Avant de prononcer la sentence de dégradation, l'évêque de Paris, toujours docile aux directions du cardinal de Lorraine, voulut tenter un suprême effort pour ramener du Bourg à la foi catholique. Il alla le trouver à la Bastille, et lui fit les plus grandes protestations d'affection, l'assurant qu'il avait à coeur de conserver au roi et à l'État un si éminent serviteur, appartenant à une illustre famille, sur laquelle sa mort jetterait un déshonneur ineffaçable. Mais il l'avertit qu'au point où en étaient les choses, il ne restait qu'un seul moyen de lui sauver la vie ; c'était qu'il consentit à signer une confession de foi que le prélat avait fait rédiger par ses docteurs et qu'il lui apportait. Du Bourg parut touché de cette démarche et demanda à son visiteur de lui laisser cette formule pour qu'il l'examinât. Il demanda en même temps qu'on lui donnât du papier, une plume et de l'encre, pour qu'il pût rédiger son adhésion ou ses réserves. La demande était trop naturelle pour être repoussée. L'évêque, croyant avoir cause gagnée, se retira.
« L'évêque, » dit Crespin, « cuidant avoir pris le loup au piège, s'en retourna joyeux vers le cardinal. Et de là se semèrent bruits, que le caquet de du Bourg était bien rabaissé, et qu'il s'était accordé avec les Sorbonistes. Mais quand on revint vers lui, au lieu que l'évêque cuidait emporter sa confession signée, il en trouva une autre écrite et signée de la main de du Bourg, contraire à la sienne, tirée des Saintes Écritures, laquelle il dédiait à la cour de Parlement, étant du tout résolu de la sceller par sa mort, pour cruelle qu'on la lui sût présenter. L'évêque, crevant de dépit, alla trouver son cardinal, qui déjà s'était vanté devant le roi d'avoir gagné du Bourg (1). »
Les Actes des martyrs, de 1564, à
la suite de cet incident de la visite de
l'évêque, placent le texte de la
Confession de foi de du Bourg, ce qui en fixe la
composition aux derniers jours du mois de juin
1559, tout au commencement de sa captivité,
et du vivant de Henri II, auquel même elle
aurait peut-être été lue
(2).
Les autres auteurs contemporains, ou bien
n'en précisent pas la date ou bien la
reculent jusqu'à la fin de la
captivité, en novembre ou décembre
1559. Nous croyons devoir suivre, sur ce point
encore, le premier récit de Crespin, qui est
le plus précis de tous. Ce document se
trouve bien à sa place logique au
commencement de la captivité de du Bourg.
C'est bien pendant sa mise au secret de neuf jours
et pendant ses deux journées de discussions
avec Eustache du Bellay et
Démocharès, qu'a dû
s'élaborer, dans l'esprit du prisonnier,
cette oeuvre théologique, qu'il n'a eu
qu'à jeter ensuite sur le papier, quand
l'occasion lui en a été fournie par
la visite de l'évêque. C'est bien au
commencement du procès que devait se
produire cet exposé de ses croyances,
adressé au roi et au parlement. Ce que nous
savons d'ailleurs des derniers temps de la vie du
martyr, et des fatigues physiques et morales qui
résultèrent pour lui de sa longue et
dure détention et de sa lutte
prolongée et infructueuse contre ses
adversaires sur le terrain légal, ne permet
guère de placer à
cette époque cette oeuvre calme et forte.
L'oeuvre des derniers jours de sa vie, ce fut l'Oraison au Sénat
de Paris
(3), qu'il
suffit
de comparer à la Confession pour comprendre
que ces deux écrits n'appartiennent pas
à la même période.
Il résulte toutefois des textes les
plus certains, que du Bourg rédigea une
confession de foi vers la fin de son procès.
Sa sentence de mort vise des
« confessions
réitérées et
représentées en la Cour par ledit du
Bourg
(4). »
N'est-il pas légitime de supposer que, dans
les circonstances douloureuses qui
l'obligèrent à renouveler la
solennelle profession de sa foi, il reprit l'oeuvre
composée par lui six mois auparavant pour
l'évêque de Paris et pour le roi, et
qu'il la remit à ses juges comme
l'expression définitive de sa foi, en y
ajoutant peut-être une conclusion ?
Cette hypothèse, que semblent justifier les
termes de la sentence, a l'avantage de concilier le
récit des Actes des martyrs avec ceux
de la Vraye Histoire, de Chandieu, de la
Place et de tous ceux qui les ont
copiés.
On n'analyse pas ces documents dans lesquels
les Églises et les hommes du seizième
siècle dessinèrent, en traits fermes
et précis, les contours de leurs doctrines.
Et quand surtout on se trouve en présence
d'une oeuvre comme celle-ci, écrite dans un
cachot et dont la calme et
courageuse franchise eut pour récompense un
bûcher en place de Grève, on sent
qu'on n'a autre chose à faire qu'à
écouter avec respect ce témoignage de
la foi d'un glorieux martyr. Ne pouvant tout citer
(5), bornons-nous
à reproduire les premières phrases et
la conclusion de ce document :
« Puisqu'il a plu à notre bon Père de me faire la grâce de vous avoir rédigé par écrit la confession de ma foi et de la forme de vivre que je veux suivre ; ensemble, afin que je réponde aux articles extraits des Ordonnances du roi, pour le tout joindre à mon procès, et sur ce donner sentence d'absolution ou condamnation : - Je vous déclare que je suis chrétien, et veux vivre et mourir pour ensuivre et maintenir la doctrine du bon Dieu Père éternel, et de son Fils unique Jésus-Christ, notre seul Sauveur, Médiateur et Avocat qui est de même substance que son Père, éternel et immortel ; et du Saint-Esprit, qui est la vertu de Dieu, procédant du Père et du Fils. »
Après avoir exposé sa foi avec une précision et une vigueur remarquables, et en appuyant ses vues de nombreux passages bibliques, du Bourg conclut ainsi :
« Moi donc, connaissant les grandes erreurs, superstitions et abus auxquels j'ai été plongé par ci-devant, maintenant je renonce à toutes idolâtries et fausses doctrines, qui sont contraires et contrevenantes à la doctrine de mon Maître Jésus-Christ, qui est la sainte et pure parole de Dieu, contenue aux livres canoniques du vieil et du nouveau Testament, révélée, par le Saint-Esprit, laquelle je prends pour mon guide et ma conduite en cette vie mortelle, comme la colonne de feu, conduisant les enfants d'Israël par le désert jusques en la terre promise et désirable ; ce sera la lanterne de mes pieds.
» Ensemble, je promets pour l'avenir et résidu de ma vie, cheminer et vivre selon la doctrine le mieux qui sera à moi possible, moyennant l'Esprit de Dieu qui m'assistera et dirigera en toutes mes voies, sans lequel je ne puis rien, avec lequel je puis tout, tellement que tout sera à la louange d'icelui, à l'avancement du royaume de son Fils, à l'édification de toute son Église et au salut de mon âme. Auquel seul je rends grâces éternelles ; lequel aussi je prie, au nom de son Fils notre Seigneur, me vouloir confirmer et entretenir par son Saint-Esprit en cette foi jusques à la fin, et me donner grâce, vertu et puissance de la confesser de coeur et de bouche, tant devant fidèles qu'infidèles, tyrans et bourreaux de l'Antéchrist, et icelle maintenir jusques à la dernière goutte de mon sang.
» Je désire grandement vivre et mourir en cette foi, sachant et étant bien assuré qu'elle a pour fondement la seule parole du Seigneur, et qu'en icelle ont vécu et sont morts tous les saints Pères, Patriarches, Prophètes et Apôtres de Jésus-Christ. C'est la vraie connaissance du Seigneur, en laquelle gît et consiste la béatitude et félicité de l'homme, comme dit Jésus-Christ : « Cette vie est la vie éternelle, ô Père, qu'on te connaisse seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. »
« Voici la foi en quoi je veux vivre et mourir, et ai signé cet écrit de mon seing, prêt à le sceller de mon propre sang, pour maintenir la doctrine du Fils de Dieu, lequel je prie humblement et de bon coeur vous ouvrir l'entendement de la foi, afin que vous puissiez connaître la vérité. Ce que je lui demande en la manière que nous sommes par lui-même enseignés de le prier, en disant : Notre Père qui es ès cieux, sanctifié soit ton nom, etc. »
L'homme qui, dans son cachot de la Bastille, élevait ainsi sa protestation consciencieuse contre les doctrines romaines et affirmait sa résolution de tout souffrir et de mourir, s'il le fallait, pour ses convictions évangéliques, n'était pas de ceux que l'on séduit par des flatteries. L'évêque de Paris et son maître le cardinal de Lorraine le comprirent, en lisant sa confession.
« Le Cardinal et l'Évêque se sentant au bout de leur rôle, » raconte naïvement Crespin, « et qu'il n'y avait moyen de gagner par leurs eaux bénites ce saint personnage, leur recours fut de le rendre odieux au Roi, auquel firent entendre la douceur de laquelle ils l'avaient voulu réduire au giron de l'Eglise, lui ayant présenté une confession des docteurs de Sorbonne, avec promesse de lui sauver la vie, ses états, biens et bonne renommée, s'il voulait seulement signer. Que lui, au lieu de s'humilier et requérir pardon, s'était élevé jusques à ce point, d'en avoir fait une à sa tête toute contraire, avec protestation d'y vouloir vivre et mourir ; en quoi se montrait une pertinacité et obstination digne de mort. Or, soit qu'ils eussent lu la confession de foi de du Bourg devant le Roi ou autrement, ils rendirent ledit seigneur tellement animé contre ledit du Bourg, que les minutes d'heures lui semblaient siècles tant qu'il eût vu réduit en cendres ce pauvre chrétien (6). »
La perte de du Bourg fut donc
décidée.
Le 30 juin, l'évêque de Paris
réunissait son conseil pour prendre son
avis, et, après avoir déclaré
du Bourg hérétique, ordonnait qu'il
fût dégradé des Ordres qu'il
avait reçus et livré au bras
séculier.
Coïncidence étrange ! ce
jour-même, Henri II, dont cette sentence
exécutait les ordres, tombait frappé
par la lance de Montgommery ! D'Aubigné
raconte que, « comme on emportait le roi,
il tourna la face devers la Bastille, lui
échappant de dire avec un grand soupir qu'il
avait injustement affligé les gens de bien
qui étaient là-dedans. Le cardinal de
Lorraine, qui se tenait près de lui, releva
ses paroles et dit, en s'y opposant, que le diable
les avait dictées
(7). »
LE PREMIER APPEL DE DU BOURG.
La sentence prononcée contre Anne du
Bourg par l'évêque de Paris
n'eût été définitive que
s'il eût consenti à s'incliner devant
elle, sans en appeler au Parlement. Son
procès eût pu alors marcher rapidement
et l'issue, si vivement désirée par
le roi et par ses conseillers, n'eût pas
été retardée pendant plus de
six mois.
Mais le procès de l'illustre
prisonnier ne faisait en réalité que
commencer. Après sa période
théologique, il allait entrer dans sa
période purement juridique, et du Bourg
était résolu à épuiser
toutes les juridictions d'appel, pour obtenir la
cassation de la sentence épiscopale. Il ne
se faisait probablement pas illusion sur l'issue
d'une pareille lutte ; mais il s'agissait de
gagner du temps, et, dans les circonstances
où se trouvait alors la France, le temps
pouvait amener une amélioration sensible
dans la situation religieuse.
Il faut se rappeler en effet que, le jour
même (30 juin 1559) où
l'évêque de Paris rendait sa sentence
de dégradation contre du Bourg, s'ouvrait
une crise politique considérable par
l'accident mortel survenu à Henri Il.
Pendant cette agonie, qui dura dix jours, et dont
les nouvelles traversèrent sans doute les
murs de la Bastille, le magistrat prisonnier dut se
sentir renaître à l'espérance.
Le monarque, qui avait fait le serment impie de le
voir brûler de ses yeux, avait
été frappé dans l'oeil par la
lance de Montgommery, à quelques pas de la
Bastille, où ce même gentilhomme avait
conduit les magistrats suspects de
luthéranisme. Un tel coup de la Providence
ne permettait-il pas d'en attendre d'autres ?
N'était-ce pas seconder ses desseins que de
faire traîner en longueur un procès,
dont le cardinal de Lorraine et sa clique
cherchaient à brusquer le
dénouement ? Qui sait ce
qu'amèneraient les quelques mois qui
allaient suivre ? Anne du Bourg ne craignait
pas la mort, il le prouva
assez ; mais enfin, à l'âge de
trente-huit ans, il lui était bien permis de
croire que sa tâche n'était pas finie
et que l'oeuvre de la réforme religieuse
pouvait réclamer ses services. Il avait donc
intérêt à recourir aux moyens
dilatoires et à épuiser les
juridictions d'appel.
La sentence de laquelle il faisait appel
était, il est vrai, celle qui le
dépouillait des ordres
ecclésiastiques qu'il avait reçus. On
se souvient qu'il occupait au Parlement de Paris un
siège de conseiller-clerc, qu'il perdait, ipso facto, en
perdant la qualité de
clerc, dont le dépouillait la sentence
épiscopale. Dans une des requêtes
qu'il adressa au Parlement, il insista sur ce fait
que, « si ladite sentence était
exécutée, ce serait en
conséquence le priver de son état de
conseiller-clerc, lequel il ne pourrait tenir sans
lesdits ordres
(8). »
À notre point de vue moderne, il y
avait quelque inconséquence, de la part de
du Bourg, à vouloir demeurer nominalement
diacre d'une église dont il s'était
séparé ; mais cette
inconséquence ne choquait personne en un
temps où les domaines respectifs de l'Eglise
et de l'État étaient
mêlés à tel point que, pour
obtenir certaines charges judiciaires, il fallait
revêtir d'abord un caractère
ecclésiastique, qui, dans de telles
conditions, n'était guère qu'une
vaine forme.
Souvenons-nous d'ailleurs que, pour Anne du Bourg,
comme pour beaucoup
d'autres à cette époque, il
s'agissait, non de sortir de l'Eglise, mais de la
réformer. La conclusion de sa
véhémente harangue dans la Mercuriale
avait été l'appel au Concile,
conclusion qui nous paraît pleine de
timidité et d'illusions, aujourd'hui que
nous savons ce que valent les conciles ; mais
ces illusions et cette timidité font
honneur, après tout, aux hommes qui crurent
que la vieille maison lézardée
où leurs pères avaient vécu
pouvait encore, avec des réparations,
être rendue habitable pour leurs
enfants.
Anne du Bourg en appela donc au Parlement.
Pendant que se jugeait son appel, il fut
transféré de la Bastille à la
Conciergerie du Palais et écroué dans
la tour carrée, qui existe encore
aujourd'hui et dans laquelle se trouve l'horloge du
Palais. Il fut jeté, dit Crespin,
« dans le plus sale et infect de tous les
cachots, auxquels on met seulement les plus grands
voleurs, brigands et criminels qui soient en France
(9) - » On assure qu'en y
entrant, il
dit
« Le cardinal de Lorraine veut et il lui
plaît que je sois ici ; J'y serai tant
qu'il plaira au bon Dieu, qui sait toutes choses
(10). »
Dans le but d'arriver à une prompte
solution et d'arrêter court toute
velléité d'indulgence chez les
anciens collègues de du Bourg, devenus ses
juges, il fut décidé que le cardinal
Bertrandi, garde des sceaux,
irait en personne présider les
débats. La hâte d'en finir
était telle que l'agonie du roi
n'arrêta en rien la marche de l'affaire.
Comme il fallait, avant tout, des juges dociles, on
saisit du procès la Grand'Chambre, qui avait
fait ses preuves contre l'hérésie. On
osa même, afin de hâter le
dénouement, refuser à du Bourg l'aide
d'un conseil que l'on accordait aux pires
criminels.
Il dut donc plaider lui-même
« ses griefs d'appel. »
« Il montra, » dit
Crespin, « la crainte et
révérence qu'il portait à
Dieu, qui l'avait amené à ce point de
préférer son honneur et gloire
à toutes choses de ce monde. » Il
demanda à ses juges de prendre connaissance
de la confession de foi qu'il avait
présentée aux juges commissaires et
des interrogatoires auxquels il avait
été soumis ; il exprima l'espoir
« qu'on les trouverait conformes à
la vérité contenue ès
Saintes-Écritures du vieil et nouveau
Testament, et aux docteurs anciens et
approuvés, et que par là on
trouverait l'abus manifeste de
l'évêque. » Il dit
« qu'avant de le déclarer
hérétique, il fallait que les dits
livres de la Sainte-Écriture et ceux des
anciens docteurs fussent préalablement
déclarés hérétiques et
rejetés, pour approuver les inventions du
pape et les rêveries des sorbonistes et
moines. ». Il conclut en disant
« qu'il voulait demeurer à la
source de laquelle il avait tiré sa
confession
(11). »
La Cour était trop disposée
à donner au roi mourant un témoignage
de son zèle à seconder le dernier
acte politique de son règne, pour
s'arrêter à peser les termes de la
confession et des interrogatoires de du Bourg, et,
dès le 5 juillet, cinq jours après la
sentence épiscopale et cinq jours avant la
mort du roi, elle déboutait le plaignant de
son appel, et rendait, selon la formule
consacrée, ce verdict : Bien
jugé, mal appelé !
Du Bourg en appela aussitôt de la
sentence de l'évêque à la
juridiction ecclésiastique
supérieure, celle de l'archevêque de
Sens, « non tant, » dit
Crespin, « pour prolonger ses jours,
comme il a plusieurs fois protesté, que
plutôt par ce moyen avoir plus
d'opportunité de faire connaître la
religion, et profiter en plusieurs lieux autant
qu'il pourrait
(12). »
Le 10 juillet, Henri II mourait au palais
des Tournelles, où il avait
été transporté de la rue
Saint-Antoine. « Son corps fut
exposé, selon l'usage, dans la grande salle
qui, encore toute décorée pour les
noces royales, fut transformée en chapelle
ardente. Tout le monde remarqua, au-dessus du lit
de parade, une tapisserie à personnages
représentant la conversion de saint Paul,
avec les paroles bien, connues : Saul ! Saul !
pourquoi me
persécutes-tu ? Ces mots
circulaient de bouche en bouche. Le
connétable de Montmorency, chargé de
la garde du corps, dut faire
changer la tapisserie, dont le texte donnait lieu
aux plus étranges commentaires. Ainsi
s'affirmait l'idée de la justice divine
parmi ceux qui avaient mis les protestants hors la
loi, et applaudi à leurs supplices.
Mongommery apparaissait Comme un vengeur ;
mais le châtiment dont il avait
été l'instrument involontaire
serait-il une délivrance pour l'Eglise
réformée de Paris ?
C'était là le secret d'un nouveau
règne
(13). »
Si l'agonie de Henri II n'avait pas
arrêté le cours des poursuites contre
les conseillers suspects de luthéranisme, sa
mort ne devait pas amener un revirement en leur
faveur. Son fils et successeur, François II,
était un adolescent débile de corps
et d'esprit, que son mariage avec la reine
d'Écosse, Marie Stuart, mettait sous la
dépendance du cardinal de Lorraine et de
François de Guise, devenus ses oncles, et
qui allaient gouverner la France sous son nom. La
tolérance ne devait pas être le don de
joyeux avènement du nouveau roi, et, pour
bien marquer leur dessein de suivre les errements
du passé, les conseillers de François
II lui firent signer, dès le
quatrième jour de son règne, la
confirmation de la commission des juges
délégués pour instruire le
procès des conseillers détenus
à la Bastille.
L'archevêque de Sens, auquel du Bourg
en appelait comme au
supérieur hiérarchique de
l'évêque de Paris, était alors
ce même cardinal Jean Bertrandi qui venait,
comme garde des sceaux, de présider au
jugement de son premier appel. Loin de se
récuser, il assembla son conseil, et
« fit toute diligence de juger l'appel,
encore qu'il eût présidé aux
autres jugements ; laquelle iniquité du
Bourg, fut contraint de boire comme les
précédentes
(14). » Comme il s'y
attendait, la
première sentence fut confirmée sans
aucune hésitation devant cette
deuxième juridiction.
Et de nouveau aussi, du Bourg interjeta
appel comme d'abus devant le Parlement.
« Étant revenu au Palais pour la seconde fois » raconte Crespin, « il fut mis en une grande chambre sur la salle où mangent les prisonniers qui sont à la table du geôlier ; et pource qu'on se doutait que ses gardes ne fussent luthériens, ils furent changés. Là il reçut plus gracieux traitement du concierge, soit pour la crainte qu'on ne le délivrât après la mort du Roi, soit qu'il y ait été induit par humanité et courtoisie ; toutefois il ne lui était loisible de mettre seulement la tête à la fenêtre, tant il était gardé de près (15). »
« Cependant, » raconte Chandieu, « beaucoup de temps se passait ; et lui étant en la Conciergerie, eut moyen de faire entendre de ses nouvelles à l'Eglise, pour avertir de l'état auquel étaient ses affaires, des demandes qu'on lui avait faites, et de la grâce de Dieu par laquelle il avait confessé notre Seigneur Jésus-Christ sans crainte. Il priait surtout qu'on ne s'offensât point, si on le voyait interjeter tant de fois appel nouveau de l'un à l'autre. Que ce n'était point qu'il voulût gagner du temps, et prolonger sa vie par subterfuges, mais afin d'ôter toute occasion de penser qu'il se précipitât et qu'il fût cause de sa mort avant le temps, s'il oubliait quelque chose qui pût servir à sa justification. Car quant à lui, il se sentait si bien fortifié par la grâce de Dieu, que l'heure de sa mort lui était une heure souhaitable, et qu'il l'attendait avec toute joie. C'était la teneur de ses lettres (16). »
Les lettres de du Bourg ne nous sont
malheureusement pas parvenues, mais nous en avons
un fidèle écho dans les lignes qui
précèdent, et qui sont de l'un des
pasteurs de l'Eglise de Paris, Antoine de la
Roche-Chandieu, lequel les avait certainement
vues.
Le Journal de Bruslart mentionne
aussi ces lettres dont du Bourg fut
« trouvé saisi, »
« lettres pernicieuses, » dit
ce chroniqueur catholique, « qu'il
recevait et écrivait aux fidèles et
à ceux de la Parole
(17). »
On se demande par quelle voie le prisonnier
réussissait à communiquer avec ses
frères. Les Actes des martyrs de 1564
nous donnent, sur ce point, le curieux
détail suivant : « Ce devis
et communication se faisait par un petit trou
à passer la main, par lequel on lui baillait
lettres, livres et autres choses, et lui disait-on
en secret ce qu'on voulait. Mais le geôlier
s'en étant aperçu, fit boucher la
petite fenêtre de la chambre où ledit
trou était. »
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