ce que Dieu veuille lui épargner, recueillir de nouvelles agitations pour fruit de ses agitations passées, je me dirais aussi : La France a été donnée à mon Sauveur; et quelque parti qui l'emporte dans nos luttes intestines, une chose est certaine, c'est que sa victoire préparera le triomphe futur de Jésus-Christ. Quoi qu'il en soit, il faut qu'à la fin « tout genou se ploie au nom de Jésus, et que toute langue confesse que Jésus-Christ est le Seigneur, à la gloire de Dieu le Père. (*20) » Or, Jésus-Christ triomphant, Jésus-Christ adoré de tous, Jésus-Christ confessé de tous, qu'est-ce autre chose que la terre rendue à son premier honneur, toutes ses puissances malfaisantes anéanties, « ses montagnes portant la paix et ses coteaux la justice, » une paix abondante comme un fleuve, » une justice profonde « comme les flots de la mer (*21) ? »

 

Mais le triomphe du Fils de Dieu ne pouvait-il donc s'obtenir sans tant de bouleversements et de douleurs ? Oui, si le péché n'était pas sur la terre, ou si Dieu voulait fermer les yeux au péché, si le péché n'était pas sur la terre, ou que Dieu voulût fermer les yeux au péché, pourquoi Jésus-Christ serait-il venu, et pourquoi aurait-il souffert? Quand la terre a été promise à Jésus-Christ, elle a été promise au crucifié, pour prix de son sacrifice (*22) . Eh quoi ! le Saint des saints n'est parvenu à la gloire qui lui était proposée qu'en souffrant la croix (*23), et vous oseriez demander que de pauvres pécheur., tels que nous, qu'une terre maudite comme la nôtre fussent admis à partager cette joie sans avoir eu de la miséricorde, mais elle n'est pas l'oubli de la justice. Il faut que la race humaine ait son désert. son Gethsémané, son Golgotha, comme notre Sauveur a eu les siens. Aussi bien, quel moyen de séparer le développement de la race d'avec celui de l'individu ? « C'est par beaucoup d'afflictions qu'il nous faut entrer, » chacun de nous, « dans le royaume de Dieu : » notre mission spirituelle s'accomplit, comme celle du Maître, dans les veilles, dans les sueurs dans les larmes, dans les langueurs mortelles. Au sein de ce travail immense de la miséricorde divine dans la misère de l'individu, comment conduire à leur dénouement les plans de Dieu pour la race, sans ces famines, ces fléaux, ces guerres. ces révolutions, qui sont les veilles, les sueurs, les larmes, les langueurs mortelles de l'humanité ? Il vous semble peut-être que, si vous aviez le gouvernement du monde, vous ne consentiriez pas à cet épuisement de la Lombardie, à ce déchirement de la Hongrie, à cette oppression d'Otahiti? Je le crois ; mais consentiriez-vous davantage, en la place de Dieu, à cette seule famille manquant de pain, à ce seul artisan privé de travail, à ce seul malade passant dix-huit années dans son lit, à ce seul enfant arraché des bras d'une mère désespérée ? Eh bien ! oui, le chemin de Dieu, le seul que notre égarement lui ait laissé, est un chemin de sang et de pleurs : et rien à faire avec cette croix ! Non, non; cet agréable drame qui conduirait le genre humain au terme désiré par une pente facile et par un chemin semé de fleurs, si l'on en pouvait trouver de tels sur la terre, ce drame, quel qu'il soit, n'est pas, ne pouvait pas être celui de Dieu: la rédemption est le triomphe, le signe qu'il plante sur une terre qu'il veut bénir, c'est la croix, et encore la croix, et toujours la croix. Demander pourquoi les choses se passent de la sorte, c'est demander pourquoi nous n'avons pas à faire à un autre monde ou à un autre Dieu, à un monde sans péché ou à un Dieu sans justice.

 

Ne vous laissez donc point étonner par les calamités contemporaines. Tenez-vous en garde contre cette tentation qui entraîne les siècles, comme les individus, par je ne sais quel orgueil de douleur, à se figurer « qu'il leur arrive quelque chose d'extraordinaire (*24). » Si vous eussiez vu les générations passées d'aussi près que vous voyez la vôtre, vous auriez trouvé peut-être les temps anciens tout aussi fâcheux que ceux d'aujourd'hui. « Ne dis point : Pourquoi les jours d'autrefois étaient-ils meilleurs que ceux-ci ? car ce n'est pas la sagesse qui te fait t'enquérir de cela (*25). » Les amis de David auraient sans doute bien des raisons pour s'écrier aujourd'hui : « Quand les fondements sont ruinés, le juste, que ferait-il? » Mais vous voyez qu'ils ont cru en avoir de suffisantes pour le dire, il y a trois mille ans; et combien d'autres moments dans l'histoire où ils auraient eu sujet de le dire encore ! Ils l'auraient pu dire, pour toute la terre, aux jours de Noé, lorsque « l'Éternel. voyant que la malice des hommes était très grande, et que toute l'imagination des pensées de leur coeur n'était que mal en tout temps, se repentit d'avoir fait l'homme et en eut du déplaisir en son coeur (*26). » Ils l'auraient pu dire, pour Canaan, aux jours de Lot, lorsque Sodome et Gomorrhe avaient à tel point « augmenté leur cri et aggravé leur péché (*27), » que leur nom est devenu un type d'ignominie sur la terre, et leur histoire un monument impérissable de la vengeance divine. Ils l'auraient pu dire, pour Israël, aux jours d'Élie, quand l'alliance de Dieu était délaissée, que les gens de bien avaient disparu du pays, et que la piété y était devenue si rare ou si timide que le prophète s'imaginait être demeuré seul fidèle à l'Éternel (*28). Ils l'auraient pu dire aux jours de Jésus-Christ, lorsque le Fils de Dieu est réduit à se plaindre, tout Fils qu'il est, que « nul ne croit à sa prédication (*29), » que dis-je ? lorsqu'il ne paraît sur la terre que pour soulever la contradiction des pécheurs, épuiser les traits de leur injustice, et périr attaché par leurs mains à une croix. Ils l'auraient pu dire aux jours de Jean Huss, lorsqu'aux ténèbres du paganisme avaient succédé les ténèbres du moyen âge, et que le nom de Jésus-Christ ne servait plus qu'à protéger l'oubli de sa doctrine et le mépris de sa loi, et qu'il n'était plus permis de l'aimer et de le servir qu'à la condition de payer sa fidélité du der. nier supplice. Je ne finirais pas, si je voulais énumérer tous les temps où l'on aurait pu dire avant nous : « Quand les fondements sont ruinés, le juste. que ferait-il? » sans parler de tous ceux où on pourra le dire encore après nous, jusque dans ces jours où le Fils de l'homme reviendra, et qu'il décrit lui-même d'un seul mot, mais d'un mot effrayant: « Quand le Fils de l'homme viendra, pensez-vous qu'il trouve de la foi sur la terre (*30)? »

 

Que s'il y avait, en effet, quelque chose d'extraordinaire dans ce qui nous arrive aujourd'hui, cela même, au lieu de nous faire perdre courage, devrait nous donner plus d'espérance pour l'avenir. Car il suffit d'un coup d'oeil jeté sur l'histoire, pour reconnaître que les époques où tout a paru le plus sombre et le plus abandonné, ont ordinairement précédé celles où le Seigneur a donné les témoignages les plus éclatants de sa présence. Plus il y a de mouvement et de désordre apparent dans la ruche, plus le fruit de l'abeille abonde; plus il y a de fils qui se croisent et semblent se confondre sur le métier, plus l'étoffe est riche; c'est « dans les grandes eaux qu'est le chemin du Seigneur, et ses traces ne sont point connues (*31). » Les jours de Noé, ont précédé la race humaine renouvelée, le globe. partagé entre les familles des peuples, la terre à jamais prémunie contre le retour de son terrible baptême, et l'alliance de grâce rendue plus ferme et plus précise. Les jours de Lot ont précédé les jours d'Abraham, ce patriarche de la promesse, qui, retiré de l'idolâtrie, fait dans le monde spirituel ce que Noé avait fait dans le monde matériel, rompt avec la chaîne du Passé, et commence, sur la terre promise, la race promise, qui doit donner le jour à ce Fils promis, « en qui toutes les familles de la terre doivent être bénies. » Les jours d'Élie précèdent le ministère d'Elisée, revêtu d'une double mesure de l'esprit de son maître, et cette longue succession de prodiges inouïs, qui vont propager l'honneur du nom de l'Éternel, et par toute la Palestine, et chez les peuples d'alentour, et jusque dans la cour des rois de Syrie. Les jours de David persécuté précèdent non seulement les jours de David vainqueur. mais les jours encore plus beaux du roi Salomon, remplissant, pour la première fois, les frontières marquées par Moïse (*32), surpassant en gloire tous les rois ses voisins, bâtissant le temple de Jérusalem., et portant le royaume d'Israël à son point culminant de puissance et de prospérité. Les jours de Jésus méprisé, rejeté, crucifié, précèdent les jours de Jésus ressuscité et montant au ciel, du Saint-Esprit répandu, de l'Église fondée, de l'Évangile semé depuis Jérusalem jusqu'aux extrémités du monde connu. Les jours de Huss brûlé précèdent les jours .de Luther triomphant, de l'Église affranchie, de la moitié de l'Europe arrachée à un christianisme dégénéré, et d'une lumière nouvelle se levant sur le monde... Et, en attendant ces jours sans foi qui doivent précéder la venue du Fils de l'homme, les jours où nous vivons, que précèdent-ils à leur tour ?

 

Que précèdent-ils ?... Donnez-moi les yeux d'Ésaïe ou l'esprit de saint Jean, et je vous répondrai. Car, à moins d'être prophète, il faudrait être insensé. après l'année qui vient de finir, pour prétendre, je ne dis pas lire dans les siècles obscurs., mais seulement découvrir « ce que le jour de demain peut enfanter. » Mais, si l'intervalle qui nous sépare de la fin nous est inconnu, avec toutes les péripéties qu'il tient en réserve, cette fin du moins, nous la. connaissons, et nous savons que ces jours où nous vivons précèdent, qu'ils préparent, de plus ou moins loin (peut-être de plus près que nous ne pensons). le grand jour où le Fils de l'homme doit venir régner sur la terre. Heureux, heureux l'oeil qui saurait saisir, dans le désordre présent, les germes cachés de l'ordre futur ! A cet oeil privilégié se révéleraient, dans tous ces fondements qui menacent ruine, le gage et la préparation de fondements plus solides, capables de résister à toutes les secousses, et de porter tout l'édifice d'un monde renouvelé : dans ces fondements politiques ébranlés, le plan d'une administration modèle, qui doit résoudre, pour la première fois, et le problème de la liberté de chacun conciliée avec le repos de tous, et celui de l'amour présidant à l'autorité des gouvernants et à l'obéissance des gouvernés; dans ces fondements sociaux ébranlés, le principe d'un juste équilibre maintenu entre le travail et sa récompense, entre les ressources et les besoins, entre l'expansion de l'action personnelle et la pression de l'action collective, en un mot, toute une organisation sociale, sans socialisme, et toute une prospérité commune, sans communisme; dans ces fondements ecclésiastiques ébranlés, les linéaments confus de cette Église de l'avenir, après laquelle les esprits, disons plutôt les coeurs d'élite, soupirent dans toutes les communions, et à laquelle il est réservé de recueillir dans son sein tout ce qu'il y a de bons éléments dans chacune d'elles, sans hériter de ses faiblesses, nationale sans nationalisme et individuelle sans individualisme, une sans uniformité et variée sans esprit de secte, catholique sans romanisme et protestante sans protestation, rassemblant tous les enfants de Dieu « en un seul troupeau, sous un seul pasteur; » enfin, jusque dans ces fondements spirituels ébranlés, le prélude de cette foi vivante, de cette charité vivante , de cette sainteté vivante, de cette paix vivante, et de toute cette vie vivante, dont le peuple de Dieu a faim et soif, « en attendant la bienheureuse espérance et l'apparition de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ, qui s'est donné lui-même pour nous, afin de nous racheter de toute iniquité, et de se purifier un peuple qui lui appartienne en propre et qui soit zélé pour les bonnes oeuvres (*33). » Loin de moi la prétention des calculs prophétiques précis, qui ont tant de fois été en piège à l'Église, et dont la Parole de Dieu semble avoir pris soin de confondre à l'avance la témérité ! Mais qui sait s'il n'y a pas quelque vérité dans cette opinion commune des interprètes de la prophétie, disons plus, dans ce pressentiment général de l'Église, qui croit entrevoir dans des complications redoublées une solution qui s'approche à grands pas? Qui sait si nous ne touchons pas aux dernières convulsions de la dernière des monarchies, et à l'aurore du jour glorieux où « le Fils de l'homme doit paraître sur les nuées du ciel ? » Qui sait si, tandis que nous disons si légèrement: Quel triste temps que le nôtre ! « les anges, et les vingt-quatre anciens, et les quatre animaux » ne disent pas : Quel temps de grâce que celui-ci ! la moisson approche, le Seigneur va venir ?

 

Pour moi, j'obéis, sans crainte de m'égarer, et à un besoin de mon coeur, et à l'esprit de la Parole, qui veut que « nous rendions grâce pour toutes choses, » en bénissant Dieu de m'avoir fait naître en cette période d'une crise si redoutable et d'un enfantement si laborieux, persuadé que, s'il y a toujours à faire pour le juste, il a plus à faire que de coutume dans les jours que nous voyons. Car, point de mi - lieu: ou les fondements ébranlés justifient un lâche abandon, tel que le conseillent à David ses timides amis, ou ils réclament une action doublement énergique, telle que David se prépare à la fournir, en commençant par se fortifier en Dieu.

 

« Que fais-tu ? » dit un capitaine de vaisseau à un matelot qu'il rencontre se promenant sur le tillac, les bras croisés, pendant la tempête. « Eh ! que ferais-je? Entendez l'orage qui gronde; regardez ces vagues qui s'élèvent comme des montagnes : quand les fondements de la mer sont bouleversés, que peut faire le matelot? - Ce qu'il peut faire, malheureux ?... A l'ouvrage ! Armez les pompes, fermez les écoutilles, carguez les voiles ! » Ainsi parle un marin fidèle. Et que serait-ce, s'il était assuré de la délivrance, s'il savait, sur la foi de Dieu, non seulement comme saint Paul naufragé, que l'équipage sera sauvé, mais que le bâtiment même ne peut pas périr ? Eh bien, telle est notre condition. Nous aurions quelque excuse peut-être, je ne dis pas pour ne pas travailler, mais pour travailler sans courage, si les temps de grand mouvement étaient des temps sans avenir ni promesse, si nous pouvions nous figurer, après tout ce que je viens de dire, la position désespérée, la partie perdue pour l'Évangile, les rênes de l'histoire tombées des mains de Dieu, et le Fils déshérité de son royaume. Mais quand nous savons que la terre et l'univers crouleront plutôt que la Parole de Dieu ne sera anéantie, mais quand nous montons un navire contre lequel les portes de l'enfer ne doivent jamais prévaloir, à l'oeuvre, frères, à l'oeuvre, avec plus de courage que jamais !

 

Mais à quelle oeuvre ? C'est la question capitale. Le sentiment d'une responsabilité accrue , d'un sérieux appel d'en haut, d'un nouveau travail à accomplir, nous l'avons tous; mais ce sentiment est obscur, et c'est pour cela qu'il demeure infructueux chez le plus grand nombre. On manque moins de fidélité que de lumière; on ne fait pas, parce qu'on ne sait pas que faire; on craint même de faire le mal, tout en souhaitant de faire le bien; et l'on finit, comme ce malade, par se tenir immobile, de peur des faux pas. Mais si Dieu daignait nous ouvrir lui-même un chemin, de quelle ardeur entrerions-nous !... Ici, David ne nous sert plus de guide; nous le voyons repousser la pensée de fuir, et se promettre à lui-même une action énergique; mais cette action, il ne nous la fait pas connaître. Il réserve sans doute ce développement pour sa communion secrète avec Dieu, qui lui montrera ce qu'il doit faire, jour après jour. C'est aussi à Dieu, c'est à la prière, que je veux avant tout vous renvoyer; mais tout en faisant la première part à la méditation personnelle, j'ai à coeur pourtant d'examiner avec vous si nous ne trouverons pas quelques obligations générales imposées au chrétien, quel qu'il soit, par l'ébranlement de l'époque : au citoyen, par cet ébranlement politique; au chef de famille, par cet ébranlement social; au membre de l'Église, par cet ébranlement ecclésiastique; et à l'homme, par cet ébranlement spirituel. Pensez-y cette semaine, et retrouvons-nous ici, dans quelques jours, s'il plaît à Dieu, avec des coeurs attentifs, aux « signes des « temps (*34). »

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- 1Ces discours ont été prononcés à l'occasion de l'anniversaire dit 24 février 1848.

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-2. Mal. III, 18. -3. Ps. XLVI, 3-6. -4. Jean III, 20. -5. Esaïe. VIII, 12.

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-6. Rom. VIII, 31. -7. Ps. CXIX, 91. -8. Actes V, 20. -9. Apoc. X, 6.

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-10. Ps. CXV, 16. -11. Ps. VIII, 7, rapproché de Hébr. II, 7, 8: 1 Cor. XV, 27, Éph. I, 22.

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-12. Ps. II, 8. -13. Hébr. II, 8.

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-14. Jean XVII, 2. -15. Dan. II, 34, 35: VII, 11. -16. Matth. XX, 18.

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-17. Actes I. 19. -18. Phil. II, 7-11. -19. Ps. XC VI. 12; XCVIII, 8, 9.

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-20. Phil. II, 11. -21. Ps. LXXII, 3; ÉS. XLVIII, 18. -22. Phil. II, 7-11.

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-23. Hébr. XII, 2. -24. 1 Pierre IV, 12. -25. Eccl. VII, 10

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-26. Gen. VI, 5, 6. -27. Gen, XVIII, 20. -28. 1 Rois XIX, 10. -29Esaïe LIII, 1

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-30. Luc XVIII, 9. -31. Ps. LXXVII, 20. -32. Gen. XV, 18. -33. Tit. II, 13, 14.

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-34. Chron. XII, 32; Matth. XVI, 3.


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