Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

PREMIÈRE ÉPÎTRE DE SAINT PAUL AUX CORINTHIENS

CHAPITRE PREMIER


292. Versets 1 et 2. Paul, appelé, par la volonté de Dieu, comme apôtre de Jésus-Christ, et Sosthène son frère, à l'Église de Dieu qui est à Corinthe, à ceux qui... etc.

L'Église de Dieu qui est à... Expression souvent employée, dans les premiers siècles de l'Église, pour désigner les fidèles d'une ville, l'Église de cette ville.

Cette expression est remarquable comme constatant à la fois l'indépendance des Églises et la nature de leur union en un seul corps. Chacune est dite L'Église de Dieu, comme si elle était seule sur la terre, et elles sont aussi, toutes ensemble, L'Église de Dieu. Là, c'est-à-dire en Dieu, est leur unité, leur centre; il n'existe pas une Église, mais des Églises qui sont une, une en Dieu, une, par conséquent, spirituellement, et sans qu'aucun lien visible établisse cette unité.

C'est ce que vous verrez ressortir de toute l'Épître. Si saint Paul n'a pas dit aux Romains qu'il fussent le centre de l'Église, vous ne le verrez pas davantage dire aux Corinthiens qu'ils aient à se rattacher aux Romains, à voir leur chef en l'évêque de Rome. Quarante ans après Paul, l'évêque de Rome, Clément, écrit aussi une épître aux Corinthiens, 'et ne leur dit non plus, Nous l'avez vu, rien de semblable.


293. Verset 10. Or, je vous conjure, mes Frères, par le nom de notre Seigneur Jésus-Christ, d'avoir tous un même langage et de n'avoir point de divisions parmi vous, mais d'être unis dans un même esprit et dans un même sentiment.

Même esprit, même sentiment, dit l'apôtre, mais toujours dans le sens de l'unité libre et fraternelle (note 279). Sacy traduit: « Je vous conjure.... de ne point souffrir parmi vous de divisions;» despotique et fausse idée introduite là où saint Paul n'avait mis, comme la suite le prouve, que des conseils de support et de fraternité. Il va les développer, ces conseils, dans quatre chapitres , et, jusqu'au bout , aucune mention d'un pouvoir dont les décisions souveraines eussent à fonder et à maintenir l'unité.


294. Versets 12 et 13. Voici ce que je veux dire. C'est que chacun de vous dit: Moi, je suis de Paul; et moi, d'Apollos; et moi, de Céphas; et moi, de Christ. Christ est-il donc divisé? Paul a-t-il été crucifié pour vous? Ou est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés?

Ainsi, ceux qui disaient : « Je suis de Céphas, » de Pierre, Paul les blâme tout autant que ceux qui disaient : « Je suis de Paul,» ou: «Je suis d'Apollos.» Nouveau trait inconciliable avec la supposition que Pierre fut le vicaire de Jésus-Christ, car, dans ce cas, être à Pierre eût signifié être à Jésus-Christ; ceux qui le disaient n'auraient fait que ce que font les théologiens romains, enseignant que c'est l'union avec le pape qui fait l'union avec Celui dont le pape est le représentant.


295. Remarquez que saint Paul blâme aussi ceux qui disaient : « Et moi, je suis de Christ.» Pourquoi ? Évidemment, parce qu'ils le disaient dans un esprit orgueilleux et sectaire, affectant de dédaigner les apôtres, ne se réclamant de Jésus-Christ que pour se dispenser de respecter ses plus dignes ministres. Quand donc nous vous disons que vous devez être à Jésus-Christ, à lui seul, comprenez bien que ce n'est pas cet esprit dangereux que nous voulons vous inspirer. Le vrai chrétien est doux et humble. Il ne se pose pas orgueilleusement au-dessus de ceux que leur charge appelle à l'instruire; il désire de tout son coeur ne pas avoir à se séparer d'eux, à choisir entre eux et Jésus-Christ. Mais, s'il lui devient évident que ce choix est à faire, alors, dût-il affronter mille épreuves, il n'hésitera plus; il voudra être à Jésus-Christ, et il s'y encouragera par les paroles mêmes que saint Paul ajoute aux premières. Ce n'est pas tel ou tel qui est mort pour moi, se dira-t-il, mais Jésus-Christ ; ce n'est pas au nom de tel ou tel que j'ai été baptisé, mais au nom de Jésus-Christ. En me séparant d'une Église où je ne le trouve plus, je ne fais que tenir mon engagement d'être à lui.

Versets 18 et suiv - La folie de la croix. Saint Paul se glorifie de n'avoir jamais prêché autre chose, car tout le dessein de Dieu se résume en cela.



296. Verset 30. C'est par lui (Dieu) que vous êtes en Jésus-Christ, qui a été fait pour nous, de la part de Dieu, sagesse, justice, sanctification et rédemption.

Sagesse, justice, sanctification et rédemption, voilà ce que nous avons en Jésus-Christ. Essayez de comprendre, après cela, comment vous auriez besoin de quelque autre, et comment, par la foi en lui, en lui seul, vous n'auriez pas tout ce qui vous est nécessaire pour cette vie et la vie à venir.

L'expérience est d'accord avec ces Paroles de Saint Paul. Interrogez ceux qui ont été instruits à voir tout le christianisme en Jésus-Christ, se passant des saints, de la Vierge, de la confession, des indulgences, de tous les moyens de salut sous lesquels le catholicisme a enterré le grand moyen, et voyez s'il leur manque quelque chose, s'ils ne se sentent pas en possession de tout ce qui est nécessaire à leur paix et à leur salut.


CHAPITRE II

Saint Paul déclare avoir rejeté, en prêchant l'Évangile. les secours de l'éloquence et de la sagesse humaine; il a voulu que la vérité se prêchât elle-même, pénétrant d'elle-même dans les coeurs ouverts par l'Esprit Saint.


297. Verset 15. Et nous les annonçons ( les dons de Dieu ), non avec les discours qu'enseigne la sagesse humaine, mais avec ceux que le Saint-Esprit enseigne, traitant spirituellement les choses spirituelles.

On petit traduire aussi : « Enseignant les choses spirituelles comme il convient de les enseigner à des hommes spirituels. »
Dans les deux cas, en condamnant une prédication mondainement éloquente et habile des vérités du christianisme, saint Paul condamne, à plus forte raison, ce qui serait encore plus mondain et encore moins spirituel, la prédication par les formes, par les cérémonies, par l'empire des sens. Le culte public, il est vrai, ne peut se passer de quelques formes, et il serait impossible de dire, en thèse générale, où commencera la surabondance ; mais l'Église romaine nous dispense de déterminer le point précis, car elle est trop évidemment au delà. Ses grands temples sont des théâtres où on peut être ému sans que la piété y soit pour rien, y gagne rien ; encore l'émotion n'est-elle guère que pour les gens moins habitués à ces pompes, et c'est ce qu'on peut voir, en particulier, à Rome, où les gens du pays s'étonnent de l'impression qu'elles font sur les étrangers.

Une fois hors de la voie spirituelle, on est forcé de s'en éloigner toujours plus. Il faut de nouvelles pompes pour réveiller des spectateurs blasés, et l'empire de la matière fait progrès sur progrès. Restons-en au mot de saint Paul : traitons spirituellement les choses spirituelles, et demandons qu'on ne les traite jamais autrement, pas plus dans le culte que dans la prédication.

Versets 14 et suiv.- L'homme naturel ne comprend pas les choses de l'Esprit de Dieu.


298. Verset 15. Mais l'homme spirituel juge de tout, et n'est jugé lui-même par personne.

Le chrétien spirituel a donc le droit d'aborder directement l'Évangile, et de prendre, avec le secours de Dieu, la responsabilité de ses croyances. L'homme naturel en a bien le droit aussi, en ce sens qu'aucun homme ne peut légitimement l'en empêcher ; mais saint Paul entend le droit réel, le droit moral, celui qui naît de la spiritualité même. De là un devoir sérieux : c'est, lorsqu'on veut se mettre à étudier la religion, d'en acquérir le droit en devenant un homme spirituel, en écartant tout ce qui est de la chair, orgueil, passions, et en demandant, surtout, le secours de l'Esprit de Dieu. Alors, votre droit est certain.

Vous pouvez, selon la parole de l'apôtre, juger de tout, ce qui veut dire que vous êtes en état de comprendre tout ce qui importe à votre paix et à votre salut. De plus, ajoute saint Paul, vous n'êtes «jugé par personne. » Est-ce à dire que personne ne vous jugera? Non, sans doute; vous aurez toujours contre vous, dans cette affaire, soit les gens qui trouvent singulier qu'on s'occupe de religion, soit cette Église qui veut qu'on ne s'en occupe que pour accepter ce qu'elle enseigne. Mais saint Paul parle encore là d'un droit; il veut dire que l'homme spirituel a celui de n'être jugé par personne, de récuser tout jugement humain. L'affaire est entre Dieu et lui.

Mais si le devoir de tout chrétien est de créer en lui, avec le secours de Dieu, cet homme spirituel dont parle saint Paul, il est clair que toute Église chrétienne devrait se considérer comme appelée, avant tout, à l'aider dans ce saint travail. Est-ce ce que fait l'Église romaine? En donnant une si grande place aux formes et aux pratiques, ne développe-t-elle pas plutôt l'homme charnel, l'homme qui ne comprend pas, dit saint Paul, les choses qui sont de l'Esprit de Dieu ? En défendant l'étude individuelle et libre de la révélation chrétienne, n'achève-t-elle pas de renverser l'idéal que traçait saint Paul, celui de l'homme spirituel jugeant de tout et n'étant jugé par personne?


CHAPITRE III

Les Corinthiens ne sont pas encore des hommes spirituels.


299. Verset 4. En effet, quand l'un dit: je suis de Paul, et l'autre: Je suis d'Apollos, n'êtes-vous pas charnels?

C'est donc être charnel que de voir l'Église dans un homme, fût-il un saint Paul ou un saint Pierre, car, quoique ce ,dernier nom ne soit pas répété ici, il est clair que l'auteur a l'intention de reproduire ce qu'il a dit (voir 294) au commencement de l'épître. Le chrétien spirituel voit donc l'Église en Christ, l'unité en Christ; il ne se donnera à aucun homme; il est pour qui lui parlera le mieux de Christ et de l'amour de Christ.

L'histoire n'est que trop d'accord avec ce que nous dit là saint Paul. Si l'Église romaine a été charnelle, si lés choses de la terre et les passions de la terre ont joué chez elle un si grand rôle, ça été, en grande partie, à cause de sa forme monarchique. Cette même forme a encore aidé puissamment au charnalisme dans le culte.

Un pontife-roi ne pouvait pas ne pas s'entourer de magnificences ; les évêques, ses représentants , l'ont imité tout est devenu cérémonie , et le formalisme a passé de Rome aux derniers villages. La monarchie, en un mot , n'a pas seulement eu le tort d'incarner le christianisme dans un homme; elle a favorisé la matérialisation de chaque idée, de chaque dogme , car il est de l'essence d'un état monarchique que le principe central se reproduise en tout. Transsubstantiation et papauté sont, en ce sens, deux erreurs de même nature. C'est de l'homme charnel qu'elles ont l'une et l'autre procédé.

Versets 5 et suiv. - Les apôtres ne sont que des ouvriers; c'est Dieu qui, par eux, bâtit l'édifice. Paul, à Corinthe, a posé les fondements; d'autres bâtissent et bâtiront par dessus, mais le fondement est immuable.


300. Verset 11. Car personne ne peut poser d'autre fondement que celui qui a été posé, savoir Jésus-Christ.

A. Quand saint Paul écrivait ceci, il y avait bien des années que Jésus-Christ n'était plus sur la terre. Si saint Paul lui avait connu un successeur, un vicaire, admettrez-vous qu'il eût pu n'en rien dire en cet endroit? Admettrez-vous qu'il eût pu développer longuement (versets 9 à 17) cette image d'un édifice à bâtir, et ne rien dire de l'homme que Jésus aurait désigné pour en être, après lui, le fondement, homme, nous le répétons, qui eût été alors depuis au moins vingt ans en possession de cette charge? Au lieu d'arriver à ce grand fait que chaque verset, que chaque mot aurait appelé sous sa plume, il ne développe son idée qu'en la spiritualisant de plus en plus, et il termine (verset 16) par cette autre belle image que c'est le chrétien lui-même qui est le temple de Dieu, le sanctuaire de l'Esprit-Saint. Ce n'est donc pas seulement l'omission du nom de Pierre qui est significative en cet endroit. L'ensemble du morceau , l'éclat tout spirituel dont il entoure la grande notion d'Église, sont en complète opposition avec la notion romaine et la forme romaine.

B. Remarquez, en particulier, comme les paroles de saint Paul sont loin de supposer l'existence d'une autorité visible prononçant infailliblement, dès ce monde, sur les doctrines prêchées ait nom de Jésus-Christ. Jésus-Christ, a-t-il dit, est le fondement unique immuable; mais, sur ce fondement, les uns vont bâtir avec « de l'or, de l'argent, des pierres précieuses, » les autres avec « du bois, du foin, du chaume. » Qui prononcera sur la valeur de ces constructions si diverses? « Le temps, » dit l'apôtre; et sa pensée se résume tout naturellement en l'image d'un feu, lequel consumera ou respectera l'édifice, selon que les matériaux en auront été mauvais ou bons. Mais, ajoute-t-il, pourvu que le fondement n'ait pas été changé, la destruction des matériaux n'entraînera pas la perte de l'homme qui aura cru pouvoir les employer. Il sera sauvé ; seulement, il aura perdu le fruit de son travail , et il n'échappera que « comme au travers du feu (01) , comme un homme qui a réussi à fuir à travers sa maison incendiée.

Vous le voyez : l'apôtre nous renvoie au jugement définitif, celui de Dieu; sur cette terre, aucune autorité qui ait mission de prononcer souverainement sur la valeur des matériaux employés. Bâtissez sur le fondement véritable, Jésus-Christ, et vous pouvez toujours être sauvé.

C. Voilà pourquoi , tout en condamnant les doctrines de l'Église romaine, jamais nous ne formulons de ces arrêts de damnation dont elle a été si prodigue contre tous ceux qu'elle accusait d'errer. Nous ne voyons en ses membres que des gens qui ont le malheur de bâtir « avec du bois, du foin, du chaume ; » nous croyons fermement que si, malgré cela, ils ont bâti sur le vrai fondement, sur Jésus-Christ, ils sont sauvés. Ce bois, ce chaume, ce sont toutes les pratiques auxquelles ils demandent le salut, et qui; au dernier jour, ne leur serviront de rien. Ils peuvent être sauvés; seulement, s'ils le sont, ce n'est point à cause de ces choses, mais parce qu'ils seront restés unis à Jésus-Christ par la confiance et par l'amour. Le grand danger, c'est que ces choses ne leur soient pas inutiles seulement, et que, devenant le fondement de leur confiance, elles leur fassent oublier le seul fondement véritable. Voilà pourquoi nous ne pouvons les considérer comme indifférentes; voilà pourquoi il n'en est aucune que notre conscience nous permette de ne pas attaquer.


301. Versets 21-23. Que nul donc ne mette sa gloire dans les hommes, car toutes choses sont à vous, soit Paul, soit Apollos, soit Céphas... Et vous êtes à Christ, et Christ est à Dieu.

Forme nouvelle et encore plus frappante de l'opposition déjà signalée entre la doctrine de saint Paul et la doctrine romaine sur l'Église.

L'Église, selon Rome, a été donnée au pape. C'est la doctrine que le général des Jésuites soutint au concile de Trente, et qui, combattue alors par beaucoup d'évêques, est aujourd'hui celle de tout le clergé, ou peu s'en faut. Le pape est donc la source unique de tous les pouvoirs, de toutes les grâces ; le pape est l'arbitre suprême de la foi et de la morale. L'Église n'a, devant lui, aucun droit, sauf ceux qu'il veut bien lui donner ; l'évêque même, si puissant, n'est rien, si ce n'est par lui.
Jamais roi n'a été mieux propriétaire de ses peuples que ne l'est, dans la théorie ultramontaine, le successeur de saint Pierre.

Selon saint Paul, au contraire , c'est à l'Église, que « toutes choses » appartiennent, y compris Paul, et Apollos, et Pierre. Elle n'est pas leur souveraine, sans doute, car ils n'ont, comme elle, d'autre souverain que Jésus-Christ; mais si elle n'est pas leur souveraine, elle est encore moins leur esclave, leur propriété. Le troupeau est au maître commun.

L'idée même de troupeau serait complètement fausse si on voulait l'entendre à la rigueur, car un berger, propriétaire ou non, est toujours un maître absolu pour les vils animaux réunis sous son autorité Jésus et les apôtres n'ont jamais eut en vue que le côté relevé de cette image, le berger considéré dans ses soins, son affection, sa vigilance. C'est dans ce point de vue qu'on peut dire que le berger appartient au troupeau, n'existe que par et pour le troupeau. Ainsi l'entendait saint Paul; ainsi l'entendait également (nous le verrons plus loin) ce même saint Pierre an nom de qui le despotisme romain s'est établi.


CHAPITRE IV

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302. Verset 1. Que chacun nous regarde comme des ministres de Christ, et des dispensateurs des mystères de Dieu.

En isolant ces mots de ce qui précède, on est arrivé à y voir tout le contraire de ce qu'ils disent. Des hommes ont réclamé, comme ministres de Christ, un pouvoir sans bornes; comme dispensateurs des mystères de Dieu, ils se sont arrogé le droit de les dispenser en effet, c'est-à-dire de distribuer les grâces et de régler souverainement la foi.

Rien de tout cela dans ce verset, qui n'est que le résumé du raisonnement de saint Paul. Il vient de dire qu'on ne doit pas se donner à des hommes , que l'Église n'appartient ni à Paul, ni à Pierre, mais à Christ. Comment donc faut-il considérer Paul et Pierre? Il répond : « Comme des ministres de Christ, comme des dispensateurs des mystères de Dieu.»

L'idée est donc toute d'humilité ; elle revient à : « Nous ne sommes que des ministres, que des dispensateurs.» C'est ce que disent, outre le sens général, les mots mêmes employés ici par saint Paul. Celui que nous traduisons par ministre veut dire proprement rameur, serviteur d'ordre inférieur; celui que nous traduisons par dispensateur veut dire administrateur, économe, et l'économe, chez les anciens, n'était qu'un serviteur un peu au-dessus des autres, souvent même qu'un esclave.

Ainsi, cette déclaration dont l'orgueil sacerdotal a tiré un si grand parti, c'est encore une de celles qui le condamnent le plus formellement.


303. Verset 2. Or, ce qu'on demande à des dispensateurs (à des économes), c'est qu'ils soient trouvés fidèles.

L'apôtre poursuit son idée, mais dans le sens que nous venons d'indiquer. L'autorité du ministre de Jésus-Christ est liée à sa fidélité ; tout ce que saint Paul demande dans les versets suivants, c'est qu'on ne se hâte pas de prononcer sur la question de fidélité, condamnant orgueilleusement tel ou tel pour se livrer servilement à quelque autre. Dans tout cela, par conséquent, aucune trace d'une autorité souveraine que les ministres de Jésus-Christ aient à exercer sur l'Église; aucune trace, non plus, d'inégalité entre eux; aucune trace, enfin, d'une autorité centrale prononçant infailliblement sur leur fidélité.

Versets 9 et suiv. - Dévouement de Paul. Ses épreuves de tous les jours. Envoi de Timothée aux Corinthiens. Paul ira lui-même les voir.


CHAPITRE V

Scandales dans l'Église de Corinthe. Paul s'est déjà transporté en esprit au milieu des chrétiens de cette ville, pour prononcer avec, eux la sentence du coupable.


304. Versets 4 et 5. Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, vous et mon esprit étant assemblés, avec la puissance de notre Seigneur Jésus-Christ, j'ai prononcé de livrer cet homme à Satan pour la destruction de la chair, afin que son âme soit sauvée au jour du Seigneur Jésus.

L'excommunication romaine a trouvé là des armes effrayantes. Rétablissons les faits.
D'abord, de quoi s'agit-il? D'un inceste; d'un crime que les païens eux-mêmes avaient toujours flétri comme monstrueux. Impossible donc, logiquement, d'aller chercher dans ce qui fut fait alors la justification de ce que l'Église aura fait contre des délits quelconques, légers peut-être, ou même n'existant, ce qui a été souvent le cas, qu'aux yeux de ses lois à elle ou de ses prétentions à elle.

En Second lieu, comment va s'exercer, selon saint Paul, la justice de l'Église? Sa qualité d'apôtre et l'énormité du crime à punir lui donnaient certainement le droit de prononcer seul; fondateur de l'Église de Corinthe, il pouvait en exclure un homme qui la déshonorait. Et cependant, il veut que ce soit l'Église qui prononce, que ce soit l'assemblée des fidèles qui chasse le coupable de son sein; dans sa seconde épître, c'est à l'Église encore, à l'assemblée des fidèles, qu'il demandera (chap. 11) la grâce du coupable puni et repentant. Ainsi, quand l'Église romaine n'aurait pas dénaturé le droit d'excommunication en l'élargissant outre mesure , elle l'a encore dénaturé en l'attribuant au clergé seul, investi par là de la plus dangereuse omnipotence.

La peine, enfin, qu'était-elle?
L'exclusion ; uniquement l'exclusion. L'Église n'ayant, à cette époque, aucun moyen de châtier autrement, les expressions de saint Paul, dans la sentence, ne pouvaient avoir été employées que dans un sens figuré, spirituel. L'Église était considérée comme l'assemblée des saints; chasser un homme de l'Église, c'était le livrer à Satan, le repousser dans l'empire de Satan, ou, pour mieux dire, le forcer de s'apercevoir que, en devenant criminel, il était rentré sous cet empire. Ainsi s'expliquent les mots qui suivent. Que serait-ce que livrer un homme à Satan, an prince de la perdition, « afin que son âme soit sauvée ? » Le sens est donc évidemment celui-ci : « Cet homme, se voyant exclu de l'Église, sera forcé de comprendre qu'il est sous le joug de Satan. Qu'une sainte terreur détruise en lui l'empire de la chair, et que son âme rentre, en conséquence, dans les voies du salut.»

Voilà l'excommunication apostolique, chrétienne. Aucune peine temporelle; aucune malédiction. Le coupable est séparé de l'Église jusqu'à ce qu'il se repente et s'amende ; rien de plus. L'Église ne fait que constater l'état de perdition où il s'est mis; elle le considère comme condamné dans le ciel, mais nullement en vertu de la sentence prononcée sur la terre. Au reste, malgré tous les efforts que l'Église romaine a faits pour qu'on s'effrayât de ses sentences, le bon sens a toujours dit assez haut qu'une excommunication n'est rien si elle n'est juste. Malheureusement, en attendant de n'être rien dans le ciel, elle peut commencer par être beaucoup sur la terre, et par se traduire, dans la main d'une Église impitoyable, en affreuses cruautés.

Versets 6 et suiv. - Que les Corinthiens soient plus sévères entre eux qu'envers les païens , car ils ne sauraient prétendre , dans le monde, à n'être en contact qu'avec des justes.


305, Verset 10.-.. car autrement, il vous faudrait sortir du monde.

Saint Paul n'aborde donc pas l'idée qu'il soit bien de quitter le monde pour en fuir les mauvais exemples. Tous les conseils que vous lui verrez donner sur la fuite du monde, sur le renoncement au monde, supposent, au contraire; le chrétien restant dans le monde, luttant de près contre le mal, guidant et encourageant ses frères dans cette incessante bataille. La fuite du monde par état, le renoncement au monde par des voeux prononcés, la vie monastique, enfin, et tout ce qui s'y rattache, sont des choses absolument inconnues dans le Nouveau Testament.


CHAPITRE VI

Procès portés devant les tribunaux païens.



306. Verset 4. Si donc vous avez des différends entre vous touchant les choses de cette vie, prenez plutôt pour juges ceux mêmes qui sont les moins considérés dans l'Église.
Nous avons vu (note 130) les abus et les inconvénients que le droit de juger en affaires temporelles a amenés dans l'Église romaine.

Au lieu d'être cité comme établissant ce droit, le passage ci-dessus aurait dû être combiné avec celui où nous voyons Jésus-Christ (Luc XII, 14) refuser d'être arbitre entre deux frères. L'ordre donné par saint Paul n'a qu'un caractère transitoire ; il l'appuie, en effet, sur ce que les tribunaux étaient païens. Mais, quand l'empire devint chrétien, l'habitude était prise; les empereurs furent obligés de maintenir la juridiction épiscopale, et d'en étendre même les droits. De là, plus tard, d'interminables luttes entre l'Église et le pouvoir civil.

Si donc nous devons reconnaître, d'un côté, que ce sont les circonstances qui ont ouvert la voie et que c'est un précepte de saint Paul qui y a poussé l'Église, l'histoire, d'autre part, ne nous permet pas d'oublier comment le clergé romain a exploité ce précepte. Il ne réclamait, disait-il, que le jugement des affaires se rapportant aux choses religieuses ; mais il avait fini, de proche en proche, par considérer tout, ou à peu près, comme s'y rapportant.

N'oubliez pas non plus l'usurpation qui était à la base même du système. En demandant qu'on prenne des chrétiens pour juges, Paul n'ordonne pas qu'on les prenne exclusivement parmi les chefs; il parle de membres quelconques de l'Église, même les plus obscurs, ajoute-t-il. Encore un point, par conséquent, où le clergé s'est substitué à l'Église.


Versets 7 et suiv. - Les vices des païens devraient être inconnus chez les chrétiens, de sorte que leur vie entière fût d'accord avec la grâce immense dont ils ont été les objets.


307. Verset 11. -... vous avez été lavés., vous avez été sanctifiés, vous avez été justifiés au nom du Seigneur Jésus et par l'esprit de notre Dieu.

A. Saint Paul aime à semer au milieu de ses discours ces résumés rapides de l'oeuvre de Jésus-Christ ; mais, quelque forme qu'il emploie, toujours cette oeuvre est représentée comme celle de Jésus seul, entière et parfaite en lui seul. L'apôtre, dans ces occasions, accumule les idées, les mots, et ces accumulations (voir note 296) ne laissent ni place ni prétexte aux moyens dont on pourrait vouloir entourer le grand moyen, aux ouvriers de salut qu'on essaierait d'adjoindre au grand ouvrier. La précaution a été inutile. Rome a trouvé cent moyens, pour les hommes, d'être lavés, sanctifiés, justifiés, et cent mille ouvriers, les saints, pour aider le Christ dans sa tâche. Aussi, là où elle règne, que reste-t-il du grand moyen et du grand ouvrier?

B. Remarquez encore comme toutes ces déclarations sur l'oeuvre de Jésus-Christ, pleine, parfaite, sont loin de supposer qu'un chrétien qui meurt dans la foi en lui puisse avoir à subir, après la mort, une purification quelconque ; pas un endroit, au contraire, où cette oeuvre de réconciliation et de salut ne soit représentée comme s'opérant tout entière, dés ce monde, en quiconque aura regardé à Jésus-Christ comme à son unique Sauveur. La doctrine du Purgatoire est donc en opposition avec tout ce qui nous est dit de Jésus-Christ expiant nos péchés, car tout ce qui nous en est dit l'est dans le sens du verset ci-dessus. Paul ne dit pas : « Vous serez lavés,» mais : « Vous avez été lavés.» Les Corinthiens ont cru; l'oeuvre expiatoire du Christ est, par cela seul, accomplie en eux. Croyez, et, par cela seul, elle s'accomplit en vous.

Versets 19 et suiv. - La pureté. Le chrétien se rappellera que son corps est le temple du Saint-Esprit.


CHAPITRE VII

Réponse à diverses questions qu'on avait adressées à l'apôtre sur le mariage et le célibat.


308.Voici le sens de ce chapitre.
Saint Paul aurait eu (il le dit positivement plus loin, IX, 5) le droit de se marier. Il ne l'a pas fait, et, prévoyant les persécutions qui vont assaillir l'Église, il préférerait (verset 7) que tous fussent libres, comme lui, de tout lien terrestre.

Est-ce un ordre qu'il donne ?
Évidemment non, car il parle de tous, et, donné à tous, cet ordre équivaudrait à l'abolition du mariage et à la destruction du genre humain. C'est donc une simple réflexion sur l'avantage qu'il peut y avoir, en certains temps, à n'être pas marié ; c'est le simple conseil de faire entrer cette considération en compte quand on voudra ou se marier, ou marier ses enfants. Saint Paul a tellement peur qu'on n'exagère la portée de ses paroles, qu'il déclare (verset 25) n'avoir point reçu à ce sujet de commandement du Seigneur; il veut qu'on l'écoute, en ce moment, non comme un apôtre, mais comme un simple ami conseillant ce qui lui paraît préférable. Il répète jusqu'à six fois (versets 9, 17, 28, 36, 38, 39) que nul ne doit être contraint à cet égard.

Ainsi, ce chapitre qui a été tant exploité, qui a servi de base à tant de lois, qui a créé les couvents par milliers, c'est, de toutes les pages du Nouveau Testament, la moins impérative. Mais l'Église romaine cherche, avant tout, ce qui lui convient ; elle sait ne pas voir, dans les Saints Livres , les lois les plus formelles, et elle excelle à y trouver celles qui n'y sont pas. - Voir note 414.



309. Mais quand saint Paul se défend si bien de vouloir imposer le célibat, c'était le moment, ou jamais, de dire s'il entendait l'imposer au moins aux pasteurs. Le dit-il ? Pas un mot.

Voilà qui est grave, d'autant glus grave qu'on aura fait jouer un plus grand rôle à ce chapitre. Plus vous donnerez d'importance à ce que saint Paul dit ou paraît dire en faveur du célibat, plus il sera impossible d'expliquer comment il eût pu n'en rien dire relativement aux prêtres.

N'insistons pas. L'idée du célibat des prêtres est tellement insoutenable devant le Nouveau Testament et l'histoire des premiers siècles, qu'il est presque puéril d'accumuler les preuves contraires. Indiquons-les quand nous les rencontrons, mais tenons-nous-en à les indiquer.


310. Remarquez enfin que , dans les endroits mêmes où saint Paul paraît conseiller le célibat, il ne le conseille encore point comme un état plus pur, plus agréable, en soi, à Dieu, plus digne, en soi, des enfants de Dieu. S'il le recommande aux fidèles, c'est, d'abord, à cause des afflictions qu'il leur épargnera dans des temps agités et difficiles; c'est, ensuite, parce que l'absence des soucis de la famille leur laissera, suppose-t-il, plus de temps pour méditer, pour prier, pour s'occuper d'oeuvres pieuses, idéal qui, du reste, ne s'est pas souvent réalisé.

Ainsi, même sur le terrain de l'idéal, ce n'est encore pas comme plus saint que le célibat est conseillé, mais seulement comme pouvant faciliter la sanctification ; aucune des paroles de l'apôtre ne justifie les développements mystiques qu'on a donnés, dans l'Église romaine, à l'idée d'une sainteté intrinsèque appartenant au célibat. Cette idée est en désaccord avec l'esprit d'une religion qui voit tout dans le coeur, dans la pureté ou l'impureté du coeur. Le célibat, comme le mariage, est pur ou impur, saint ou non, selon les sentiments et les pensées qu'il amène ou qu'il développe.


CHAPITRE VIII

Manger des viandes immolées aux idoles n'est pas, en soi, un péché, puisque les idoles ne sont rien.



311. Verset 8. Un aliment n'est pas ce qui nous rend agréables à Dieu.

Que de fois revient cette idée! Que de précautions prises contre ceux qui conserveraient l'idée juive de la distinction des aliments!
Mais, dira-t-on, l'Église romaine n'entend pas que les abstinences aient, en soi, la vertu de plaire à Dieu; il ne s'agit que des sentiments dont elles sont l'expression ou dont elles seront la source.

Nous avons déjà dit plus d'une fois qu'il ne peut pas être permis , dans les choses de pratique, de se réfugier dans la théorie. L'abstinence, une fois devenue affaire de règle et d'habitude, non seulement n'exprime plus et ne provoque plus les sentiments de pénitence qu'elle était supposée exprimer ou provoquer , mais ne peut que contribuer à les fausser, à les détruire.

Si vous les avez dans le coeur, c'est un grand mal que de vous apprendre à les incarner dans un acte qui va devenir habituel, machinal ; si vous ne les avez pas, c'est un plus grand mal encore, car on ne fait que vous procurer un moyen de vous en passer. La scrupuleuse observation des jours maigres est une des choses par lesquelles on se tranquillise le mieux, dans certains pays, sur l'absence de la piété réelle et sur la violation de lois tout autrement saintes.

Verset. 9 et suiv. - Quoique libre de manger des viandes immolées aux idoles , le chrétien s'en abstiendra s'il craint de scandaliser ses frères.


CHAPITRE IX

Désintéressement de l'apôtre. il aurait eu le droit d'être nourri par les Corinthiens, et non pas lui seulement, mais sa femme, s'il eût été marié.


312. Verset 5. N'avons-nous pas le droit de mener avec nous une femme d'entre nos soeurs, comme font les autres apôtres, et les frères du Seigneur, et Céphas?

On a tenté d'obscurcir ce verset. Cette femme soeur, comme dit le texte grec, on a voulu que ce ne fût pas une épouse, appelée soeur dans le sens de chrétienne, mais une espèce de servante chrétienne, une femme accompagnant chaque apôtre pour le servir et le soigner. Cette interprétation , adoptée par la Vulgate (mulierem au lieu de uxorem) , n'est pas seulement bizarre ; elle est contraire à la mention trois fois faite (Matth. VIII, Marc I, et Luc IV) de la belle-mère de Céphas. Céphas donc, saint Pierre, était marié ; d'autres apôtres, sinon tous, l'étaient; saint Paul déclare qu'il aurait le droit de l'être. Essayez de croire, après cela, que le célibat des prêtres a été ordonné par les apôtres.

Versets 6 et suiv. - Quoique n'usant pas du droit d'être entretenu par les fidèles, l'apôtre tient à constater ce droit. L'ancienne loi le proclamait.


313. Verset 14. De même aussi, le Seigneur a ordonné que ceux qui annoncent l'Évangile vivent de l'Évangile.

Quand nous parlons contre le rôle de l'argent dans l'Église romaine, on nous répond que beaucoup de prêtres n'ont cependant que le strict nécessaire.

Nous répondrons, d'abord, que cela n'infirme en rien nos remarques sur ceux d'entre eux qui se sont enrichis ou s'enrichissent, et il y en a beaucoup, à trafiquer de messes, d'indulgences, de dispenses, de cérémonies, etc.
Qu'on se rappelle, en second lieu, que nous attaquons le système, non les hommes. Quand ce système aurait laissé tous les prêtres, tous les couvents, toutes les églises, dans la plus humble pauvreté, nous n'en dirions pas moins qu'il est mauvais, mauvais parce qu'il avilit les choses saintes, mauvais parce qu'il avilit le prêtre, mauvais parce qu'il aboutit infailliblement à faire croire que le salut est chose à acheter.

Versets 15 et suiv. - Dévouement de saint Paul.


314. Verset 22. Avec les faibles, j'ai été comme faible, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d'en sauver au moins quelques-uns.

Tout à tous. C'est avec ce mot que l'Église romaine est arrivée à accommoder le christianisme aux idées, aux habitudes, aux superstitions de tant de peuples. On vous dira que les papes ont condamné ce que leurs missionnaires avaient fait, à cet égard, dans quelques contrées reculées , particulièrement en Chine; mais n'allez pas conclure de là que ces choses ne se font plus, car tous les voyageurs vous diront ce qui en est, aujourd'hui même, et en Chine, et dans l'Inde, et dans plusieurs pays de l'Amérique. Vous pouvez, au reste, aller moins loin ; l'Italie et l'Espagne vous offriront assez d'exemples d'accommodations du christianisme aux superstitions de l'antiquité, du moyen âge, des temps modernes. Vous pouvez aller encore moins loin, et, dans les pays mêmes où le catholicisme vous paraîtra plus sage , vous n'aurez pas à l'examiner longtemps pour y apercevoir beaucoup de choses dignes de l'Italie , de l'Espagne , de l'Amérique , de la Chine peut-être. Enfin , ce qui n'a jamais été nié ni même dissimulé , ce sont les emprunts nombreux faits au paganisme romain en matière de cérémonies , de pratiques, etc. L'Église , vous dit-on , a sanctifié tout cela en l'adoptant. Reste à savoir si elle a pu l'adopter sans que cette condescendance entamât les bases de l'Évangile.

Saint Paul était tout à tous, mais dans les limites que sa vie entière nous indique. Sur le terrain de la charité et des sacrifices, tout -,à tous; sur le terrain des principes, inflexible. S'il a cédé çà et là quelque peu à des Juifs qui ne pouvaient s'élever , du premier coup , au culte esprit et vie, jamais ce n'a été sans leur dire nettement qu'il leur cédait pour un temps, que ce christianisme inférieur n'était pas le véritable, qu'ils auraient à s'en dégager au plus tôt. Est-ce là ce que fait l'Église romaine? Quand elle pourrait, dans le passé, justifier ce grossier christianisme qu'elle a donné aux peuples, comment se justifiera-t-elle de n'avoir rien fait et de ne rien faire pour les mener ensuite à une religion plus pure?

Se borne-t-elle, au moins, à ne rien faire? Son bagage de superstitieuses pratiques ne va-t-il pas s'accroissant tous les jours partout où elle est la maîtresse?


315. Une autre forme de ce déplorable tout à tous, c'est l'extrême souplesse avec laquelle cette Église sait abandonner, dans l'occasion, ce qu'elle aura le plus ardemment prêché en d'autres cas et auprès d'autres gens. On en a eu, de nos jours, maint exemple. Le mariage civil a été représenté, dans quelques pays, comme une impiété scandaleuse, abominable, et le clergé, dans d'autres pays, le subissait sans mot dire.

Qu'un protestant soit enterré parmi des catholiques, et ce sera, suivant le pays, suivant la ville, ou un sacrilège énorme, ou un fait qu'on laissera s'accomplir sans un mot de réclamation. Un mariage mixte sera, ici, un crime, là, une chose toute simple, que le clergé encouragera même, pour peu qu'elle ait l'air de pouvoir tourner à l'avantage de l'Église.

Dans une même ville, dans une même église, il pourra arriver que vous entendiez deux sermons qui vous jetteront dans deux mondes totalement divers. Il y a un catholicisme pour les hommes, un pour les femmes, un pour les gens instruits, un pour le peuple. Ce qui aura été prêché aux uns comme l'essence même du christianisme, vous n'en retrouverez rien dans une instruction adressée à d'autres.

La confession, par exemple, sera représentée tantôt comme absolument indispensable et absolument ordonnée, tantôt comme un simple secours offert, comme un simple entretien avec un ami pieux; l'absolution sera tantôt une sentence souveraine, enregistrée dans le ciel au moment ou le prêtre la prononce, tantôt une sentence purement conditionnelle, dont la valeur dépend des dispositions du pénitent, et, entre ces deux systèmes, il y a un abîme. Le premier sera pour les simples, le second pour les raisonnables, et, l'un comme l'autre, on les prêchera comme la doctrine unique d'une Église une et immuable.

Le même prêtre sera, suivant les cas, ou le plus terrible, ou le plus indulgent des hommes, aujourd'hui tout fiel, demain tout miel, élargissant ou rétrécissant la voie, raisonnant ou s'indignant qu'on raisonne, invoquant ou cachant la Bible, apôtre, en politique, ou des idées despotiques, ou des idées libérales, anathématisant ou bénissant hommes et choses, selon que le vent tourne ici ou là. Il n'est tout à tous, en définitive, que parce qu'il est tout à son Église, parce qu'elle l'a absous d'avance de toutes les variations où le jettera son zèle, et parce que ces moyens-là sont réputés toujours justifiés par la fin.


316. Verset 27. Je traite durement mon corps et je le tiens assujetti, de peur qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même rejeté.

Le corps asservi à l'esprit, voilà le christianisme. Mais cet asservissement même est tout spirituel; il ne faut pas que l'esprit, pour dompter la matière, appelle la matière à son secours, et c'est ce qu'il fait quand il emploie les macérations, les violences. Aussi ne trouverez-vous, dans le Nouveau Testament, ni préceptes ni faits se rapportant à rien de semblable. Saint Paul traite durement son corps, nous dit-il; mais comment?

En se flagellant? En s'imposant les bizarres tortures de la piété monastique?
Point du tout. Traiter durement le corps, c'est maintenir l'empire de l'esprit, résister aux tentations du bien-être, refuser à la chair tout ce qui serait funeste à l'âme. La lutte peut être pénible, cruelle ; mais le chrétien spirituel n'en luttera pas moins avec les seules armes de l'esprit, et, là ou le Maître a dit : « Veillez, priez, » il ne dira pas: « Flagellez-vous. »


(01) Les théologiens romains ont souvent fait de l'Écriture un emploi bien étrange, mais jamais peut-être aussi étrange que lorsqu'ils ont cité ces mots comme se rapportant au Purgatoire. Non seulement, comme vous venez de le voir, le morceau n'y a aucun rapport, mais ce détail même qu'on exploite, ce feu dont parle saint Paul , n'a rien de commun avec celui qu'on suppose exister dans le Purgatoire. Que fait-il, celui-ci , selon la doctrine romaine? Il purifie, après le jugement, ceux qui ne sont pas entrés immédiatement an ciel. Que fait celui dont parle saint Paul, ou, pour mieux dire , que représente-t-il, puisque c'est une figure? Il représente le jugement même, l'épreuve qui manifestera la valeur de l'oeuvre de chacun. Bref, si saint Paul a parlé ici du Purgatoire , le Purgatoire n'est plus du tout ce qu'on entend ordinairement par là.
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