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NOTRE PEREThéophile Spoerri 1943

 

Le Notre Père n'est pas une prière comme une autre, c'est l'Evangile tout entier, l'Evangile non en théorie, mais en acte, - la théorie est toujours compliqués, l'acte est simple : on le fait, ou on ne le fait pas. L'Evangile en acte: c'est, en d'autres mots, la Bonne Nouvelle qui devient réalité, la Bonne Nouvelle du règne de Dieu.

Le Notre Père, c'est le règne de Dieu qui, dans la personne de Celui qui l'a apporté sur la terre, entre dans notre réalité terrestre, c'est Jésus-Christ entrant dans notre vie personnelle et dans la vie du pays. Un nouveau règne commence au moment où le roi entre dans une ville révoltée. Il y a peut-être encore des foyers de résistance, mais la ville lui appartient, il viendra à bout de tout ce qui ne lui est pas encore soumis.

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Notre Père qui est aux cieux...

Toute la prière est déjà dans ce commencement.

La grande ligne qui distingue le Notre Père de toutes les autres prières du monde, c'est qu'elle commence au ciel et aboutit à la terre.

Toutes les autres prières vont dans le sens contraire. Elles commencent sur la terre et vont vers le ciel :

Il faut monter, s'élever au-dessus de ,soi, se détacher de la terre, regarder vers le ciel... et à défaut de ciel, vers les nuages.

 

C'est l'échelle de la sainteté humaine, de la sanctification par soi-même. Or, Jésus-Christ va dans le sens opposé.

Il renverse l'échelle sainte de tous les pharisiens du monde.

Il était au ciel, il est descendu sur la terre.

A ceux qui disent qu'il est remonté au ciel, on peut répondre par ce qui a été dit aux disciples qui, le jour de l'ascension, regardaient vers les nuages :

 

Hommes Galiléens, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel ? Il reviendra.

Et il est revenu, le jour de la Pentecôte, dans ce grand vent qui a ouvert toutes les portes, qui a fait descendre les disciples dans la rue, qui les fait parler dans toutes les langues, qui les fait partir pour la conquête de la terre.

Et ce mouvement du ciel vers la terre continuera jusqu'à la fin des temps

Je vis ensuite un ciel nouveau et une terre nouvelle... et moi Jean, je vis la sainte cité, la nouvelle Jérusalem, qui descendait du ciel.

Tout ce que nous pensons et faisons est faussé si nous regardons dans la mauvaise direction, si avec la meilleure intention du monde nous nous arrêtons, comme les Galiléens, à regarder vers le ciel, au lieu de faire comme Dieu le fait et nous dit de le f aire : de nous tourner vers la terre. Mais toute notre vie et tout ce que nous faisons est également faussé, si notre point de départ est faux, si nous manquons le commencement. Cette merveilleuse histoire qu'est le Notre Père ne commence pas sur la terre, mais au ciel.

Le ciel n'est pas ce lieu vague et lointain que nous plaçons sentimentalement au-dessus des nuages et des étoiles, il est terriblement réel et proche :

Le ciel, c'est le royaume de Dieu. Or, Jésus nous a dit très exactement où était le royaume de Dieu. C'est même son unique message.

 

Jésus s'en alla en Galilée prêchant la bonne nouvelle du règne de Dieu en disant :

Le temps est accompli et le règne de Dieu approche.

 

Amendez-vous (c'est-à-dire : changez de direction) et croyez à la bonne nouvelle.

Quand les pharisiens, c'est-à-dire ceux qui pensaient dans la mauvaise direction - de bas en haut, de la terre vers le ciel - lui ont demandé des détails sur le règne de Dieu, quand et comment il viendrait, Jésus leur a répondu clairement :

Le règne de Dieu ne viendra point avec éclat et on ne dira point : Le voici qui est ici ou : le voilà qui est là ; car voici, le règne de Dieu est au milieu de vous.

Pour ceux qui avaient des yeux pour voir et des oreilles pour entendre, cela voulait dire tout simplement : le règne de Dieu est là où est Jésus.

Remarquez ce est, Jésus ne dit pas sera. Ce petit mot est, c'est comme un bloc de diamant que rien ne peut entamer.

Alors - direz-vous, il n'y aurait plus de différence entre le ciel et la terre, le ciel est déjà sur la terre et la terre est identique au ciel ?

Jésus n'a jamais dit cela et s'il a approché le ciel de la terre comme jamais on ne les a approchés l'un de l'autre, il a en même temps montré pour tous les siècles la différence, il a indiqué la limite insurmontable qu'il y a entre la terre et le ciel.

Jamais on ne peut passer directement de la terre au ciel.

Le ciel peut être si près de nous qu'on pourrait le toucher du doigt, mais aucun doigt de chair ne le touchera jamais.

 

Le ciel, c'est toujours l'autre côté, l'au-delà - un au-delà qui est plus près de nous que notre propre chair, mais un au-delà qui n'est pas la terre, qui est le ciel, qui n'est pas le règne de l'homme, qui est le règne de Dieu. Nous sommes toujours tentés de mêler les deux règnes. C'est ce mélange qu'on appelle la magie.

 

La magie, c'est un mélange impur du ciel et de la terre.

Nous sommes tous des magiciens, parce que toujours nous tentons de faire ce mélange.

La magie, c'est la philosophie du serpent : Vous serez comme Dieu.

La magie, c'est la faute originelle.

Et c'est à cause de la faute originelle que Dieu a mis cette limite entre le ciel et la terre, cette limite insurmontable qu'est la mort.

- Mais alors, aussi longtemps que nous sommes en vie, il n'y a pas de communication entre la terre et le ciel ? En effet, nos efforts les plus désespérés ne nous feront pas avancer d'un pas ; nous sommes comme la mouche qui vole contre la vitre pour aller au grand air, il y aura toujours cette invisible paroi de glace qu'est la mort et qui nous séparera du ciel.

- Que faire alors, sinon désespérer ?

Oui, nous serions les plus malheureux des mortels, s'il n'y avait pas un passage à travers la mort. Ce trou dans la mort, c'est le Christ qui l'a fait.

Mais ce passage est à sens unique.

Il n'y a pas de communication entre la terre et le ciel, mais il y a communication entre le ciel et la terre.

La porte ne s'ouvre pas sur l'au-delà, mais elle s'ouvre de l'au-delà vers nous.

Nous n'approchons de Jésus qu'en présence de la mort. On ne peut l'entendre sans entendre en même temps son cri d'agonie : Père, je remets mon esprit entre tes mains.

L'endroit où le ciel touche la terre est marqué par la croix. - Mais que signifie tout cela pratiquement ? Tout simplement que le commencement du Notre Père., c'est de s'abandonner à Dieu, de se détacher de soi. même.

Je remets, comme Jésus, mon esprit entre les mains de Dieu.

N'oublions pas que c'est le cri d'un mourant.

Quand on parle de détachement, il faut bien se rendre compte que notre état naturel, C'est d'être attachés.

Je me cramponne à un tas de choses. Je ne me rends pas compte comme j'y suis attaché. Ce n'est qu'au moment où il faudrait ouvrir les mains pour les lâcher que je vois comme C'est difficile.

Si je ne suis pas à l'endroit où il y a un trou dans la mort, où passe un courant libérateur, je m'efforcerai en vain.

 

Etre détaché, ce n'est pas un sentiment, c'est un événement.

Cela arrive ou cela n'arrive pas. On est esclave ou on est libéré.

Cela ne sert à rien à un esclave de se croire libre ou de s'efforcer de croire qu'il est libre.

 

Mais ici il faut mettre ensemble le point de départ du Notre Père et la direction dans laquelle il nous fait aller.

On ne prend pas la Croix au sérieux, quand on ne prend pas au sérieux la Création.

Quand on parle de détachement, de libération, de renoncement, d'abandon, il s'agit bien de se détacher de la terre, de la chair, de tout ce qui nous tient, mais il ne s'agit pas de se détourner de la terre, de la chair, de tout ce que nous tenons en mains.

Il y a une distinction essentielle à faire :

Savoir que c'est moi qui tient le porte-monnaie, et que ce n'est pas le porte-monnaie qui me tient.

Ainsi se rétablit l'ordre de la Création :

Quand je ne suis plus tenu par en bas, je suis tenu par en haut.

Je suis tenu par Celui qui tient toutes choses entre ses mains.

Tout ce que nous faisons dans la présence de Jésus-Christ, il y participe c'est au fond Jésus-Christ qui le fait en se servant de nos mains, de nos lèvres, de nos yeux, de tout notre corps.

 

Il regarde à travers nos yeux, il écoute avec nos oreilles, il touche avec nos mains.

On peut aller encore plus loin : à travers ce trou que Jésus a fait dans la mort, tous ceux qui sont morts avant nous ont un accès au monde, ils vivent dans ceux qui participent à la nouvelle vie. Il y a en nous tout un monde inconnu qui cherche à s'incarner dans chacun de nos gestes.

Mais il faut toujours se rappeler que ce passage du ciel à la terre est à sens unique.

Ce n'est pas nous qui disposons des puissances surnaturelles.

C'est nous qui nous mettons à disposition

La magie, c'est le moyen par lequel nous croyons pouvoir mettre en branle les puissances surnaturelles. Souvent notre prière n'est autre chose que de la magie.

La vraie prière est un acte : un engagement personnel vis-à-vis de Dieu. Ce n'est pas moi qui presse sur le bouton, ce n'est pas moi qui mets Dieu en mouvement.

C'est Dieu qui presse sur le bouton, c'est Lui qui me met, moi, en mouvement !

Alors un dégagement se fait dans mon coeur, une clarté m'illumine, une force me soulève, ce qui me rend capable d'accepter, de voir et de faire ce que je n'aurais pas pu accepter, voir et faire de moi-même.

Si je prie pour un ami qui est dans la détresse et après avoir prié, je retourne à mes affaires, pensant que Dieu s'occupera de celles de mon ami, ç'aura été, tout simplement une prière magique. La prière réelle, c'est que je me mets à la disposition de Dieu pour qu'il me montre ce que je peux faire et qu'il me rende capable de le faire.

Dieu peut faire des miracles à travers mon engagement personnel, maïs certainement il ne fera pas de miracles sans mon engagement personnel.

Nous sortons de la magie dès que nous entrons dans le domaine des rapports personnels.

C'est l'amour libre et personnel qui remplace l'envoûtement de la magie. Au fond, la magie est un produit de la peur, mais là où l'amour est parfait il n'y a plus de crainte.

Et maintenant nous sentons tout ce qu'il y a de proche et de personnel dans le commencement de notre prière...

Notre Père...

C'est un mot simple, familier, terrestre.

Il y a toute la sollicitude quotidienne, concrète, pratique du père qui S'occupe de ses enfants.

De notre côté, il y a toute la confiance, la tranquillité, des enfants qui savent que le père se soucie d'eux, qu'ils n'ont pas besoin de se faire eux-mêmes des soucis.

Et le Notre unit dans une immense fraternité tous les hommes qui sont au monde en présence de celui qui les inclut tous dans son amour paternel.

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Que ton nom soit sanctifié...

Toute la suite du Notre Père n'est que le développement de ce qui commence dans les premières paroles, mais quel développement, quel épanouissement !

Cette première invocation nous place dans le sanctuaire, dans la présence personnelle de Dieu Lui-même.

Le nom est la marque de la personne. Il n'est pas nécessaire que nous nous fassions une image de Dieu.

Tous les efforts que nous faisons de nous représenter Dieu, que ce soit avec une barbe, que ce soit comme une lumière, sont des enfantillages. Il suffit que nous sachions son Nom. Nous connaissons Dieu dans la mesure où nous sanctifions son Nom.

Sanctifier, c'est un acte d'adoration qui découle d'une vision.

 

L'homme qui a commencé, par dire Notre Père qui es aux cieux contemple dans un profond détachement la gloire de Dieu.

Il s'oublie lui-même dans cette contemplation.

Et la reconnaissance qui remplit son coeur éclate sur ses lèvres en un chant de louanges.

Celui dont le coeur ne chante pas lorsqu'il dit le Notre Père peut être sûr qu'il a mal commencé.

Ce chant, C'est le chant des Créatures tel que l'a chanté saint François

Que tu sois loué avec toutes tes créatures, surtout Pour notre frère le seigneur Soleil qui illumine le jour pour nous et il est beau et rayonnant de grande splendeur.

Que tu sois loué, Seigneur, pour notre soeur l'Eau qui est très utile et humble et précieuse et chaste.

Que tu sois loué Seigneur, pour notre frère le Feu par lequel tu nous illumines la nuit et il est beau et gai et robuste...

Que tu sois loué, Seigneur, pour notre mère la Terre qui nous nourrit et soutient et qui produit des fruits de toutes sortes et des leurs et des herbes...

Et chacun peut ajouter les louanges que lui inspire sa propre situation. Et chacune de ces louanges est comme une partie de soi-même qu'on met sous le rayon de la gloire de Dieu et qui fait que son amour nous apparaît toujours plus grand et plus incompréhensible.

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Que ton règne vienne...

Voilà le mouvement descendant qui commence.

L'avènement du règne de Dieu, c'est la descente du Christ sur la terre.

C'est un mouvement qui jamais ne s'arrête, c'est le grand thème de l'histoire, c'est le thème de chacune de nos petites journées.

Il faut voir l'avènement du Christ dans les grandes dimensions, il faut le voir dans les petits détails.

Il n'y a pas de dessein si vaste, et pas d'acte si humble qui ne puisse être une avance du règne de Dieu.

Que ton règne vienne, c'est le regard en avant sur le monde à construire, c'est le geste le plus simple dans mon travail quotidien.

Pour que le règne vienne, c'est Dieu qui doit agir ; quand je prie réellement, je ne m'agite pas, je ne m'impatiente pas, je ne crois pas que c'est moi qui fais avancer les choses, je ne me fatigue pas inutilement, - mais Dieu agit par les hommes, il faut que je prenne ma part dans tout ce mouvement, que je trouve l'endroit précis où je puis faire le travail le plus utile.

De tous ceux qui prient cette prière, Dieu veut faire des ambassadeurs de Son Règne.

Mais il ne les laisse pas seuls, il les place dans une communauté.

Ils ne connaissent qu'une seule loi L'Amour du Christ nous presse.

Le règne de Dieu se réalise dans la communion entre les hommes.

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Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel...

Avec chaque demande le Notre Père devient plus concret, le mouvement S'approche de plus en plus de notre réalité.

Que ton nom soit sanctifié - c'est l'adoration de Dieu le Créateur ; Que ton règne vienne - c'est l'adoration de Jésus-Christ ; Que ta volonté soit faite - c'est l'adoration du Saint-Esprit qui nous f ait voir dans le détail comment se fait l'avènement du règne de Dieu sur la terre.

Tout le grand mouvement descendant du Notre Père est résumé dans cette formule simple et puissante sur la terre comme au ciel.

 

Sur la terre...

Nous, braves gens, bons chrétiens, idéalistes de toutes les couleurs, nous flottons habituellement entre le ciel et la terre, nous n'avons pas réalisé que Jésus est descendu sur la terre, nous n'avons pas réalisé que la parole s'est faite chair et c'est pourquoi le monde ne croit plus à la parole et va de plus en plus se perdre dans la chair.

La terre, c'est là où nous posons les pieds, c'est là où habite notre corps de chair, ce corps qui mange, qui boit, qui dort, qui travaille, qui transpire, qui souffre, qui si facilement se souille et se gâte.

Ce corps que nous croyons sage de mépriser parce qu'il est lourd et que nous ne pouvons pas le promener par les nuages.

Ce corps qui est la plus grande merveille que Dieu ait formée, avec ce coeur qui bat si bravement jour et nuit et toute la longueur d'une vie, avec tous ces organes si délicats qui jouent leur jeu dans la profondeur de notre chair, avec ces membres si précieux dans leur douce enveloppe de peau.

Quelle honte de voir ce que nous avons fait de cet instrument !

Nous croyons que la loi et les prophètes c'est de mortifier la chair.

Mais saint Paul nous fait honte, à nous, chrétiens du vingtième siècle, en employant les plus saintes images pour montrer la sollicitude que l'homme doit porter à sa chair :

Personne n'a jamais haï sa propre chair ; mais il la nourrit et l'entretient, comme le Seigneur le fait à l'égard de l'Église.

Et lui, qui dit qu'il traite durement son corps, avertit cependant les chrétiens trop zélés de ne pas tomber dans cette apparence de sagesse, cette certaine humilité, qui consiste à n'avoir aucun égard à ce qui peut satisfaire la chair.

Et c'est encore lui qui nous dit que le corps est le temple du Saint-Esprit Et rappelons-nous le simple fait que Jésus n'a pas seulement pardonné les péchés, mais qu'il a guéri les malades : il s'est occupé autant du corps que de l'âme.

C'est peut-être une des plus grandes leçons que Dieu veut nous donner dans ces temps que Son Règne doit se réaliser sur la terre et dans nos corps.

Cela ne veut pas dire que nous fassions de la culture physique un nouveau culte comme beaucoup le font aujourd'hui.

Nous retombons dans la magie si nous oublions que le corps est un corps qui doit mourir.

Le corps n'est qu'un instrument, un instrument qui nous permet de faire la volonté de Dieu sur la terre.

Faire la volonté de Dieu sur la terre, c'est vivre sous la direction de Dieu.

On a redécouvert de nos jours cette vérité si élémentaire qu'en se recueillant devant Dieu on peut recevoir son inspiration pour chaque petit détail et pour l'ensemble de sa vie.

Mais là encore nous faisons souvent de la magie.

L'inspiration, c'est, comme dit le psalmiste : une lampe à mes pieds.

Ce n'est pas une lueur magique sur un coin de notre cerveau ou de notre coeur; c'est une lumière qui nous éclaire de la tête aux pieds, tout entiers, sans réserves et sans escamotages.

On comprend que dans un éclairage pareil on ne peut pas toujours se mettre en deux secondes.

Pour être dirigés par Dieu, il faut que nous soyons présents.

Cela demande une présence d'esprit totale.

Ce n'est ni un calcul intellectuel, ni une explosion sentimentale, c'est tout simplement aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de toutes ses forces et de toutes ses pensées, et aimer son prochain comme soi-même. Une vie qui a trouvé sa direction ne tourne pas en rond autour de soi-même, mais elle est dirigée vers le prochain, vers le pays, vers le monde entier, vers la terre.

 

... comme au ciel.

Cela veut dire : autrement que sur la terre, sans cette lourdeur, ce faux sérieux, cette trouble obéissance.

Comme au ciel, cela a quelque chose d'entier, de clair, de transparent, d'immédiat, de léger, de dégagé, d'ailé, comme les anges qui, en dansant et en chantant, font la volonté de Dieu.

Comme au ciel - c'est un rayon de joie qui nous illumine jusqu'au fond de notre tristesse.

Comme au ciel - c'est une fenêtre qui s'ouvre, un poids qui tombe de notre coeur.

 

Mais n'oublions pas de voir les deux côtés ensemble

Sur la terre - comme au ciel, C'est le choc du ciel avec la terre, un choc, un déchirement mortel.

Celui qui fait vraiment la volonté de Dieu sur la terre comme au ciel la fait comme quelqu'un qui passe constamment par la mort.

Voilà la situation dans laquelle il faut apprendre à chanter et à danser comme les anges.

Nous voyons dans la vie de Jésus ce qui arrive quand un homme fait la volonté du Père sur la terre comme au ciel.

Cela nous fait sortir de toute sentimentalité et nous fait comprendre le terrible réalisme de l'avènement du règne de Dieu.

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Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien...

Nous voilà dans le plus concret de l'homme.

L'homme a besoin de pain.

Pour que le règne de Dieu puisse venir, il faut que l'homme ait son pain quotidien.

Voilà qui montre comme Dieu est réaliste.

On pourrait presque dire que Dieu est marxiste.

Le marxisme consiste à faire voir dans l'histoire des hommes l'importance des besoins matériels.

L'Eglise du XIX éme siècle a perdu la confiance de l'ouvrier parce qu'elle s'est trop mise du côté du bourgeois. Une foi vivante doit se manifester dans le domaine le plus matériel.

Et voilà pourquoi personne n'est dispensé de s'occuper activement des questions sociales et économiques. C'est pour que cette prière se réalise et que chacun ait son pain quotidien qu'il faut prendre sa part à la vie politique du pays.

Seulement, ce qui nous sépare du marxisme, c'est que nous savons qu'en dernière ligne c'est Dieu qui nous donne notre pain quotidien.

Et cela fait qu'il faut être marxiste sans adopter les méthodes marxistes. Quand on sait que c'est Dieu qui donne le pain, quand on a reconnu Jésus, comme les disciples d'Emmaüs, au geste qui rompt le pain le geste de celui qui se laisse briser pour se donner aux autres - on ne peut plus se faire du mauvais sang, S'acharner dans la lutte pour le pain quotidien.

On doit, au milieu du travail et de la lutte, remarquer ceux qui ne travail. lent et qui ne luttent pas par eux-mêmes et pour eux-mêmes.

Mais l'homme ne vit pas de pain seulement...

Donne-nous notre pain quotidien et...

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Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé...

Si nous avions fabriqué nous-mêmes le Notre Père, nous aurions ajouté autre chose à ce et.

Nous aurions pensé qu'après le pain quotidien, ce dont l'homme a besoin, C'est des forces spirituelles.

La nourriture du corps et la nourriture de l'âme, voilà qui serait logique.

Mais c'est là que nous reconnaissons le réalisme de Dieu.

Dieu ne s'occupe pas de notre âme, il ne fait pas de psychologie.

Ma nourriture, dit Jésus, c'est de faire la volonté de mon père.

La nourriture de notre âme, C'est de vivre dans le courant de vie qui va du ciel à la terre.

Ce qui met notre vie en danger, ce qui nous empêche de croître, c'est quand le courant est obstrué.

Et c'est cet empêchement qui est proprement le péché.

Le péché, c'est tout ce qui empêche l'avènement du règne de Dieu.

Le péché, c'est tout ce qui me sépare de Dieu et du prochain.

 

Et voilà ce qui est exprimé par la prière :

Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.

C'est une seule et même ligne qui relie Dieu au prochain.

Il faut que les deux issues de ce passage soient ouvertes, celle entre Dieu et moi, celle entre moi et mon prochain.

Voilà la plus grande découverte de la nouvelle vie, c'est que le renouvellement de la vie personnelle et l'engagement de la personne dans la communauté ne vont pas l'un sans l'autre. Les deux portes ne s"ouvrent qu'en même temps.

Là encore nous avons souvent fait de la magie. Nous avons voulu forcer la porte.

Nous avons fait de la petite cuisine de conversion personnelle et nous avons oublié la grande souffrance du monde.

Et c'est quand nous nous rendons compte de ce que Dieu aurait pu faire dans nos vies, dans le pays, dans le monde - si nous avions été à sa disposition - que nous sentons toute la réalité du péché.

C'est alors que nous voyons combien le passage est continuellement obstrué des deux côtés, combien nous empêchons l'avènement de Son règne, combien notre vie est une offense à Son saint Nom.

C'est alors aussi que nous sentons combien sont grands les obstacles, et comme nous sommes incapables par nous-mêmes de nous délivrer.

C'est à ce moment que nous - abandonnons tous nos pauvres efforts, parce qu'il n'y a qu'une seule clé qui peut ouvrir la porte du ciel et du monde, c'est le pardon de Dieu.

 

Jésus-Christ devient le centre du Notre Père.

Sans sa mort et sa résurrection, notre prière ne serait qu'un vain remuement de lèvres.

Ce n'est que sur cette base que se renouvellent les vies.

Tout le reste est littérature et magie.

Le Notre Père devient l'acte de Jésus-Christ ouvrant nos coeurs et dégageant notre âme de tout ce qui la noue et l'obstrue.

La Croix du Christ, C'est le grand dénouement qui rend possibles tous nos petits dénouements et désencombrements, qui fait aussi que nous puissions aider les autres à se défaire des noeuds qui les attachent, que nous puissions tous entrer dans la glorieuse liberté des enfants de Dieu.

C'est là que s'ouvre le passage qui relie le ciel à la terre.

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Ne nous laisse pas tomber dans la tentation., mais délivre-nous du Malin.

Le pardon dégage le passé, cette dernière prière nous place dans le présent, devant le futur, devant le moment qui s'ouvre devant nous, devant la journée qui vient.

La tentation, c'est tout ce qui risque de nous arrêter, de nous nouer, de nous faire dévier de la ligne qui va du ciel à la terre.

 

Il y a les tentations de la chair, il y a les tentations de l'âme et du sentiment, il y a les tentations de l'esprit. Il y a les tentations du trop et il y a les tentations du trop peu.

Il y a les tentations de trop aimer, il y a les tentations de trop peu aimer. Il y a la tentation d'avoir trop d'imagination, il y a la tentation d'avoir trop peu d'imagination.

Il y a la tentation de la parole sans la chair, il y a la tentation de la chair sans la parole.

Il y a mille déviations de la ligne de vie.

Calvin a dit que cette demande, c'est la prière pour le Saint-Esprit.

Et pour l'expliquer, il prend un détour assez singulier.

Il dit que nous sommes toujours tentés d'être trop sûrs de nous-mêmes et de tomber dans l'orgueil, ou de trop perdre confiance et de tomber dans le découragement.

Il est si difficile de trouver la ligne juste que sans le Saint-Esprit nous la manquerions constamment.

La marque de la déviation, c'est que nous perdons la glorieuse liberté des enfants de Dieu et que nous tombons sous la puissance du Malin.

Le Malin, c'est une puissance réelle et effrayante.

Mais on n'en devient la proie qu'au moment où l'on quitte la ligne de la vie.

Nous avons tous fait l'expérience que quand on joue avec la tentation, pendant un court instant, cela a l'air d'être, un libre jeu, où l'on dispose de soi-même et croit pouvoir se reprendre à volonté, - mais sans qu'on s'en aperçoive, on glisse sur la pente et déjà l'on n'est plus maître de ses mouvements.

Le mal, ce n'est pas seulement notre faiblesse, c'est une puissance du mal, une magie noire qui profite de notre faiblesse pour nous faire aller plus loin que nous ne pensions aller.

 

Et c'est du fond de l'abîme, impuissant, anéantis, que nous crions

Délivre-nous du Malin...

Et là apparaît l'amour indicible de Jésus-Christ.

Nous ne pouvons tomber si bas, qu'au-dessus de nous, nous ne voyions Jésus étendre ses bras miséricordieux.

Et alors, quand nous avons vu toute la ligne qui descend du ciel à la terre et jusqu'au fond de l'abîme, nous levons les yeux vers la hauteur d'où nous est venu le secours, en disant, avec un immense soupir de soulagement et de reconnaissance.

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Car c'est à Toi qu'appartiennent le Règne, la Puissance et la Gloire, aux siècles des siècles.

Comme les premières paroles résument toute la prière, les dernières paroles la récapitulent dans son immense étagement. On peut le mieux voir la grande ligne du Notre Père en prenant les premiers mots de chaque phrase.


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