Parabole du Semeur. Jésus l'explique à ses disciples. Les Juifs, dit-il, sont aveugles et sourds.
36. Verset
16. Mais
vous, heureux vos yeux , car ils voient, et vos
oreilles, car elles entendent.
Heureux donc qui ne
s'imaginera pas , comme les Juifs , faire acte de
sagesse en se bouchant les yeux et les oreilles
quand il a les moyens de voir, d'entendre !
Grâce au livre divin que nous commentons ici,
vous pouvez voir ce que les apôtres voyaient,
entendre ce qu'ils entendaient.
De quel droit vous
empêcherait-on d'examiner si c'est bien
là ce que vous enseigne votre Église
? Quand le Sauveur félicite ses disciples
d'avoir des yeux et des oreilles, pourquoi vous
laisseriez-vous persuader de n'en pas
avoir?
Versets 24
et suiv. -
Le bon grain et l'ivraie. Le grain de
sénevé. Le levain. Explication de la
parabole de l'ivraie. Les anges ramasseront les
méchants...
37. Versets
42 et 45.
Et ils les jetteront dans la fournaise de feu...
Alors les justes brilleront comme le soleil dans le
royaume de leur Père.
Versets 47
et suiv.-
Parabole du filet. Les anges viendront, et
sépareront les méchants du milieu des
justes; et ils les jetteront...
etc.
Voilà deux de ces
passages dont nous parlions à la note
5.
Toujours les bons d'un côté, les
méchants de l'autre; jamais de mention d'un
séjour intermédiaire.
Versets 54
et suiv.-
Les Juifs s'étonnent de la sagesse de
Jésus.
38. Versets
55 et 56.
N'est-ce pas là le fils du charpentier? Sa
mère ne s'appelle-t-elle pas Marie, et ses
frères, Jacques, Joses, Simon et Jude? Et
ses soeurs ne sont-elles pas toutes parmi
nous?
Ces Juifs veulent mettre
en
contraste la haute sagesse de Jésus et
l'obscurité de sa naissance; ils le montrent
fils d'un charpentier et de l'humble Marie. Le
père et la mère indiqués, que
servirait d'indiquer d'autres personnages qui ne
seraient que des cousins?
Des frères,
à la bonne heure, car, alors, c'est comme si
on disait : « Ils sont restés dans la
condition de leurs parents; pourquoi Jésus
en sort-il?» Quatre noms soigneusement
énoncés indiquent l'intention de
renforcer le contraste; si on passait du
père et de la mère à des
cousins, le contraste irait s'affaiblissant. Enfin,
si ce mot frères ne désigne ici que
les cousins, les parents, la parenté,
pourquoi parler aussi de soeurs?
Le mot frères,
dans ce sens large qu'on prétend lui donner,
n'embrasserait-il pas tout? Simples parentes, les
soeurs ne seraient-elles pas comprises dans les
frères, simples parents? - Ainsi, les
détails , l'ensemble , tout nous
ramène à l'idée que ces
frères sont bien des frères , et , si
cette idée est choquante au point de vue des
préoccupations romaines, elle est, comme
nous l'avons montré (note
35),
sans aucune importance au point de vue
évangélique.
Une objection a
été faite au moyen d'un verset du
chapitre XXVII. Voyez note
85.
Jean-Baptiste est mis à mort. On apporte sa tête à Hérodias,
39. Verset
12. Et ses
disciples, étant venus, emportèrent
son corps, et l'ensevelirent.
Ils ensevelissent leur
maître; rien de plus naturel. Mais cherchez
si vous trouverez quelque indice d'hommages
religieux rendus par eux à ses restes;
cherchez s'il y a, dans tout le Nouveau Testament,
nun seul mot qui ait trait à un culte de ce
genre.
La tête de
Jean-Baptiste fut-elle recueillie avec son
corps?
Saint-Matthieu
semble
plutôt dire que non ; saint Marc de
même. Malgré Cela, et peut-être
à cause de cela, car on dirait que
l'Église romaine aime à être en
contradiction avec tout ce qu'on lit dans
l'Écriture, la tête de Jean-Baptiste a
été fameuse entre toutes les
reliques. On vous la montre entière à
Rome, entière à San-Salvador, et,
avec les fragments qu'on en possède en
plusieurs autres villes, on en ferait encore deux
ou trois.
Quand le culte des
reliques n'aurait pas donné lieu à
mille erreurs et à mille fraudes , nous
aurions encore à le condamner au nom de la
spiritualité du christianisme. Non seulement
, comme nous l'avons dit, vous ne trouvez pas dans
l'Écriture un seul mot qui s'y rapporte, un
seul qui l'autorise, mais l'ensemble de
l'enseignement évangélique est
formellement contraire à tout ce qui
matérialiserait la
piété.
Esprit et vie,
voilà ce qu'est le christianisme, et dans
ses dogmes, et dans son culte.
Versets 13
et suiv. -
Multiplication des pains. Jésus marchant sur
les eaux.
Les pharisiens reprochent à Jésus de ne pas observer ce qu'ils appellent « la tradition des anciens. » Jésus leur montre que cette tradition ne sert qu'à amener des violations de la loi, et il applique à ses contemporains un passage d'Esaïe où Dieu est représenté disant :
40. Verset
9. C'est en
vain qu'ils m'honorent, enseignant des doctrines
qui ne sont que des commandements
d'hommes.
Ces «commandements
d'hommes,» contre lesquels Jésus
s'élève, avaient cependant
l'approbation des chefs de l'Église juive;
on les faisait remonter aux entretiens de Dieu avec
Moïse, puis de Moïse avec Aaron et d'Aaron avec
quelques
prêtres, absolument comme l'Église
romaine fait remonter les siens aux entretiens de
Jésus avec les apôtres, des
apôtres avec leurs disciples,
etc.
Ainsi, tout ce qui
est
à côté de la loi écrite,
Jésus l'appelle commandements d'hommes. Cela
ne veut pas dire que toutes les traditions soient
nécessairement mauvaises, comme celle qu'il
cite pour exemple; mais, en les appelant
commandements d'hommes, il nous enseigne qu elles
ne doivent jamais prévaloir sur les
commandements de Dieu, et que la Bible reste juge
suprême de tous les développements
qu'on aura donnés à ses
leçons.
Lui-même , dans cet
endroit, quelle raison donne-t-il (verset 6) pour
condamner la tradition dont il vient de parler?
Elle annule, dit-il, un commandement de Dieu. La
tradition n'a donc nulle autorité sur
l'Écriture , et l'Écriture conserve
une autorité souveraine sur tout ce qui est
tradition.
On objecte que nous
ne
possédons pas, dans l'Écriture, tout
ce qu'ont dit Jésus-Christ et les
apôtres ; qu'une portion de leurs
enseignements a donc dû être transmise
autrement.
Ce n'est pas là la
question. Il s'agit uniquement de savoir si ce que
nous possédons par écrit est, oui ou
non, assez considérable pour servir de base
à nos jugements sur ce qu'on prétend
y ajouter.
Or, quoique le
Nouveau
Testament ne soit pas un gros livre , il l'est
assez pour que nous n'admettions pas que rien
d'important y soit omis.
Dans la partie
historique, où se trouvent tant de
détails d'un intérêt
relativement médiocre, il est inadmissible
que des faits réellement graves aient
été laissés de
côté par les quatre historiens. Dans
les Épitres, dans celles, en particulier, de
saint Paul, où l'exposé de la
doctrine chrétienne revient tant de fois et
sous tant de formes, il est inadmissible que
quelque élément essentiel ait
été partout oublié. Plus vous
insisterez sur la gravité d'une doctrine,
plus, si elle n'est pas dans l'Écriture,
vous rendrez ce silence inexplicable, et plus vous
renforcerez, par conséquent, l'argument que
nous en tirons contre elle.
Voilà la marche
que nous suivons, et que nous invitons à
suivre; c'est du simple bon sens et de la toute
simple bonne foi. Nous ne rejetons point toute
tradition, bien s'en faut, puisque nous invoquons
sans cesse, contre l'Église romaine, ce qui
se faisait ou se disait dans les premiers
siècles de l'Église ; mais nous ne
donnons à ces faits, à ces
idées, nulle autre autorité que celle
qui leur vient de l'Écriture, de leur
conformité avec les enseignements de
l'Écriture.
Nous savons que les
« commandements d'hommes » ont une
tendance constante, non seulement à venir se
mettre à côté des commandements
de Dieu, mais à s'y substituer; c'est pour
cela que Jésus-Christ a parlé, si
sévèrement de la tradition en
général et de l'esprit de tradition.
Le mot même de Tradition (en grec Paradosis),
dès qu'il s'agit d'une tradition proprement
dite, d'un enseignement venu de loin et transmis
d'homme à homme , n'est jamais pris , dans
le Nouveau Testament, qu'en mauvaise part. - voir note
402.
41. Verset
11. Ce
n'est point ce qui entre dans la bouche qui souille
l'homme; c'est ce qui en sort qui le
souille.
Parmi les traditions que
Jésus condamne chez les Juifs, voilà
précisément une de celles que
l'Église romaine a imposées, la
distinction des aliments.
Remarquez que ce
n'était même pas une tradition
proprement dite, un pur commandement d'homme, car
elle existait dans la loi, et les pharisiens
n'avaient fait que la développer.
Jésus , cependant, abroge et les
développements et la chose même ; il
la déclare contraire à l'esprit du
christianisme, lequel ne reconnaît d'autre
souillure que « ce qui sort de la bouche de
l'homme, » savoir les mauvaises paroles, fruit
des mauvaises pensées et de la corruption du
coeur.
Versets 12
et suiv.-
Ses disciples lui disent qu'il vient de scandaliser
les pharisiens.
42.
Verset 15. Mais il répondit: Toute plante
que mon Père céleste n'a pas
plantée, sera arrachée.
Voilà, le
résumé de ce que Jésus a dit
des traditions, des commandements d'hommes. Ce sont
des plantes que Dieu n'a pas plantées -
elles seront arrachées ; elles doivent
l'être.
Arrachons donc du
champ
de la religion tout ce que l'Écriture ne
nous montre pas planté de Dieu , toute
idée, toute pratique qui ne se justifie pas
par l'Écriture. Soyons sévères
envers les choses mêmes qui nous
paraîtraient avoir du bon, car elles auront
toujours l'inconvénient d'ouvrir la porte
à de moins bonnes, et de nous habituer
à nous passer de l'enseignement
divin.
Les traditions qui
s'en
éloignent le plus ont toutes commencé
par s'en éloigner très peu ; on a
souvent beaucoup de peine, en histoire, à
déterminer le moment où l'idée
humaine a pris la place de la doctrine
évangélique.
Les défenseurs de
l'Église romaine exploitent habilement cette
difficulté. « Si on ne peut,
disent-ils, déterminer le moment où a
paru telle ou telle doctrine, c'est preuve que
cette doctrine n'a point eu , en effet, de
commencement, qu'elle remonte aux apôtres,
qu'elle est l'Évangile même. »
Quant à celles que l'histoire nous montre
proclamées par un décret de concile
ou de pape, on nous répond que cette
proclamation officielle n'a point
créé le dogme, qu'elle en prouve, au,
contraire, l'établissement antérieur
et l'acceptation unanime ; et toujours, en effet,
on peut nous montrer ce dogme professé dans
l'Église antérieurement au
décret qui l'a proclamé.
Est-ce là une
discussion sérieuse?
Parce que vous nous
aurez
montré la Transsubstantiation
professée dans l'Église avant le
décret d'Innocent III, en 1215, il faudra
renoncer à dire qu'elle a eu un
commencement?
Parce que
l'Immaculée Conception a été
en grande faveur avant 1854, elle n'aura pas eu de
commencement non plus?
Parce que nous ne
pouvons
fixer l'année, parce que l'idée
première a surgi on ne sait où et a
flotté durant des siècles ,
avançant, reculant , prenant insensiblement
sa forme, il faudra avouer qu'elle vient tout droit
des apôtres? Quand ce va-et-vient de
plusieurs siècles ne nous serait pas connu,
la grande question sera toujours :
« Les apôtres
ont-ils enseigné cela? Les premiers temps
ont-ils connu cela ?»
Ainsi ferons-nous
pour
toutes les doctrines que nous croirons devoir
combattre. Pourquoi nous arrêter dans les
ténèbres des siècles
intermédiaires ? La lumière est au
commencement, et, quiconque voudra
sincèrement la lumière, c'est
là qu'il la cherchera.
Versets 21
et
suiv.-Une femme cananéenne demande la
guérison de sa fille. Jésus semble
vouloir refuser. La femme insiste.
43. Verset
28. Alors
Jésus lui dit : 0 femme, ta foi est grande ;
qu'il te soit fait comme tu le
désires.
La femme est exaucée
parce que sa foi « est grande. .» Nulle
part, dans l'Écriture, vous ne verrez
mentionner d'autre condition que celle-là.
Les redites, vous l'avez vu (note
13),
sont condamnées ; les pratiques diverses
qu'on associe à la prière, les
pèlerinages pour aller prier ici ou
là, ce sont encore des commandements
d'hommes. L'Écriture n'en dit rien, et
l'esprit du christianisme les
réprouve.
Versets 99
et suiv. -
Guérisons nombreuses. Seconde multiplication
des pains
Les Pharisiens demandent un prodige; Jésus refuse. Le levain des pharisiens, l'hypocrisie. Belle confession de saint Pierre: « Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant. » Jésus le félicite. Ce n'est pas la chair et le sang, lui dit-il, qui lui ont révélé cela, mais Dieu.
44. Verset
18. Et moi
aussi je te dis que tu es Pierre, et que, sur cette
Pierre, je bâtirai mon
Église...
Une première
observation à faire sur ces mots,
observation accessoire, mais grave, c'est qu'on ne
les trouve qu'ici, dans saint Matthieu.
Est-ce à dire que
nous voulions les faire considérer comme
douteux? Nullement; l'authenticité en est
incontestable. Nous demandons seulement s'ils
auraient pu, avec l'importance qu'on leur donne ,
être omis par les trois autres historiens de
Jésus-Christ.
Cette omission, une
seule
chose la rendrait un peu moins extraordinaire : ce
serait que les trois Évangélistes
eussent omis toute la conversation où saint
Matthieu a placé ce détail. Mais
non.
Voilà saint Marc
(Chap. VIII) qui reproduit à peu près
mot à mot tout ce qui précède,
tout ce qui suit, et, n'omettant que quelques
lignes, omet précisément
celles-là.
Voilà saint Luc,
habituellement si détaillé, qui les
omet également (Chap. IX).
Voilà saint Jean
qui ne les reproduit pas davantage, et cependant
saint Jean, écrivant longtemps après
les trois autres, a dû voir, selon vous, la
papauté pleinement établie; nouveau
motif pour ne pas oublier d'en rapporter la
fondation.
Ainsi, cette
déclaration qu'un catholique, après
l'avoir tant entendu répéter et
exploiter, ne serait pas surpris de lire en vingt
endroits du Nouveau Testament, qu'il sache qu'elle
n'y est qu'en un seul, bien que le seul cours des
récits dût la ramener quatre fois.
Qu'il se suppose ensuite, lui ou tout autre
catholique, écrivant, fût-ce en quatre
pages, l'histoire de Jésus-Christ, et qu'il
nous dise s'il oublierait ces mots, s'il
comprendrait que trois historiens sur quatre
pussent les oublier.
Une seconde
observation ,
c'est que ce passage est une figure, et même
une figure qui va jusqu'au jeu de mots, chose
ordinaire en Orient. Une figure peut-elle servir de
base à un système?
L'éclaircir, oui ; le fonder, non.
Comparaison n'est pas raison, dit-on
vulgairement.
Si le Nouveau
Testament
nous montre ailleurs saint Pierre chef de
l'Église, alors nous devons
reconnaître que c'est cette dignité
qui lui est conférée ici ; si le
Nouveau Testament se tait ailleurs, s'il nous donne
des faits incompatibles avec le système
romain, alors nous sommes en droit de
déclarer que ce n'est pas le système
romain qui est au fond de cette figure. Elle ne
peut dire, en un mot, que ce que lui fera dire le
reste du Nouveau Testament.
Ainsi, pour que ce
passage établît la suprématie
de saint Pierre, il faudrait :
1- Que les
privilèges
accordés ici à cet apôtre
eussent été accordés à
lui seul ;
2- Que les
autres apôtres et
saint Pierre lui-même eussent entendu la
chose ainsi. - Or :
1- Vous verrez plus loin des passages où ils sont tous mis sur le même rang, et où Jésus-Christ donne à tous l'autorité qu'il semble ici ne donner qu'à saint Pierre;
2- Vous ne trouverez, dans leurs épîtres, aucune trace de cette prétendue suprématie de l'un d'eux, et saint Pierre lui-même, dans les siennes, n'en dit rien. Saint Paul (Ephés. 11, 20) nous montre l'Église fondée, non sur un apôtre en particulier, mais « sur les apôtres et les prophètes. »Partout où il est question d'un chef suprême, ce chef est Jésus-Christ, et saint Pierre n'est nulle part indiqué comme lui ayant succédé.
Il s'est passé des
siècles avant que l'Eglise arrivât
à l'interprétation romaine de ce mot
«Tu es Pierre;» ce n'est qu'après
l'établissement du système qu'on
s'est mis généralement à en
voir là la base.
Chrysostôme,
Ambroise, Augustin, Jérôme, tous les
Pères, enfin, considèrent la
déclaration du Sauveur comme s'appliquant,
non à saint Pierre, mais à la
confession qu'il vient de faire de la
divinité du Christ. Le fondement de l'Eglise
, selon eux, la pierre, c'est cette foi dont il
vient d'être l'organe ; c'est tout homme qui
, comme lui, confessera cette foi (01).
45. Même
verset.-... et les portes de l'enfer ne
prévaudront point contre elle.
Voilà, selon
l'Église romaine, la garantie de
l'infaillibilité qu'elle s'attribue comme
interprète et gardienne de l'enseignement
divin.
Nous avons
déjà dit un mot sur cette question ,
et nous y reviendrons souvent ; ne faisons ici
qu'une observation sur la manière dont on
prétend la poser à propos de ce
passage.
Remarquez, en effet,
comme on restreint arbitrairement le sens des mots.
L'enfer, les portes de l'enfer, c'est le mal en
général et l'empire du mal, de la
corruption, du crime, tout aussi bien que celui de
l'erreur. Or, de l'aveu de ses propres historiens ,
l'Église romaine a eu des temps d'une
corruption effroyable ; on ferait toute une
bibliothèque de ce qu'ils ont écrit
sur ses désordres. Les portes de l'enfer
prévalaient donc largement dans ses
moeurs.
Mais si un
côté de la prophétie s'est
trouvé, de cette manière, ne la point
concerner, comment prétendre que l'autre
moitié la concerne, que cette autre
moitié s'est accomplie, s'accomplit,
s'accomplira jusqu'à la fin des
siècles; que l'Église, en un mot, a
dû rester pure d'erreurs quand elle
était souillée en tout le reste? La
prophétie est une.
Elle devait tout
aussi
bien empêcher un Alexandre VI de devenir
pape, que l'empêcher, une fois pape,
d'enseigner des erreurs. Bref, si les portes de
l'enfer ont manifestement prévalu, et bien
des fois, dans le gouvernement de l'Église
romaine, impossible de se fonder sur cette
même prophétie pour soutenir qu'elles
ont dû ne jamais prévaloir dans ses
doctrines.
46. Verset
19. Et je
te donnerai les clefs du royaume des cieux, et tout
ce que tu lieras sur la terre sera lié dans
les cieux, et tout ce que tu délieras sur la
terre sera délié dans les
cieux.
Si Jésus-Christ, dans
le verset précédent, a eu la
pensée de donner à saint Pierre
quelque chose de plus qu'aux autres apôtres ,
comment se fait-il que, continuant la même
phrase, il lui donne ici quelque chose qu'il donne
ailleurs (XVIII, 18) aux autres comme à
lui?
Étrange
manière de parler que celle qui reviendrait
à dire : «Je te fais chef de
l'Église, et tu auras le même droit
que tes subordonnés, celui de remettre les
péchés!» - On a fait de grands
efforts pour arranger cela; Jésus, a-t-on
dit, confère ce droit à Pierre comme
droit central et souverain ; il le confère
ensuite aux autres comme émanant du centre
qu'il vient d'établir. .» Où
a-t-on vu cela? Pas dans saint Matthieu, qui n'en
dit rien ; pas dans les trois autres
Évangiles, puisqu'ils ne disent pas
même que Jésus, en cette occasion, ait
parlé comme donnant rien à saint
Pierre.
Quant au droit en
lui-même, voyez les notes 52
et 56.
Versets 21
et suiv.-
Jésus prédit ses souffrances. Pierre
s'écrie : «A Dieu ne plaise! Cela ne
t'arrivera point! »
.
47. Verset
25. Mais
Jésus, s'étant retourné, dit
à Pierre: Arrière de moi, Satan
!
Allez-vous croire que
saint
Pierre fût réellement Satan, ou que
Jésus voulût dire qu'il
l'était?- Preuve donc qu'il y a des mots
qu'on ne doit pas prendre à la lettre, et
dont l'explication doit être cherchée
à côté.
C'est ce que nous
vous
avons dit de faire pour «Tu es Pierre.»
Quand vous aurez bien vu que ce mot ne
reparaît pas et n'est rappelé nulle
part, vous comprendrez qu'il ne saurait avoir eu,
ni dans la pensée de Jésus, ni aux
yeux de ceux qui l'entendirent, l'immense
portée qu'on lui prête.
48. Verset
26. Que
servirait-il à un homme de gagner le monde
entier, s'il perd son âme? Ou que donnerait
un homme pour le rachat de son
âme?
Il y a loin de là
à un système qui permet de se
racheter en payant des indulgences , des messes, en
enrichissant des couvents, etc. Dira-t-on que
l'Église romaine exige, à
côté de, cela, des sentiments de
pénitence? C'est, en effet, ce qu'on nous
répond; mais est-ce bien ce qui a lieu?
N'est-on pas invinciblement conduit à voir
le rachat de l'âme dans le seul fait de payer
pour cela?
Que devient, quand
on a
payé, la pensée de la
rédemption par
Jésus-Christ?
Est-il facile de
rester
assez chrétien pour ne pas avoir confiance
en l'argent même qu'on a livré? Les
prêtres s'inquiètent-ils même
beaucoup, en général des sentiments
intérieurs qui accompagneront la
dépense faite?
La transfiguration. Enseignement Sur Élie et Jean-Baptiste. Guérison d'un lunatique, Jésus prédit sa mort et sa résurrection. il paie le tribut.
L'humilité Les scandales. La brebis perdue. Conduite à tenir envers un frère par qu' on a été offensé. Le reprendre d'abord en particulier, puis devant un ou deux témoins
49. Verset
17. S'il ne
les écoute pas , dis-le,à
l'Église, et, s'il n'écoute pas non
plus l'Église, qu'il te soit comme un
païen et un publicain.
Ce n'est que par un jeu
de
mots qu'on a vu là le système romain
de l'autorité de
l'Église.
Remarquez d'abord
qu'il
n'est nullement question, ici, d'une
autorité de doctrine. Il s'agit de juger
entre deux hommes dont l'un a offensé
l'autre.
Remarquez ensuite
que
cette Église, à laquelle il est dit
que l'offensé portera sa plainte, n'est
évidemment pas l'Église,
l'Église dans son ensemble, mais la
communauté, petite ou grande, la paroisse,
enfin, dont il est membre.
Remarquez, en
troisième lien, qu'il est question de la
communauté entière, non des chefs
seulement, puisque Jésus dit à
l'offensé de reprendre son frère
d'abord en particulier, puis devant une ou deux
personnes, puis devant toute l'assemblée.
Donc, sur ce point encore , rien de commun avec le
système romain, où le clergé
seul prononce, où l'autorité de
l'Eglise ne réside qu'en lui.
50.
Accessoirement, remarquez que la
seule peine indiquée est l'exclusion: «
Qu'il te soit comme un païen. »
Nulle mention d'un châtiment violent, d'une contrainte quelconque à exercer contre qui ne se soumettra pas. Ainsi, quand ce passage établirait l'autorité de l'Église romaine, il condamnerait encore l'usage qu'elle en a fait partout où elle a eu la force en main.
51. Verset
18. Je vous
dis en vérité que tout ce que vous
lierez sur la terre sera lié dans le ciel et
que tout ce que vous délierez sur la terre
sera délié dans le ciel.
Voici donc Jésus
donnant à tous les apôtres ce qu'il
avait paru précédemment ne donner
qu'à saint Pierre.
A tous les apôtres,
disons-nous ; mais nous ne disons pas assez. Ce
verset est lié à ce qui
précède; ce qui
précède, c'est la question de
l'arrêt à prononcer contre celui qui
aura offensé son frère, arrêt
que prononceront, nous l'avons vu, non pas les
chefs seulement, mais l'Église, les
fidèles, la communauté
entière. De là une observation
très grave : c'est que.le
pouvoir de lier, de délier,
de condamner, d'absoudre, est donné ici, non
aux prêtres, mais à l'Église,
à l'ensemble de ceux qui la
composent, et
c'est
ce que prouve encore, au verset 20, le secours
divin promis à toute assemblée
chrétienne, ne se composât-elle que de
deux ou trois personnes.
Il n'est donc pas
question d'un privilège accordé aux
apôtres , et nous voilà encore plus
loin, par conséquent, de l'idée d'un
privilège accordé à l'un
d'eux.
52.Ce
passage nous aide, en outre,
à déterminer la nature du pouvoir en
question.
L'Église visible
étant l'image de l'Église invisible,
celui qui sera exclu de la première se
trouvera, par cela même, exclu de la seconde
; condamné sur la terre, il l'est aussi dans
le ciel. Voilà la théorie , et , dans
ces termes, tout le monde J'admets ; mais que
suppose-t-elle ?
Évidemment, que la
condamnation prononcée sur la terre est
juste. L'Église romaine n'a-t-elle jamais
excommunié injustement? N'a-t-elle jamais
injustement refusé de délier ceux
qu'elle avait ainsi liés?
Personne ne le
prétend. Donc il y a des cas où ce
qu'elle lie sur la terre n'est pas lié dans
le ciel ; donc il est impossible de fonder sur ces
paroles un droit qui supposerait la promesse
s'accomplissant toujours.
53. Verset
19. Je vous
dis encore que, si deux d'entre vous s'accordent
sur la terre pour demander quoi que ce soit, cela
leur sera accordé par mon Père qui
est aux cieux.
Belle invitation à
s'unir, pour prier, dans une fraternité
sainte; mais faudra-t-il prendre la promesse
à la lettre?
Croirez-vous que,
dès qu'on est deux à demander une
chose, Dieu l'accorde infailliblement? - Remettez
donc aussi dans les limites de la
réalité les promesses faites à
l'Église.
54. Verset
20. Car en
quelque lieu que deux ou trois personnes soient
assemblées en mon nom, je m'y trouve au
milieu d'elles.
Même remarque que
sur le verset précédent. Sur le
terrain de la piété, voilà une
assurance précieuse, une consolation sainte;
érigez la chose en système, et vous
voila dans l'absurde.
Deux ou trois
personnes
quelconques, assemblées au nom de
Jésus-Christ, se figureront
Jésus-Christ inspirant toutes leurs
résolutions , toutes leurs paroles;
armées de ce passage , elles peuvent se
croire tout aussi infaillibles que l'Église
romaine prétend l'être en s'appuyant
sur certains autres. - Vous ne devez donc prendre
à la lettre ni ceux-ci, ni
ceux-là.
55. Ramené
à son vrai
sens, ce passage combat encore une autre
idée romaine, l'importance donnée
à certains lieux de culte ou de
prière, les privilèges qu'on y
suppose attachés.
Jésus, nous dit-il
lui-même, est partout où on s'assemble
en son nom. Certains lieux pourront valoir mieux
que d'autres, mais parce qu'ils faciliteront le
recueillement et les émotions pieuses ,
nullement à cause de quelque vertu qui leur
soit propre, ou qu'un pape leur ait
donnée.
56. Versets
21 et 22.
Alors Pierre, s'étant approché, lui
dit: Seigneur, combien de fois pardonnerai-je
à mon frère lorsqu'il aura
péché contre moi? Sera-ce
jusqu'à sept fois ? Jésus lui
répondit: je ne te dis pas jusqu'à
sept fois, mais jusqu'à septante fois sept
fois.
A.
Voyez comme saint Pierre est loin
d'appliquer aux péchés en
général ce que Jésus a dit du
droit de lier et de délier; ce n'est
même pas , à ses yeux, une question de
droit, mais uniquement de devoir.
Il s'en tient à
l'idée dont Jésus est parti, celle
d'une offense reçue, et des
ménagements à garder envers
l'offenseur avant de le faire condamner. «
Lorsque mon frère aura péché
contre moi,» dit-il ; reproduction des paroles
de Jésus au verset 15 : « Si ton
frère a péché contre toi.
»
Ajoutez que Jésus
entre si bien dans l'idée de saint Pierre ,
qu'il ne se borne pas à lui répondre,
mais développe sa réponse dans une
longue parabole, celle du créancier
impitoyable. Ainsi, dans ce chapitre, non seulement
rien n'établit le droit de lier et de
délier, tel que l'entend l'Église
romaine, mais rien même, au fond, n'y a
rapport.
B. Ce qui
prouve encore à quel
point l'idée romaine est fausse, c'est la
modification qu'elle a dû subir, en pratique,
sous peine d'aboutir à
l'absurde.
Remarquez, en effet,
qu'en disant à ses apôtres : «Ce
que vous lierez.... Ce que vous délierez
.... etc. » Jésus-Christ ne mentionne
aucune enquête préalable, aucune forme
à observer.
Ces paroles, par
conséquent , si elles prouvent quelque
chose, prouvent trop ; si elles ont le sens qu'on
prétend leur attribuer, elles l'ont beaucoup
plus large qu'on ne le leur attribue: le
prêtre pourra lier, délier, damner,
absoudre, tout ce qui se trouvera sur son chemin ;
point de confession avant, point de
pénitence après, point de formes,
point de règles,
Car, encore une
fois,
Jésus n'en a pas parlé, Jésus
n'indique aucune restriction au pouvoir dont on
veut qu'il ait investi le prêtre. Or, ce qui
prouve trop, ne prouve rien. Si le prêtre a
le droit de lier et de délier, si ce droit
est fondé sur les paroles ci-dessus , ce
droit va infiniment au delà de l'absolution
sacramentelle : il est souverain, absolu ; le
prêtre est Dieu. Si vous repoussez cette
conséquence, vous repoussez
nécessairement le principe ; si le droit de
lier et de délier n'est pas absolu, il
n'existe pas.
C'est ce que nous
montrerons encore ailleurs (119
B).
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