« Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si
je n'ai pas la charité, je ne suis qu'un airain qui résonne ou une
cymbale qui retentit. Et quand j'aurais le don de prophétie et que
je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j'aurais
toute la foi, jusqu'à transporter les montagnes, si je n'ai pas la
charité, je ne suis rien. Et quand je distribuerais tous mes biens
pour la nourriture des pauvres, quand je livrerais mon corps pour
être brûlé, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien.
La charité est patiente; la charité est pleine
de bonté; la charité n'est point envieuse, elle n'est pas présomptueuse,
elle ne s'enfle point d'orgueil, elle ne fait rien de malhonnête,
elle ne cherche pas son intérêt ; elle ne s'aigrit point, elle
ne soupçonne point le mal ; elle ne se réjouit pas de
l'injustice, mais elle met sa joie dans la vérité ; elle excuse
tout, elle croit tout, elle espère tout, elle supporte tout.
La charité ne périt jamais. Les prophéties
prendront fin, le don des langues cessera, la connaissance sera
abolie. Car nous ne connaissons qu'imparfaitement, et nous ne
prophétisons qu'imparfaitement ; mais quand la perfection sera
venue, alors ce qui est imparfait sera aboli. Lorsque j'étais
enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je
raisonnais comme un enfant ; lorsque je suis devenu homme, je
me suis défait de ce qui tenait de l'enfant. Aujourd'hui nous voyons
comme dans un miroir, confusément, alors nous verrons face à
face ; aujourd'hui je connais imparfaitement, alors je
connaîtrai comme j'ai été connu.
Maintenant donc ces trois choses
demeurent : la foi, l'espérance et la charité ; mais la
plus grande des trois est la charité. »
(1 COR., XIII.)
Il y a peu d'hommes qui, à un moment ou à un autre, ne se soient
adressé cette grande question, préoccupation de l'antiquité comme du
siècle actuel : Que faut-il regarder comme le « souverain
bien, le bien suprême ? » La vie s'ouvre devant nous, mais
une fois seulement il nous est donné d'en parcourir le chemin. Quel
est donc le but le plus noble à nous proposer, le don le plus précieux
à acquérir ?
Dans le monde religieux, on a l'habitude de
répondre : « C'est la foi ». C'est sur cette base que
la religion populaire s'est reposée depuis des siècles. Aussi
arrivons-nous facilement à regarder la foi comme la
plus grande chose qui existe. Eh bien, c'est une erreur. Si nous
acceptions cette conclusion, nous serions exposés à nous égarer loin
du but que l'Évangile nous propose.
Dans le chapitre du Nouveau Testament qui sert de
préface à ces réflexions et où l'essence même du christianisme est
mise en évidence, nous constatons que, d'après la déclaration
explicite de saint Paul, la plus grande chose au monde, ce n'est pas
la foi, mais la charité, ou, pour employer le mot propre qui seul en
rend complètement le sens, l'amour. « Maintenant donc,
ces trois choses demeurent, la foi, l'espérance et la charité ;
mais la plus grande, c'est la charité. »
Il n'y a aucune erreur possible, aucun malentendu
dans ces paroles, car Paul vient de dire : « Quand même
j'aurais la foi jusqu'à transporter les montagnes, si je n'ai pas la
charité, je ne suis rien. » Ce n'est pas ici une phrase que l'on
puisse expliquer de deux manières, et Paul a bien soin d'appuyer sur
la pensée qu'il veut exprimer. De propos délibéré, il met en contraste
les vertus dont il parle, et c'est sans l'ombre d'une hésitation qu'il
arrive à la conclusion que la plus grande de
toutes, c'est la charité.
Ce n'est pas non plus le penchant naturel d'un
coeur aimant qui amène saint Paul à cette conclusion, car la charité
n'était guère la vertu dominante de l'apôtre. Il est vrai qu'en
étudiant sa vie, d'un peu près, on se rend compte d'une douceur, d'un
attendrissement qui va croissant avec les années ; mais la main
qui a écrit ces paroles mémorables « la plus grande de ces trois
vertus, c'est la charité, » lorsque nous la rencontrons pour la
première fois, est teinte de sang.
On ne peut dire non plus que cette lettre écrite
aux chrétiens de Corinthe soit seule à déclarer que l'amour, la
charité chrétienne est le « souverain bien. » Toute
l'Écriture est d'accord pour affirmer la même vérité. Saint Pierre
nous dit : « Surtout ayez entre vous une grande
charité. » Notez bien ce mot surtout. Et saint Jean va
encore plus loin, puisqu'il déclare que l'amour, c'est l'essence même
de Dieu : « Dieu est amour. » Rappelez-vous
aussi la pensée si profonde qu'exprime saint Paul dans son épître aux
Romains : La charité, c'est l'accomplissement
de la loi. Avez-vous jamais réfléchi à ce que cela
signifie ? Alors, comme de nos jours, beaucoup d'hommes
s'acharnaient à vouloir gagner le ciel en observant les dix
commandements, auxquels ils en ajoutaient des centaines d'autres de
leur propre invention ; mais Jésus, par la bouche de son
serviteur, leur dit, comme il nous le dit encore : « Je vous
montrerai la voie la plus excellente. » En obéissant à un seul
commandement, vous accomplirez tous les autres sans même vous en
rendre compte. Si votre coeur est plein d'amour pour votre Père qui
est dans les cieux et pour vos frères ici-bas, toute la loi divine
sera observée.
Il n'est pas difficile de comprendre qu'il en soit
ainsi. Prenez n'importe lequel des commandements du décalogue,
celui-ci par exemple : « Tu n'auras pas d'autres dieux
devant ma face. » Si quelqu'un aime Dieu, il est évident qu'il
serait inutile de lui dire cela. Donc l'amour accomplira
nécessairement cette loi-là. « Tu ne prendras pas le nom de
l'Éternel ton Dieu en vain. » Si un homme aime Dieu, songera-t-il
jamais à prendre son nom en vain ? « Souviens-toi du jour du
repos pour le sanctifier. » Celui qui aime
Dieu ne sera-t-il pas trop heureux de consacrer un jour sur sept d'une
manière plus exclusive à l'objet de son affection ? Ainsi, par
l'amour, toutes les lois qui se rapportent à Dieu se trouveront
accomplies.
De même il serait bien inutile de dire à celui dont
le coeur est rempli d'amour, qu'il doit honorer son père et sa mère.
Il lui serait impossible de faire autrement. Ce serait absurde de lui
défendre le meurtre, et lui enjoindre de s'abstenir du vol, ce serait
l'insulter. Comment volerait-on ceux qu'on aime ! Ce serait
également, inepte de lui défendre de porter un faux témoignage contre
son prochain. Jamais il n'y pensera. Il ne songerait pas davantage à
convoiter le bien d'autrui, car s'il aime son frère, il préférera le
voir jouir de ce bien que de le posséder soi-même.
Donc, pour ce qui regarde l'homme, comme pour ce
qui se rapporte à Dieu, nous arrivons à la même conclusion :
l'amour est l'accomplissement de la loi. Aimer, c'est la règle des
règles, le commandement nouveau qui remplace toutes les anciennes
ordonnances, et, d'après l'enseignement du Christ, c'est le seul
secret de la vie chrétienne.
Paul avait appris cette grande vérité, et, dans le
splendide éloge qu'il fait de l'amour chrétien, il nous en donne la
définition la plus étonnante et la plus originale. Le court chapitre
où il traite ce sujet capital, ce souverain bien de l'homme,
se divise en trois parties. L'apôtre compare d'abord la charité à
d'autres vertus ; il en fait ensuite l'analyse, et finalement il
nous la présente comme le don suprême que nous devons rechercher avant
tous les autres.
L'apôtre commence par établir un contraste entre la charité et les
diverses qualités qui de tout temps ont été tenues en plus haute
estime parmi les hommes. Je n'en ferai qu'une revue fort sommaire,
leur infériorité étant par trop manifeste.
Paul compare la charité à l'éloquence. Assurément,
c'est un don magnifique que celui de pouvoir influencer les âmes et
les volontés pour les stimuler à l'accomplissement de saintes actions
et de nobles entreprises. Cependant saint Paul nous dit :
« Quand même je parlerais toutes les langues
des hommes et même des anges, si je n'ai point la charité, je ne suis
que comme l'airain qui résonne ou comme une cymbale qui
retentit. » Tous nous savons pourquoi, car tous nous
avons senti le vide de paroles sans émotion, le creux, l'impuissance
d'une éloquence d'où l'amour est absent.
Il compare ensuite la charité au don de prophétie,
à la connaissance des mystères de la science, à la foi, à l'aumône
elle-même.
Pourquoi la charité est-elle plus grande que la
foi ?
Parce que la fin est plus grande que ce qui n'est
qu'un moyen d'y parvenir.
Pourquoi est-elle supérieure à l'aumône ?
Parce que le tout est plus grand que la partie.
Nous venons de dire que la charité est plus grande
que la foi, parce que le but à atteindre est plus grand que le chemin
qui y mène. En effet, à quoi sert la foi ? Elle sert à unir l'âme
à Dieu. Pourquoi devons-nous rechercher cette union ? Afin de lui
devenir semblables. Or, Dieu est amour ; donc, la foi
n'est que le moyen, tandis que l'amour est le but.
De même nous avons dit que l'amour est plus grand
que l'aumône, puisque le tout est plus grand que la
partie. L'aumône n'est qu'une face de l'amour ou, si vous voulez, de
la charité, une seule manière entre mille dont l'amour se
manifeste. Il se pourrait même qu'on fit beaucoup d'aumônes sans avoir
une parcelle d'amour dans le coeur. C'est chose bien facile de jeter
une obole à un mendiant, c'est même souvent plus facile que de ne
point le faire ; or, l'amour vrai peut avoir justement pour effet
de nous en empêcher. Au prix de notre argent, il nous arrive
fréquemment d'acheter un soulagement au sentiment pénible que nous
cause la vue de la misère, mais c'est nous procurer ce soulagement à
trop bon marché, à trop bon marché pour nous et souvent trop cher pour
le malheureux que nous croyons secourir. Si nous l'aimions
véritablement, nous ferions pour lui ou plus ou moins.
Enfin, Paul compare l'amour avec le sacrifice de
soi-même, le martyre. Il y a parmi nous de chers jeunes gens qui
désirent consacrer leur vie au service du Seigneur en qualité de
missionnaires. Pleins de zèle, ils ne songent qu'à se dévouer et se
croient prêts à tout oser, à tout souffrir pour l'honneur
de l'Évangile. À ceux-là, je dirai avec l'apôtre, et je les supplie de
ne jamais l'oublier : Quand même vous donneriez vos corps pour
être brûlés, si vous n'êtes animés d'un véritable amour des âmes, cela
ne vous servira de rien. Rien de ce que vous pourriez apporter au
monde païen ne saurait lui être vraiment profitable, à moins qu'il ne
trouve en même temps, dans vos coeurs et dans votre conduite, l'image
et comme le reflet de l'amour divin. C'est la langue universelle
comprise de tous. Des années se passeront avant que vous puissiez
parler le chinois ou les divers dialectes de l'Inde, mais dès l'heure
même de votre arrivée, le langage de l'amour fera sentir son éloquence
inconsciente.
C'est l'homme qui est le missionnaire, bien plus
que ses paroles ; son message se trouve incarné dans sa manière
d'être. Il m'est arrivé de rencontrer en Afrique, dans le pays
avoisinant les grands lacs, des indigènes, hommes et femmes, qui
gardaient un tel souvenir du seul homme blanc qu'ils eussent jamais
vu, David Livingstone, qu'en parlant du bon docteur, quoique de
longues années se fussent écoulées depuis son départ,
leurs figures noires en étaient comme illuminées. Ils n'avaient pas
compris son langage, mais ils avaient senti l'amour dont son coeur
battait pour eux.
Prenez avec vous, dans la sphère du travail auquel
vous voulez consacrer votre vie, ce simple talisman, l'amour, et,
forcément, votre oeuvre réussira. Vous ne pouvez y apporter rien de
plus puissant ; y apporter moins serait parfaitement inutile.
Sans amour, ce n'est pas la peine de rien entreprendre. Vous pouvez
posséder tous les talents, être prêts à tous les sacrifices, mais
quand même vous donneriez votre corps pour être brûlé, si vous n'avez
pas l'amour, cela ne servira de rien ni à vous, ni à la cause de
Christ.
Après avoir comparé l'amour aux autres vertus et démontré qu'il les
dépasse toutes en excellence, Paul, dans trois courts versets, en fait
une analyse de la plus étonnante précision. il nous montre que l'amour
est un composé de sentiments divers. C'est comme un rayon de lumière
que, dans une expérience de physique, on a pu voir
passer à travers un prisme afin d'en décomposer les différentes
couleurs, rouge, bleu, jaune, violet, orange, toutes les nuances de
l'arc-en-ciel. De même, Paul fait passer ce sentiment qu'on appelle
amour à travers le prisme magnifique de son intelligence inspirée et
l'en fait sortir divisé en ses divers éléments, de manière à nous
donner, dans ces quelques mots, ce qu'on pourrait appeler le spectrum
de l'amour.
Or quels sont ces éléments ? Remarquez qu'ils
portent des noms familiers, que ce sont des qualités dont nous
entendons constamment parler, des choses qui peuvent être faites par
tous les hommes et dans toutes les conditions de la vie, et surtout,
rendez-vous bien compte de ceci : l'amour, cette chose suprême,
ce bien par excellence de la vie, consiste dans une multitude de
petites actions et de vertus ordinaires.
Dans son analyse de l'amour chrétien, l'apôtre nous
montre neuf éléments différents, savoir :
Le support. - L'amour est patient.
La bonté. - Il est plein de bonté.
La générosité. - Il n'est pas envieux.
L'humilité. - Il ne s'enfle point d'orgueil.
La courtoisie. - Il n'est point malhonnête.
Le désintéressement. - Il ne cherche point son intérêt.
La douceur. - Il ne s'aigrit point.
La simplicité. - Il ne soupçonne pas le mal.
La sincérité. - Il ne se réjouit point de l'injustice, mais il se réjouit de la vérité.
Patience, bonté, générosité, humilité, courtoisie, désintéressement,
douceur, simplicité, sincérité, voilà de quels éléments est composé le
don suprême, voilà ce qui produit la stature de l'homme parfait en
Jésus-Christ. Remarquez aussi que toutes ces vertus se
rapportent à nos relations avec les hommes, à la vie présente, à cet
aujourd'hui que nous connaissons ou bien au lendemain qui est proche,
et non à l'éternité que nous ne saurions pénétrer. Nous parlons
beaucoup d'amour pour Dieu. Le Christ parla beaucoup d'amour pour les
hommes. Nous nous occupons beaucoup de cette question : comment
faire notre paix avec le ciel ? Le Christ est venu apporter la
paix sur la terre. La religion ne peut être
une chose à part dans notre vie, une manière d'être qu'on y ajoute, il
faut qu'elle soit le mobile de toute notre existence, le souffle de
l'Esprit éternel qui, pendant notre court séjour dans ce monde qui
passe, nous anime et nous dirige, la source d'où doit sortir chaque
mot que nous prononçons, chaque acte, quelque trivial qu'il puisse
paraître, que nous accomplissons, chacun de ces riens qui composent le
total de chacune de nos journées.
Nous ne pouvons consacrer qu'une rapide notice à
ces divers éléments de l'amour que nous venons de passer en revue.
Saint Paul parle tout d'abord de la patience. En
effet, l'attente, c'est l'attitude normale de l'amour : il sait
tout attendre avec calme et tranquillité. Il n'est pas pressé d'agir,
mais se tient prêt à se montrer quand l'occasion se présentera, étant
animé jusqu'alors d'un « esprit doux et paisible. » L'amour
souffre longtemps sans se plaindre, il supporte, tout, il croit tout,
il espère tout.
Il s'agit ensuite de la bonté. L'amour est un
principe actif. Avez-vous jamais remarqué
combien le Seigneur Jésus a consacré de temps à faire des actes de
bonté. Repassez dans votre esprit cette vie du Christ, et vous verrez
qu'il a dépensé une portion très notable des jours de sa vie terrestre
à rendre les hommes heureux. Il n'y a qu'une chose ici-bas qu'il
vaudrait mieux donner que le bonheur, c'est la sainteté ; mais
cela ne dépend pas de nous. Ce que Dieu met souvent en notre pouvoir,
c'est de contribuer au bonheur d'autrui. La plupart du temps nous
pouvons procurer aux autres un peu de joie, simplement en nous
montrant bons à leur égard.
On a dit quelque part que le plus grand service
qu'un homme puisse rendre au Père céleste, c'est d'être bon envers ses
autres enfants. Je me suis souvent demandé pourquoi nous ne nous
montrons pas meilleurs les uns vis-à-vis des autres. Ce serait chose
si facile ! et combien n'en aurions-nous, pas besoin !
Combien prompt est le bienfaisant effet de la bonté ! Comme on en
garde sûrement le souvenir ! Comme on en est largement
récompensé ! car, si par un acte de bonté, une parole, un regard
de sympathie, vous avez su inspirer l'affection,
aucun débiteur ne sera aussi suprêmement honorable, aussi sûr
d'acquitter sa dette et de rendre même au delà de ce qu'il a reçu.
L'amour ne fait jamais défaut, il ne périt jamais. Aimer,
c'est le succès ; aimer, c'est le bonheur pour soi et pour les
autres ; aimer, c'est la vie, je dirai même, avec le poète
Browning, l'amour, c'est le nerf de la vie.
Là où est l'amour, là aussi est Dieu. « Celui qui demeure dans
l'amour, demeure en Dieu. » Puisque Dieu est amour, notre devoir
c'est d'aimer, d'aimer sans distinction, sans calcul, sans retard.
Répandez votre amour sur les pauvres, - cela est relativement facile,
- répandez-le aussi sur les riches, qui souvent en ont encore plus
besoin. Répandez-le surtout sur vos égaux : cela est parfois bien
difficile, et ce sont ceux pour lesquels, la plupart du temps, nous
faisons le moins. Il y a une différence essentielle entre chercher à
plaire et chercher à faire plaisir. C'est vers le
dernier que doivent tendre nos efforts. Ne perdez aucune occasion de
rendre heureux ceux qui vous entourent. Voilà la lutte continuelle, la
victoire silencieuse, mais certaine, d'un coeur vraiment aimant.
Souvenons-nous toujours que nous ne traversons ce monde qu'une seule
fois. Si donc il y a quelque service à rendre, quelque bonté à
témoigner à un être humain quelconque, ne différons pas, n'y mettons
ni négligence, ni retard ; nous ne passerons plus par le même
chemin !
La générosité. « L'amour n'est point
envieux. » L'apôtre nous montre ici la charité chrétienne en
rivalité avec les oeuvres d'autrui. Chaque fois que vous essayerez de
faire une bonne oeuvre, vous êtes sûr de trouver d'autres hommes
faisant une oeuvre semblable, et la faisant probablement mieux que
vous. Ne leur portez pas envie. Ce serait là un sentiment de
malveillance envers ceux qui combattent dans les mêmes rangs, un
esprit de dénigrement et de convoitise. Combien peu, hélas ! les
oeuvres chrétiennes elles-mêmes nous servent de défense contre des
sentiments anti-chrétiens ! Ce péché d'envie,
assurément le plus méprisable de tous les défauts qui projettent leur
ombre sur l'âme d'un disciple du Sauveur, nous guette infailliblement
au seuil de chaque oeuvre que nous entreprenons et nous envahira
sûrement, si notre âme n'en est garantie par cette grâce divine :
la générosité. Une seule chose est vraiment digne d'envie, c'est
d'avoir une âme large, riche en amour du prochain. Si nous avons le
bonheur de la posséder, elle nous mettra au-dessus de toute autre
envie.
Le quatrième élément dont se compose l'amour, c'est
l'humilité.
Être plein de bonté pour tous, répandre à flots son
amour sur le monde, et, quand la charité chrétienne a accompli sa
belle oeuvre, savoir se retirer à l'ombre et ne point s'en prévaloir,
oublier même ce que l'on aura fait, voilà ce à quoi saint Paul vous
convie. Le véritable amour se cache même de soi et ne cherche jamais
sa satisfaction personnelle. « La charité ne s'enfle point
d'orgueil. »
Le cinquième élément de l'amour semblera peut-être
étrange, et l'on pourrait s'étonner de le trouver ici c'est la
courtoisie.
La courtoisie, c'est l'amour réglant les rapports
journaliers des hommes les uns avec les autres et se manifestant par
le respect des convenances : « l'amour n'est point
malhonnête. » Quelqu'un a donné cette définition de la politesse,
« c'est l'amour s'exerçant dans les petites choses de la
vie. » En effet, le secret de la vraie politesse, c'est d'aimer.
Par sa nature même, il est impossible que l'amour se conduise avec
inconvenance. L'homme le plus inculte, s'il a dans le coeur l'amour de
ses semblables, quelque raffinée que puisse être la société où il se
trouvera jeté, ne saurait se conduire d'une manière malhonnête.
Le désintéressement. L'amour « ne cherche pas
son intérêt, » ou, plus littéralement, ce qui est à lui.
Remarquez bien cela, pas même ce qui est à lui ! Nous
sommes habitués à croire qu'il est juste et louable de défendre ses
droits. Je ne veux pas le nier. Il arrive parfois telles circonstances
où l'homme est appelé à exercer un droit plus élevé, celui d'en faire
abnégation. Toutefois, ce n'est pas encore là ce que Paul demande.
L'amour va bien plus loin. Il veut que ces droits, nous neles
cherchions même pas, que nous les ignorions et que l'élément personnel
soit entièrement éliminé de nos coeurs. Il n'est pas toujours si
difficile qu'on se l'imagine, de renoncer à nos droits. Pour la
plupart, ils s'appliquent à des choses qui nous sont extérieures. Ce
qui l'est autrement, c'est de nous donner nous-mêmes et de ne pas
chercher des avantages personnels. Lorsque nous les avons cherchés,
achetés, gagnés, mérités, nous nous sommes déjà approprié la meilleure
partie de ces biens. Y renoncer devient alors pour nous
comparativement facile. Mais ne pas les rechercher, regarder d'abord,
non à nos propres intérêts, mais à ceux des autres, voilà ce qui peut
s'appeler l'oeuvre de l'amour.
« Toi, tu rechercherais les
grandeurs ! » dit le prophète, « ne les cherche
pas ! » Pourquoi ? Parce qu'il n'y a rien ici-bas de
véritablement grand, ou même qui puisse l'être. La seule grandeur
véritable, c'est l'amour, l'amour pur de tout égoïsme. Le renoncement
lui-même n'est rien, je dis plus, il serait presque une faute s'il
n'avait pour but soit le bien des autres, soit la manifestation d'un
amour si puissant qu'il compense tout ce que nous
pouvons lui sacrifier.
Je viens de dire qu'il nous est plus difficile de
ne point du tout rechercher notre propre intérêt, que, l'ayant
recherché, d'y renoncer. Cette parole n'est vraie que d'un coeur
demeuré à moitié égoïste. Rien n'est dur, rien n'est difficile pour
l'amour. Il nous est dit que le joug de Christ est aisé ; or ce
joug n'est autre chose que la manière dont le Seigneur veut que nous
acceptions la vie. Or je suis persuadé que la manière qu'il nous
propose, celle de nous dépouiller de toute préoccupation égoïste, est
la plus facile de toutes. La leçon qui ressort avec évidence de
l'enseignement de Jésus, c'est que le bonheur ne dépend pas de la
possession, ni de l'acquisition de quoi que ce soit, mais qu'il
consiste uniquement, au contraire, à donner. Il en résulte que
la grande majorité des hommes commet une grave erreur en cherchant à
« amasser des trésors. » L'homme s'imagine que posséder,
amasser, acquérir, se faire servir, peut donner le bonheur, tandis
qu'en réalité on ne l'obtient que lorsqu'on a appris à donner et à
servir. « Quiconque voudra être le premier
parmi vous, qu'il soit votre serviteur, » et j'ajouterai que
celui qui voudra posséder le bonheur se souvienne qu'il n'y a qu'un
chemin pour y parvenir. On est plus béni, et par conséquent plus
heureux, en donnant qu'en recevant.
La qualité que saint Paul signale ensuite comme
partie essentielle du grand tout de l'amour, c'est l'amabilité.
« L'amour ne s'aigrit point. » Rien ne saurait être plus
surprenant, pour bien des personnes, qu'une telle affirmation. Nous
sommes généralement disposés à regarder le manque d'amabilité, ce
qu'on appelle un caractère difficile, comme une faiblesse très
pardonnable. Nous en parlons comme d'une simple infirmité naturelle,
une disposition de famille, une affaire de tempérament, et nous ne le
considérons guère comme une chose dont il faille tenir sérieusement
compte pour nous former une opinion sur un homme. Voici cependant que,
juste au milieu de cette analyse de l'amour, ce défaut nous est
signalé, et les saintes Écritures, à diverses reprises, s'accordent
pour le condamner comme l'un des pires dissolvants de tout ce qui est
bon. Ce qu'il y a d'étrange dans ce défaut, c'est
qu'il est le vice des gens vertueux, et souvent l'unique tache dans
une nature à d'autres égards noble et élevée. Vous devez sûrement
connaître des hommes qui vous sembleraient approcher de la perfection
si ce n'était un caractère facilement froissé, prompt à s'offenser, et
susceptible à l'excès. Cette possibilité d'allier l'irritabilité de
caractère à de hautes qualités morales est un des problèmes les plus
singuliers et les plus tristes de la psychologie.
Le fait est qu'il y a deux sortes de péchés :
les péchés matériels et les péchés moraux. L'enfant
prodigue peut servir comme exemple des premiers ; le frère aîné
est le type des seconds. Or la société n'hésite pas un instant à
décider lesquels sont les plus condamnables ; son arrêt tombe,
sans l'ombre d'un doute, sur l'enfant prodigue. Mais a-t-on
raison ? Où est la balance capable de peser les fautes
d'autrui ? Affirmer qu'il y a du plus ou du moins, des péchés
grossiers et des péchés véniels, n'est donc qu'un jugement d'homme. En
effet, certains défauts, dans une nature raffinée, peuvent entraîner
une plus grande culpabilité que d'autres, plus
évidents aux yeux de la chair, qui se trouvent dans une nature plus
grossière. De même, au jugement de Celui dont l'essence est l'amour,
un péché contre l'amour peut paraître cent fois plus vil.
Au reste, aucune forme du vice, ni la débauche, ni
l'avarice, ni même l'ivrognerie, n'a plus fait pour déchristianiser la
société que la mauvaise humeur. Pour abreuver la vie d'amertume, pour
désunir les sociétés, pour rompre les liens les plus sacrés, pour
désoler les foyers, pour dessécher les coeurs, pour déflorer la
jeunesse, en un mot pour produire, avec une puissance sans égale,
l'angoisse et la misère, et cela sans aucun motif sérieux, il n'est
rien de tel que la mauvaise humeur. Souvenez-vous du frère aîné de
l'enfant prodigue. Il est moral, laborieux, patient, obéissant envers
son père : il possède, sans contredit, une foule de vertus. Mais
voyez-le, cet homme, arrivé à la maturité de l'âge, refusant dans un
accès de bouderie puérile, d'entrer dans la maison paternelle.
« Il se mit en colère, » nous dit l'Évangile, « et ne
voulut point entrer. »
Songez à l'effet que devait faire cette conduite
sur son père, sur les serviteurs, sur les invités,
sur l'enfant prodigue lui-même et réfléchissez combien d'enfants
prodigues peuvent être, à leur tour, éloignés du royaume de Dieu par
le défaut d'amabilité de ceux qui font profession de lui
appartenir ! Examinons avec quelque attention le sombre nuage qui
s'est abaissé sur le front du fils aîné. De quoi est-il fait ? De
jalousie, de colère, d'orgueil, de cruauté, de propre justice, de
susceptibilité, d'entêtement, de bouderie ! Voilà ce qui règne en
maître dans cette âme dont l'amour est absent, et, à des degrés
différents, tous ces tristes sentiments entrent dans la composition de
la mauvaise humeur. Jugez donc vous-même si de tels péchés ne doivent
pas produire des conséquences plus sérieuses, pour soi et pour les
autres, que ceux que nous avons l'habitude de traiter de fautes
grossières et dégradantes.
Au reste, la question a été décidée par Jésus
lui-même. Ne s'est-il pas écrié : « Les péagers et les
femmes de mauvaise vie vous devancent dans le royaume de
Dieu ! » il n'y a, en réalité, aucune place dans le ciel
pour des dispositions du genre de celles dont nous venons de parler.
Si un homme ayant de semblables sentiments pouvait
même y entrer, il changerait pour lui le ciel en enfer. De là la
nécessité de naître de nouveau pour entrer dans ce royaume, car, si
nous voulons en franchir le seuil, il faut que ce royaume soit déjà au
dedans de nous.
C'est donc l'amabilité qui sert de thermomètre pour
marquer notre état spirituel. Mais ce qui en fait l'importance c'est
surtout l'indication qu'elle fournit de nos sentiments intimes. Voilà
pourquoi je crois devoir insister là-dessus. L'amabilité est la pierre
de touche du véritable amour. Son absence est la preuve, la révélation
d'une nature qui, au fond, n'est ni aimable, ni aimante.
Je comparerais la mauvaise humeur à une fièvre
intermittente qui montre un état de maladie continuel au dedans de
nous. C'est la bulle d'air impur qui, venant éclater à la surface de
l'eau, trahit quelque pourriture au fond ; c'est un échantillon
des produits les plus cachés de l'âme qui s'échappe de ses profondeurs
sans qu'on y pense ; en un mot, c'est l'éclair qui nous révèle
une multitude de péchés hideux, car l'absence de patience, de bonté,
de générosité, de courtoisie, ainsi que l'existence
d'un égoïsme colossal, sont tous rendus visibles par une seule
étincelle de mauvaise humeur.
Chercher à réprimer des accès d'humeur, ce n'est
donc pas assez ; il faut remonter à la source et changer le fond
même de notre nature. Ainsi, et ainsi seulement, pourraient s'éteindre
nos dispositions mauvaises. On adoucit les âmes et les caractères, non
en extirpant le mal qui s'y trouve, mais en y versant quelque chose
d'autre, et cette autre chose, c'est le grand amour, l'esprit nouveau,
l'esprit de Christ. Ce Saint-Esprit, nous pénétrant tout entier,
adoucit, purifie, transforme tout. Voilà l'unique remède au mal, voilà
ce qui seul peut produire un changement radical et renouveler,
régénérer, réhabiliter l'homme intérieur. Nous ne nous changerons pas
par la puissance de notre volonté ; et le temps n'y réussira pas
davantage. Christ seul peut accomplir cette oeuvre au dedans de nous.
C'est pourquoi que le même esprit qui était en
Jésus-Christ soit en vous. Quelques-uns d'entre vous peuvent n'avoir
plus beaucoup de temps à consacrer à cette oeuvre. Mais encore une
fois, souvenons-nous que c'est ici une affaire de
vie ou de mort. Pour vous et pour moi, je ne puis faire autrement que
d'insister sur ce point. Il est écrit : « Si quelqu'un
scandalise l'un des petits qui croient en Jésus, il voudrait mieux
pour lui qu'on lui attachât au cou une meule de moulin et qu'on le
jetât au fond de la mer. » Ce qui revient à dire, et le Seigneur
l'affirme solennellement, qu'il vaut mieux ne point vivre que ne point
aimer.
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