Malheur à ceux qui sont puissans à boire le vin. Ésaïe V, 22.
VOILA l'anathème que
prononce la sagesse éternelle contre les
infortunes qui se livrent à cette passion
funeste. Il semble que pour les détourner de
la voie malheureuse qu'ils suivent, ce serait assez
d'y faire briller le flambeau de la
vérité, de leur montrer que cette voie
conduit
à la mort
(Prov.XIV,
12). Il semble
qu'à cette vue ils
devraient reculer épouvantés,
semblables à l'homme qui découvre
tout-à-coup l'abîme sur les bords
duquel il posait le pied. Mais, hélas! telle
est la déplorable adresse des passions, que
lors même qu'elles
nedétruisent pas
l'autorité de la loi, elles nous en font
éluder l'application, elles empêchent
le transgresseur de se reconnaître pour tel;
du moins elles lui fournissent des couleurs pour
adoucir, pour pallier ses égaremens.
Les vices les plus grossiers, les plus honteux ont
leurs illusions et leurs prétextes:
l'ivrognerie qui fait tant de ravages dans la
société, l'ivrognerie, dont la seule
idée inspire naturellement la
répugnance et le dégoût, trouve
des apologistes: elle semble à ceux qu'elle
perd, un penchant naturel, innocent, tout au plus
un penchant malheureux qui les rend plus dignes de
pitié que de blâme. Voilai comment, se
séduisant eux- mêmes, ils se plongent
toujours plus avant dans le bourbier de
l'intempérance et pèchent avec
sécurité! Il faut donc attaquer et
détruire ces folles excuses dont ils se font
un retranchement; il faut leur en faire sentir la
vanité, le néant; il faut leur
prouver que rien ne les dispense
de combattre et de surmonter l'habitude fatale qui
les domine.
Tel est le but de ce discours. Ce n'est point le
désir de les confondre qui nous anime; c'est
celui de les sauver; c'est le désir ardent
de les rappeler à eux-mêmes, de
contribuer à leur félicité
présente, à leur bonheur à
venir.
Veuille l'Esprit Saint ouvrir les coeurs de ceux
auxquels je m'adresse et joindre à mes
paroles l'onction divine de sa
grâce!
Je ne m'arrêterai point, mes Frères,
à tous les prétextes dont se sert le
débauché pour s'abuser sur le crime
et sur le danger de son état. Il en est
plusieurs qui ne méritent pas d'être
réfutés, et dont lui- même
sentirait le faible s'il daignait y
réfléchir.&emdash; II boit pour
passer le temps, dit-il quelquefois; mais ce temps
dont il parle comme d'une chose importune, comme
d'un fardeau qu'il veut secouer, ne sait-il pas
qu'il est pour l'homme, pour le cultivateur en
particulier, un des biens les
plus précieux, un bien dont rien ne
répare la perte? Ne sait-il pas que toutes
ses parties peuvent et doivent être
marquées par d'utiles
occupations?
Lorsqu'il prétend que c'est pour se
distraire de chagrins domestiques ou d'autres
malheurs, il sait bien que c'est dans la
résignation aux décrets de la
Providence qu'un Être intelligent et sensible
doit trouver le soulagement, et que chercher dans
le vin l'oubli de ses peines, ne sied qu'au
scélérat qui n'a que l'affreuse
ressource de l'abrutissement et du
désespoir.
Lorsqu'il assure que s'il passe les bornes de la
tempérance, c'est à l'occasion de
certains marchés qui se traitent mieux
ainsi, il sent bien encore que par ce langage il se
présente comme un téméraire,
qui joue les intérêts, la subsistance
de sa femme et de ses enfans, dans un temps
où il n'est pas à lui-même; ou
comme un perfide, un déloyal qui cherche
à troubler la raison de son frère,
afin d'en profiter pour le
surprendre et l'opprimer.
Lorsqu'il ajoute enfin qu'il ne veut pas, en se
distinguant des autres, se faire accuser par eux
d'austérité, il n'ignore pas combien
il serait insensé d'offenser le Seigneur par
une fausse honte, et de se perdre pour plaire
à ceux qui sont déjà
perdus.Toutes ces excuses et d'autres semblables
que j'ai ouï répéter plus d'une
fois, ne trompent pas même entièrement
celui qui les met en usage; elles sont
démenties par sa conscience, tandis que sa
bouche les prononce. Il en est de plus
spécieuses et mieux faites pour nous
occuper.
I. L'ivrogne
ne fait tort qu'à
lui-même. C'est une maxime reçue par
beaucoup de gens; car remarquez-le, ce n'est pas
seulement le coupable qui parle ainsi; c'est
presque le public; il semble qu'on envisage le
débauché comme un objet de compassion
plutôt que de
mépris.
Mais d'abord, mes chers Frères, rien n'est
plus affligeant, plus suspect que cette indulgence,
disons mieux, cette
indifférence pour un
dérèglement si fatal. Hélas!
rien ne fait mieux voir combien nos opinions se
règlent peu sur la loi de Jésus,
combien elles sont corrompues par l'esprit du monde
et les passions terrestres; car enfin pourquoi
n'excusons-nous pas aussi bien les autres
vices?
Pourquoi l'ambitieux, l'orgueilleux, l'avare,
l'homme intéressé, ou ceux
mêmes qui ne sont que
soupçonnés de ces criminels
péchés, deviennent-ils aussitôt
pour nous un objet d'aversion?
Pourquoi nous inspirent-ils de la défiance
et de la haine, tandis que nous sommes
disposés à plaindre les victimes de
l'intempérance?
Pourquoi tant de douceur pour les uns, tant de
rigueur pour les autres?
Ah! c'est que peu sensibles aux grands
intérêts de la vertu, de la gloire du
Très-Haut, peu nous importe que ses lois
soient transgressées: c'est que nous sommes
blessés seulement de ce qui nous nuit et
nous contrarie. L'avare peut nous refuser
des secours; l'homme
intéressé peut avancer sa fortune aux
dépens de la nôtre; l'ambitieux
s'élever au-dessus de nous l'orgueilleux
nous humilier en quelque rencontre: voilà
pourquoi nous ne saurions leur pardonner: le
débauché nous paraît d'abord
n'offenser que Dieu, voilà pourquoi nous
l'excusons si facilement: voilà pourquoi
nous disons, il ne fait tort qu'à
lui-même.
Mais quand il serait vrai qu'il ne fait tort
qu'à lui-même; quand par sa conduite
la gloire du Seigneur ne serait point
offensée, l'homme verra-t-il avec
indifférence un de ses semblables se faire
tort, un si grand tort à lui - même?
L'homme verra-t-il avec indifférence un de
ses semblables dégrader cette âme
immortelle rachetée au prix du sang de
Jésus, avilir la dignité de sa nature
que la Parole Éternelle a daigné
revêtir, remplacer l'expression de douceur et
d'intelligence empreinte sur son front par telle de
l'égarement, de la stupidité,
et substituer l'image de la
brute à celle du Créateur?
L'infortuné, du moins, pour qui
s'opère cette dégradation, n'y sera-
t-il point sensible? Est-il assez nul à ses
propres yeux, se méprise-t-il assez
lui-même pour croire, en se nuisant
jusques-là, ne faire aucun mal
réel?
Quoi donc! cet homme si sensible à la
moindre injure, si profondément
blessé d'un léger manque
d'égards, si jaloux d'être
considéré par ceux qui l'entourent,
se fera-t-il de gaîté de coeur
à lui même le plus sanglant affront?
se couvrira-t-il tranquillement d'infamie?
Hommes infortunés! si vous êtes peu
frappés de cette idée, ah! c'est que
votre carrière avilissante n'est pas encore
fournie; c'est que vous ignorez encore
l'étendue de ce tort que vous vous faites
à vous-même: mais lorsque vous vous
verrez plongés au fond du précipice;
lorsque la raison, qui ne brillera plus pour vous
que par intervalle, comme l'éclair dans la
tempête, vous en montrera la profondeur
sans vous donner les moyens d'en
sortir; quand vous ne serez plus pour la
société qu'un spectacle, un objet de
scandale; quand vos pieds chancelans, votre
tête vacillante, une santé
ruinée par les excès et la
misère, une vieillesse précoce; quand
tout vous avertira que le temps des folles joies a
pris fin, que l'heure du jugement va sonner, nous
direz-vous alors froidement, je ne fais tort
qu'à
moi-même?
Je ne fais tort qu'à moi-même! Mais
l'homme peut-il en effet ne faire tort qu'à
lui-même? Pense-t-il donc être
indépendant? Envisage-t-il son corps et son
âme comme une propriété dont il
puisse disposer au gré de ses passions?
Cette santé, ces biens, cette raison, ce
temps qu'il perd dans la débauche, ne
sont-ce pas des talens qu'il avait reçus
pour un autre usage, des talens qu'il devait faire
valoir pour avancer le règne de son
Maître et le bonheur de ses frères? le
Dieu qui lui donna des lois ne
l'a-t-il pas uni à d'autres êtres par
des relations qui les font souffrir de ses fautes,
par des liens intimes et tendres qui les associent
nécessairement à son
sort?
Ce chef de famille dont la compagne
délaissée passe les jours dans les
privations, les inquiétudes, et les nuits
dans les pleurs, dont les enfans
négligés, élevés au
milieu du trouble et des querelles,
reçoivent, au lieu de ces premières
impressions qui doivent les porter à la
vertu, l'influence d'un pernicieux exemple; ce
père dénaturé qui consume dans
la débauche le patrimoine de ceux auxquels
il a donné le jour, l'argent qui devait
servir à les instruire selon leur
état, peut-être même leur
étroit nécessaire, ne fait-il tort
qu'à lui
même?
Ce fils ingrat qui, loin de soutenir ses parens par
son travail, de soigner, d'embellir leur
vieillesse, verse l'amertume dans leur coeur par
ses déréglemens, et peut-être,
ce qui n'est pas sans exemple,
leur enlève avec une basse cruauté le
peu qu'ils ont pour vivre, ne fait-il tort
qu'à
lui-même?
Cet autre qui ne s'inquiétant point de
satisfaire ses créanciers, comptant pour peu
leurs droits, leurs besoins, oubliant que les
cris de ceux qui l'ont servi
s'élèvent, suivant l'énergique
expression de l'Écriture (Jaq.V, 4), s'élèvent
au
Ciel contre
lui, leur
dérobe, pour se livrer à la
débauche, tout ce dont il peut disposer, ne
fait-il tort qu'à
lui-même?
Cet homme public qui s'abandonne à
l'ivrognerie au mépris des devoirs de sa
place et des intérêts dont il est
chargé, ne fait-il tort qu'à
lui-même? Ce pauvre enfin dont la honteuse
misère est le fruit de la débauche,
signe de son avilissement et non pas une
conformité glorieuse avec son
Rédempteur; ce pauvre qui, lorsqu'il a tout
dissipé, recourant à la
charité publique, vient usurper la portion
des indigens dignes d'estime et
d'intérêt. Ce pauvre qui fournit un
prétexte à l'avare pour calomnier
tous les malheureux et les soupçonner tous
d'inconduite, ce pauvre qui met l'homme bienfaisant
dans la pénible alternative de manquer
à la prudence en ouvrant sa main, ou
d'offenser l'humanité s'il lui refuse des
secours, ne fait-il tort qu'à lui-
même?
Mais sans insister davantage sur des exemples si
touchans,si terribles, et pourtant si communs, je
demanderai si, dans quelque situation que vous le
supposiez, il est un homme assez indépendant
pour ne faire tort qu'à lui-même, en
se plongeant dans la débauche? Je l'ai dit:
nous sommes liés les uns aux autres par des
noeuds que nous ne pouvons rompre. Dans les vues
bienfaisantes du Seigneur, ces noeuds sont des
moyens de bonheur public et particulier. Si nous
méconnaissons notre destination, ils
deviennent une source de maux. Les biens que
l'homme intempérant prodigue dans
sa folie, en admettant qu'il
n'ait point d'enfans ou de proches dont les besoins
réclament ces biens, dévoient tourner
au profit de la société: mieux
employés, ils devaient faire
prospérer le commerce, encourager
l'industrie, fertiliser la terre, soulager les
membres souffrans du corps de
Jésus-Christ.
Ce temps que le débauché perd sans
remords, il devait le faire servir au bonheur des
hommes, à la gloire de son Dieu. Cette
raison qu'il obscurcit, ce jugement, ces
clartés de l'esprit qu'il éteint dans
l'ivresse, ils lui furent donnés pour qu'il
fût le guide et l'appui de ses frères;
ils étaient destinés à leur
faire goûter les leçons de la
piété, à leur faire
connaître, aimer les sentiers de la justice.
La société, l'Église avaient
des droits sur tous ces dons qu'il avait
reçus pour elles et dont il leur
dérobe l'usage. Il y a plus. Tandis que ses
terres demeurent en friche et les instrumens de son
métier suspendus sans qu'aucune main les
mette en oeuvre, il n'en prend
pas moins sa part, et plus que sa part de la
subsistance commune; il se nourrit aux
dépens des travaux de ses semblables et
dévore le fruit de leurs sueurs; il consume
sans rien produire.
Je vous le demande, une association composée
de pareils hommes pourrait-elle fleurir?
pourrait-elle
subsister?
Mais encore combien d'atteintes portées
à la pureté, à la pudeur,
à la Religion! combien de
péchés dont l'ivrogne devient la
cause par le scandale qu'il donne!
médisances dont il est l'occasion,
criminelles excuses que ses amis allèguent
pour le défendre, influence funeste qu'il
exerce sur ses compagnons de débauche.
Peut-être est-ce la séduction de son
exemple, de sa compagnie qui les a perdus;
peut-être les déréglemens
où il les entraîne auront-ils pour eux
des suites plus funestes encore que pour
lui-même: imprécations, querelles,
ruine, désespoir, tous ces maux, dont il est
le premier auteur, retomberont
sur sa tête. Combien de malheurs, de crimes,
de catastrophes peut-être, dont il devra
répondre au dernier jour!
II. Éclairé
sur ce point,
forcé de reconnaître le tort qu'il
fait à l'Église, à la
société, le débauché
nous dira-t-il encore, et qui de nous plus d'une
fois n'a pas ouï tenir ce langage? je ne puis
me corriger; je suis entraîné par mon
tempérament; la bonté du Seigneur est
infinie; il aura sans doute égard à
ma faiblesse.
Mais, Chrétiens, pour avoir quelque titre
à cette excuse, pour en appeler à son
impuissance devant Celui qui sonde les coeurs, il
faudrait sans doute avoir livré de grands
combats; il faudrait s'être mis en garde avec
soin, de bonne foi, contre les occasions de chute;
il faudrait s'être armé contre
soi-même, s'être prévalu de tous
les secours que peuvent fournir le travail, la
réflexion, la prière. Et où
est l'homme, je vous prie, que l'on voie employer
tous ces moyens, et les employer
inutilement? Si celui qui nous dit, c'est mon
tempérament qui m'entraîne, n'a jamais
essayé de résister à ce
tempérament; s'il en suit la pente
malheureuse avec une molle lâcheté,
s'il l'a fortifiée chaque jour par
l'habitude; enfin, si loin de faire tous ses
efforts avant de parler ainsi, il ne parle ainsi
que pour se dispenser d'en faire, ah! ne
sentez-vous pas que ce langage renferme et suppose
autant d'impudence que de mauvaise
foi?
C'est mon tempérament qui m'entraîne!
Vous qui nous alléguez cette vaine excuse,
j'interroge ici votre conscience, votre conscience
qui vous dément. J'en appelle à ce
malaise qui vous fait baisser les yeux à la
vue d'un homme réglé dans ses moeurs,
à ce secret murmure qui se fait entendre en
vous, lorsque dans les jours consacrés au
travail, portant vos pas au cabaret, vous
rencontrez l'homme actif et laborieux qui va
cultiver ses champs avec
gaîté.
J'en appelle à cette pénible honte
que vous éprouvez, lorsque les fumées
du vin étant dissipées, votre
mémoire vous présente le tableau de
votre délire, ou qu'on vous raconte les
scènes avilissantes que vous avez
jouées. J'en appelle a ce remords qui, tel
qu'un fer brûlant, perce de temps en temps
votre coeur, lorsque vous envisagez votre ruine qui
s'avance comme un nuage obscur, votre maison qui
chancelle; lorsque vos enfans nus, pressés
par la faim et baignés de pleurs, vous
demandent du pain et des vêtemens; lorsque
votre compagne vous accuse de leur commun malheur.
Toutes ces choses vous disent que vous êtes
libre d'être tempérant, que vous le
seriez; si vous vouliez
l'être.
C'est mon tempérament qui m'entraîne!
Mais est-ce de la nature ou de votre
lâcheté, est-ce de la nature ou de
l'habitude que vous tenez ce tempérament? Ne
vous rappelez-vous pas un temps où, libre du
joug de cette passion honteuse,
vous l'envisagiez avec horreur;
où, portant vos regards sur l'ivrogne
balbutiant, vous les détourniez avec
mépris? Vous avez eu même quelque
répugnance à surmonter en entrant
dans cette carrière. Or, si l'habitude
vicieuse a pu prendre un tel empire sur votre
âme, pourquoi l'habitude opposée,
l'heureuse habitude de la sagesse, ne pourrait-elle
renaître et regagner l'ascendant qu'elle a
perdu?
C'est mon tempérament qui m'entraîne!
Ah! parler ainsi, mon cher Frère, c'est
blasphémer le Dieu qui vous créa;
c'est prétendre qu'il a mis ses lois en
contradiction avec votre nature; c'est faire
l'affreuse supposition qu'il est des hommes
formés pour leur perte, des hommes auxquels,
en leur prescrivant d'être vertueux, il
refuse les secours nécessaires pour le
devenir, tandis qu'il n'en est point qui ne trouve
dans son propre coeur, dans la Religion, dans les
grâces de l'Esprit-Saint des armes
suffisantes pour résister au mal; tandis
qu'il n'est personne à
qui l'on ne puisse dire: Celui
qui est en vous est plus fort
que la tentation
(I
Jean IV, 4);
tandis qu'il n'est personne pour
qui, surtout dans le commencement de la vie, il ne
soit plus aisé, oui, plus aise de suivre le
bon chemin que d'en
sortir.
C'est mon tempérament qui m'entraîne!
Mais où est le vice, où sont les
excès qu'on ne pût justifier par une
telle excuse? Les plus grands
scélérats ne commettent les forfaits
qu'en suivant la passion qui les possède.
Ainsi donc, selon vous, le crime n'est crime que
lorsqu'on s'y laisse aller avec répugnance!
y trouver du plaisir, c'est devenir innocent, et
nous serons jugés non d'après la Loi
Sainte de Jésus, mais d'après les
penchans d'une nature corrompue! Un tel principe
n'est-il pas destructeur de toute morale, de toute
Religion, et peut- il s'accorder avec l'idée
d'un Dieu quirendra à
chacun selon ses oeuvres, d'un jugement, d'une
éternité?
C'est mon tempérament qui m'entraîne!
Ah! rougissez enfin de cette excuse qui n'est pas
faite pour l'homme et n'appartient qu'à la
brute guidée par les sens, par un aveugle
instinct. Peut-elle convenir cette excuse à
des Êtres formés
à l'Image de
Dieu,
éclairés par le flambeau de la
raison, avertis par la conscience, dirigés
par une Loi Souveraine! Peut-elle convenir à
des Chrétiens qui reconnaissent Jésus
pour maître, que Jésus appelle aux
plus pénibles sacrifices, qu*il appelle
à crucifier la
chair avec ses convoitises
(Gal.
V,
24), auxquels
il enseigne que le royaume
des Cieux
doit être forcé, et que les violens y
peuvent seuls entrer
(Matt.
XI,
12)?
C'est mon tempérament qui m'entraîne!
Si pour celui qui tient ce discours elle est en
effet venue cette époque
fatale où l'homme, a près avoir
long-temps servi le péché
volontairement, est enfin garrotté de ses
chaînes, tellement qu'il ne peut plus les
rompre; si cette situation, qui fait frémir
un coeur sensible et religieux, est
réellement la sienne, à qui peut- il
s'en prendre? N'est-ce pas parce qu'il a long-temps
refusé d'écouter sa conscience
qu'elle se tait pour toujours? N'est-ce pas parce
que la plus noble partie, la partie spirituelle de
lui-même a long-temps reconnu l'empire des
sens? N'est-ce pas parce que son âme s'est
longtemps soumise à son corps, qu'elle est
enfin devenue matérielle comme lui? N'est-ce
pas parce qu'il a long-temps abusé des
grâces de l'Esprit-Saint que ce divin Esprit contristé
s'est
retiré
pour jamais? N'est-ce pas enfin parce que Dieu l'a
rappelé long- temps en vain, a long-temps
frappé sans fruit à la porte de son
âme, qu'exerçant sur cette âme
un jugement terrible, il ne lui parle plus, il le
destine ce pécheur
endurci à servir d'exemple à ses
frères, à les effrayer, en leur
montrant la turpitude de la débauche et ses
lugubres conséquences?
Déplorable situation! Affreux tableau! Quel
homme dont le front peut rougir encore et le coeur
ressentir la honte, quel homme oserait s'y
reconnaître et nous dire: je suis ce
malheureux?
N'est-il pas bien triste, mes Frères, qu'un
vice aussi funeste, un vice qui déshonore la
nature et contrarie les lois de la Religion, un
vice qui nous ôte le bonheur de la vie
présente et de la vie future, ruine la
santé, la fortune en même temps que la
vertu, trouble la société non moins
que l'Église, attaque la
prospérité générale
aussi bien que la félicité
domestique, dont les conséquences enfin sur
le temps et l'éternité sont si
sensibles et si formidables; n'est-il pas bien
triste qu'un tel vice trouve non-seulement des
esclaves, mais des défenseurs; qu'on voie
non-seulement des hommes qui s'y
livrent, mais des hommes qui ne craignent pas de le
justifier? Ah! loin de nous ces coupables excuses:
en corrompant l'opinion publique, elles favorisent,
elles étendent les ravages de
l'intempérance; elles préparent la
chute du faible, en détruisant chez lui
l'horreur du vice, en le familiarisant d'avance
avec un penchant plus redoutable pour nos campagnes
que la grêle et les
tempêtes.
Combien elles seraient plus heureuses ces
campagnes, si jamais elles n'étaient
souillées par les excès de la
débauche! Ici, sous un beau Ciel, nous
respirons l'air le plus pur: entourés des
scènes paisibles et majestueuses de la
création, nous entendons de loin le bruit
des orages qui bouleversent la
société. Ah! si les orages des
passions ne venaient point troubler notre vie! Si
notre âme, telle qu'un champ fécond,
recevait la semence de vie que le Rédempteur
y jette sans cesse, et la conservait pour donner
d'heureux fruits aux jours de la
moisson! Si le démon de
l'intempérance n'enlevait pas cette semence
précieuse!...
Mes chers Frères! que tout ce qu'il y a en
vous de patriotisme, de charité, de foi, de
piété, se réveille. Travaillez
à vous inspirer les uns aux autres une
nouvelle horreur pour l'ivrognerie. Ne parlez
jamais de ce vice que pour en faire sentir la
laideur ou pour déplorer ses ravages.
Réunissez vos efforts, je ne dis pas
seulement pour vous en préserver
vous-mêmes, mais pour en garantir tous ceux
qui dépendent de vous, ou sur qui vous
exercez quelque influence, pour arrêter ses
progrès, pour le bannir, s'il se peut, de
cette
contrée.
Chefs de famille! veillez sur vos enfans et vos
serviteurs, surtout dans l'âge où
leurs passions encore captives sont près de
s'enflammer; retenez-les par votre autorité,
par vos leçons, surtout par votre exemple;
car, hélas! que pourraient les exhortations
les plus belles, si vos actions
ne les soutenaient pas? à moins que cette
Providence qui sait tirer le bien du mal, ne
fît de vos désordres une leçon
salutaire pour vos malheureux
enfans.
Épouses et Mères! c'est votre
tâche d'éloigner de
l'intempérance vos époux et vos fils,
par votre bonté, votre complaisance, vos
tendres attentions, par le bonheur qu'ils
goûteront dans leur demeure. Faites qu'ils ne
soient jamais tentés de penser qu'ils se
trouveraient mieux ailleurs. S'ils vous
échappent malgré tant de soins,
quelque légitimes que fussent vos plaintes,
gardez-vous de les exhaler
inconsidérément; attendez qu'ils
soient devenus capables de vous entendre: ne vous
livrez point même alors à d'amers
reproches: faites parler votre douleur et votre
tendresse. On a vu plus d'une fois la raison, la
patience, la douce persévérance d'une
femme Chrétienne ramener à l'ordre
l'homme le plus
abruti.
Jeunes personnes! vous pouvez aussi nous seconder.
Fuyez les jeunes gens
déréglés; rejeter les soins
qu'ils vous rendent; dites hautement combien vous
éprouveriez d'effroi d'unir votre sort au
leur. Votre intérêt s'accorde avec
celui des moeurs et de la Religion: le libertin,
l'ivrogne, le dissipateur, quelque heureusement
né qu'il soit, conservât-il même
encore des qualités aimables, vous rendrait
nécessairement malheureuses, vous ferait
maudire l'heure où vous auriez mis dans ses
mains votre destinée.
Anciens de cette Église, nos appuis, nos
compagnons dans l'oeuvre du Seigneur! nous vous
appelons à notre aide. Vous connaissez, vous
déplorez, comme nous, les suites funestes de
l'ivrognerie et de la sensualité. Vous
sentez le prix de l'ordre et des moeurs; ne
négligez rien pour les faire régner
parmi nous. Vous exercez beaucoup d'influence sur
vos amis, vos proches, sur le village soumis
à votre censure; joignez au bon
exemple, qui ne suffirait pas
dans votre place, une surveillance sans
relâche, une fermeté que rien
n'ébranle. Que votre seule présence
réprime le désordre. Ne souffrez
jamais, sous aucun prétexte, qu'on enfreigne
autour de vous les règlemens de police
établis pour le prévenir.
Voilà une de vos plus utiles, de vos plus
importantes fonctions. Si vous la remplissez avec
fidélité, vous mériterez la
reconnaissance de l'Église et de la
Patrie.
Unissez vos efforts aux nôtres, Hommes de
bien, modèles de ce troupeau, sur qui mes
regards se reposent avec complaisance! vous qui
faites voir par votre conduite comment la
sobriété s'allie à toutes les
vertus! c'est à vous aussi qu'il appartient
d'exhorter, d'avertir celui qui s'égare:
c'est vous qui pouvez le faire avec succès.
Ah! puisse votre zèle s'échauffer
pour le maintien des moeurs dans cette
contrée qui nous est si chère! Puisse
le calme dont vous jouissez, l'estime dont vous
êtes l'objet, affermir
dans la bonne route les pas de la
génération qui vous suit, et lui
faire prendre la résolution salutaire d'y
marcher toujours! Puisse votre exemple plus
persuasif, plus puissant que tous nos discours,
ramener à l'ordre ceux
qui vivent dans le
dérèglement (I
Thess., V, 14)
Puissiez-vous, après avoir
prolongé pour eux le temps de la
clémence céleste, après avoir
été leurs protecteurs auprès
du Très-Haut durant cette vie, devenir pour
celle qui doit la suivre les instrumens de leur
salut et de leur éternelle
félicité! Amen.
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