Travaillez, non pour l'aliment qui périt, mais pour celui qui subsiste jusque dans la vie éternelle. Jean VI, 27.
L'HOMME abuse même des
choses les plus excellentes. C'est-là, mes
Frères, une réflexion bien triste, et
qui se présente trop souvent à
l'esprit. Les découvertes les plus utiles,
les plus célèbres; l'or, le fer,
l'art d'exprimer le fruit de la vigne, de
s'entretenir avec les absens, avec les races
futures, en traçant sur le papier ses
sentimens et ses pensées; ces
découvertes sont devenues pour lui des
occasions d'excès, de malheurs et de crimes.
Il sait dénaturer jusqu'aux vertus et les
changer en vices.
Ainsi le travail, si nécessaire à la
société comme aux individus; le
travail, qui fait servir notre industrie, nos
forces, nos talens, aux plaisirs, aux besoins de
nos semblables, et fait des facultés d'un
seul la propriété de tous; le
travail, source de tant de satisfaction, de
jouissances; unique secret de couler rapidement les
heures et d'en tirer un riche parti; le travail,
qui nous sauve de tant de maux, nous garantit de
tant de pièges, nous préserve de tant
de fautes, et n'est pas seulement pour nous un
plaisir, une ressource, une défense, mais un
devoir positif que nous imposa le Créateur;
le travail peut devenir une occasion de chute et le
sujet de notre condamnation.
Voila le malheur dont notre divin Maître veut
nous garantir. Il adressait les paroles de mon
texte à ces Juifs grossiers qui
s'empressaient sur ses pas, non pour être
éclairés de la lumière qu'il
venait apporter au monde, mais
dans l'espérance de
recevoir encore de sa main ce pain qu'ils l'avaient
vu deux fois multiplier en leur faveur.
Travaillez, leur
disait-il,
non pour
l'aliment qui
périt, mais pour celui qui subside jusque
dans la vie éternelle:
II leur fait sentir par ces mots la
préférence due aux biens de
l'âme, aux biens éternels;
préférence qu'il faut montrer, je ne
dis pas, en nous séparant de la
société, en abandonnant les soins de
la terre, puisque le Dieu qui nous y place et qui
lui même agit sans cesse, nous appelle
à l'activité, veut que nous soyons
ses imitateurs, mais en nous occupant de ces soins
terrestres pour lui plaire et suivant ses vues.
Or, on peut violer cette règle, soit par la
manière dont on travaille, soit par l'esprit
avec lequel on travaille. Développons ces
deux idées; pressons ensuite le grand motif
que le Sauveur ajoute au précepte qu'il nous
donne.
Ce sujet me semble particulièrement fait
pour ce moment où commencent
les travaux champêtres.
C'est alors que j'aime à m'adresser aux
enfans de l'Église, aux
hommes de bien du
pays, pour leur
rappeler ce que la Religion leur demande, ce qu'ils
doivent faire pour que l'oeuvre de leurs mains
plaise au Seigneur et fasse descendre sur eux sa
bénédiction.
Travaillez
non pour
l'aliment qui périt.
J'ai dit qu'on peut violer cette
règle par
la manière dont on travaille.
En effet, si dans nos travaux nous
enfreignons les lois du Seigneur, ces travaux
dès-lors sont criminels; on est forcé
de reconnaître qu'ils ont pour unique but l'aliment
qui
périt.
Ici vos pensées se portent naturellement sur
le ravisseur, sur l'injuste, sur l'avare, sur tant
d'hommes égarés par l'esprit
d'intérêt, qui pour s'enrichir usent
de moyens coupables, de violence, de fraude,
offensent l'équité, la
probité, la bonne foi. Ces hommes donnent
sans doute une préférence
évidente aux biens de la
terre. Les biens du Ciel ne sont pas seulement
oubliés, mais sacrifiés. Ils sont mis
dans la balance, ô honte! ils sont plus
légers à leurs yeux que les biens
périssables.
Voilà, mes Frères, ce dont tout le
monde conviendra sans peine. Mais il est une autre
manière de travailler pour l'aliment
qui
périt, aux
dépens de l'obéissance aux lois du
Créateur; il est une autre manière de
préférer cet aliment, bien plus
commune dont la conscience s'effraie bien moins, et
qui par-la même est plus dangereuse. Tel est
le cas de ceux qui travaillent hors de saison, pour
qui le jour du Seigneur s'écoule comme tous
les autres jours, ou même, car telle est
quelquefois la dépravation, la
malignité du coeur de l'homme; ou même
qui, par un renversement de tout ordre, passent
dans l'inaction, dans la débauche, une
partie de la semaine, et que l'on voit se plaire
ensuite à choisir le jour du
repos, le jour du Seigneur, pour
réparer cette perte par des travaux
défendus.
Tel est le cas de tous ceux qui, loin de se
réunir à leurs frères pour
rendre au Créateur, au Rédempteur, un
hommage public, demeurent dans leurs maisons
enfoncés, ensevelis dans les choses de la
terre, ou plus coupables, profanent ce jour saint
par un travail extérieur et public, aux yeux
des justes qu'ils affligent, et des faibles qu'ils
corrompent par cet exemple fatal.
Je sais que la cupidité ne manque jamais de
prétextes, et l'on peut réussir
à s'abuser soi-même en
alléguant les plus misérables; car
l'esprit d'intérêt qui porte l'homme
à faire son tout des biens temporels,
exagère les inconvéniens d'un
délai, crée un danger, une
nécessité souvent chimérique,
et par une double illusion ferme les yeux de
l'homme sur le danger plus réel, sur le
danger plus à craindre d'irriter le
Maître de sa destinée, sur la
nécessité plus
vraie, plus absolue, de se soumettre à ses
lois.
Je ne voudrais pas, Chrétiens, vous sembler
trop sévère, et prétendre
qu'il n'est jamais permis de faire aucune exception
à la défense de travailler le jour du
Seigneur. Eh! qui plus que moi désire
d'avoir égard à tous vos
intérêts ? à toutes vos
convenances, de les concilier toutes, s'il est
possible? Mais je dis, mais j'affirme que ces
exceptions doivent être infiniment rares;
qu'elles sont infiniment dangereuses de nos jours;
que dans le temps où nous vivons, loin
d'oser sur ce point ce qu'on n'eût pas
osé jadis, il faut se rappeler sans cesse
que ce qui pouvait être jadis excusable,
innocent, serait criminel aujourd'hui, Dans ces
jours heureux de notre jeunesse, où
l'observation du sabbat était
protégée non-seulement par les lois,
mais par l'opinion publique, par l'habitude du
respect, par toutes
ces barrières qui ne
se relèvent qu'à demi lorsqu'une fois
on les a brisées, celui qui se permettait
quelque oeuvre en ce jour saint, n'avait à
considérer que la loi seule: sa faute au
moins n'était point aggravée par de
fatales conséquences. S'il y avait
quelque scandale, il était bientôt
puni, réprimé.
L'Institution du dimanche dans toute sa force
demeurait debout; le transgresseur ne faisait tort
qu'à lui-même; il ne portait nulle
atteinte au culte, à la
société. Mais quelle influence n'ont
pas eue sur nos moeurs les événemens
passés! Je vous le demande, cette Religion
divine que nous avons vue tour-à-tour
outragée, opprimée, puis victorieuse
et triomphante, nous a-t-elle retrouvés tels
que nous étions avant cette lutte, et les
maux que nous a causés l'éclipse
qu'elle a soufferte, peuvent-ils être
réparés subitement?
Ah! le respect des choses saintes affaibli dans les
coeurs, l'habitude de voir les profanateurs s ans
indignation et de les imiter sans
scrupule, ce relâchement fatal,
propagé dans l'Église, gagnant de
proche en proche, sont-ce là des plaies qui
puissent être fermées en un jour
?
Et cependant; mes Frères, où sont nos
ressources pour les guérir ? Quelle
autorité soutient- parmi nous la
sainteté du sabbat? Ne parlons point de la
conscience trop aisément séduite par
les passions quand le zèle s'éteint
et que la foi languit; ne parlons point de la loi
civile qui maintenant prête à la
Religion son appui, mais à laquelle on se
soustrait si facilement; et qui
nécessairement laisse bien des profanations
impunies.
Je le répète donc, quelle
autorité soutient parmi nous la
sainteté du sabbat ? Hélas! cette
même autorité de l'exemple, cette
autorité de l'opinion tout affaiblie, tout
énervée qu'elle est.
Qui ne frémirait à l'idée
d'ébranler cette barrière
déjà trop faible qui
nous est rendue ? Tel est
pourtant le crime de l'homme qui viole le sabbat
par un travail défendu, fût-il
même excusable par les circonstances; car
enfin quelles en seront les suites?
Comme on n'est point juge équitable dans sa
propre cause, ceux qui le verront faire
s'autoriseront de son exemple pour travailler dans
un cas moins pressant, mais qu'ils nommeront
semblable au sien, ils tiendront ce propos si
commun: un tel l'a fait, je puis le faire
aussi.
Ces nouveaux transgresseurs ne manqueront pas
d'être imites par d'autres qui, suivant la
marche ordinaire, seront plus nombreux, iront plus
loin que leurs devanciers. Ainsi le désordre
n'aura plus de frein: le jour du Seigneur verra les
campagnes peuplées et les temples
déserts.
Voilà, mes
Frères, quelles suites peut avoir la
profanation du sabbat; voila ce qui répond
à tous les prétextes. Lorsque pour un
misérable intérêt vous
êtes tenté de transgresser la
loi, arrêtez-vous donc.
Frémissez du mal que vous allez causer;
dites-vous à vous- même: pour un gain
de telle ou telle valeur, suis-je donc
résolu à porter atteinte au culte,
à la Religion, à la
société ?
C'est à l'homme de bien surtout, c'est au
fidèle à redoubler de scrupule. Celui
que distingue une réputation de
piété doit craindre plus qu'un autre
de s'écarter de la règle: le trait
qui partirait de sa main serait mortel. L'impie est
moins coupable, mille fois moins coupable lorsqu'il
profane le jour du Seigneur: la vue du scandale
qu'il donne est toujours un mal, sans doute;
personne cependant n'oserait se prévaloir de
son exemple. Il n'en est pas ainsi de celui du
juste: il fait autorité; non-seulement il
entraîne, mais il fait pécher avec
sécurité.
C'est lui qui doit nous prêter son bras pour
soutenir l'arche sainte. Dès qu'il se
relâchera; dès qu'on ne trouvera plus
dans nos villages un parti
d'hommes religieux et fermes,
déterminés à ne profaner le
sabbat sous aucun prétexte, à ne
jamais souffrir en silence qu'on le profane
à leurs yeux, dès ce moment nous
sommes perdus.
Mais que parlons-nous de parti ? N'est-ce pas
là, mes Frères,, l'engagement que
vous avez renouvelé avec tant d'éclat
(1)
?
engagement que
vous avez signé, que plusieurs
Églises ont pris pour modèle, et qui
vous a fait trop d'honneur pour que vous puissiez
le rompre sans honte!
Vous le savez, Chrétiens, pour garant de ces
promesses déposées dans mes mains,
vous avez engagé non-seulement votre
conscience, mais, ce que les hommes ont de plus
précieux après la conscience,
l'honneur. Voilà ce que vous ne sauriez
oublier, mais que je dois vous rappeler
néanmoins, en ce moment surtout où
notre Consistoire redouble ses efforts, ses
instances
pour rétablir l'ordre
dans les Églises de son ressort, et charge
expressément tous les Pasteurs d'y
concourir. Il conjure en particulier les habitant
des campagnes de ne jamais se permettre ces
transports à la ville qui troublent la
tranquillité des jours saints, et
répandent le scandale sur toute la route
qu'on parcourt. Ce serait peu d'éviter de
pareils excès: j'ai besoin d'espérer,
de croire que vous tiendrez vos promesses dans
toute leur étendue.
J'ai supporté l'épreuve des jours
affreux qui se sont écoulés; je n'ai
point abandonné la vigne du Seigneur,
quoique l'ennemi fût venu détruire mon
ouvrage; j'ai dit: La Religion sera
rappelée, l'ordre sera rétabli; mais,
il faut l'avouer, si mes espérances
périssaient de nouveau; si maintenant que
les autels sont relevés, il me fallait
assister encore au même cours de
profanations, ah! j'irais déplorer loin de
vous le malheur d'avoir travaillé sans
fruit, et de n'avoir pu conserver
fidèle à son Dieu le troupeau pour
qui seul j'ai vécu.
Ne vous étonnez pas, Chrétiens, de me
voir tant insister sur ce point. Le sabbat est
l'appui de la Religion, la pierre angulaire de
l'édifice; l'observation du sabbat est pour
chaque enfant de l'Église le soutien, le
garant de sa foi. Et quand il ne suffirait pas de
l'intérêt de votre salut, dont mon
coeur est toujours pressé, ignorez vous
qu'une responsabilité terrible pèse
sur ma tête?
Oui, lorsque nous paraîtrons ensemble devant
le tribunal du Grand-Juge, c'est moi qui serai
appelé le premier, c'est à moi que se
fera entendre cette voix redoutable: Rends compte
de ces âmes, que je t'avais confiées.
Et alors, oh, alors! ces inquiétudes, ces
alarmes, ces instances, toutes ces
importunités de ma tendresse, qui vous
semblent peut-être exagérées,
suffiront à peine pour m'absoudre, et pour
empêcher que je ne sois traité comme
le complice des
transgresseurs.
Mais lors même que nos actions seraient
conformes à l'ordre, nous pouvons encore
être coupables, si notre coeur tient trop aux
objets terrestres. Voilà comment, par
l'esprit avec lequel on travaille, on peut travailler
encore pour l'aliment qui
périt, et
violer la règle que Jésus nous
impose.
Je sais qu'il est naturel de prendre
intérêt aux choses dont on s'occupe
journellement, et de s'y attacher par les soins
qu'on leur donne. C'est-là un de ces
penchans que la main du Créateur imprima
dans notre âme par des raisons infiniment
sages. C'est ainsi qu'il a voulu nous lier aux
devoirs de notre vocation par un sentiment
d'intérêt et de plaisir. Mais s'il est
naturel et permis d'y prendre cet
intérêt, d'y goûter ce plaisir,
il n'en est pas moins vrai qu'il faut travailler en
vue de Dieu, en élevant jusqu'à lui
nos pensées: il n'en est pas moins vrai
qu'il faut contenir nos affections pour les objets
temporels dans de justes
limites.
En effet, notre nature fragile et
dégradée tend sans cesse au
dérèglement: ses penchans les plus
légitimes, les plus salutaires dans leur
origine peuvent facilement
dégénérer en passions. Ce qui
n'était d'abord qu'un goût
modéré, une jouissance tranquille, se
change en un désir inquiet, ardent; et
alors, mes Frères, qu'arrive-t-il?
On se croit dans l'ordre, parce qu'on ne fait rien
de criminel; plus l'objet du travail est
légitime, plus l'illusion est profonde.
Cependant que se passe-t-i l dans
l'intérieur de l'homme? Il perd de vue sa
destination véritable. Être un membre
utile de la société, remplir la
tâche qui lui fut donnée par le
Créateur, ce n'est plus là le but
qu'on se propose. Non, il est tout occupé
d'un autre but que la passion lui présente.
C'est une somme à gagner, un
établissement, une acquisition, une
amélioration à faire. Voilà
l'idée qui fait battre son coeur.
Voilà l'aiguillon qui le
presse.
Voilà l'image sur laquelle ses yeux sont
fixés le jour, la nuit, peut-être
même jusque dans ses songes. Voilà
l'objet qui devient son idole; car tout est idole
pour le coeur, dès qu'on s'en occupe de
préférence à Dieu.
Ainsi l'homme s'agite; il s'inquiète; il
ajoute peut- être à sa fortune; mais
son âme, ce bien pour lequel la possession du
monde entier serait un échange
inégal, son âme ne se purifie point,
que dis- je ? tout occupée des objets
matériels, elle devient grossière et
terrestre comme eux.
Mais, direz-vous peut-être, comment se
préserver d'un piège où l'on
tombe sans s'en défier et comme par un
enchaînement naturel ? Pour cela, mes
Frères, il n'est qu'un moyen: c'est de
veiller sans cesse sur soi-même pour que les
soins de la terre n'absorbent pas nos sentimens et
nos pensées; c'est de réprimer avec
soin nos goûts et nos désirs,
dès qu'il s'y mêle quelque
inquiétude, quelque impatience, quelque chose
enfin qui
n'est
pas entièrement soumis à la
volonté de Dieu; car, mes Frères,
voilà le signe infaillible que nous ne
sommes plus dans l'ordre.
Défions- nous de nous mêmes, lorsque
dans les projets que nous formons, nous ne pouvons
envisager un mécompte sans trouble, lorsque
dans les voeux que nous élevons au Ciel pour
lui demander le succès, il nous en
coûte d'ajouter, comme notre divin
Maître: Que ta
volonté soit faite
(Matth.,
XXVI,
42). Il
faut joindre à ces
précautions le secours puissant de la
prière; il faut s'entretenir avec Dieu
fréquemment, pour purifier nos affections;
il faut nous faire au milieu même de nos
occupations comme une solitude au fond de notre
coeur, où nous puissions nous recueillir,
nous séparer de tout ce qui nous environne;
il faut que le fond de ce coeur soit un sanctuaire
où Dieu seul soit adoré, où
les impressions des objets extérieurs ne
puissent
pénétrer: il
faut se rappeler sans cesse la destination de
l'homme, le but qu'il doit se proposer ici-bas,
où, n'étant qu'étranger et
voyageur, il ne lui est pas permis de former des
liens trop étroits.
C'est cette dernière idée que
Jésus avait en vue dans notre texte.
Pour nous engager à donner la
préférence aux biens éternels,
il ne dit qu'un mot; mais c'est un de ces mots
simples, énergiques, tels qu'on en trouve
souvent dans nos Écritures. Travaillez
non pour l'aliment qui
périt!
Il périt cet
aliment.....,
II
périt quelquefois pour le transgresseur des
lois divines par une direction particulière
de la Providence. Elle se plaît à souffler
sur les travaux de celui qui compte sa
volonté pour rien (Aggée I, 9).
Après avoir laissé son orgueil
s'enfler quelque temps d'un apparent succès,
elle se plaît à renverser
l'édifice qu'il veut
élever sans son secours et fonder sur la
violation de ces lois.
II
périt cet
aliment par la seule instabilité des choses
humaines. Combien de personnes ont vu leurs biens
et leurs espérances s'évanouir comme
ces nuages dorés qui brillent quelques
instans dans les airs!
Il périt enfin
nécessairement,
parce qu'à la mort il
s'échappe de nos mains défaillantes.
Supposez la fortune la plus solide, la mieux
à l'abri de toutes les chances malheureuses,
elle ne saurait durer après tout, pour celui
qui la possède, que jusqu'à la mort
qui engloutit tout.
Travaillez, combinez, amassez, vous ne faites que
préparer une plus riche proie au destructeur
qui s'avance pour vous dévorer; vous
passerez, et tous vos gains avec vous.
Brièveté de la vie!
Instabilité des choses humaines! quel motif
pour ne pas s'attacher à la recherche des
biens de la terre! Brièveté de la
vie! Instabilité des
choses humaines! Prédicateurs
éloquens! comment se peut-il que vous ne
soyez pas entendus?
Oh! comme en ce moment cette idée me frappe
et me saisit! Où sont, mes Frères,
tant de personnes qui faisaient partie de ces
assemblées quand je suis venu habiter parmi
vous? Il me semble qu'il ne s'est
écoulé dès-lors qu'un petit
nombre de jours, et la plupart des membres de ce
troupeau ne sont plus. J'ai vu remplacer tous les
Anciens respectables qui siégeaient à
cette place: presque tous les chefs de famille qui
existaient alors ont disparu; une foule d'individus
de tout âge ont été
moissonnés.
Répondez moi, mes chers Frères;
où sont toutes ces personnes avec lesquelles
vous avez vécu, avec qui vous avez soutenu
peut-être les plus étroites relations
? Où est pour vous ce père
vénérable? pour vous cette tendre
mère? pour vous ce parent, ce protecteur qui
soigna votre enfance ? pour vous
cette soeur, ce frère,
compagnons de vos premières années?
Où sont -ils tous ces membres de notre
petite société qui étaient au
milieu de nous et qui n'y sont plus?
Où ils sont, mes Frères! où
vous serez vous-mêmes peut-être demain,
peut-être dans un mois; où nous serons
tous dans peu d'années. Chaque coup que la
mort frappe à nos côtés est un
appel; c'est une voix, une voix énergique
qui crie à chacun de nous: ton tour viendra
bientôt; ton
âme te sera bientôt
redemandée
(Luc.,
XII.,
20): et à
cette heure fatale, de
quoi te servira l'aliment
qui
péril?
Hâte-toi donc de travailler pour celui qui subsiste
jusque
dans
la vie éternelle.
A présent mes Frères, et je ne
m'adresse point à vous dans ce moment comme
à des disciples de Jésus, comme
à des Chrétiens, mais uniquement
comme à des hommes dont l'esprit n'est pas
troublé, qui n'ont pas perdu l'usage
de leur jugement; je ne parle
point à votre coeur, j'en appelle a votre
raison toute seule; à présent, je
vous le demande, ne serait-il pas insensé de
sacrifier le bonheur de notre existence à
venir, d'une existence éternelle, à
ce voyage d'un jour, à cette vie qui nous
entraîne, qui nous emporte comme un
torrent?
En agir ainsi, ne serait-ce pas être plus
imprévoyant que ces hommes
imprévoyans, objet de nos mépris ou
de notre pitié, plus insensé que
l'héritier d'une fortune immense qui ne
craindrait pas de l'engager pour la fantaisie d'un
instant?
Oh, qu'étrange est le calcul, la
spéculation de ces hommes dont la
société abonde aujourd'hui, qui se
piquent de calculer, de spéculer, et ne
calculent et ne spéculent pourtant que sur l'aliment
qui
périt!
Hélas! sont- ils heureux au moins pendant
cette courte vie à laquelle ils sacrifient
tout?
Esclaves d'une passion qui dessèche le
coeur, ils deviennent toujours
moins sensibles aux innocens
plaisirs, aux douces affections qui font le bonheur
de l'homme, toujours moins sensibles à ces
heureux mouvemens de piété qui sont
la vie de son âme.
Voyez-les inquiets, agités; on ne lit jamais
sur leur front l'expression d'une
sérénité pure: tout
occupés du présent, ils ne sont
pourtant point au présent.
Pénétrez leurs projets, vous verrez
qu'ils renvoient toujours le moment de
jouir.
Comme le Chrétien, ils vivent en
espérance; mais ils ont
échangé cette espérance divine
des biens éternels, qui fait palpiter le
coeur du fidèle; ils l'ont
échangée contre la chétive
espérance d'un peu plus d'or, de quelques
arpens de terre de plus. Ils sont pauvres,
même pour les biens de la terre, même
au milieu des biens de la terre; ils sont pauvres,
ou par les désirs qui les rongent, ou par
les privations que l'ambition et l'avarice leur
imposent; car de quoi jouit-on, je vous le
demande lorsqu'on désire
avec ardeur ce qu'on ne possède pas, ou
qu'on n'ose pas user de ce qu'on
possède?
Quel jugement ils porteront d'eux-mêmes ces
hommes qui maintenant s'applaudissent de leur
habileté! Comme un jour ils s'envisageront
sous un tout autre point de vue! Avec quel
désespoir ils se nommeront insensés
à cette heure redoutable où l'homme
est forcé d'abandonner tout ce qu'il amassa,
tout ce qu'il possède ici-bas, où il
n'en peut rien emporter avec lui, où de tous
ses contrats il ne lui reste que ceux qu'il a
passés avec le Très-Haut pour le
monde à venir, pour
l'aliment qui subsiste jusque
dans la vie éternelle!
Qu'il est bien plus heureux et plus sage celui qui
s'attache ici-bas à se procurer cet aliment!
Quoiqu'il mette au premier rang tout ce qui se
rapporte à ce grand intérêt, il
s'occupe cependant de la vie présente; il
s'occupe du soin de fournir aux besoins de sa
famille, d'éloigner d'elle
la pauvreté, d'améliorer son sort; il
fait tout ce qu'il faut pour cela, mais il le fait
avec intégrité, avec calme, avec
résignation sur l'événement.
Comme il travaille surtout pour obéir a son
Créateur, comme il travaille en observant
ses lois, il peut implorer la
bénédiction du Ciel sur toutes ses
entreprises; il a droit de l'espérer. Ce
sentiment délicieux embellit tous ses
projets. Il semble aussi qu'une Providence
attentive, voilée par les causes secondes,
fasse prospérer tout ce qui lui
appartient.
Ah! croyez-moi, mes Frères, l'on ne perd
rien à servir le Seigneur. Et quelle
étrange inconséquence que celle de
l'homme qui compterait pour rien la
bénédiction du Dieu qui nous envoie
les pluies du Ciel et les saisons fertiles, qui
fait croître et mûrir nos blés,
qui couronne la vigne de riches grappes! Eh! jetez
un regard autour de vous, lui dirais-je. Voyez ces
personnes qui respectent
les lois du Seigneur, qui ne font jamais à
leurs frères ce qu'ils ne voudraient pas
qu'on leur fît, qui craignent de profaner le
jour du repos, qui savent même lui faire
quelque sacrifice. Leurs domaines en sont-ils moins
fertiles ? leurs récoltes moins abondantes ?
leur maison penche-t-elle vers la ruine?
Je ne prétends pas cependant, mes
Frères, que le juste soit à l'abri
des revers; il peut être appelé
à les soutenir pour éprouver sa foi,
pour exercer ses vertus, mais, alors même, il
n'est point livré au trouble, à
l'abattement. C'est à l'enfant du
siècle à se troubler, à
s'abattre quand il perd l'aliment
qui
périt; mais le
Chrétien ne perd alors ni l'objet de sa
passion, ni le but de ses travaux. Il a
cherché l'aliment
qui subsiste jusque dans la
vie éternelle,
et sa patience, sa résignation à la
volonté de Dieu sont une occasion
précieuse de s'assurer cet héritage
incorruptible qui nous est
réservé dans les Cieux, de le saisir
dès ici-bas et d'en goûter les
prémices.
Ah! ne croyez pas qu'il envie les avantages acquis
aux dépens des lois du Seigneur, aux
dépens de la probité, de la
délicatesse, de la piété.
C'est lorsqu'il y songe, au contraire, que la
pauvreté lui paraît douce; il se dit
alors avec un délicieux sentiment, qu'il ne
voudrait pas en sortir à ce prix; il se,
complaît à sentir son âme libre,
indépendante de l'empire de ce dangereux
métal qui fait commettre tant
d'iniquités, et dont le Fils de Dieu nous a
dit: Ne vous
amassez
point des trésors sur la
terre (Matth.
VI,
19). A
mesure qu'il avance dans la vie,
il s'applaudit de son choix toujours davantage; il
travaille
de mieux
en mieux à l'oeuvre du Seigneur, car il sait
que son travail ne sera pas sans
récompense
(I
Cor. XV, 58); et l'heure de la mort,
cette heure
de séparation,
de déchirement, de
dénûment pour l'adorateur des biens
terrestres, l'heure de la mort est pour lui l'heure
de la réunion avec le Dieu, le Sauveur qu'il
adore, l'heure de la jouissance, l'heure
fortunée qui va l'introduire dans ces
demeures célestes où Jésus
l'attend, où ses oeuvres l'ont
précédé, où dès
longtemps il a place son trésor
et son coeur
(Matth.
VI.
21).
Puissiez-vous, mes chers Frères, puissiez-
vous tous vous assurer la même
félicité!
Ainsi-soit-il.
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