Celui qui ne gouverne pas bien sa maison aura le vent pour héritage. Prov. XI, 29.
VOILA, mes Frères, une
vérité qu'il suffit d'énoncer
pour en donner la conviction, une
vérité effrayante, une
vérité tous les jours
confirmée par l'expérience. Eh! que
sont mes faibles discours auprès de ses
terribles leçons! Mais toute certaine et
redoutable qu'elle soit cette vérité,
il en est d'elle comme de beaucoup d'autres qui
nous émeuvent et nous frappent au premier
moment, et dont l'impression bientôt s'efface
ou s'affaiblit. On en a une vue
générale et confuse, mais on ne sait
point l'appliquer à sa
conduite, en tirer les conséquences
rigoureuses qui en découlent.
Voilà pourquoi, mes Frères, il est
bon d'y réfléchir: voilà
pourquoi je me propose de vous en occuper
aujourd'hui. Comme, lorsqu'une
épidémie exerce ses ravages, on
indique le régime à suivre pour s'en
garantir, je veux fixer vos regards sur les
précautions qui peuvent vous mettre à
l'abri des inquiétudes et de la
détresse.
Il semble au premier coup-d'oeil qu'un tel sujet
soit étranger à notre
ministère et à cette chaire
d'où nous vous parlons des choses du Ciel et
des grands intérêts de vos âmes.
Mais les maximes de la Religion s'appliquent
à tout: elle n'est point indifférente
à votre bonheur temporel. Le Dieu que nous
adorons aime l'ordre: il veut le voir régner
dans nos demeures comme dans l'univers; et votre
Pasteur qui vous est uni par les plus
étroits liens, votre Pasteur qui s'est fait
une si longue et si douce habitude de partager
votre sort, pourrait-il voir
sans douleur, sans effroi, les malheurs qui
menacent tant de familles? N'est-ce pas un besoin
pour son coeur et un devoir de son ministère
de faire entendre des exhortations propres à
les détourner? L'inconduite, d'ailleurs,
trop souvent associée à d'autres
défauts, amène naturellement à
sa suite les désordres de tout genre; et,
par le trouble qu'elle jette dans l'âme, par
la désorganisation qu'elle y produit, si je
puis ainsi parler, elle n'est que trop propre
à la corrompre.
Cherchons donc ensemble, Chrétiens, les
conseils que donne la sagesse pour éloigner
de nous la pauvreté cruelle et les soucis
rongeans. Loin de moi la pensée de jeter
quelque blâme sur ceux qui sont
déjà leur proie: gardons-nous de les
condamner et de leur faire aucune application de ce
discours. Ce sont les consolations, de
l'intérêt, des services que nous
devons aux malheureux, et non ces jugemens
sévères,
quelquefois injustes, qu'on est
trop enclin à prononcer sur leur conduite.
Ah! loin d'ajouter à leur peines, plût
au Ciel qu'il fût en mon pouvoir de les
adoucir! Mais je dois aussi faire ce qui est en moi
pour préserver et pour sauver ceux qui ne
sont pas encore perdus. Et vous, mes Frères,
vous devez serrer mes paroles dans votre coeur, et
en faire désormais la règle de votre
conduite. Ainsi soit-il.
Il est plusieurs causes de ruine pour le
cultivateur. Ne parlons aujourd'hui que de celles
qui frappent moins et qui tiennent, au
défaut d'ordre, a une mauvaise
administration. Celui
qui gouverne mal sa maison,
dit le sage, aura
le vent pour
héritage.
L'esprit d'ordre et de conduite se reconnaît
partout: il embrasse les plus petits objets comme
les plus grands. L'homme qui possède cette
qualité précieuse ne laisse rien
perdre par négligence, ou souffrir par
oubli: toutes ses affaires marchent de front
sans qu'aucune reste en
arrière; il tient ses comptes en
règle, il fait ses travaux dans leur saison,
ses provisions dans le moment le plus favorable. Il
met en réserve pour les jours mauvais, et ne
se hâte pas de tout consumer..... Mais ici
les détails seraient infinis: bornons-nous
à quelques traits qui sont eux-mêmes
les conséquences d'un grand principe dont le
cultivateur doit se pénétrer
profondément.
Ce principe, c'est que toute sa
félicité consiste à ne point
s'éloigner de la vocation que ses
pères ont suivie, pour laquelle ils
formèrent sa jeunesse, et que lui destina la
Providence. Il doit en conserver
précieusement les goûts, les
habitudes; il doit y concentrer ses pensées
et ses affections.
I. La
première conséquence
qu'il en doit tirer, la première
règle à suivre pour bien gouverner sa
maison, c'est d'éviter et de craindre toute
spéculation, toute entreprise ambitieuse,
hasardée, qui le distrairait de ses travaux,
habituels, et de se
défier de lui-même dans les occasions
qui demanderaient des connaissances qu'il n'a pu
acquérir.
La terre, voilà le fonds qu'il doit
s'attacher à faire valoir. Cultiver la
terre, voilà son talent; voilà sa
science; voilà sa gloire. Il doit mettre son
ambition; je ne dis pas à étendre,
remarquez-le, mais à fertiliser son domaine.
C'est là qu'est caché le
trésor qui doit l'enrichir. Celui
qui cultive la
terre, dit la
Sagesse
Éternelle, sera
rassasié du fruit de ses
mains (Prov.
XII,
11). Les
richesses
acquises par de mauvais moyens s'envolent
rapidement; mais celui qui les amasse par ses
travaux, les voit s'accroître chaque jour; en
labourant le champ de ses pères, il y trouve
une nourriture abondante (Prov.
XIII,
11).
Si cette voie de fortune, la plus sûre, la
plus légitime, la plus honorable,
paraît trop lente au cultivateur; s'il veut
sortir de sa sphère; s'il
se laisse séduire par des
spéculations qui présentent
l'appât d'un gain plus rapide, dès ce
moment il est perdu: sur mille qui osent prendre
cette route, à peine en est-il un qui
réussisse. Et gardez-vous d'envier son sort:
il marche dans un sentier glissant: quand il
demeurerait ferme, ses succès suffisent pour
le rendre suspect, pour en faire un objet de
défiance et de jalousie. Avec sa
simplicité première il a perdu le
bonheur qui pouvait être son partage.
Mais revenons, et dans le cours ordinaire des
choses, voyez quel est le sort de l'habitant des
campagnes qui s'éloigne de sa vocation. Ses
terres négligées
dépérissent; la source des vrais
biens tarit pour lui. Transporté dans un
pays nouveau, il entre en relation, en concurrence
avec des hommes qui, connaissant mieux ce terrain
étranger, ont sur lui mille avantages, et
peut-être l'avantage funeste de savoir mieux
surprendre et tromper. Égaré par
l'ambition, il ne jette plus
autour de lui que des regards troublés; il
ne sait plus distinguer ce qui est juste ou
injuste, honnête ou déshonorant,
sûr ou périlleux; il s'engage dans des
entreprises peut-être condamnables, au moins
disproportionnées avec ses forces: il vit
dans l'attente et l'anxiété; il
éprouve des mécomptes; il en redoute
de plus grands: l'inquiétude et le malaise
s'emparent de lui, et tandis que l'honnête
cultivateur, qui sait se renfermer dans son petit
domaine, remporte le soir au milieu de sa famille
une humeur paisible et un front serein, l'homme
dont nous parlons n'offre plus à la sienne
qu'un visage sombre et contraint; par égard
même pour sa tranquillité, il lui
dérobe ses tristes secrets que trahissent
ses rêveries et l'agitation de ses nuits.
Que sera-ce s'il va plus loin? si l'imagination
éblouie, enflammée par des
rêves de fortune, il confie le sort de sa
famille, je ne dis pas à des
spéculations qui ont au moins quelques
probabilités de
succès, mais au hasard, à des jeux,
à des chances sur lesquelles ne peuvent rien
le travail ni l'industrie; si, toujours plus
acharné à poursuivre un gain
chimérique à mesure qu'il perd
davantage, il place sur une carte, il met à
la loterie la subsistance de sa femme et de ses
enfans; si, ne craignant pas de violer les lois de
son pays, et de faire le périlleux
métier de tromper le Gouvernement, il
s'expose à perdre tout dans un fatal moment
de surprise qui ne manque jamais d'arriver
tôt ou tard?
Mais sans se laisser aller a des entreprises
ambitieuses et folles, il y a encore des dangers
pour le cultivateur, s'il ne sait pas se tenir sur
ses gardes, se défier de ses lumières
et demander conseil à propos. Il est
remarquable que chacun juge assez bien des affaires
et des projets de ses voisins, tandis que souvent
il se fait illusion sur les siens propres, parce
que la passion qui les suggère a l'art de
les justifier. Qu'il serait
donc important de ne jamais se décider
à des travaux d'une certaine étendue,
à des changement de culture dispendieux,
à des achats, à des ventes, à
des engagemens de quelque importance, sans avoir
demandé conseil! De quel prix ne serait pas
alors l'avis d'un ami
désintéressé, clairvoyant;
d'un de ces hommes sages,
expérimentés, qui sont, pour ainsi
dire, les Patriarches de l'agriculture! L'homme
prudent, dit
Salomon, écoute les
conseils, mais le chemin de l'insensé Lui
paraît droit. Les desseins formés sans
prendre conseil sont vains, mais ils ont un heureux
succès quand on a consulté L'homme
intelligent
(Prov.
XII,
15).
Cela est vrai, surtout quand il s'agit de ces
affaires où il y a des formalités
nombreuses et qui varient sans cesse. L'oubli d'une
seule suffit pour ruiner le droit le mieux
fondé. Occupé de
ses travaux, il est presque
impossible que l'homme des champs connaisse toutes
ces formes: il ne pourrait les étudier
qu'imparfaitement et peut-être aux
dépens des soins de sa vocation. Il faut
donc qu'il s'adresse en ces occasions à des
hommes à portée d'en être
instruits. C'est un bonheur particulier à
ces campagnes, mes chers Frères, d'avoir
auprès de vous des personnes capables de
vous conseiller, de vous diriger sur tous ces
objets, qui ne se refusent point à vos
demandes, qui se plaisent même à vous
prévenir, et qui comptent pour peu leur
temps et leurs soins dès qu'il s'agit
d'être utiles. Il serait inexcusable, sans
doute, de négliger une ressource si
précieuse.
II. Une
seconde règle que l'esprit
d'ordre et de conduite doit faire suivre au
cultivateur, c'est de craindre les dettes.
Cette maxime ne s'applique point, vous le
comprenez, aux personnes qui jouissant d'une
fortune aisée, économes d'ailleurs,
actives, laborieuses, sont
obligées pour conclure
une affaire très-avantageuse, de contracter
quelques dettes fort inférieures à
leurs ressources, et dont il est sûr qu'elles
s'affranchiront bientôt. De telles personnes
n'ont pas besoin qu'on leur fasse redouter le
fardeau dont elles aspirent à se
délivrer. Elles doivent, au contraire, se
défendre d'une inquiétude excessive
qui pourrait altérer leur confiance en la
bonté divine, et resserrer la
générosité de leur coeur.
Mais, à cette exception près, et
lorsqu'il n'est pas placé dans des
circonstances si heureuses et si rares, l'habitant
des campagnes doit redouter les dettes comme son
plus cruel fléau. C'est un labyrinthe dont
il ne peut plus sortir quand une fois il s'y est
engagé, et au fond duquel l'attendent
l'angoisse et la détresse. C'est un
ulcère malin qui chaque jour s'envenime et
s'étend jusqu'à ce qu'il ait tout
consumé. C'est une maladie dont les
commencemens sont peu de chose, mais qui se termine
presque toujours par la
mort.
Qu'est-ce qui cause la perte de tant de familles?
N'est-ce pas la funeste habitude d'acheter à
crédit? On ne compte point avec
soi-même; on croit devoir une bagatelle, et
déjà c'est une somme à
laquelle on ne peut suffire. Le moment de payer
arrive enfin; il faut emprunter pour y satisfaire.
Voilà la brèche ouverte; elle
s'agrandira chaque jour jusqu'à ce que
l'édifice entier soit écroulé.
Cela est vrai, surtout du cultivateur. Il est
aisé de sentir qu'il ne peut être
heureux et tranquille qu'autant que son petit fonds
est libre. Il y a une telle différence entre
le revenu des terres et l'intérêt de
l'argent, je dis même un intérêt
légitime et modéré, que cette
seule différence suffît à la
longue pour ruiner sa fortune.
J'avouerai qu'il est des situations extrêmes
où l'on est comme forcé d'emprunter
pour nourrir sa famille, subvenir aux frais d'une
maladie, réparer un mur qui chancelle...
Plaignons ceux qui sont dans une
telle situation, et ne les condamnons pas. Je leur
dis encore cependant; essayez de toutes les
ressources avant d'en venir à cette
ressource fatale, qui ne soulage un moment que pour
écraser ensuite. Si vous ne pouvez trouver
des secours suffîsans dans la
libéralité de vos protecteurs ou de
vos amis, vendez plutôt; oui, je
préférerais ce parti, vendez, s'il
est possible, quelque chose de votre fonds, afin
qu'au moins le reste vous appartienne, afin que le
prix de votre journée soit à vous,
afin qu'après avoir supporté pendant
le jour les fatigues et les intempéries de
l'air, vous puissiez respirer librement le soir, et
réparer vos forces dans un sommeil sans
inquiétude.
Mais si la nécessité d'emprunter eut
des cas urgens est une nécessité
déplorable, n'est-il pas ennemi de son
propre bonheur, l'homme qui se charge d'un, tel
fardeau sans nécessité, pour
étendre, pour agrandir ses possessions, pour
étaler aux yeux des
autres une aisance qui n'est pas la sienne; l'homme
qui ne craint pas de signer ces billets funestes
qui exposent non-seulement ses fonds, mais sa
personne même!
Ah! mes Frères, si vous êtes forces
d'emprunter, n'allez pas jusque-là. Usez,
s'il le faut absolument, du privilège du
propriétaire qui peut offrir une assurance
dans ses domaines. Gardez-vous au moins de passer
ces limites. Et que ce soit, non l'amour-propre ou
l'ambition, mais une indispensable
nécessité qui vous fasse prendre ce
parti. Hélas! que n'aurais-je pas à
dire sur ce malheureux orgueil de la
propriété? On se charge d'un poids
qu'on ne peut porter; on se flatte que chaque
année l'allégera, et chaque
année le voit s'accroître. Loin de
pouvoir rembourser une partie du capital, on ne
peut même suffire aux intérêts.
Voilà, voilà le symptôme
décisif. Si, au retour de l'époque
fixée, vos affaires sont en meilleur
état, s'il y a diminution dans
le fonds de vos dettes, prenez
courage et soyez tranquille, sans cependant vous
relâcher. Mais si le temps aggrave le mal; si
vous restez en arrière, vous marchez
à votre perte; il faut vous affranchir
à tout prix. Mais cet orgueil de la
propriété dont j'ai parlé s'y
oppose encore. Quelquefois, je l'avoue, on ne peut
vendre; plus souvent, on ne le veut pas; on aime
mieux tout risquer que de laisser voir sa
situation: on aime mieux s'appauvrir en effet, que
de paraître plus pauvre aux yeux de ceux qui
nous entourent: on aime mieux augmenter encore la
masse des dettes que de prendre un parti sage et
courageux: on espère, on espère
encore; on espère toujours jusqu'au moment
où la ruine vient fondre sur nous comme le
vautour sur sa proie.
Parlerai-je après cela d'une autre
espèce de dettes, de ces engagemens
téméraires si communs de nos jours et
que le Sage condamne si fortement
dans ces paroles:
Celui qui
cautionne
pour l'étranger s'en trouvera mal; il est
plus sûr de refuser. Ne soyez point du nombre
de ceux qui répondent pour les dettes
d'autrui; car, comment souffririez-vous qu'on vous
dépouillât de vos vêtemens, ou
qu'on vous chassât de votre lit pour vous
l'enlever? Si vous avez cautionné pour votre
prochain, vous êtes enlacé par vos
paroles; vous êtes pris par votre
promesse.... Dégagez-vous, comme un
chevreuil qui s'échappe des mains des
chasseurs, comme un oiseau qui se tire du
piège qui lui a été
tendu
( Prov.
XXII
et VI).
Il est des cas, sans doute, où la prudence
permet de rendre un tel service; mais quelle
extrême circonspection ne demanderait-il pas!
Il faudrait avoir, ce qui est bien difficile, une
parfaite connaissance des affaires de celui pour
qui on répond: il faudrait au moins
que la somme pour laquelle on
s'engage n'excédât pas ce dont nous
pouvons supporter la perte. En
général, comme parle Salomon, il est
beaucoup plus
sûr de refuser,
et cependant il n'est rien que l'on donne plus
aisément. On accorde un cautionnement avec
autant de facilité que s'il s'agissait
seulement d'une journée de travail ou du
prêt de quelques instrumens
d'agriculture.
Il faut s'obliger mutuellement, dit-on. A Dieu ne
plaise que je veuille affaiblir cette disposition;
mais qu'entendez-vous par ce langage dans une telle
occasion? Espérez-vous de votre frère
un service de même nature? Eh! quel gain
faites-vous à vous perdre pour lui, afin
qu'il se perde à son tour pour vous! En
résultera-t-il autre chose que de vous
fournir l'un à l'autre les moyens de vous
plonger dans le gouffre plus avant?
Mais c'est par un sentiment
désintéressé; c'est par
bonté, par complaisance. Ah! dites
plutôt, par faiblesse, par
imprévoyance, par aveuglement; car enfin, je
vais vous mettre à l'épreuve.
Si votre voisin, votre ami vous demandait en pur
don le quart, que dis-je? la dixième partie
de la somme pour laquelle vous allez
répondre, il éprouverait un refus; et
vous vous exposez pour lui, à voir dans six
mois, dans un an, les suppôts de la justice
enlever vos meubles, vous arracher les instrumens
de votre état, vous entraîner comme un
criminel! Parce qu'il ne faut pas d'argent ce jour
même, parce que vous pouvez dormir tranquille
dans votre lit ce soir encore, vous comptez pour
rien d'amasser des calamités terribles pour
les jours qui suivront! O fatale imprudence, qui
souvent n'est pas moins pernicieuse à celui
qui la sollicite qu' à celui qui la commet!
car s'il ne trouvait pas ce dangereux secours, il
serait forcé de s'arrêter et ne
perdrait pas du moins au-delà de ce qu'il
possède.
III. La
troisième règle que
nous prescrit la sagesse, c'est de revenir à
la simplicité des anciennes
moeurs.
Dans tous les états, la prudence exige qu'il
y ait une exacte proportion entre la dépense
et le revenu. On ne peut s'écarter
impunément de ce principe; mais le
cultivateur, dont les gains sont lents et presque
insensibles, serait bien plus coupable en le
perdant de vue.
Il y a plus; il a besoin, pour être heureux,
que ses goûts, ses habitudes soient en
harmonie avec sa vocation: il faut que sa vie soit
simple comme ses travaux, qu'il se nourrisse des
denrées qu'ont fait croître ses mains,
et qu'il achète au-dehors le moins possible.
Voilà le régime qu'il doit suivre,
même en des temps prospères. Que
deviendra- t-il, si dans les jours malheureux,
lorsque l'embarras de ses affaires demande la plus
sévère économie, il conserve
des habitudes de luxe et de dépense!
Ah! mes chers Frères, sachons écouter
la verge et celui qui
l'a assignée(Mich.
VI, 9). La belle tâche de rappeler
la
simplicité des moeurs nous regarde tous: il
en est peu d'entre nous à qui elle ne soit
imposée du plus au moins par leur situation.
Et quand il n'y aurait point d'intérêt
propre, leur devoir n'en est pas moins d'y
concourir.
C'est aux principaux à donner l'exemple; il
en sera mieux suivi: c'est un noble devoir qu'ils
ont à remplir. D'autres l'ont fait avant
eux. Il est, dans les murs de Genève, il est
des riches bienfaisans qui, pour ne rien retrancher
à leurs aumônes, ou même pour
les rendre plus abondantes en des jours malheureux,
s'imposent des privations qui paraîtraient
dures à plusieurs d'entre nous. Et qu'ils ne
nous disent pas qu'ils se plaisent à
fêter leurs amis. Quoi! en donnant un exemple
mortel au pays qu'ils habitent! Mais encore, quelle
bienveillance empoisonnée pour
ceux qui en sont l'objet! Ils
les humilient, leur imposent la mortification de
rester au-dessous d'eux, ou plutôt, car ceux
qu'ils reçoivent avec appareil n'auront pas
la force de prendre ce parti, on les verra tomber
dans le piège tendu sous leurs pas; on les
verra se mettre à la gêne, pour imiter
l'exemple qui leur est donné,
déguiser leur détresse sous un
étalage de luxe, et sacrifier à la
vanité, quand ils sont près de
manquer du nécessaire.
Mais si la sobriété, la
simplicité sont un devoir aujourd'hui pour
les riches eux-mêmes, à combien plus
forte raison pour ceux dont les affaires sont en
mauvais état! Quel spectacle de voir des
dépenses ruineuses en des maisons
menacées de désastre, de voir des
jeunes gens se livrer au goût du plaisir et
de la dépense, quand la personne de leurs
pères n'est pas en sûreté!
Quelle indécence chez ces enfans! Quelle
faiblesse chez les parens trop tendres qui le
permettent!
Ah! qu'il n'en soit pas ainsi, parmi nous, mes
chers Frères! Que chacun examine sa
position, ses ressources, ses charges. Retranchez
avec courage tout ce qui vous a nui, tout ce qui
doit être retranché. Sondez la plaie,
comme un chirurgien habile et ferme, pour couper
jusqu'à la racine du mal.
Que les mères de famille se montrent dignes
de ce beau titre, en faisant régner dans
leurs familles une sage économie. Qu'elles
n'oublient point ce que dit l'Écriture: La
femme
prudente fait
sa maison, mais celle qui manque de conduite la
détruit infailliblement
(Prov.
XIV,
1).
Qu'elles secondent, qu'elles
encouragent leurs époux qui les en
récompenseront à leur tour par une
confiance sans réserve, en ne craignant pas
de recevoir de leurs bouches d'utiles conseils.
Accoutumez, dès le premier âge, vos
enfans à la sobriété, à
la simplicité des vieux temps; ne mettez
point ces petites et
intéressantes créatures sous le joug
des habitudes dispendieuses qu'il est si difficile
de secouer. Si vous ne pouvez leur laisser une
fortune assurée, indépendante, du
moins, je vous en conjure par votre amour pour eux,
ne leur préparez point des privations
pénibles, des tentations dangereuses qu'ils
n'auraient peut-être pas la force de
soutenir. Inspirez-leur de bonne heure le
goût du travail et de la retraite, et ne
regrettez point pour eux la jouissance des plaisirs
de leur âge. C'est une fleur qui passe
bientôt: songez à leur faire cueillir
le fruit précieux de la sagesse qui dure
toujours.
Hésiteriez-vous encore? Attendriez-vous
qu'il ne fût plus temps! Le sacrifice de
quelques jouissances des sens vous semble-t-il trop
difficile? Où est donc la dignité de
l'homme? où est la force et
l'élévation du Chrétien?
Quelle différence d'ailleurs entre ces
privations nobles et volontaires qu'on s'impose
à soi-même, et ces
privations humiliantes, forcées, ces
privations du nécessaire que le
désordre amène à sa suite!
Êtes-vous retenus par l'amour-propre, par la
crainte puérile de paraître
déchoir aux yeux de vos voisins? Mais
pensez-vous donc qu'ils ignorent votre position? Ne
vous abusez pas. Ils la voient mieux que
vous-mêmes, parce qu'ils la voient sans
illusion. Ils vous jugeront avec rigueur; leur
coeur se fermera pour vous à
l'intérêt, à la compassion,
s'ils n'aperçoivent aucun changement dans
vos dépenses. Ils applaudiront, au
contraire, à des résolutions sages et
vertueuses. C'est le seul moyen de salut qui vous
reste. Et croyez-moi, si le Ciel vous laisse la
force et la santé, vous avez encore de
grandes ressources, la bénédiction du
Tout-Puissant, des enfans honnêtes et bien
nés que cette conduite attachera à
vous par ces liens de l'estime et du respect qui
ajoutent tant à la tendresse. Voilà
des biens encore à votre
portée; et vous pouvez entrevoir dans
l'avenir le prix de vos travaux et de vos
sacrifices, l'indépendance et la
sécurité.
Maintenant, mes chers Frères, j'ai
déchargé mon coeur au milieu de vous.
Je vous ai dit la vérité: c'est de ma
bouche que vous deviez l'entendre. Qui avait droit
de vous la dire, si ce n'est celui qui vous parle
au nom du Seigneur, votre père spirituel de
qui vous avez si long-temps éprouvé
l'affection, qui depuis si long-temps ne fait qu'un
avec vous?
Si vous écoutez mes discours avec
docilité; si vous les serrez dans votre
coeur: si vous les mettez en pratique; si vous
prêtez l'oreille à cette voix du Ciel
qui vous rappelle à la sagesse; si le
malheur produit en vous l'effet qu'il doit
produire; s'il opère une
régénération dans nos moeurs
(hélas! c'est ma seule espérance),
nous pouvons encore être heureux, et ces
jours sombres seront comme les tristes jours de
l'hiver qui préparent une saison douce et
fertile.
Mais s'il en était de cette exhortation
comme de tant d'autres; si l'impression s'en
effaçait au sortir de ce temple; si vous ne
deviez vous la rappeler qu'au jour de la ruine,
comme une sinistre prophétie; si
j'étais condamné à demeurer le
témoin de la décadence de ces
campagnes, de ce troupeau, objet de tous mes voeux,
de toutes mes affections; si j'étais
condamné à contempler plus longtemps
le spectacle d'un pays sur lequel plane la ruine,
où la misère dévorante
étend ses ravages comme un torrent, sans
qu'il se fasse dans les esprits aucun retour
sérieux, dans les moeurs aucun changement,
où l'on se joue encore sur les bords de
l'abîme; comme si le besoin de
s'étourdir ajoutait aux folies qui nous ont
perdus!....
Écartons cette affreuse idée. Grand
Dieu! c'est là le signe de cet aveuglement
qui précède les jugemens redoutables.
C'est ainsi qu'agissait cette nation malheureuse
que le déluge allait
engloutir.
O Dieu! incline toi-même leurs coeurs
à la sagesse, et que désormais, se
conformant tous à tes divines leçons,
ils éprouvent que la piété
a les promesses de
la vie présente aussi bien que de celle qui
est à venir
(I
Timoth. IV, 8).
C'est ce que nous te demandons par
Jésus-Christ, auquel, comme à Toi,
Père Céleste et au Saint-Esprit,
soient honneur, gloire, adoration aux
siècles des siècles. Amen!
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