A chaque chose sa saison. Ecclésiaste, III, 1.
FAIRE chaque chose en
son
temps, est une des maximes les plus importantes de
cet esprit d'ordre si nécessaire à
notre bonheur temporel, si nécessaire
même à notre bonheur éternel.
Il est pour chaque chose un moment convenable qu'il
faut saisir, et passé lequel, nos mesures,
nos soins, nos travaux, n'ont plus le même
succès. Il est un moment propice pour tout,
un moment pour vendre, pour acheter; un moment pour
cultiver la terre, pour placer dans son sein la
semence qu'elle fait germer, pour
recueillir les fruits qu'elle
donne: si le cultivateur ne sait pas saisir ce
moment, il ne manque guère d'en être
puni.
Il est un moment favorable pour tous les soins de
la vie. Telle démarche faite en son temps
eût pu vous gagner un protecteur,
fléchir un ennemi, écarter un
concurrent, assurer le succès d'une
entreprise: plus tard, elle ne sert de rien.
Une indisposition légère se change en
maladie, faute de quelques soins donnés
à propos: cette maladie s'aggrave et devient
mortelle par l'oubli d'un remède, salutaire
à telle époque, inutile ou nuisible
plus tard.
Je pourrais multiplier à l'infini ces
détails: c'en est assez pour vous faire
comprendre dans quel embarras, dans quels malheurs
se plonge l'homme qui ne sachant pas donner le
présent aux: soins qui lui sont propres,
l'emploie sans cesse à réparer les
torts du passé, ou bien, ajoute à ses
premières négligences, par des
négligences
nouvelles.
La maxime de mon texte est d'une utilité si
frappante, que la sagesse humaine toute seule
suffirait pour nous en faire une loi. Elle devient
bien plus sacrée pour le Chrétien qui
lui donne une toute autre étendue, et
l'applique non-seulement aux choses
passagères, mais à des objets d'un
ordre plus relevé.
En effet, mes Frères, placés ici-bas
dans un état d'épreuve, nous devons
considérer que chacun de nos jours
répond à une partie de notre
tâche; chacun de nos jours est chargé
de l'accomplissement de quelque devoir,
marqué par quelque tentation dont ce devoir
tout seul est le préservatif. Nous ne
pouvons pas le négliger ce devoir sans un
double péril, sans nous rendre doublement
coupables et pour n'avoir pas fait ce que nous
devions faire et pour avoir cédé
à la tentation.
Ces réflexions sont si justes, si
naturelles, qu'elles peuvent s'offrir à nous
dans toutes les circonstances; mais
elles se sont
réveillées chez moi plus vivement
à cette époque de l'année, Vos
travaux dans les autres saisons sont marqués
par la nature. Accomplis avec foi, par un sentiment
religieux, ces travaux sont des devoirs pour le
cultivateur, et deviennent un préservatif
pour son âme. Maintenant vos occupations
seront moins tracées et les écueils
de votre position plus nombreux.
L'hiver est pour vous la saison des loisirs: ces
loisirs vous seront nécessairement
salutaires ou funestes suivant l'emploi que vous en
ferez. C'est à vous montrer les soins
auxquels il faut les consacrer que cette
méditation est destinée. Dieu veuille
l'accompagner de sa grâce et graver dans vos
coeurs les vérités que nous allons
vous présenter! Ainsi soit-il.
I. Je
distingue en trois classes les
devoirs qui peuvent et doivent partager votre
temps, devoirs de vocation, devoirs domestiques,
devoirs religieux.
1.° Par les devoirs de
vocation, j'entends ceux qui
naissent de votre état, que vous impose le
soin de votre fortune et de vos affaires.
Il n'est pas besoin de vous prouver que celui qui,
durant le cours de la belle saison, ne songerait
qu'à ses plaisirs, qui lorsque le printemps,
l'été, l'automne l'appellent dans ses
champs, dans ses vignes, dans ses prairies,
laisserait ses terres en friche attester sa
négligence, ou remettrait le soin de ses
récoltes et de ses semailles en d'autres
mains, sans même présider à
leurs travaux, il n'est pas besoin de vous prouver
qu'un tel homme nuirait à ses
intérêts, manquerait aux devoirs de
son état. Mais, dira peut-être
quelqu'un, en hiver, dans cette saison morte
où la terre ne demande rien à l'homme
et ne lui donne rien, quels sont donc ces devoirs
que notre condition nous impose?
Mes Frères, cette saison que l'on nomme morte,
et les plus sages d'entre vous le
savent mieux que moi, n'est
morte que pour le paresseux. Outre que dans les
beaux jours elle permet encore à l'homme
divers travaux extérieurs, dans les jours
même où le ciel et la terre
s'enveloppent de frimas, elle ne vous force pas
à demeurer oisifs. Elle ne diffère
des autres saisons à cet égard que
parce qu'elle vous appelle à des occupations
plus sédentaires.
Voyez cet homme distingué par son
activité, son esprit d'ordre, son industrie,
par combien d'inventions heureuses il sait occuper
ses momens! Peut être s'est-il formé
de bonne heure à quelqu'un de ces arts
utiles qui sont pour l'homme des champs une
précieuse ressource, qui peuvent employer
amuser ses loisirs, embellir sa vie en lui
fournissant le moyen d'ajouter pour lui- même
ou pour les siens divers agrémens, diverses
commodités à sa demeure.
Il prend plaisir alors à les cultiver. Il
aime faire alors ce qu'il a projeté, ce
qu'il a regretté de ne pouvoir faire
en d'autres temps. Ce sont des
comptes à régler, des
réparations nécessaires à
l'entretien de sa maison, au bien-être de sa
famille: ce sont des revues d'arrangement, de
propreté, tous ces détails si chers
aux amis de l'ordre.
Il s'occupe d'avance de soins relatifs à la
saison suivante: il choisit les semences qu'il veut
confier à ses champs; il revoit,
prépare, perfectionne les instrumens qui
doivent l'aider dans ses travaux. Ainsi le sage
cultivateur imite pendant l'hiver la terre qui le
nourrit. Elle ne produit rien au-dehors; elle
semble morte et inféconde, mais elle
travaille en secret dans ses retraites; elle
prépare en silence les dons qu'elle veut
nous faire; elle se dispose à produire de
nouveau quand le ciel sera plus doux.
2.° A ces premiers devoirs d'état de
vocation, joignons les devoirs plus saints qui
naissent de nos relations
domestiques.
Un inconvénient trop réel de la vie
du cultivateur, c'est que les travaux
extérieurs, dont la nécessité
lui commande impérieusement, l'obligent
à perdre de vue ses enfans durant plusieurs
mois, le forcent souvent à les abandonner
à eux-mêmes, au hasard des liaisons,
des habitudes dangereuses qu'ils peuvent former, du
moins ne lui permettent pas de leur donner ces
soins particuliers et suivis qui peuvent seuls
assurer le succès des leçons
publiques.
Des parens sages et vertueux gémissent de
cette négligence forcée; ils
regardent l'hiver comme un moment précieux
où ils vont être entièrement
rendus à leur jeune famille. C'est alors
qu'ils s'occupent de leurs enfans avec une
vigilance attentive, qu'ils les étudient
jusque dans leurs jeux, extirpent les
défauts naissans, comme la main soigneuse du
jardinier arrache les mauvaises plantes que
l'espace d'un jour suffit pour faire germer.
C'est alors qu'ils s'attachent
à développer leur intelligence,
qu'ils s'efforcent de former leur jugement, d'orner
leur mémoire par des conversations à
leur portée, par des récits
intéressans.
C'est alors qu'ils examinent les progrès
qu'ils ont faits dans ces premiers arts qui sont
les élémens de l'instruction et qu'on
enseigne à nos enfans.
Voyez ce tendre père rassembler les siens
autour de la flamme brillante de ses foyers. Il les
fait lire tour-à-tour dans nos Saints
Livres; il dirige leur main tremblante qui s'essaie
à former des caractères. Comme ces
enfans paraissent joyeux et fiers de l'attention et
des encouragemens qu'il leur donne! Heureuse
famille! Quels ne seront pas ses succès, en
recevant ainsi dans la maison paternelle des soins
tendres et soutenus! Quelle influence surtout
n'aura pas sur leur conduite à venir cette
attention à former leur esprit et leur
coeur!
Considérez maintenant ce
couple respectable remplissant
des devoirs d'un autre genre et non moins
intéressans. Ils s'empressent de soigner,
d'embellir les derniers jours d'un père,
d'une mère, âgés, infirmes, que
la bonté du Ciel leur conserve. Ils les
dédommagent pendant l'hiver de
l'espèce de solitude et d'abandon où
ils sont forcés de les laisser quelquefois
durant l'été. Ils réjouissent
leur vieillesse par d'agréables entretiens,
de douces distractions. Ils charment leurs
souffrances en rassemblant autour d'eux toutes les
jouissances qui sont en leur pouvoir. Ils les
charment surtout par le sentiment qui les anime,
bien plus précieux et plus doux que ces
jouissances. Ils cherchent à deviner ce qui
leur plaît, ce qui leur convient. Ils
s'efforcent de prolonger leurs jours, de ranimer
leur existence par ces attentions, par ces tendres
soins dont l'effet est plus sensible sur l'habitant
des campagnes qui n'y est pas
accoutumé.
3.° Portons maintenant nos pensées sur
des devoirs plus sacrés encore, sur les
devoirs religieux que l'hiver nous invite à
remplir.
O Dieu! toi qui nous
envoies les pluies du Ciel et les saisons
fertiles!
(Act.
XIV,
17) tu as
voulu sans doute que nos
campagnes retentissent sans cesse de l'hymne de la
reconnaissance, que l'âme du cultivateur
s'élevât sans cesse à toi.
Mais, hélas! ingrats que nous sommes, ces
bienfaits même que nous tenons de toi nous
distraient de toi. Les soucis de la vie
présente nous absorbent tout entiers; ils
absorbent jusqu'aux momens que nous devons te
consacrer.
Ce jour de repos, destiné à nous
retirer de leurs illusions, n'est pas toujours
respecté; et lors même qu'aucune
oeuvre défendue n'en profane la
sainteté, notre âme ne sait point se
déprendre tout-à-coup des objets de
la terre: la suspension des travaux ne peut
arrêter soudain le cours
de nos affections, de nos pensées, de nos
désirs: voilà pourquoi, Seigneur, tu
as voulu qu'il y eût un espace de temps
prolongé, une saison toute entière de
relâche et de recueillement.
Oui, mes Frères, l'hiver qui ramène
dans les villes la dissipation et les plaisirs
bruyans, l'hiver, par un heureux privilège,
est pour l'habitant des campagnes un temps de calme
et de retraite; il est pour lui comme un long jour
de repos, comme un long sabbat où tout
l'invite à se rapprocher de son Dieu.
C'est alors que la nature triste et
dépouillée, le bruit des vents qu'il
entend mugir autour de sa tranquille demeure, les
glaces qui l'environnent, tout fait naître
dans son âme les pensées
sérieuses. C'est alors qu'il doit songer
à la destinée de l'homme, qui n'est
pas seulement de parcourir un cercle de travaux
matériels, d'amasser quelques biens pour
tout abandonner ensuite, mais de se préparer
pour une meilleure
existence.
C'est alors qu'il doit penser à la courte
durée de la vie qui passe ainsi que l'herbe
des champs; qui, comme l'année, commence par
la saison de l'éclat et des fleurs, et se
ferme comme elle par la froide saison de
l'impuissance, mais qui, pour le serviteur
fidèle, sera suivie d'un printemps
éternel.
C'est alors que plus libre des soins de la terre
qui nous y attachent trop naturellement, son coeur
doit s'élever vers le Ciel: c'est alors
qu'il a plus de loisir pour faire des lectures
pieuses propres à ranimer dans son âme
le goût de la dévotion, à
l'instruire de la volonté de son Dieu, de la
science du salut.
Le rassemblement de la famille, la
tranquillité dont elle jouit, l'invite
à faire en commun ces lectures, à
goûter le plaisir de mêler ensemble
leurs pensées, leurs sentimens, leurs voeux.
C'est alors qu'aucun obstacle ne s'oppose plus
à l'établissement d'un culte
régulier, de ce culte domestique qui fait le
plus doux lien des familles, qui
semble consacrer, sanctifier nos demeures et les
changer en autant de sanctuaires d'où chaque
jour nos prières s'élèvent au
Seigneur et font descendre sur nous ses
bénédictions.
Que ces devoirs sont sacrés et touchans, mes
chers Frères! Ne serait-ce pas être
bien coupable, que de les négliger? Mais les
négliger, ce n'est pas seulement se rendre
coupable, c'est encore se rendre malheureux.
II. En
effet, Chrétiens, ceux qui
les perdent de vue, par quelle illusion, par quel
dangereux penchants sont-ils séduits? La
retraite, un travail paisible et sédentaire
leur paraissent insipides: les veillées de
l'hiver ont besoin pour eux d'être
animées par une société vive
et nombreuse; ils cherchent le bonheur hors de chez
eux, au milieu de la foule, dans les distractions
et les plaisirs.
Est-ce là qu'on le trouve, mes
Frères? je vous le demande. Quoi! ce
désir insensé de se fuir
soi-même, de s'éloigner de ses
proches, ce désir
insensé de mouvement, de bruit; cette
sécheresse de coeur que produit la
dissipation; cette répugnance pour l'ordre,
le calme, les pensées graves et douces de la
foi, ce serait là le chemin du bonheur!
Mais encore, donnerez-vous le nom de bonheur
à cette joie folle et tumultueuse où
l'âme n'est pour rien? N'est- ce pas en
nous-mêmes que nous pouvons goûter le
bonheur? Et si les objets extérieurs nous le
procurent, n'est-ce pas quand ils sont en rapport
avec cette âme, la plus noble partie de nous-
mêmes?
Ah! que de mécomptes pour les adorateurs du
plaisir! Combien de fois se vérifie à
leur égard cette maxime de nos Saints
Livres: même en
riant le coeur est triste!
(Prov,
XV,
13) Le
souvenir des obligations dont ils
s'affranchissent, ou des embarras sur lesquels ils
veulent s'étourdir,
vient souvent les troubler. Si pour quelques momens
ils réussissent à s'en distraire, ils
y retombent après plus tristement. Avec quel
ennui, quel dégoût peut-être ne
rentrent-ils pas dans cette maison où ils
n'ont pas voulu chercher la
félicité!
Mais le vide, le mal-aise secret qu'ils
éprouvent n'est pas leur seul
châtiment. Une fois sortis du cercle
fortuné des devoirs, ils en ressentiront de
mille manières les funestes
conséquences.
L'habitant des campagnes, ne peut prospérer,
vous le savez, que par une attention constante
à tous les détails de l'ordre et de
l'économie: il faut qu'il maintienne
l'équilibre entre sa dépense et son
chétif revenu: il faut même qu'il ait
quelque chose en réserve pour les temps
fâcheux: il faut que, semblable à
l'insecte qui file en secret jusqu'à ce
qu'il ait achevé le tissu dont il
s'enveloppe, il travaille sans relâche pour
améliorer sa condition. Son
existence peut être
embellie par les charmes attaches à la
simplicité des moeurs, par les affections
domestiques, par le beau spectacle de la nature
étalé sous ses yeux, surtout par la
piété que ces tableaux enchanteurs
doivent réveiller dans son âme; mais
sa vie est toute composée de travaux, de
soins, de devoirs. Hélas! que deviendra-t-il
s'il s'en éloigne? On ne contrarie point
impunément sa destination.
1° Et d'abord comment sa fortune n'en
souffrirait-elle pas? Elle souffre doublement et
par la négligence des occupations utiles
qu'il abandonne et par les dépenses
auxquelles il est engagé. Où ira-t-il
pour satisfaire la passion qui l'entraîne?
Sera-ce dans des maisons bien
réglées, chez des familles
honnêtes et laborieuses? Non, ce n'est point
là qu'il serait bien reçu: la
répétition de ses visites fatiguerait
bientôt; il sera donc forcé de prendre
pour compagnons ces êtres nuls et
décriés qui font
profession d'oisiveté, de débauche.
Ainsi donc celui qui, durant l'hiver, ne sait point
s'occuper dans sa demeure, sera naturellement
conduit dans ces lieux funestes,
théâtre des excès du vin, du
jeu, des bruyantes querelles. Tandis que sa triste
compagne s'efforce d'épargner, de
ménager pour l'entretien de ses enfans, il
consume dans une nuit, peut-être dans un
moment, ce qui suffirait pour les nourrir plusieurs
jours. Qui peut décider où
s'arrêteront les conséquences d'une
telle conduite?
Qui peut décider quel est, je ne dis pas
seulement le péché, mais le
désastre qui n'en sera pas la suite?
Puissent les maux qu'un tel homme attire sur les
siens leur servir de leçon! Puissent-ils ne
pas se lasser, se décourager de remplir tout
seuls des devoirs qu'il enfreint!
Mais que sera-ce, si, comme on peut le croire,
l'exemple du chef entraîne à l'imiter
ceux qui sont dans sa dépendance! si la
femme à son tour veut
chercher le plaisir et
délaisse sa maison, sa maison au
bien-être de laquelle l'oeil vigilant, et la
main soigneuse de la mère de famille
était si nécessaire! si les enfans,de
leur côté, à meilleur titre,
à ce qu'ils pensent, veulent courir de
fête en fête!
Après les avoir corrompus par leur exemple,
les parens n'auront plus le droit ni le pouvoir de
les retenir par leur autorité. Une
indulgence funeste sera la suite de leurs premiers
torts. Chacun conservera dans la saison des beaux
jours l'habitude du plaisir prise durant l'hiver.
Le goût de l'ordre et du travail est perdu
pour toujours: la chaîne du devoir est rompue
pour cette famille malheureuse. Semblable à
un navire où l'eau pénètre de
tous côtés et qui ne tarde pas
à s'abîmer dans les ondes, elle est
près de périr.
Déjà les alarmes et les privations se
font sentir; déjà la perspective de
la détresse est devant leurs yeux, un nuage
sombre s'étend sur leurs têtes.
Célestes pensées d'une Providence qui
veille sur notre sort, d'un Dieu
qui éprouve ceux qu'il aime, les
délivre quand
il en est temps
(I.
Pier.,
V, 6), ou
les dédommage avec usure
dans une meilleure existence! vous ne calmerez
point, vous ne soutiendrez point ces
infortunés; ils se sont dès
long-temps éloignés du Seigneur; ils
ont commencé par trouver insipides les
exercices de la dévotion; ils ont fini par
les craindre comme ennemis de leur repos. Le tendre
Père des hommes, leur Créateur, leur
Rédempteur est devenu pour eux un Dieu
étranger, inconnu
(Act.,
XVII,
23); leur
coeur n'avait rien à
lui dire dans les jours de la joie; en retour il ne
dit rien à leur coeur dans ceux de la
tristesse.
2.° Trouveront-ils au moins quelque ressource
dans leur tendresse mutuelle? Leur tendresse
mutuelle, mes Frères! Mais la chaîne
du devoir n'est -elle pas aussi celle de la
tendresse? n'est-ce pas elle qui
unit les âmes? Il est trop vraisemblable
qu'ils ne connaissent pas ces délices des
affections domestiques dont le Créateur a
mis la source dans notre âme, trésor
qui peut tenir lieu de tout, consoler de tout, et
dont le charme, comme celui de la
piété, redouble dans les malheurs
qu'on ne s'est point attirés.
Et comment, dans une telle famille, l'affection
n'aurait-elle pas fait place à
l'indifférence, à l'aigreur? Chacun
d'eux, accoutumé à s'isoler, n'est
ramené à s'occuper des autres que par
un sentiment d'irritation pour les accuser de la
ruine qui les menace.
Les époux se reprochent mutuellement leur
inconduite; ils maudissent en secret, tout haut
peut-être, l'heure de leur union; ils
s'irritent des négligences et des fautes de
leurs enfans; ils s'irritent parce que ces jeunes
plantes auxquelles ils ont refusé la
culture, ne portent que des fruits amers. Les
enfans se plaignent qu'on a négligé
leur éducation,
dissipé leur patrimoine.
Chacun, méconnaissant ses torts et seulement
frappé de ceux des autres, cherche à
rejeter sur eux le fardeau du malheur commun.
3.° Et si l'excès de ce malheur,
dissipant les illusions de l'amour-propre, les
force enfin de s'envisager eux-mêmes, en
seront-ils plus heureux? Hélas! le
père se voit par sa faute étranger
à sa femme, à ses fils, sans
considération dans sa famille. Lors
même qu'ils se taisent, il croit lire le
reproche dans leurs regards: il se dit qu'aucune
larme ne coulera sur sa tombe, et que sa mort ne
sera pas pour les siens une perte, mais un
soulagement.
La mère est contrainte de s'avouer qu'avec
une conduite opposée, elle eût pu
ramener au devoir son époux: elle sent avec
désespoir qu'elle n'a point
mérité le respect de ceux qu'elle a
mis au monde, qu'elle doit s'accuser elle seule de
leur manque d'égards; elle prévoit
qu'elle sera méprisée,
peut-être abandonnée dans sa
vieillesse.
Leurs enfans sont livrés comme à ce
tourment que la mauvaise conduite ajoute à
l'infortune.
La jeune fille aperçoit tes
conséquences funestes de sa
frivolité. Aucun de ceux qu'elle a vus
s'empresser autour d'elle, ne l'a
désirée pour compagne: sa
vanité, sa passion pour le plaisir ont
effrayé l'homme d'un état convenable
au sien qui aurait pu la rendre heureuse.
Peut-être se voit-elle flétrie dans
l'opinion par la légèreté de
sa conduite, et devenue un sujet de confusion pour
ses proches.
Le jeune homme sent qu'il a perdu dans la
dissipation les années où il pouvait
se former aux habitudes précieuses de
l'ordre et du travail: il n'a plus la force de les
reprendre.
Ils sont en proie l'un et l'autre à cette
angoisse d'une âme
déréglée qui va toujours
croissant, fait mourir l'espérance, ne
produit que sombres pensées et
présages sinistres: ils craignent que le
Ciel ne ratifie les
imprécations échappées des
lèvres de leurs parens offensés. Une
voix qui les glace de terreur leur crie que les
torts de ces parens ne les déliaient point
des devoirs qu'ils avaient à remplir envers
eux, et que si jamais ils deviennent pères,
ils seront punis par ceux qui leur devront la
vie.
En est-ce assez, Chrétiens? Concevez-vous
combien il est dangereux de s'écarter de
l'ordre et de la règle? Concevez-vous
jusqu'où peut mener ce goût de plaisir
trop commun dans nos campagnes, et qui semble
à ceux qui s'y livrent si légitime et
si naturel?
Opposons, Chrétiens, à ces tableaux
lugubres un tableau plus doux à contempler.
Transportons-nous par la pensée dans cette
maison dont tous les habitans vivent les uns pour
les autres sous la garde du devoir et de la
piété.
Après avoir travaillé dans les champs
durant le printemps, l'été,
l'automne, en bénissant le Dieu qui
répand ses biens sur la
terre, ils passent l'hiver sous le toit domestique
dans la retraite, l'activité, l'union. Tout
respire chez eux l'ordre, la paix, la
tranquillité. Par un heureux contraste avec
la plupart des hommes dont le caractère et
la situation perdent à être
approfondis, plus vous les considérez de
près, plus ils vous intéressent, plus
ils vous semblent fortunés. Diligens et
calmes, ils ne sont jamais en retard sur aucun
point; ils font régulièrement le
travail de chaque saison, et chaque saison leur
paie son tribut: l'hiver même, qui pour eux
est la plus paisible, n'est pas celle qui leur
apporte le moins de profit.
La sérénité se peint sur leur
visage: le sentiment de leur affection mutuelle, le
sentiment de la protection divine qui repose sur
eux, leur donne une heureuse sécurité
sur l'avenir, et leur fait supporter avec
gaîté les peines du présent.
L'hiver, qui paraît triste à ceux qui
ne connaissent pas les charmes de la vie
retirée, leur semble
toujours trop court: c'est pour eux le moment
où ils vivent plus ensemble, où leurs
travaux divers ne les séparent plus. Le
temps s'enfuit dans ces douces soirées
où ils travaillent, où ils
s'entretiennent ensemble, où ils lisent
ensemble la parole du Seigneur: souvent, dans cette
aimable réunion, ils laissent passer le
moment du repos; ils sont surpris par le son des
heures qui les avertit de se séparer.
Puissions-nous voir ce tableau, Chrétiens,
se réaliser dans toutes nos familles! Puisse
la saison qui commence vous faire goûter
à tous les plaisirs que je viens de
peindre!
O Dieu! qui nous as donné le désir
d'être heureux, et qui as voulu que ce
désir ne pût être satisfait que
dans une vie bien réglée, remplie par
des travaux et des devoirs, conforme à tes
préceptes divins, conforme à l'esprit
de l'Évangile, esprit d'ordre, de retraite,
d'amour! donne à tous ceux qui
m'écoutent de trouver le
bonheur en suivant la route que tu nous as
tracée! Source éternelle de paix et
de félicité! donne-nous de nous
approcher de toi toujours davantage, en devenant
tes imitateurs, en te consacrant chaque saison de
l'année, chaque jour, chaque heure de notre
vie! Ainsi soit-il.
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