Isaac était sorti aux champs pour prier. Genèse XXIV, 63.
MES Frères; C'est ici
la maison du Seigneur. C'est ici, c'est dans ces
parvis que le Créateur et le Roi de
l'univers a voulu recevoir l'hommage des peuples
assemblés. Ces édifices religieux, la
plus belle sans doute et la plus utile des
institutions humaines, élèvent
naturellement nos pensées vers le Dieu
auquel ils furent consacrés. Ils nous
rappellent le besoin que nous avons de son secours,
et les promesses qu'il a faites à ceux qui
l'invoquent au nom de Jésus. Ils nous
rappellent la nécessité de nous
humilier devant lui, de lui
présenter en commun le tribut de nos
louanges, de nos prières, de nos actions de
grâces. Ils nous invitent à nous
arracher aux soucis, aux occupations de la terre,
pour entendre les oracles de la
vérité, les leçons de la
sagesse éternelle, et nous unir les uns aux
autres par les liens de la même foi.
Cependant ce serait se tromper beaucoup, et
pourtant quelle erreur plus commune ? ce serait se
tromper beaucoup de penser que nos devoirs envers
la Divinité se réduisent à
ceux que nous lui rendons dans son
temple.
Hélas! elle se relâche bientôt
cette relation, quand elle est la seule qu'on
soutienne avec lui. Quand on ne sait prier le
Seigneur que dans le sanctuaire, on cesse
bientôt d'y venir, ou l'on n'y apporte que
son corps, si je puis m'exprimer ainsi; on y vient
d'une manière toute extérieure et
machinale.
C'est le culte particulier qui nous prépare
au culte public. Ce sont les douces habitudes de la
piété qui
nous appellent dans
l'assemble des Chrétiens et font pour nous
son attrait. Nos demeures doivent être aussi
des temples d'où nos voeux chaque jour
montent comme un parfum vers le Ciel.
Là, sont de petites sociétés
qui doivent lui demander des faveurs plus
particulières, ou lui rendre grâces
après les avoir reçues.
Là, sont de petites sociétés
qui, comme la grande société,
s'unissent d'une manière plus tendre, en
offrant au Très- Haut leurs hommages en
commun.
Je vais plus loin. Il est un culte de tous les
instans, de tous les lieux, que nous devons aussi
lui rendre. Ce culte consiste dans les mouvemens
d'une âme qui s'élève à
lui. En effet, Chrétiens; l'univers entier
est un temple tout rempli de la majesté de
son Auteur; mais c'est pour nous, mes
Frères, c'est pour l'habitant des campagnes
qu'il est décoré avec plus de pompe
et de magnificence. Ah! c'est à nous sans
doute, c'est à nous surtout qu'il appartient
de lui rendre ce
culte intérieur et constant. Par un avantage
aussi distingué que précieux, les
objets sensibles, intermédiaires dangereux
qui cachent le Seigneur à l'habitant des
villes, les objets sensibles nous parlent de lui,
nous appellent à lui.
Heureux l'homme qui se plaît à
écouter cette voix de la nature!
Heureux l'homme qui sait réchauffer sa
piété par le grand spectacle de la
création!
Tel est l'exemple que nous donna notre divin
Maître dont le délassement le plus
doux, après ses fatigues, était de
s'entretenir avec son Père sur la montagne.
Ainsi les Patriarches invoquaient l'Éternel
sous la voûte des Cieux et dans le silence
des lieux écartés. Ainsi, dans notre
texte, Isaac sortit aux
champs pour prier.
Et ne croyez pas, mes Frères, que par cette
expression il faille entendre nécessairement
une requête proprement dite, une suite de
phrases ou de discours. Je ne le pense pas; c'est
le bonheur de se sentir plus près de son
Dieu, que le Patriarche
allait chercher dans les ravissans tableaux de la
campagne.
Ce n'est point la parole qui fait l'essence de la
prière : il est une manière de prier
plus intime et plus douce, plus simple et plus
sublime. Un ami est auprès de son ami, un
époux auprès de son épouse;
même en se taisant, leurs coeurs se parlent
et s'entendent; ils jouissent de la douceur
d'être ensemble. Ainsi le
fidèle, même sans rien demander ou
sans rien exprimer à son Dieu, le prie
cependant. Il le voit; il le sent; il se repose
dans son sein.
S'approcher de Dieu par le coeur, sentir sa
présence, voilà la véritable
prière. Elle est à la portée
de l'enfant dont les idées sont encore
confuses, du vieillard dont les facultés
s'affaiblissent. C'est cette prière qui nous
unit réellement à Dieu. C'est cette
prière à laquelle je voudrais vous
former. C'est cette prière à laquelle
notre position nous invite. Et voilà
pourquoi, mes Frères, j'ai consacré
ce discours à vous rappeler cette
intéressante
vérité.
Puisse-je la graver bien avant dans vos coeurs!
Puisse-je vous aider à prendre l'heureuse
habitude de voir Dieu partout, de vous approcher de
lui sans cesse! Ainsi soit-il! Isaac
sortit.....
Jamais,
en effet, la dévotion n'est excitée
plus vivement que dans la solitude de la campagne.
Le silence et le calme de la nature; mille objets
qui fixent nos regards et nous disposent à
réfléchir sur la cause qui les a
produits; un sentiment plein de douceur qui nous
attache à les contempler; le rapport de ces
objets avec notre bon heur, tout se réunit
pour favoriser le recueillement, pour élever
l'âme, pour nous conduire sans efforts et
presque involontairement à l'Auteur
suprême de toutes ces merveilles.
Et dans quel lieu nous formerions- nous une
idée plus grande, plus juste de sa
puissance, de sa sagesse, de sa bonté, qu'au
milieu de ses oeuvres?
Ou nous instruirions-nous mieux de ce
que peut faire sa Providence,
qu'en observant de près ce qu'elle fait tous
les jours, ce qu'elle met, pour ainsi dire,
à chaque instant sous nos yeux ?
Voyez cette étendue que votre oeil ne peut
mesurer. Ne réveille-t-elle pas en vous
l'idée de l'infini ? Considérez cette
vaste ordonnance, cette harmonie qui ravit les sens
et prépare l'âme à
l'émotion; cette variété,
cette richesse inépuisable dans les
détails; cette grandeur simple et imposante
dans l'ensemble; à ces traits, qui ne se
trouvent pas dans les ouvrages humains, votre
esprit reconnaît la
Divinité.
Cette impression confuse et délicieuse que
vous éprouvez tient à l'idée
de toutes ses perfections réunies; elle vous
dispose à tous les sentimens qui lui sont
dûs. Les
Cieux, dit le
Psalmiste (Ps.
XIX.
1. 4), les
Cieux
racontent la gloire du Dieu Fort; il n'est
point en eux de langage, et
cependant ils
parlent à l'esprit et au coeur;
ils ont
une éloquence plus persuasive que tous nos
discours, une force de démonstration plus
convaincante que tous nos raisonnemens. Aussi St.
Paul déclare (Rom.
I,
20), que
les
perfections invisible de Dieu se voient comme
à l'oeil..... quand on considère ses
ouvrages.
Mais si un regard jeté sur l'univers est
déjà si propre à
réveiller en nous le sentiment de la
présence du Créateur, que sera-ce, si
nous considérons en détail les divers
phénomènes que nous présente
le spectacle de la nature? Il est sans doute des
momens et des époques où l'impression
que l'âme en reçoit devient plus
pénétrante, où
s'élèvent en nous plus fortement les
réflexions qui nous rappellent à
notre Dieu.
Qui jamais, par exemple, contempla le lever du
soleil, et n'a pas senti ce que je viens
d'exprimer? Quel moment
lorsque ce globe d'or, s'élevant dans
l'orbite des Cieux, vient ranimer par sa
présence la nature silencieuse et
décolorée! D'abord il brille seul,
comme s'il était le seul Être qui
existât; mais aux premiers regards qu'il
jette sur nos campagnes,chaque objet se dessine,
reprend sa forme et sa couleur : le feu de ses
rayons pénètre jusque dans la sombre
obscurité des forêts les plus
épaisses. L'
univers, suivant
la
belle expression d'un grand poète, semble
sortir
du
néant. Quel
plus noble emblème de ce Dieu, source de
toute grâce et de toute beauté, qui
peut faire paraître, quand il lui
plaît, les
choses qui ne sont pas
(Héb.
XI,
3), répand
ses bienfaits de tous
côtés sur toutes les créatures,
et a qui seul appartiennent la gloire et
l'éclat! Quel plus noble emblème de
ce Dieu Créateur, Rédempteur, qui
nous a donné deux fois l'être, et dans
nos Livres Saints. prend
lui-même le nom de Soleil de
justice!
Mes Frères, dans ces instans où la
nature se réveille, où le murmure
confus et les cris d'allégresse de tant
d'êtres animés succèdent au
calme le plus profond, n'entendez-vous pas une voix
qui nous invite à joindre notre hommage
à l'hommage universel, à faire monter
jusqu'au Seigneur nos premières
pensées, nos premiers sentimens, à
lui consacrer ses forces qu'il renouvelle et ce
jour qu'il nous rend!
Un prodige du même genre et non moins
frappant s'opère au sortir de l'hiver.
L'habitude qui émousse tout ne peut y rendre
personne absolument insensible. Tout est sans vie :
la terre glacée semble dormir du sommeil de
la mort : les arbres et les plantes sont froids et
desséchés comme les ossemens au fond
des tombeaux. Tout-à-coup la voix du
Souverain se fait entendre. Le soleil fait sentir
à nos campagnes sa chaleur fécondante
: elles se couvrent d'une tendre
verdure; tout s'anime; les rameaux des arbres, et
jusqu'aux plus faibles arbrisseaux, rougissent
comme s'ils étaient sensibles au plaisir de
renaître; par degrés ils poussent de
timides boutons : le paysage se peint des
premières couleurs; en peu de temps la
décoration magique du printemps est
achevée.
Ah! dans ces premiers jours, dans ces beaux jours
de Mai, où la terre est parée des
mains de Dieu même pour les plaisirs de
l'homme, où la moindre plante s'empresse
à fleurir autour de lui, comme si elle
était chargée de lui offrir un tribut
de jouissance; dans ces beaux jours de Mai,
où le bonheur est dans l'air qu'on respire,
où les animaux, les oiseaux, les insectes
répandus avec profusion dans l'espace,
semblent jouir avec délices de l'existence,
et célébrer dans leur langage la
bonté du Tout-Puissant, o homme! toi, pour
qui se déploie ce tableau ravissant, ne
sentirais-tu pas ton coeur ému,
pénétré de joie et de
reconnaissance, pressé du
besoin de s'élever au Conservateur, au
Bienfaiteur de l'Univers?
Disciple de Jésus! ne penserais-tu pas que
tu peux attendre de plus grandes choses encore, que
les bienfaits dont tu jouis sont pour toi les gages
de l'emblème de bienfaits plus grands; que
dans la renaissance de la nature tu dois voir
l'image de ta propre renaissance, de cette
régénération qui doit
s'opérer en toi ici-bas, aussi bien que de
cette résurrection, de ce rajeunissement
éternel que nous a promis le Sauveur du
genre humain ?
Quelque vives cependant que soient les impressions
que fait sur nous cette première
scène, il est une circonstance plus propre
encore à nous élever à Dieu,
une circonstance où il semble que le coeur
le plus froid soit comme forcé de s'ouvrir
à la reconnaissance : c'est celle des
récoltes qu'amène pour nous
l'été. Heureux momens où ces
épis, qui faisaient la parure de nos champs,
tombent sous la faucille, où nos
campagnes retentissent
des
accens de la joie, où le passant
s'arrête involontairement pour la partager,
où l'on voit le cultivateur conduire, comme
en triomphe, ces chars surmontés de gerbes
dorées, que les animaux qui le servent
semblent fiers de traîner!
Qu'il serait criminel celui qui ne ferait pas
monter alors ses actions de grâces
jusqu'à l'Auteur de tout bien!
L'habitant des villes peut se faire quelque
illusion sur la main qui le nourrit; il peut,
considérant l'édifice de sa fortune,
être tenté de dire comme
Nabuchodonosor : C'est
la force de mon bras qui l'a
élevé
(Dan.
IV,
30); c'est à
l'étendue de
mes projets que je le dois, c'est à
l'habileté des moyens que j'ai mis en
oeuvre. Mais vous, mes Frères, qui ne savez
pas même comment le grain que vous mettez en
terre peut germer dans son sein, pouvez-vous
oublier que Paul
plante, Apollos
arrose,
que
Dieu seul donne l'accroissement
(I
Cor. III, 6) Et
lorsque l'abondance entre dans
vos greniers devenus trop étroits pour la
contenir; lorsque l'on, voit une partie des
présens de l'été demeurer
entassé dans vos prairies, n'offrirez- vous
pas au Ciel quelque tribut dans la personne du
pauvre ? Ne direz-vous pas : Seigneur nos biens ne
peuvent monter jusqu'à toi, mais j'en ferai
une part pour mes frères indigens, desquels
tu as dit : Je
regarderai comme fait à moi-même ce
qu'on aura fait au plus petit d'entre
eux (Math.
XXV,
40) ? Et la
vue de ces dons ne
produira-t-elle point de retour sur notre
indignité?
La bonté de Dieu ne réveillera-t-elle
point en nous ce mouvement de repentir que la
générosité fait naître
dans les coeurs sensibles? Quel est-il, en effet,
ce Dieu qui nous comble de biens ?
C'est un Dieu que nous
avons offensé mille
fois, que nous offensons tous les jours. L'homme
est toujours rebelle envers lui; il est toujours
bon envers l'homme. C'est peu que la terre continue
de porter cet ingrat. Il ordonne aux saisons de lui
payer un tribut régulier; le fruit
succède à la fleur; jamais,
malgré les temps les plus contraires, les
récoltes de première
nécessité ne manquent absolument;
jamais, depuis près de six mille ans, le
printemps, l'été, l'automne, l'hiver
n'ont cessé de se succéder pour nous,
et de paraître en leur rang.
Hélas! tandis que nos bons mouvemens
s'évanouissent comme
la rosée, que
nos projets d'amendement sont
comme une plante qui n'a point de racine; tandis
que nous sommes toujours infidèles à
notre Dieu, il
ne se
laisse point sans témoignage envers nous en
nous faisant du bien (Act.
XIV,
17). Mais
si
ce Dieu tout bon se plaît à nous faire sentir
sa présence
par les bienfaits qu'il répand, c'est
quelquefois aussi par les coups dont il nous frappe
qu'il en réveille l'idée dans nos
âmes.
Les biens
et les
maux nous
viennent
directement de lui (Lament
de
Jérémie, III,
38); l'Éternel
l'a donné,
l'Éternel l'a
ôté
(Job
1,
21). Voilà,
dans les uns et les
autres, le langage qui nous convient
particulièrement. Lorsque, pour nous
rappeler à lui par la crainte de ses
jugemens, il cesse d'envoyer sur nos champs les
rosées du Ciel et les
pluies de la première et de
la dernière saison
(Jacq.
V,
7), dans ces
tristes jours de
sécheresse, où la terre n'est plus
qu'une poussière morte et inféconde,
où les animaux altérés et
languissans, les arbrisseaux
desséchés, les arbres
dépouillés de feuilles, les prairies
consumées comme par le feu, annoncent de
concert la désolation de la nature,
ne vous semble-t-il pas
entendre cette voix : Éternel,
caches-tu ta face, tes
créatures sont troublées; retires-tu
ton souffle, elles défaillent et rentrent
dans la poussière
(Ps.
CIV,
29)! Humiliez-vous
sous la puissante main
de Dieu (I
Pier. V, 6).
Comment l'homme, quelque présomptueux qu'il
soit, se soustrairait-il alors au sentiment,
à l'aveu de sa dépendance?
Pressera-t-il les nuées dans sa main pour en
faire distiller la pluie? L'achètera-t-il au
prix de l'or? Mais tout l'or du monde ne peut faire
couler de la rosée dans le calice d'une
seule fleur. Tous les potentats réunis, tous
ces monarques qui peuvent armer des millions
d'hommes et verser des torrens de sang, ne
sauraient faire tomber du Ciel une goutte d'eau. Et
dans ces momens cruels où le cultivateur
voit des nuages rembrunis s'amonceler sur sa
tête, un jour sombre, effrayant, se
répandre tout-à-coup sur
la nature; lorsque le
bruit
sinistre, le roulement du tonnerre lui
présagent cette grêle, fléau si
redouté dans nos campagnes, à qui
s'adressera-t-il dans ses alarmes?
A qui demandera-t-il du secours? Immobile sur le
seuil de sa demeure, n'est-ce pas vers le Ciel
qu'il lève ses yeux? S'il est frappé,
peut- il méconnaître la main
d'où part le trait? N'est- il pas
forcé de dire : C'est
toi qui l'as
fait (Ps.
XXXIX,
10)?
S'il est épargné, s'il voit l'orage
se dissiper en pluie, sa bouche ne doit-elle pas
s'ouvrir d'elle-même pour prononcer ces
paroles? L'Éternel soit béni!
(Job
I,
21).
Mais encore le moment qui va suivre n'est-il pas
bien fait pour exciter dans son âme les
émotions de la piété? Il
parcourt ses domaines pour s'assurer qu'ils n'ont
point souffert. L'air est devenu calme; les
plantes, les fleurs relèvent leur
tête; les oiseaux rassurés
recommencent leurs concerts : tout
annonce que la
Divinité est apaisée; il voit ce bel
arc où se jouent les rayons du soleil,
briller de mille couleurs, ce bel arc qui fut le
gage du premier traité que le
Très-Haut fit avec l'homme
déchu.
Comment ne se rappellerait-il pas la promesse
consolante que le Seigneur y daigna joindre?
Comment ne bénirait-il pas au fond de son
coeur ce Dieu qui s'est souvenu dans tous les
temps, qui se souviendra toujours d'avoir
compassion, et qui voulut associer le doux
sentiment de l'espérance à l'un des
plus délicieux phénomènes de
la nature?
Que dirai-je enfin? La dernière saison de
l'année, l'automne, est celle qui nous offre
à la fois plus de biens, et nous invite plus
fortement aux réflexions salutaires. La
campagne alors semble s'épuiser pour les
besoins de l'homme. Pour lui mûrissent ces
grappes, couleur d'or ou de pourpre, qui donnent
une liqueur fortifiante: pour lui distillent
l'huile et le miel: pour lui les
arbres se dépouillent
de leurs fruits colorés. La terre lui offre
une seconde moisson; elle l'appelle à tirer
de son sein ces racines précieuses qui,
mieux que tout autre aliment, peuvent
suppléer à la disette du grain. Mais
en même temps que toutes ces richesses le
pressent de bénir l'Auteur de son
être, quelque chose de sérieux semble
se mêler à sa joie, car c'est le
dernier tribut que lui paie l'année. Le
soleil, qui perd sa force et sa vigueur en
signalant les approches de l'hiver, lui
présage aussi cette froide vieillesse qui
doit bientôt peut-être ralentir le
cours de son sang. S'il jette ses regards sur le
paysage décoloré, les changemens
qu'il aperçoit l'avertissent de ceux que le
temps opère en lui; le sifflement des vents,
le bruit mélancolique des feuilles
tombantes, sont comme les accens du tombeau qui
l'appelle; et ces biens même qu'il place en
réserve pour la saison morte, ne lui
disent-ils pas assez de faire aussi provision de
bonnes oeuvres, pour le temps
où il ne pourra plus travailler, de mettre
de l'huile dans sa lampe pour la nuit qui s'avance,
pour le moment solennel où viendra
l'époux? Je pourrais multiplier ces
détails; mais il est temps de nous
arrêter et de conclure ce discours.
Il me semble, mes Frères, qu'on ne peut
réfléchir sur les secours que la vie
champêtre offre à la
piété, sans être
pénétré d'admiration pour les
vues sages et profondes du Créateur. En nous
donnant un goût naturel pour ce genre de vie,
il a voulu sans doute nous attirer à lui par
un de nos penchans les plus doux.
Hélas! combien de fois nous trompons ses
vues bienfaisantes, nous séparons ce qu'il
voulut unir! A travers la distraction des plaisirs
et des affaires, ce penchant conserve son empire
sur la plupart des hommes: ceux même que leur
position condamne à ne jamais habiter les
champs, se plaisent à venir quelquefois y
respirer un air plus pur; on les
voit dans les beaux jours sortir des murs qui les
enferment et se répandre avec empressement
dans nos campagnes; mais est-ce toujours pour
adorer le Dieu qui les a décorées?
Est-ce, comme Isaac, pour
prier ?
Il en est sans doute qui se joignent à notre
dévotion, et l'animent par leur exemple;
mais combien d'autres ne songent qu'à se
livrer à une joie folle et bruyante! Combien
qui ne craignent pas de profaner nos jours saints
et nos fêtes solennelles, qui viennent
insulter au Tout-Puissant au milieu de ses
ouvrages! &emdash; En de telles occasions, mes
Frères, songez qu'il ne vous est pas permis
de vous borner à ressentir une douleur
stérile: arrêtez les profanateurs;
réprimez-les de toutes vos forces; opposez-
leur tous les obstacles qui sont en votre pouvoir,
surtout faites-les rougir par le spectacle de votre
piété. Vous seriez plus coupables
qu'eux; vous sans cesse entourés de la
gloire du Très-Haut, vous
seriez bien plus coupables; s'il cessait
d'être présent à votre
coeur.
Que ces hommes grossiers, comme il en est ailleurs,
qui, cultivant le sein de la terre, ne savent pas
même lever les yeux pour admirer le soleil
levant, qui ne les arrêtèrent jamais
avec ravissement le soir sur ces magnifiques
couleurs dont il peint la chaîne des
montagnes; que de tels hommes n'entendent pas la
voix des cieux et de la terre qui proclament leur
Auteur; que le spectacle de la nature ne les
élève point à lui: ils sont
des objets de pitié plutôt que
d'indignation. Mais, vous, qui avez reçu
plus d'intelligence et de sensibilité! vous,
dont les facultés sont
développées par l'instruction qu'on
reçoit dans nos villages! vous, à qui
il a été donné d'admirer les
merveilles de la création! songez que si
vous les admiriez sans en être émus,
si vous les admiriez sans fruit, si vous sortiez
aux champs non pour prier, mais pour mal faire,
pour vous éloigner de la
maison du Seigneur, vous
appelleriez un jugement rigoureux sur votre
tête.
Ah! que la piété, si bien faite pour
l'habitant des campagnes, vienne se réfugier
parmi nous comme dans un asile! qu'elle vienne nous
consoler de ces désordres, de ces
excès dont la terre fut s i long-temps le
théâtre, et que nous entendions
réciter avec effroi! qu'elle vienne parmi
nous conserver, rétablir la dignité
de la nature humaine déshonorée par
tant de forfaits!
Eh! quel être plus intéressant, plus
respectable que l'homme des champs, lorsque,
remplissant sa vocation naturelle, il forme avec le
Seigneur cette intime relation à laquelle il
est si fortement invité! C'est a lui que
s'applique véritablement et d'une
façon toute particulière cette belle
expression; que l'homme
est le pontife du superbe
temple de l'univers.
Quel noble caractère le sentiment habituel
de la présence du Très-Haut imprime
sur son front! Quelle
gravité assaisonnée
du sel de la sagesse dans ses discours! Quelle
consolation pour ses peines! Quel charme
ajouté à ses innocens plaisirs!
Quelle douceur dans sa disposition constante!
O enchantement de l'idée de Dieu et de la
contemplation de la nature! croyez-moi, mes
Frères, il n'est rien qui s'allie si
délicieusement que l'impression de ces deux
objets. La contemplation de la nature rend plus
vive et plus sensible l'idée de Dieu, et
l'idée de Dieu anime, embellit le spectacle
de la nature: le coeur est alors comme
inondé d'une volupté céleste;
il conçoit, il savoure d'avance le bonheur
des élus; il conserve le calme au sein de
l'épreuve; dans les saisons contraires, dans
les rigueurs de l'adversité, dans toutes les
situations de la vie, il adore la volonté de
son Dieu.
Prenez-la donc, Chrétiens, cette heureuse
habitude de prier aux champs comme Isaac, de vous
élever au Seigneur dans toutes les
occasions, dans tous les
instans. Que l'idée de Dieu vous suive dans
vos guérets et dans vos prairies: qu'elle
vous accompagne lorsque vous allez au travail,
lorsque vous en revenez; bientôt elle se
réveillera d'elle-même dans votre
âme, et vos yeux ne seront jamais
frappés des oeuvres du Créateur sans
que votre âme s'unisse à lui.
Mes chers Frères, vous dont le bonheur, vous
dont les intérêts éternels font
et feront toujours l'objet constant de ma
sollicitude! si je pouvais, si je pouvais
réussir a vous faire prendre l'heureuse
habitude de vous élever au Seigneur, ce
serait assez; je n'aurais plus besoin de vous
adresser d'autre exhortation; ce serait assez pour
régler vos actions, vos discours, vos
pensées, tous les mouvemens de votre coeur.
Vous ne viendriez plus dans ce temple m' entendre,
en retraçant vos devoirs, vous reprocher
quelquefois de les avoir négligés.
Vous y viendriez pour donner l'essor à votre
piété, pour offrir au
Très-Haut, suivant les
divers événemens de l'année,
le tribut de la résignation ou de la
gratitude. Je ne monterais dans cette chaire que
pour lui présenter vos voeux, pour
être l'heureux organe de votre ferveur, de
votre amour. Nos exercices de piété
ne se raient plus que l'effusion, la vive et
touchante effusion de coeurs reconnaissans et
soumis.
O Dieu puissant et bon! dont tout nous entretient,
que nous entrions enfin dans tes vues! que nous
profitions des secours que ta bonté nous
présente pour nous élever à
toi! Grand Dieu! dont la majesté nous
environne! que nous te voyions partout! que nous te
voyions toujours! alors ces campagnes que tu as
favorisées de tant de grâces seront
vraiment l'image de cet Éden, où le
plus beau privilège de l'homme innocent
était de communiquer sans cesse avec
loi.
Amen. Amen.
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