Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉVANGILE SELON SAINT MATTHIEU

CHAPITRE XIX

Les pharisiens questionnent Jésus sur le mariage et le divorce. Il leur rappelle l'origine et l'institution du mariage. Dieu a créé l'homme et la femme, et a voulu qu'ils fussent unis; l'homme quittera son père et si mère, et s'attachera à sa femme.


57. Verset 6. Ainsi, ils ne sont plus deux , mais ils sont une seule chair. Que l'homme donc ne sépare pas ce que Dieu a joint.

Jésus remonte à l'institution première; c'est de là qu'il fait découler la sainteté et l'indissolubilité du mariage. Il ne s'exprime donc ni comme l'instituant, ni comme le réinstituant; il ne fait que rappeler les éléments de sainteté et d'indissolubilité que Dieu y a mis, dit-il, dès l'origine du genre humain.
C'est donc à tort que l'Église romaine prétend considérer le mariage comme une institution de l'Évangile et comme un sacrement. Est-ce là, au moins, un moyen d'en prêcher mieux la sainteté?

Le mariage, dans les pays protestants, est tout autrement saint que dans beaucoup de pays catholiques, et ce sont les plus catholiques qui ont le plus à perdre à cette comparaison.

Cette doctrine, d'autre part, en mettant entre les mains dit clergé tout ce qui a rapport au mariage , lui a longtemps permis et lui permet encore, dans quelques pays, d'exercer sur les familles, sur la société civile, un despotisme qui ne peut que rendre odieuse la religion au nom de laquelle on l'exerce. L'Église avait tellement multiplié les cas d'empêchement, qu'il se faisait peu de mariages pour lesquels on pût se passer d'acheter une dispense; vous aviez, d'un côté, des règles d'une sévérité sans bornes, et, de l'autre, avec de l'argent, la possibilité de les violer à peu près toutes.

Le divorce même, impossible en droit, devenait possible au moyen d'empêchements signalés après coup, desquels résultait, selon l'Église, la nullité du mariage accompli. Des gens mariés depuis vingt ans pouvaient se trouver, sans le savoir, n'être pas mariés; nouveaux débours, alors, pour faire valider le mariage. Tout était calculé dans l'intérêt de la puissance et de l'avidité de l'Église.

Le concile de Trente a diminué ces abus ; les a-t-il détruits? Non. Rome en tire encore de très grands bénéfices, et, partout où on ose se plaindre, on s'en plaint.

Il fallait bien que Rome eût intérêt à faire du mariage un sacrement, car elle aurait sûrement reculé devant la contradiction patente où elle se jetait par là. Elle enseigne, en effet, que le célibat est plus pur et plus saint que le mariage. N'est-ce donc qu'un sacrement qui aboutit à créer un état moins saint? Ajoutez que les voeux monastiques, consécration de l'état réputé plus saint, ne sont pas an nombre des sacrements. Nouvelle contradiction, par conséquent. La cérémonie qui m'enchaîne à l'état moins saint, c'est un sacrement; la cérémonie qui m'enchaîne à l'état plus saint, à l'idéal, selon Rome, de la pureté chrétienne, - ce ne sera pas pas par un sacrement.

Quant à l'indissolubilité absolue du mariage, on la tirait, soit de la notion de sacrement, soit de la seconde partie du verset : « Que l'homme donc ne sépare pas ce que Dieu a joint.»
Or, Jésus reproduit, au verset 9, ce qu'il a déjà dit ailleurs (V, 32), et le cas d'adultère est indiqué comme pouvant légitimer la séparation des époux. Quelque opinion qu'on ait sur la convenance morale, sociale, chrétienne, de ne pas interdire absolument cette séparation, il est clair que l'interdiction, absolue ne peut pas, devant ces paroles de Jésus-Christ, être considérée comme un dogme. C'est donc à tort que l'Église romaine lui a attribué ce caractère.
Quant à ce qui suit (versets 10-12), nous en parlerons ailleurs. - Voir, à la table, Célibat.


58. Un mot, puisque l'occasion s'en présente, sur les sacrements en - général.
A voir l'assurance avec laquelle on nous dit qu'il y en a sept, qui croirait que ce fut encore une question il y a trois siècles? Les catholiques eux-mêmes sont généralement loin de se douter que ce ne soit pas chose reconnue et professée dès les premiers temps de l'Église; c'est de bonne foi qu'ils se demandent comment on a pu être assez hardi pour attaquer ce chiffre vénéré.

Il est vrai que le nombre sept était en faveur depuis longtemps; mais c'était une opinion, non un dogme, et, quand le concile de Trente se mit à vouloir en faire un dogme , embarras et incertitudes abondèrent.

D'abord, impossibilité de justifier par l'Écriture, non seulement le nombre sept , mais l'existence même de tel ou tel des sept. Nous le montrerons plus tard, et les débats du concile en font foi.

En second lieu , impossibilité de s'appuyer mieux sur les Pères que sur le Nouveau Testament. Non seulement il n'y en a aucun qui mentionne le nombre sept, mais il n'y en a non plus aucun chez qui la notion de sacrement ne soit oui trop restreinte ou trop large pour cadrer avec la notion romaine, et conduire au nombre romain.

Impossibilité , enfin , de suppléer à leur silence par une définition qui conduise juste à ce nombre. Si votre définition du sacrement est assez élastique pour embrasser des choses aussi diverses que le Mariage et les Ordres, le Mariage et la Cène, etc. , plus de raison pour qu'on s'arrête à sept, et pour que les voeux monastiques, par exemple, ne soient pas aussi un sacrement.

Ces difficultés, et bien d'autres, retinrent longtemps le concile. Il finit, selon sa coutume , par passer outre. « Anathème à qui prétendra que le nombre des sacrements soit supérieur ou inférieur à sept; anathème à qui prétendra qu'ils n'aient pas été tous institués par Jésus-Christ (01). » Voilà le décret, fondement de la foi romaine actuelle. Mais les débats qui en précédèrent l'adoption l'avaient ruiné d'avance; il ne peut avoir de valeur que pour qui ne sait rien de l'Écriture, rien de l'histoire des premiers siècles, rien de l'histoire même du concile.

Il n'y a donc que deux sacrements qui aient toujours et partout été reconnus comme tels , le Baptême et la Sainte-Cène. C'est ce qui ressort de tout ce que nous venons de dire, et de tout ce que nous avons dit ou dirons sur chacun des cinq sacrements qui ont été ajoutés à ceux-là. - Voir, à la table,Confirmation, Pénitence, Extrême-onction, Ordres, Mariage.

Versets 13 et suiv. - On présente à Jésus des enfants pour qu'il les bénisse. Ses disciples veulent les écarter.


59. Verset 14. Mais Jésus leur dit: Laissez ces enfants, et ne les empêchez pas de venir à moi, car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent.

Ces enfants n'avaient pourtant pas été baptisés. Croirez-vous encore, après ce trait, qu'un pauvre petit enfant soit exclu du salut parce qu'il sera mort sans baptême ?

Si l'omission de ce sacrement devait avoir une si effrayante conséquence, pouvez-vous penser que Jésus-Christ et que les apôtres après lui n'en eussent jamais rien dit? Si les premiers chrétiens avaient craint cela pour leurs enfants, eût-il été d'usage, parmi eux, de ne baptiser qu'aux jours de fêtes solennelles ?

Versets 16 et suiv.-Un jeune homme demande à Jésus ce qu'il faut faire pour avoir la vie éternelle. « Garder les commandements,» répond Jésus, et il lui énumère ceux de l'ancienne loi. Le jeune homme comprend que ce n'est pas là toute la pensée de Jésus. Il demande: « Que me manque-t-il encore?*


60. Verset 21. Jésus lui dit: Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as et le donne aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; puis viens, et suis-moi.

« Suis-moi, » voilà le christianisme; suivre Jésus, s'attacher à lui, vivre en lui, voilà ce qu'il vous indique lui-même comme le chemin de la perfection.
Erreur donc que de la chercher dans des observances, dans des pratiques, dans une soumission minutieuse à telles ou telles petites lois. Les dix grands commandements n'y conduisent pas le chrétien; comment se figurerait-il y arriver par l'obéissance à des lois d'un ordre inférieur?

Est-ce par des ordonnances de ce genre que vous voyez Jésus, répondant à ce jeune homme, compléter l'ancienne loi et tracer l'idéal de la perfection chrétienne?
Nulle part vous ne lui verrez mentionner rien qui ressemble aux observances romaines; partout il vous représentera sa loi comme plus spirituelle que l'ancienne , comme ne devant régner sur l'homme que par les plus hautes idées et les plus hauts sentiments.
Ce jeune homme s'en va tout triste, car il est riche , et Jésus dit qu'il est bien difficile qu'un riche soit sauvé. Ses disciples s'étonnent.


61. Versets 25 et 26. - ... et ils disaient: Qui donc peut être sauvé? Et Jésus, les regardant, leur dit: Cela est impossible aux hommes, mais tout est possible à Dieu.

Qui peut être sauvé? Personne, sinon par grâce, car le plus juste est encore un pécheur ; les plus grands saints l'ont reconnu.
Repoussons donc toute doctrine qui tendrait, directement ou indirectement, à nous faire croire que nous sommes les auteurs de notre salut. Quand nous faisons le bien, ce n'est encore que parce que Dieu nous en donne la volonté et les moyens; nous aurions beau ne jamais faire autre chose, qu'il n'y attrait encore nulle proportion entre ces vertus d'un jour et le bonheur éternel.

Vous ne pouvez donc vous sauver, mais Dieu le peut et Dieu le veut. Ne dites pas que c'est une doctrine décourageante; ceux qui en ont été le plus pénétrés sont aussi ceux qui ont eu, de tout temps et dans toute Église, le plus de courage et le plus d'ardeur.


62. Verset 29. Et quiconque aura quitté pour mon nom ou sa maison, ou ses frères, ou ses soeurs, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses champs, recevra le centuple et héritera la vie éternelle.

Nouvelle invitation à ne se laisser arrêter par rien, quand il s'agit de se déclarer pour l'Évangile; nouvelle condamnation de qui fermera les yeux en répétant qu'il faut mourir dans la religion de ses pères. - Voir la note 29.


CHAPITRE XX

Parabole des ouvriers appelés à différentes heures. Jésus prédit ses souffrances. La mère de Jacques et de Jean lui demande que ses deux fils soient assis, quand il régnera, à droite et à gauche de son trône. Ils appuient cette requête orgueilleuse. Jésus les reprend.


63. Verset 24. Les dix autres, ayant entendu cela, furent indignés contre les deux frères.

Les deux frères n'avaient donc évidemment pas compris que Jésus eût donné la première place à Pierre; l'idée leur serait-elle venue de la demander pour eux-mêmes?
Observez, en outre, que ce sont « les dix autres » qui s'indignent, nullement saint Pierre en particulier ou les neuf autres pour saint Pierre. Rien donc, dans cette première partie du récit, ne permet de penser qu'un des apôtres eût été désigné comme leur chef, comme l'héritier futur de l'autorité du Maître.
Voyons la suite.


64. Versets 25-27. EL Jésus, les ayant appelés, leur dit: Vous savez que les princes des nations les dominent, et que les grands les traitent avec empire. Il n'en doit pas être de même parmi vous; mais si quelqu'un veut devenir grand parmi vous, qu'il soit le serviteur des autres, et que celui qui voudra être le premier. entre vous, soit votre esclave.

En mêlant ce récit avec un autre de saint Luc (Ch. XXII), on a cru pouvoir soutenir que ces trois versets sur l'humilité supposaient un apôtre élevé au-dessus des autres, et, comme tel, ayant spécialement besoin de cette leçon.
Observez donc, d'abord, que cette leçon est amplement motivée, soit par la requête orgueilleuse de Jacques et de Jean, soit par l'indignation , orgueilleuse aussi , des dix autres. Rien n'indique un autre motif.

Observez ensuite la forme. « Jésus, les ayant appelés, leur dit... » Et tout le reste est d'accord avec ce début. Rien n'indique une leçon qui ne soit pas tout entière pour tous.
Observez, enfin, les termes. Jésus ne dit pas : « Celui d'entre vous qui est grand, » mais « Si quelqu'un veut devenir grand parmi vous; » il ne dit pas: « Celui qui est le premier, » mais: «Celui qui voudra être le premier. .» Ainsi, non seulement il ne parle pas d'une grandeur et d'une primauté déjà attribuées à quelqu'un, mais il parle d'une grandeur, d'une primauté à acquérir par l'humilité chrétienne. Il s'agit donc d'une grandeur toute morale, toute chrétienne, nullement d'un rang proprement dit et d'une dignité constituée


65. Mais s'il est faux que cette leçon s'adressât en particulier à saint Pierre et supposât un chef donné à l'Église, elle n'en est pas moins frappante comme condamnant l'orgueil et le despotisme des papes.
En prenant à la lettre une des paroles de Jésus et en se faisant appeler « Serviteurs des serviteurs de Dieu,» ils n'ont fait que rendre plus saillante la violation de tout le reste.

Longtemps ils se sont donnés pour les maîtres, non seulement des peuples , mais des rois, et, si ces prétentions sont aujourd'hui moins affichées , vous les voyez cependant encore, à chaque occasion , reparaître. Quant au despotisme intérieur, aucun siècle ne l'avait encore vu si complet.

Jamais la papauté ne s'était si hardiment imposée comme centre unique et source unique de tous les pouvoirs de l'Église; jamais l'épiscopat n'avait si universellement courbé la tête. Enfin, voyez les formes.
Les papes se sont entourés de plus d'honneurs que n'en reçut jamais le plus puissant souverain ; ce sont moins des honneurs qu'un culte. Ils se sont fait un jeu de se mettre en contradiction, et dans les grandes et dans les petites choses, avec tout ce que l'Évangile enseignait sur l'humilité,


CHAPITRE XXI

Entrée de Jésus à Jérusalem.


66. Verset 12. Jésus entra ensuite dans le temple de Dieu, et il chassa tous ceux qui vendaient et qui achetaient dans le temple, et il renversa les tables des changeurs et les sièges de ceux qui vendaient des pigeons.

Si Jésus s'indigna de voir vendre dans le temple les pigeons destinés aux sacrifices, que dirait-il en se voyant vendre lui-même, lui, la grande victime, dans le trafic des messes?
Que dirait-il du développement étrange que ce trafic a pris de nos jours, tellement que la messe est une marchandise comme une autre, se vendant en gros, en détail, au comptant, à terme, avec ou sans prime, et s'entourant, en conséquence, de tous les raffinements de la réclame?

Versets 14 et suiv. - Les sacrificateurs s'indignent de l'accueil fait à Jésus par le peuple. Le figuier maudit. Efficace de la foi. Jésus interrogé sur sa mission. Parabole des deux fils. Parabole des vignerons tuant le fils du maître. Application aux Juifs.


67. Verset 42. Jésus leur dit: N'avez-vous jamais lu dans les Écritures cette parole: La pierre que ceux qui bâtissaient ont rejetée est devenue la principale pierre de l'angle?

Voici donc de nouveau la pierre, mais dans un tout autre sujet qu'au chapitre XVI. Cette même figure reviendra encore plusieurs fois, et jamais vous ne la retrouverez appliquée à saint Pierre.


68. Verset 45. C'est pourquoi je vous dis que le royaume de Dieu vous sera ôté, et qu'il sera donné à une nation qui en produira les fruits.

Ainsi, héritière des plus magnifiques promesses, ramenée plusieurs fois, par la voix inspirée des prophètes, dans le chemin de la vérité, l'Église juive était cependant arrivée à un tel état d'aveuglement, de mort, que Jésus la déclare déshéritée et rejetée.
Quand donc l'Église romaine aurait reçu - ce que nous nions - des promesses semblables, quelle certitude avez-vous de l'accomplissement actuel de ces promesses?

Qui vous garantit qu'elle n'ait pu, comme l'Église juive, cesser d'en être l'héritière?
Qui vous dit que ses yeux ne se soient pas aussi fermés peu à peu à la lumière?

Elle affirme que cela n'est point, que cela ne peut pas être; les Juifs en disaient autant de la leur. Lorsque, vous appuyant sur elle, vous repoussez des enseignements de l'Écriture, que faites-vous?
Absolument ce que faisaient les Juifs, lorsque, pour repousser quelque enseignement de Jésus, ils s'appuyaient sur leur Église, sur les promesses a elle faites, sur l'autorité de ses chefs. Craignez donc de ne vous appuyer, comme les Juifs, que sur une autorité aveuglée, déshéritée ; abandonnez-vous à la seule autorité immuable, celle de la Parole de Dieu.


CHAPITRE XXII

Parabole des noces. Les pharisiens demandent à Jésus si on doit payer le tribut à l'empereur Jésus leur demande de qui est l'image et l'inscription qu'on voit sur les, monnaies.

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69. Verset 21. Ils lui dirent: De César. Alors il leur dit: Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.

La seconde moitié de la maxime a aidé l'Église romaine à se débarrasser de la première. « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu,» disait-on, et, comme tout est à Dieu, tout se trouvait être à ses ministres.

Non seulement les papes voulaient donner et ôter les royaumes, mais chaque évêque était un prince perpétuellement occupé à s'assurer quelque portion du pouvoir souverain. Les rois les plus pieux, les plus dévoués au catholicisme, ont eu à lutter pour les droits et l'honneur de leur couronne; Louis IX, dont Rome a fait un saint, fut plus d'une fois tout près d'être excommunié par elle pour avoir voulu rester roi, et protéger la société civile contre des prétentions qui allaient à l'anéantir.

Même aujourd'hui , pas un État catholique qui n'ait des lois contre le catholicisme, qui ne maintienne certaines précautions prises contre ses envahissements, et qui, enfin, n'ait souvent à le refouler dans son domaine, pour peu que quelque circonstance lui ait permis de poser un pied au delà. Il devrait savoir, cependant, le tort que son ambition fait au christianisme ; il sait quelles réactions, souvent violentes, déplorables, suivent toujours ses envahissements. Mais l'attrait du pouvoir est le plus fort, et l'Église romaine n'y a jamais résisté.

Versets 23 et suiv.- Autres questions des Juifs. Réponses de Jésus.


CHAPITRE XXIII

Les pharisiens, dit Jésus, sont assis dans la chaire de Moïse.


70. Verset 5. Observez donc et faites tout ce qu'ils vous diront, mais ne les imitez pas, car ils disent et ne font pas.

Ainsi, disent les controversistes romains, par le seul fait de succéder à Moïse, les pharisiens, quelle que fut d'ailleurs leur imperfection comme hommes, avaient le droit d'enseigner, de commander. Il en est donc de même, dans l'Église, pour les successeurs des apôtres.
On pourrait répondre, d'abord, que la succession mosaïque était incontestable , incontestée, tandis que la succession apostolique, dans l'Église romaine, est contestée, contestable, et plus que contestable. - Mais nous reviendrons là-dessus. Passons.

Dire que Jésus-Christ demande ici pour les pharisiens une obéissance de foi, une obéissance analogue à celle que Rome exige,- c'est oublier tout ce qui précède et tout ce qui suit.
Les pharisiens refusaient de le reconnaître pour le Christ. Vous voulez qu'il conseille aux Juifs d'être de leur avis , et de le repousser comme eux?
Les pharisiens prêchaient ces traditions que vous l'avez vu condamner (notes 40, 41, 42). Vous voulez qu'il conseille maintenant d'admettre ces mêmes traditions?
Les pharisiens vont être appelés par lui (verset 17) insensés et aveugles. Vous voulez qu'il dise d'obéir à des insensés et à des aveugles ?

Que veut-il donc? - Qu'on leur obéisse, en effet, mais quand ils prêcheront la loi, toute la loi, rien que la loi; quand ils n'y ajouteront, aucune de ces choses que lui, Jésus, a condamnées ; quand ils seront «assis dans la chaire de Moïse, » non seulement à titre officiel, mais en reproduisant Moïse, héritiers de son esprit, interprètes fidèles de ses enseignements.

Ainsi, loin de leur reconnaître une autorité sans contrôle, Jésus reconnaît à tous les Juifs le droit de s'assurer si ce que les docteurs prêchent est bien la loi, rien que la loi; il reconnaît à tous , par conséquent, le droit de leur désobéir dès qu'ils prêcheront autre chose.
On dit : « Que deviendra l'Église si chacun a le droit de contrôler, par l'Écriture, l'enseignement des chefs? »
De quelle Église parlez-vous? De l'Église romaine? - Ce droit la tuerait; c'est évident.
Mais une église où ce même droit est établi , où l'enseignement , en conséquence , n'est plus basé que sur l'Écriture,- ses docteurs sont les premiers à vouloir que tous les fidèles examinent.

Dans un État despotique, la liberté est un bouleversement; dans un État libre, vraiment libre, ce n'est plus que le cours naturel des choses, le mouvement, la vie.
D'ailleurs, la question n'est pas là ; Jésus ne la posait point sur ce terrain. Est-ce qu'il va chercher les conséquences qu'aura ou n'aura pas , dans le Judaïsme hiérarchique , ce droit de juger les docteurs sur l'Écriture? Il ne voit que la vérité, les droits de la vérité et son triomphe. Rien de plus clair, dès lors, que la conclusion à tirer de tout ce récit.

Jésus reconnaît aux Juifs le droit de voir si ce qu'on leur enseigne est dans l'Ancien Testament; il reconnaît donc aux chrétiens le droit de voir si ce qu'on leur enseigne est dans le Nouveau.- Voilà tout.


71. Verset 5. Ils l'ont toutes leurs oeuvres pour être vus des hommes , et ils portent de larges phylactères...

C'est dans le coeur, veut dire Jésus, que la loi de Dieu doit être écrite, non sur ces bandes de parchemin que les pharisiens attachent à leurs habits, ou qu'ils appliquent, lorsqu'ils prient, sur leur front, sur leurs bras, sur leur poitrine.
Comme condamnation de la piété affichée, ce passage rentre dans ceux que nous avons examinés aux notes 12 et 15.

Mais ces bandes de parchemin étaient plus que des affiches; on leur attribuait une certaine vertu, soit sanctifiante, soit préservatrice, et cette dernière idée est celle qu'indique le mot même de Phylactère, qui veut dire Préservatif.
Que ne pourrait-on pas dire, à cette occasion, sur les médailles, les scapulaires, les phylactères, en un mot, de l'Église romaine!
Ceux des Juifs portaient au moins quelques lignes de l'Écriture Sainte ; sur ceux de l'Église romaine, que voyez-vous?
Ou une image, souvent celle de quelque sainte apocryphe, ou la mention de quelque miracle plus apocryphe encore, celui de la Sallette, par exemple. Il se fait des sermons, des mandements, des brochures, de gros livres, sur la vertu de ces amulettes grossières; guérisons spirituelles, guérisons corporelles, guérisons même d'animaux et de plantes, voilà ce que le clergé enseigne à leur attribuer, et, le peuple allant encore plus loin, il n'est pas de superstition païenne, pas de rêve magique , qui ne ressuscite dans l'Église.

Quand ces tristes excès seraient plus rares ou même pourraient ne pas avoir lieu, nous demanderions encore si de semblables moyens d'alimenter la piété, trop grossiers déjà chez les Juifs , peuvent, en aucun cas, être dignes de l'Évangile.


72. Versets 8-10. Mais vous, ne vous faites pas appeler maîtres, car un seul, le Christ, est votre maître, et vous êtes tous frères. Ne donnez à personne, sur la terre, le titre de père, car un seul est votre père, celui qui est dans le ciel. Ne vous faites pas appeler docteurs, car vous avez un seul docteur, qui est le Christ.

Tout ce que défend ici Jésus, l'Église romaine l'a fait.
Ce passage, sans doute, n'est pas à prendre à la lettre; on ne saurait raisonnablement en conclure qu'il soit mal de donner ou de recevoir les titres de maître, de père, de docteur.

Jésus ne condamne pas les mots, mais l'esprit; il veut que l'Église chrétienne soit établie sur le principe de l'égalité de tous ses membres , et il condamne toute inégalité qui ne découlerait pas strictement de nécessités légitimes.
L'Église romaine, au contraire, a entendu l'organisation de l'Église dans le sens le plus strictement hiérarchique et monarchique ; l'organisation même d'une armée n'offre pas un système aussi serré.

Le simple fidèle n'a plus aucun droit quelconque, aucun dans l'administration de l'Église, aucun dans le choix des pasteurs, aucun, surtout, dans les choses de doctrine, car il ne peut, sans crime, ni rejeter, ni même examiner ce que l'Église lui donne à croire.

Le prêtre, armé de tous les droits, n'en possède non plus réellement, comme individu, aucun. Une obéissance absolue le lie à son évêque ; une obéissance absolue lie l'évêque au pape ; le pape, sur son trône, est le plus esclave de tous, car il l'est de tout cet ensemble dont il ne pourrait rien ébranler, rien lâcher, que tout ne tombât, et lui avec.

Tracez donc, d'un côté, l'organisation romaine ; mettez, de l'autre, ces quelques paroles de Jésus , et vous avez un des plus étranges contrastes dont l'histoire ait jamais offert le spectacle.

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73. Verset 14. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui, sous prétexte de vos longues prières, dévorez les maisons des veuves.

Il y a aussi une Église où les pauvres ont souvent à prendre sur leur nécessaire pour payer des prières , des messes ou autre chose; il y a une Église où le clergé absorbe peu à peu, si on le laisse faire, toute la richesse d'un pays, et arrive à n'avoir plus guère, autour de lui, que des pauvres.
Il se glorifie, alors, d'être leur providence; mais il n'en est pas moins l'auteur de leur pauvreté.

Comparez ces pays avec ceux qui ont secoué ce joug; voyez où ils en sont pour l'agriculture, pour l'industrie, pour le commerce. Toutes les sources de la prospérité publique s'amoindrissent et meurent entre les mains des prêtres. Quelques faits isolés, quelques services çà et là rendus par des couvents, n'ôtent rien à cette assertion, universellement vérifiable.


74. Verset 15. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui courez la mer et la terre pour faire un prosélyte, et qui, lorsqu'il l'est devenu, le rendez digne de la géhenne deux fois plus que vous!

Rien de moins chrétien que de faire des prosélytes pour la vaine satisfaction de convertir les gens à sa manière de voir ; rien de plus chrétien que d'en faire pour faire d'eux de vrais chrétiens.
Toute conviction sérieuse cherche et doit chercher à se propager. Autant est condamnable un prosélytisme violent ou frauduleux , autant il serait injuste et absurde d'envelopper du même blâme un prosélytisme charitable, ouvert , loyal.

Défiez-vous de la défaveur qui s'y attache, et qui n'est, le plus souvent, qu'indifférence ou mépris pour la vérité religieuse; si nos ancêtres avaient raisonné de même, s'ils avaient juge tout prosélytisme comme certains hommes d'aujourd'hui, ils seraient restés païens ou juifs, et nous le serions comme eux. Si Jésus a blâmé le prosélytisme des pharisiens, c'est lui aussi qui a dit à ses apôtres : « Allez, instruisez toutes les nations.» N'était-ce pas dire : « Allez, faites des prosélytes ? »

Tout homme qui vient à vous l'Évangile à la main, et qui , au nom de vos intérêts éternels , vous invite à voir où vous en êtes,- craignez, en le repoussant, de repousser un appel de Dieu.


75. Versets 16-18. Malheur à vous, conducteurs aveugles qui dites : Si quelqu'un jure par le temple, il n'est tenu à rien ; mais celui qui aura juré par l'or du temple, est lié par son serment.... Si quelqu'un jure par l'autel, il n'est tenu à rien; mais celui qui aura juré par l'offrande qui est sur l'autel, est lié par son serment.

Quand Jésus condamnait ces misérables distinctions de la casuistique pharisaïque, qui eût pensé que cette honteuse science allait reparaître dans l'Église ? Elle y à pris, vous le savez, un développement immense; les Jésuites seuls en ont rempli des centaines de volumes, et ces volumes n'ont fait que s'ajouter à beaucoup d'autres, qui ne valaient déjà pas mieux.
La morale chrétienne, dans ces livres, arrive à sanctionner ce que la morale humaine, même la plus relâchée, ne sanctionna jamais ; l'homme du monde le plus perdu de vices ne dira jamais ouvertement et sous forme de maximes ce qu'ont dit certains docteurs sur le vol, sur le mensonge, sur l'adultère, sur le meurtre, etc.

De nuance en nuance, de détail en détail, toute différence s'efface entre le mal et le bien , entre le faux et le vrai ; il n'est pas de vice et de crime auquel on ne pût trouver moyen, avec ces livres, de s'abandonner sans remords, et non seulement sans remords, mais en toute sûreté de conscience.

Si quatre ou cinq des plus mauvais ont été condamnés à Rome, les autres ne l'ont pas été et ne le seront pas. Sont-ils au moins oubliés ? On voudrait le croire ; mais il s'en fait tous les ans de tout semblable, et l'enseignement des séminaires est basé sur ces déplorables manuels.

Quand la casuistique n'aboutirait pas à ces scandales, quel contraste encore entre ces menus préceptes , ces interminables distinctions , et les larges principes de la morale évangélique !
Dans la casuistique, plus de lois, mais mille petites règles , avec mille petites exceptions; plus de vigoureux câbles, mais des cordons, des fils, des subdivisions de fils, que vous brisez, si vous voulez, les uns après les autres ou les uns par les autres.
Est-ce ainsi que Jésus nous lie ?
Est-ce de petites règles que vous lui voyez remplir ses discours?

Quelle parole a-t-il prononcée , en morale, qui ne fut un appel aux plus grands , aux plus hauts principes? Les apôtres, enfin, dans leurs écrits, est-ce par de petites règles que nous leur voyons développer les enseignements du Maître?


76. Verset. 25. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, car vous payez la dîme de la menthe, de l'aneth et du cumin, et vous négligez ce que la loi a de plus important, la justice, la miséricorde et la fidélité. Ce sont là les choses qu'il fallait faire, sans omettre les autres.

Vous venez de voir les dangers de la morale mise en petites règles; voici ceux de la piété mise en petites pratiques. On abandonne, vous dit Jésus, les choses importantes, celles que Dieu nous demande avant tout, et qui, seules, constituent véritablement la piété.
L'Église romaine, sans doute, n'a jamais positivement enseigné qu'on puisse, par les petites pratiques, se dispenser de la piété du coeur ; les pharisiens ne l'enseignaient pas non plus.

Ce que Jésus leur reproche, c'est d'arriver, par leur fidélité dans des choses sans importance, à se tranquilliser sur leur infidélité dans les grandes. Ainsi en sera-t-il nécessairement partout où les pratiques seront assez multipliées, assez recommandées, pour autoriser ce calcul. Dans les pays où l'Église romaine a fait, sur ce point, ce qu'elle a voulu, en Italie, en Espagne, au Mexique, au Brésil, ailleurs encore, la dévotion la plus minutieuse s'allie ouvertement avec les mauvaises moeurs , avec la mauvaise foi , avec le vol et le brigandage mêmes; dans les pays où ce système a moins pu s'établir , où une certaine instruction ne permet d'ailleurs pas qu'on arrive aux dernières conséquences et qu'un brigand soit un dévot, le système n'en porte pas moins ses fruits.

Il faudra, dans l'esprit, une solidité rare, et, dans le coeur, une piété bien vraie, pour résister à cette incessante tentation de se croire pieux parce qu'on sera dévot , parce qu'on dira son chapelet , parce qu'on fera maigre aux jours ,voulus , etc. , etc.

Ne dites pas que ce sont pourtant des moyens de développer la piété ; dites plutôt que ce sont autant d'obstacles à son vrai développement, autant de facilités offertes à qui voudra se croire pieux et n'avoir à faire , pour cela, aucun vrai sacrifice, aucun effort sérieux.

On a quelquefois argumenté de ce que Jésus ajoute qu'il faut s'attacher aux grandes choses « sans omettre les autres, » Mais de quelles autres parlait-il ? De commandements humains? De pratiques ajoutées à la loi de Moïse? Non. Il parlait des petites dîmes à payer, et la loi de la dîme, chez les Juifs, était loi de Dieu.

Rien donc à conclure de là en faveur de choses qui ne sont pas dans ce cas et ne se justifient pas par l'Écriture ; rien à conclure, surtout, en faveur d'observances qui ne sont pas seulement sans base dans l'Écriture , mais en opposition formelle avec la spiritualité de l'Évangile.


77. Verset 25. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, car vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat, tandis qu'au dedans vous êtes pleins de rapine et d'intempérance.

Nouvelle forme du même reproche ; nouvel avertissement à toute Église qui facilitera aux hommes ce que Jésus condamne ici : être pures au-dehors, impurs au dedans. Toute forme religieuse, il est vrai, à ce danger ; le culte le plus simple peut faire des hypocrites. Sera-ce une raison pour s'exposer à en faire toujours plus en multipliant les cérémonies, les pompes? Sera-ce une raison, surtout, pour exposer les gens sincères à se faire illusion sur l'état réel de leur âme, à se croire de bons chrétiens parce qu'ils auront assisté à de beaux spectacles ?


CHAPITRE XXIV

Jésus prédit la ruine du temple. Calamités qui fondront sur les Juifs. Les jugements de Dieu sur leur nation sont une image du Jugement Dernier.


78. Verset 55. Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point.

Voyez quelle solennelle importance Jésus attribue à ses paroles : le ciel et la terre passeront, mais non pas elles.
En contredire une seule, n'importe de quelle manière, n'est-ce pas se mettre en lutte contre cette déclaration? N'est-ce pas considérer comme sans valeur , comme passé, ce que Jésus affirme ne devoir jamais passer ? - Quand donc vous apercevrez, dans votre foi on dans votre culte, quoi que ce soit qui vous paraisse heurter quelque enseignement de l'Évangile, n'ayez pas de repos que vous ne tiriez la chose ait clair; il ne doit pas vous être indifférent un seul moment d'être ou non d'accord avec votre Maître.

Versets 36 et suiv.- L'avènement futur du Christ. Exhortation à la vigilance.


CHAPITRE XXV

Les vierges sages et les vierges folles. Parabole des talents. Encore le Jugement Dernier.


79. Versets 52-54, 41, 4 6. Et toutes les nations seront assemblées devant lui, et il séparera les uns d'avec les autres, comme un berger sépare les brebis d'avec les boucs, et il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche. Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite .... Ensuite il dira à ceux qui seront à sa gauche .... Et ceux-ci s'en iront aux peines éternelles, et les justes à la vie éternelle.

Voici, mais plus développé, ce que vous avez déjà rencontré plusieurs fois (notes 5 et 37). Le Purgatoire y est-il davantage? Croirez-vous que Jésus-Christ eût pu ne pas en dire un mot dans une si longue instruction sur le Jugement Dernier?

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(01) Omnia à Christo instituta. Ce Tous a fort embarrassé les théologiens romains. On renonce aujourd'hui à le soutenir dans son sens propre; le concile a seulement voulu dire, nous dit-on, que Jésus-Christ est l'auteur des sept sacrements, les uns ayant été institués par lui-même, les autres par l'Église, pleine de son esprit.- On voit que les théologiens romains savent se jouer, au besoin, du concile de Trente aussi bien que de l'Écriture. 
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